De l’état actuel de la Traite des noirs, extrait des renseignements déposés récemment à ce sujet…

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AVANT PROPOS DU TRADUCTEUR

   PARMI les grands événemens qui ont marqué les vingt premières années du dix-neuvième siècle, l’Abolition de la Traite des Noirs proclamée par le Parlement Britannique, doit tenir une place honorable dans l’histoire.

   La Grande Bretagne offrit alors un des plus beaux spectacles que puisse présenter une nation magnanime. Ce peuple, dominateur des mers, possesseur d’immenses colonies, était, plus qu’un autre, intéressé au maintien du commerce des esclaves. Ce commerce offrait à la cupidité nationale un moyen facile de suppléer aux bras européens dans les colonies, et de se procurer, à peu de frais, la culture et l’exploitation d’un sol qui repoussait la mollesse des colons. L’Abolition de la Traite semblait donc présenter d’invincibles difficultés de la part de la nation britannique. Toutefois, un petit nombre d’individus avaient osé en concevoir l’espérance. Ces hommes, aidés de leurs seuls moyens et de leur seul courage, résolurent d’entreprendre cette grande oeuvre. Bientôt leur active philantropie électrise l’âme d’un grand nombre de leurs compatriotes. L’impulsion est donnée; elle se communique de rang en rang et va atteindre les membres de la législature. L’un d’eux, secondé par quelques-uns des hommes les plus distingués de tous les partis politiques, entreprend de provoquer un acte législatif pour l’abolition entière de la Traite. Chaque année leur vertueuse éloquence plaide cette grande cause; chaque année, ils voient leurs efforts infructueux. Néanmoins, chaque défaite augmente les forces des vaincus, et leur parti dans le Parlement se recrute de tous ceux dont la force de la raison et l’amour de l’humanité ébranlent la conviction. Plusieurs fois, après avoir triomphé dans la Chambre des Communes, ils perdent leur cause dans la Chambre des Pairs. Enfin, la victoire se déclare pour les amis de l’humanité et, le 25 Mars 1807, l’Abolition est proclamée.

   Cependant, l’affaire d’un petit nombre d’hommes était devenue une affaire nationale. La nation anglaise toute entière répondit par ses acclamations à la grande résolution que venaient de prendre ses représentans; et, depuis 1807 à 1814, l’Afrique n’eut plus à gémir, comme autrefois, sur la perte de ses enfans, et la sécurité commença à habiter ses rivages. Cependant, en 1814, la paix vint arracher les armes des mains des peuples irrités, et ouvrir les mers au commerce européen. C’est alors que le gouvernement britannique songea à donner une plus grande latitude à l’Abolition de la Traite. L’influence qu’il exerçait sur les cabinets lui en fournissait les moyens. ces moyens ne furent pas négligés.

   Quelques puissances consacrèrent l’Abolition spontanée et entière. Quelques autres, comme le Portugal, ne la consacrèrent que relativement à une portion des côtes de l’Afrique. D’autres, enfin, ne consentirent à son entière suppression qu’après un laps de temps qu’elles stipulèrent.

   De ce nombre fut la France.

   Le monde apprit avec étonnement que cette puissance qui, en 1789, avait proclamé, avec enthousiasme, la liberté des Noirs, avait stipulé, en 1814, pour conserver le droit de faire la Traite pendant cinq ans encore. Pendant cinq ans!… Le droit d’acheter et de vendre pendant cinq ans ses semblables! d’arracher par toutes sortes de forfaits des milliers d’innocentes victimes de leur pays natal, pour les condamner à un esclavage perpétuel!

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1º. ESPAGNE

Au mois de Décembre 1817, S. M. Catholique publia un décret ordonnant la restriction, et enfin l’entière abolition de la Traite des Noirs, faite par les sujets d’Espagne. Cette pièce nous a paru assez importante pour être mise dans son entier sous les yeux de Messieurs les Directeurs. (*)

(*). On n’exigera pas, sans doute, du comité qu’il commente les termes dont se compose le préambule de ce décret.

«L’introduction des esclaves noirs en Amérique,» dit S. M. C. «fut l’une des premières mesures ordonnées par nos prédécesseurs pour assurer la prospérité de ces vastes régions, immédiatement après leur découverte. Dans l’impossibilité d’amener les Indiens à se livrer à des travaux nécessaires, mais pénibles, vu leur complète ignorance des commodités de la vie, et le peu des progrès qu’avait fait parmi eux la science sociale, il était nécessaire de confier à des mains plus robustes l’exploitation des mines et la culture du sol.

   «Cette mesure qui ne créait pas l’esclavage, mais qui mettait à profit celui qui existait déjà parmi les nations barbares de l’Afrique, pour sauver les prisonniers de la mort et alléger leur condition, loin d’être préjudiciable aux Africains transportés en Amérique, leur procurait au contraire l’inestimable avantage d’être instruits dans la connaissance du vrai Dieu et dans les vérités de cette religion auguste et sainte, la seule dans laquelle l’Etre Suprême se plaise à recevoir l’hommage de ses créatures. Cette mesure avait encore l’avantage de leur procurer tous les résultats heureux de la civilisation, sans les soumettre, dans l’état de servitude, à une condition pire que celle dont ils jouissaient dans l’état de liberté et dans leur pays natal. Toutefois, la nouveauté de ce système exigeait de la prudence dans son exécution. C’est dans cette vue que l’introduction des esclaves noirs en Amérique, a d’abord dépendu de priviléges particuliers que nos prédécesseurs ont accordés suivant les circonstances de temps et de lieu, jusqu’à ce qu’enfin ce commerce fut permis, généralement, tant par navires nationaux que par bâtimens étrangers, en vertu des déclarations royales du 28 Sept. 1789, 12 Avril 1798, et 22 Avril 1804, lesquelles fixèrent, en même temps, les points où pourrait se faire cette introduction.»

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CLASSE C.

Cette classe contient la correspondance avec la France, relativement au commerce des esclaves.

La première pièce qui se présente est une plainte de l’amiral anglais commandant la station des îles Sous le Vent: elle est datée du 5 Novembre 1816. L’amiral s’y plainte d’un gros bâtiment français qui a importé 500 esclaves à la Martinique où leur vente a été annoncée, non seulement dans les papiers publics, mais même par des pancartes affichées aux coins des rues. Il ajoute que plusieurs autres navires étaient attendus tant à la Martinique qu’à la Guadeloupe.

Une plainte semblable, en date du 5 Octobre 1816, fut adressée par le Colonel Maxwell, gouverneur de la Dominique.

Au mois de Janvier 1817, notre Ambassadeur, Sir Charles Stuart communiqua ces faits à M. de Richelieu et y joignit une représentation des consuls anglais à la Corogne et à Nantes, qui se plaignaient que des navires négriers français s’introduisaient dans les ports d’Espagne, à l’effet d’y obtenir, frauduleusement, des papiers espagnols pour faire la Traite.

Le Duc de Richelieu ne paraît pas avoir bien reçu ces communications. Dans sa réponse, il observa à Sir Charles Stuart, qu’il voyait avec peine que ces remontrances constamment répétées sur le même sujet, paraissaient jeter sur la sincérité du gouvernement français des soupçons dont sa conduite devait le garantir; et que, si les agens français exerçaient la même investigation sur les colonies britanniques, et particulièrement sur l’île de France, il ne doutait nullement qu’on ne parvînt à découvrir des infractions à nos lois contre la Traite, qu’il ne nous serait pas facile de justifier.

Le gouvernement britannique, nous n’en saurions douter, eût été reconnaissant d’une pareille découverte et, loin d’en éprouver aucun ressentiment, il se serait employé lui-même à découvrir, à punir et à prévenir de pareils actes.

Le ton du ministre français est d’autant plus remarquable que, dans le temps même où cette lettre fut écrite, notre ambassadeur ayant demandé qu’il lui fût donné des copies exactes de toutes les lois, ordonnances, instructions et autres actes publics relatifs à l’abolition de la Traite, ne reçut en réponse que la seule ordonnance du Roi du 8 Janvier 1817, ordonnance qui, comme l’a observé Sir William Scott dans l’affaire du Louis ne pourrait, en aucun cas, avoir force de loi (*). Ainsi le ministère français n’avait encore pris aucune mesure pour garantir l’exécution de ses engagemens avec ce pays. Dans un tel état de choses, les remontrances du gouvernement anglais ne pouvaient être regardées comme tout-à-fait aussi déplacées et aussi déraisonnables, que paraissent l’indiquer les expressions de M. le Duc de Richelieu.

(*) Ce n’est point ainsi que pensait M. du Bouchage, ministre de la marine: il avait une si haute idée de cette ordonnances, qu’il la regardait comme rendant inutiles «de nouvelles garanties des soins que prend le gouvernement français pour proscrire, dans les possessions du Roi, le commerce des esclaves». «Cet acte de l’autorité royale,» ajoutait-il, «doit désormais prévenir toute réclamation.»

Au reste, des explications furent données à ce sujet. Le navire qui avait débarqué et vendu une cargaison d’esclaves à la Martinique, se trouvait dans des circonstances toutes particulières, ce qui pouvait justifier ce qui avait eu lieu dans cette occasion.

Une autre plainte, contenue dans une lettre de Lord Castlereagh du 8 Mars 1817, établissait qu’entre Juin 1815 et Octobre 1816, cinq bâtimens français étaient entrés dans les ports de la Martinique avec des esclaves; qu’un brigantin portugais l’Eleonora de Lisbonne, commandé par Victor Débrito, avait importé 165 esclaves dans cette île; que, dans les derniers temps, des navires qui avaient été frétés à Saint-Pierre, pour la Traite, étaient alors en mer, venant d’Afrique ou s’y rendant, et qu’une goëlette, excellent voilier, se frétait encore dans le même port pour un semblable voyage. Il paraît que ces plaintes restèrent sans réponse.

Quant aux navires français convaincus d’avoir arboré frauduleusement le pavillon espagnol, il fût répondu: «Les réglemens français autorisent la vente des bâtimens français; pour l’Espagne», et il est présumable, comme pour toute autre puissance; «par suite de ces dispositions, des constructions ont été exécutées pour des négocians de la Péninsule. Mais, dans cette circonstance, le commerce français n’est que le constructeur du bâtiment et reste tout-à-fait étranger à la destination que les acquéreurs peuvent lui donner ultérieurement. Au reste, le ministre de la marine s’est assuré qu’aucune expédition pour la Traite des Noirs n’avait eu lieu dans nos ports. Les ordres qu’il vient de renouveler et les mesures qu’il vient de prescrire, donnent la certitude qu’en aucun temps, aucun navire français ne pourra y concourir.» Il n’est pas nécessaire de remarquer que cette assurance a été bien malheureusement démentie par les événemens ultérieurs.

D’ailleurs cette explication ne répond à rien. La plainte spécifiée était que, pour couvrir leur coupable commerce, des sujets français se prévalaient de la loi qui permet de vendre des navires français pour l’Espagne; et des exemples étaient cité à l’appui, par les consuls britanniques des ports où ces faits avaient eu lieu.

Mais il est inutile de suivre plus loin les détails de cette investigation, cette manière détournée d’exercer la Traite ayant été abandonnée, depuis, comme n’étant plus nécessaire, et l’abolition de la Traite par l’Espagne ne l’ayant plus, d’ailleurs, rendue praticable.

Durant les douze mois suivans des représentations continuèrent à être adressées au gouvernement français, au sujet d’infractions manifestes aux lois d’abolition, commises au Sénégal, à Gorée et ailleurs. Mais ces détails ayant déjà été publiés, nous n’avons pas jugé à propos de les spécifier ici.

Ces représentations furent beaucoup mieux reçues du Duc de Richelieu que celles de l’année précédente. Le 29 Janvier 1818, Sir C. Stuart manda que le Duc de Richelieu lui avait dit qu’il espérait «que les efforts du gouvernement français pour extirper ce commerce seraient justement appréciés par le gouvernement britannique.» Il avait ajouté «qu’il comptait sur notre empressement à lui faire connaître les abus qui pourraient se commettre, et à lui présenter le systême le plus propre à les faire cesser.» Le 19 Janvier 1818, Sir Charles Stuart s’exprimait ainsi:

«J’ai communiqué à M. le Duc de Richelieu toutes les pièces contenues dans la dépêche de Votre Seigneurie, laquelle expose le détail des infractions faites à l’ordonnance de S. M. très-chrétienne, relative à l’abolition de la Traite, dans les possessions nouvellement rendues à la France sur la côte d’Afrique, et je me suis efforcé de lui faire sentir combien il est urgent d’adopter des mesures qui puissent assurer l’exécution d’une loi qui, comme le prouvent les documens en question, est mise en un complet oubli dans les colonies françaises.

«Le Duc de Richelieu me remercia de cette communication et ajouta qu’il désirait que Votre Seigneurie voulût bien spécifier les mesures qui, dans votre opinion, sont capables de contribuer efficacement à la suppression de ce commerce, afin de mettre le gouvernent français à même de prouver la sincérité de ses intentions en adoptant ce systême dans toutes ses possessions coloniales.

«Deux jours après cette conversation, M. Molé, ministre de la marine, m’informa que, le gouvernement français ayant pris des informations relativement aux faits contenus dans les dernières communications remises à M. de Richelieu, il avait eu la douleur de trouver que le résultat de cette information confirmait pleinement les faits allégués par Votre Seigneurie, et qu’il ne mettait aucun doute que ces violations réitérées de l’ordonnance royale, de la part des autorités françaises sur les côtes d’Afrique, n’eussent rendu nuls les plans formés par le gouvernement pour la civilisation des naturels du pays, et n’eussent enfanté des maux que plusieurs années d’une application sérieuse et soutenue ne pourraient réparer qu’imparfaitement.

«Il ajouta que l’ordre avait été donné de destituer toutes les personnes inculpées, et qu’il allait expédier de nouvelles instructions dans les colonies pour faire sortir son plein et entier effet à l’ordonnance royale relative à l’abolition de la Traite.

«M. de Molé exprima, la persuasion où il était, d’ailleurs, que les autorités du Sénégal n’avaient, elles-mêmes, pris aucune part aux contreventions qui, en d’autres endroits, avaient donné lieu à de si justes plaintes.

Il est important de prendre acte de ces aveux pleins de franchise de M. Molé, parce que, deux ou trois ans plus tard, on a essayé d’invalider des plaintes dont des preuves positives établissaient l’authenticité.

Le Duc de Richelieu avait exprimé le voeu qu’un systême propre à réprimer efficacement la Traite lui fut présenté; le 21 Février 1818, Lord Castlereagh écrivit à ce sujet, à Sir Charles Stuart, ainsi qu’au Marquis d’Osmond, ambassadeur de France près de notre cour. Sa lettre au premier était accompagnée d’une note mise, pendant une conférence diplomatique, sous les yeux des plénipotentiaires d’Autriche, de France, de Russie et de Prusse, le 4 Février 1818, et dont l’objet était d’engager le gouvernement français, dans son dessein de réprimer la Traite, à admettre le droit de visite mutuelle déjà adopté par l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas. Sa Seigneurie y répondait d’avance aux objections qui pourraient s’élever contre cette proposition, en établissant les bases suivantes:

«1º. Le droit est complètement réciproque entre les parties contractantes.

«2º. Il est expressément limité aux vaisseaux de guerre, et encore son exercice n’est-il pas confié à tous les vaisseaux de guerre appartenant aux dites parties contractantes, mais seulement à ceux qui seront exclusivement destinés à ce service par leurs gouvernemens respectifs, et auxquels les dits gouvernemens donneront des instructions ad hoc, conformément à ce qui sera exprimé dans la convention. En outre, ce droit sera purement local, et borné au théâtre reconnu de ce commerce criminel.

«3º. Le droit de visite ne peut être exercé que par un officier supérieur, soumis à des règles spéciales renfermant le plus haut degré de responsabilité personnelle.

«4º. La détention d’un navire visité ne peut être effectuée que sur le fait d’esclaves trouvés à bord, et une exception sera faite en faveur des esclaves domestiques qui pourraient bona fide, faire partie de l’équipage.

«5º. Le navire ainsi capturé sera immédiatement conduit devant une commission mixte qui aura à prononcer sur la légalité de la détention, avec plein pouvoir d’allouer des dommages et intérêts aux parties détenues, dans le cas où il y aurait erreur ou injustice.

«Le gouvernement français considérera, en même temps, que, dans cet arrangement, les droits de toutes les parties sont, non seulement garantis, mais encore protégés; qu’à moins de cette concession réciproque de la part des puissances dont le pavillon flotte sur les mers Africaines, le marchand négrier pourra continuer, en cachant son véritable caractère national sous tel pavillon qu’il jugera le plus propre à cet effet, de défier impunément toutes les tentatives de répression, et que le droit de visite mutuelle peut, non seulement se concilier avec le maintien rigoureux des droits maritimes de chacune des parties contractantes, mais encore, est susceptible de recevoir telles restrictions et telles modifications qui seraient jugées convenables, pour éloigner jusqu’à la possibilité même du moindre abus.

«Quelles que soient les mesures qui pourraient être proposées par la France, pour se précautionner contre l’abus de ce pouvoir, en addition à celles qui sont exprimées dans les conventions Espagnoles et Portugaises, vous pouvez assurer le gouvernement français que les ministres du Prince Régent sont disposés à adopter toutes les propositions de cette nature.»

Le résultat de cette correspondance est déjà connu de MM. les Directeurs. Le Duc de Richelieu déclina la proposition, dès la première ouverture, alléguant que l’avenir prouverait que cette prétendue réciprocité était illusoire, et que les querelles inévitables que ferait naître l’abus de ce droit, seraient plus préjudiciables aux intérêts des deux gouvernemens que le commerce même dont on désirait la suppression. Lorsque, quelque temps après, la même proposition fut renouvelée aux congrès d’Aix-la-Chapelle, le Duc de Richelieu entra dans de plus longs détails relativement aux objections qu’il faisait à cette mesure.

La lettre de Lord Castlereagh, dont nous avons déjà parlé, adressée au Marquis d’Osmond, en date du 21 février 1818, représente l’état existant de la législation en France, comme bien loin de ces mesures pleines et entières dont les promesses de S. M. très-chrétienne avaient fait concevoir l’espérance. Le seul acte public qui eût encore, alors, été publié, était l’ordonnance du 8 Janvier 1817. Mais cet acte même, en lui supposant force de loi, était insuffisant et imparfait puisqu’il n’interdisait pas généralement le commerce des esclaves aux navires et aux sujets français, mais seulement leur introduction dans les colonies françaises. Sa Seigneurie demandait s’il n’était pas juste de rendre générale la prohibition du commerce des esclaves, de confisquer toutes les propriétés qu’on y trouverait engagées et de fixer des peines proportionnées à un délit aussi grave. Le Duc de Richelieu reconnut la justice de ce raisonnement, et bientôt un acte législatif vint remédier à quelques-unes des lacunes qui existaient, sur ce sujet, dans la législation française. Mais ces améliorations même étaient loin d’être proportionnées à la grandeur du mal. Les observations de Sir Charles Stuart, à ce sujet, sont parfaitement justes. Le 9 Mars 1818, il écrivait «qu’il avait pris la liberté d’observer que les dispositions de la loi étaient loin de répondre aux propositions qu’il avait eu l’honneur de communiquer; que les peines prononcées contre les personnes convaincues d’avoir fait la Traite sous pavillon français, étaient loin d’être suffisantes pour arrêter ce fléau; qu’elles étaient loin surtout d’approcher de la peine de la déportation à Botany Bay pour quatorze ans, encourue par tout sujet britannique engagé dans cette Traite, et qu’en interprétant la loi française de la manière la plus rigoureuse, l’équipage des navires négriers resterait encore impuni. Ces omissions,» ajoutait-il, «rendent extrêmement douteux si la loi pourra atteindre le but qu’on se propose.»

le 24 Juin 1818, une ordonnance royale fut publiée, portant qu’une escadre stationnerait sur les côtes des établissemens Français en Afrique, à l’effet d’assurer l’exécution de la loi promulguée contre la Traite. A cette occasion, Sir Charles Stuart demanda si cette mesure résultait de la confirmation des avis qu’il avait transmis, à cet égard, au gouvernement français. Le Duc de Richelieu répondit le 4 Juillet 1818, que ce n’était point par suite des communications de Sir Charles Stuart, qu’avait été rendue l’ordonnance du Roi; mais, ajoutait-il, «le gouvernement de S. M. avait appris, dans le courant de l’année dernière, que la Traite faite par des bâtimens Espagnols, Portugais, Anglais même, avait paru reprendre de l’activité; qu’en dépit des précautions prises, une importation de 4,000 noirs avait été successivement faite dans l’île Maurice, et qu’un bâtiment Anglais avait été arrêté à Bourbon, au moment d’en introduire 240. Ayant franchement le désir de completter l’abolition de cet odieux commerce, il a voulu faire tout ce qui dépendait de lui, pour empêcher ses propres sujets d’y prendre part, et c’est ce qui l’a déterminé à faire usage de la mesure qui vient d’être consacrée par l’ordonnance de Sa Majesté.»

Il est à regretter que le Duc de Richelieu n’ait pas d’abord communiqué à notre gouvernement les informations authentiques qu’il pouvait avoir reçues relativement à l’exercice de la Traite par des sujets Anglais. On ne donne même pas le nom du navire Anglais. Après avoir jeté les yeux sur un état détaillé, en date du 30 Avril 1820, des enquêtes, poursuites et procédures qui ont eu lieu, en France et dans les colonies françaises, au sujet de la Traite, le Comité observe qu’il n’a rien découvert qui pût avoir quelque rapport avec le cas spécifié dans la lettre de M. de Richelieu.

Mais en supposant les allégations exactes, une escadre stationnée en croisière «sur les côtes de nos établissemens Africains;» ce sont les propres termes de l’ordonnance, «à l’effet de visiter tous les bâtimens français qui paraîtront sur les dites côtes,» comment empêchera-t-elle l’introduction des esclaves à Bourbon et à Maurice? Car ce n’est pas des établissemens situés sur les côtes ouest de l’Afrique où est stationnée cette escadre, mais de Mozambique et de Madagascar, que sont tirés les esclaves importés dans ces îles.

Le 15 Juin 1819, Sir Charles Stuart informa le Marquis Dessolles, alors président du conseil des Ministres, «que le vaisseau de S. M. britannique le Redwing, Capitaine Hunn, avait capturé à son passage de Bonny à la Guadeloupe, le navire français le Sylphe, ayant 388 esclaves à bord, dont 20 étaient morts dans la traversée et le reste avait été mis en liberté à Sierra Léone. Il exprima en même temps le regret qu’éprouvait le gouvernement britannique de cet acte non autorisé, et de sa disposition à faire au pavillon français toutes les réparations convenables. Mais il ajoutait qu’une preuve si évidente des infractions faites à la loi française et de la continuation de ce coupable commerce par quelques-uns des sujets de S. M. très-chrétienne, méritait l’attention la plus sérieuse et offrait un nouvel argument en faveur d’arrangemens réciproques entre les deux cours qui auraient pour but d’empêcher la continuation de ce fléau.»

M. le Marquis Dessolles, dans sa réponse, reconnaît que les assurances et les offres qui accompagnent cette communication, sont de nature à satisfaire le gouvernement de S. M. très-chrétienne qui ne désire pas avec moins d’ardeur que S. M. britannique, l’entière abolition du commerce des Noirs. «Les mesures qu’il a prises pour arriver à ce but,» ajoute la lettre, «paraissent avoir eu d’heureux résultats, et, dernièrement encore, il lui a été annoncé qu’un bâtiment arrivé de l’île de France, et faisant, sous pavillon Anglais, la contrebande de Noirs, a été arrêté par l’ordre du gouvernement de l’île de Bourbon et remis au capitaine de la frégate anglaise la Magicienne. Comme il est probable,» dit-il en terminant, «que M. le gouverneur de Sierra Léone aura jugé convenable de remettre à la disposition des autorités des établissemens français les plus voisins, le navire saisi par M. le capitaine Hunn, Votre Excellence ne doit pas douter que l’armateur et l’équipage de ce navire, ne soient jugés et punis suivant la rigueur des lois.»

Cette dernière assurance était satisfaisante et conciliatrice, et si les officiers de la marine royale étaient toujours autorisés à en agir comme il est dit dans cette lettre, soit quand des croiseurs français rencontrent des négriers anglais, soit quand des croiseurs français rencontrent des négriers français, les meilleurs effets en seraient naturellement la suite. Cependant la raison alléguée pour prouver que les mesures prises par le gouvernement français pour abolir la Traite, ont eu les plus heureux résultats, n’est point concluante. Cette raison est qu’un bâtiment arrivant de l’île de France et faisant, sous pavillon anglais, la contrebande des Noirs, a été arrêté par l’ordre du gouvernement de l’île de Bourbon, et remis au capitaine de la frégate anglaise la Magicienne. Voici le véridique exposé des faits dont on tire des conséquences si étendues: au moins d’Août 1818, la goëlette le Voyageur, commandée par son propriétaire M. N*** débarqua, dans une baye reculée de l’île de France, 60 Malays amenés des îles Maldives, où l’équipage de la goëlette les avait enlevés dans un village auquel il avait mis le feu. Après les avoir débarqués, le navire partit de ce lieu et alla à l’île Bourbon; il y fut poursuivi par la frégate de S. M. la Magicienne, Capitaine Purvis; mais, à la vue de la frégate, le commandant et l’équipage du Voyageur, se mirent dans une chaloupe et allèrent à terre. Le Voyageur, fut livré à la Magicienne par les autorités de l’île Bourbon, et les papiers trouvés à bord, fournissant des preuves plus que suffisantes, il fut condamné par la cour de l’amirauté de l’île de France. – Ces faits prouvent, sans doute, la vigilance du Capitaine Purvis, et le zèle du gouvernement de l’île Bourbon à fournir les facilités nécessaires pour assurer la punition des agens de cette coupable piraterie; mais ils ne prouvent pas ce qu’on veut leur faire prouver, c’est-à-dire, que les mesures adoptées en France, contre la Traite, ont contribué efficacement à son abolition.

Le 15 Octobre 1819, Sir Charles Stuart mit sous les yeux du gouvernement français une liste des navires français engagés pour la Traite, avec les noms de leurs propriétaires réputés, et des ports d’où ils appareillaient. Nous ne trouvons point cette liste dans les pièces que nous avons sous les yeux, et nous ne découvrons plus aucun détail sur cet objet, si ce n’est une lettre du Marquis Dessolles, dans laquelle il assure avoir été requis du Ministre de la Marine que les coupables fussent punis selon toute la rigueur des lois si, après une enquête scrupuleuse, les faits se trouvent vérifiés.

Le 7 Novembre 1819, Sir Charles Stuart ajouta à sa liste un nouveau navire, savoir « le navire français le Rodeur de 200 tonneaux, appartenant à un banquier de Paris, commandé par le Capitaine Boucher, et ayant fait voile, le printemps dernier, du port du Hâvre pour les côtes d’Afrique.» A cette information le Ministre de la Marine répondit de la manière suivante: «Le Rodeur, commandé par le Capitaine Boucher, et arrivé au Hâvre le 6 Novembre (*), venant de St. Thomas d’où il était parti le 16 Septembre précédent, et j’ai donné au commissaire de la marine du Hâvre, l’ordre de prendre, au sujet de ce bâtiment, les informations les plus précises, et d’en communiquer le résultat, par écrit, au ministère public.

(*). Cette date paraît être une erreur: dans le Bulletin de commerce du Journal de Paris, il est dit que le Rodeur est arrivé au Hâvre le 22 Octobre 1819.

Le 9 Décembre 1819, l’enquête promise ayant eu lieu, le ministre des affaires étrangères écrivit Sir Charles Stuart: «J’ai l’honneur de transmettre à Votre Excellence, comme faisant suite aux renseignemens que je lui ai adressés, par ma lettre du 1er de ce mois, l’extrait d’une déposition faite par le capitaine du navire français le Rodeur du Hâvre, à son retour de la côte d’Afrique et de St. Thomas. Il est annoncé dans cette pièce que les bâtimens espagnols et portugais, qui se livrent à la Traite des Noirs prennent les noms des bâtimens français qu’ils rencontrent en mer; cette circonstance, que Votre Excellence ne manquera pas de remarquer, pourrait expliquer la fréquence des rapports qui attribuent à des navires français la violation des lois qui prohibent la Traite.»

Nous donnons l’extrait suivant de la déposition du capitaine Boucher, qui était incluse dans la lettre du Baron Pasquier.

«Il n’a aucune connaissance, en cette rivière, d’aucun bâtiment, soit faisant la Traite des Noirs, soit surveillant cette contravention; mais, après être sorti de la rivière, il avait fait rencontre de plusieurs bâtimens espagnols et portugais qu’il a supposé être des négriers, ce dont, toute fois, il n’a pu s’assurer, n’ayant pas communiqué. Il observe, à cet égard, qu’il a appris à St. Thomas, que les bâtimens de ces deux nations avaient soin, lorsqu’ils avaient fait rencontre de quelque navire français, de changer leurs noms contre ceux de ces derniers. Il ignore le motif de cette manoeuvre.»

Le Comité a transcrit des détails fournis par le ministère français au sujet de ce navire, afin de donner une idée du déplorable système de déception mis en usage à l’effet de cacher l’étendue et l’énormité de la Traite française, ainsi que de la crédulité sans exemple de ce ministère qui semble disposé à accueillir, comme vraies, des dépositions qui sont si évidemment fausses.

 Nous avons puisé à une autre source l’histoire du voyage du Rodeur, Capitaine Boucher, depuis son départ jusqu’à son retour. Nous avons sous les yeux un ouvrage périodique publié à Paris, sous la date du 30 Novembre 1819, cinq semaines seulement après le retour du Rodeur au Hâvre. Cet ouvrage a pour titre: «Bibliothèque ophtalmologique, ou Recueil d’Observations sur les Maladies des Yeux, faites à la clinique de l’Institution Royale des Jeunes aveugles, par M. Guillié, Directeur général et Médecin en chef de l’Institution Royales des Jeunes Aveugles de Paris: avec des notes par MM. Dupuytren, Pariset, etc.» L’article dans lequel est racontée l’histoire du Rodeur, est intitulé: «Observations sur une Blépharoblénorrhée contagieuse.» Nous allons transcrire l’ouvrage en lui-même, en omettant seulement les détails de l’art, qui ne rentrent point dans notre sujet.

«Le navire le Rodeur, Capitaine B._______ du port de 200 tonneaux, partit du Hâvre le 24 Janvier 1819, pour la côte d’Afrique, et arriva à sa destination le 14 Mars suivant. Le navire alla mouiller devant Bonny, dans la rivière du Kalabar.(*) L’équipage qui était composé de vingt-deux hommes, jouit d’une bonne santé pendant la traversée et le séjour à Bonny, qui se prolongea jusqu’au 6 Avril. On n’avait remarqué aucune trace d’ophtalmie parmi les habitans de la côte, et ce ne fut que quinze jours après s’être mis en mer pour le retour, et lorsque le navire se trouva à peu après sous la Ligne, qu’on ressentit les premières atteintes de cette effroyable maladie.

(*) C’est évidemment la rivière à laquelle le Capitaine Boucher fait allusion dans sa déposition.

«On s’aperçut que les Nègres qui étaient au nombre de 160, entassés dans la cale et dans l’entrepont, avaient contracté une rougeur assez considérable aux yeux. On ne donna cependant pas, dans l’origine, une grande attention à cette maladie qu’on crut être occasionnée seulement par le défaut de renouvellement de l’air dans la cale, et par la disette d’eau, qui commençait déjà à se faire ressentir. On était alors rationné à huit onces par jour, et plus tard il n’en fut distribué qu’un demi verre

«D’après l’avis de M. Maignan, chirurgien du bâtiment, en fit monter successivement sur le bord, afin de leur faire respirer un air plus pur, les nègres qui étaient demeurés jusqu’alors dans la cale. Mais on fut obligé de renoncer à cette mesure, toute salutaire qu’elle était, parce que beaucoup de ces nègres, affectés de nostalgie» (le désir de revoir leur pays natal) «se jetaient dans la mer, en se tenant embrassés les uns les autres (*). Le mal qui avait fait de si rapides et de si effrayants progrès parmi les Africains, commença bientôt à infecter le reste de l’équipage. Le danger de la contagion, et peut-être la cause qui l’entretenait, furent augmentés par une violente dyssenterie, attribuée à l’usage qu’on avait fait de l’eau de pluie. Le premier homme de l’équipage atteint par la contagion, fut un matelot qui couchait sous le pont près des écoutilles communiquant avec la cale. Le lendemain, un novice fut affecté, et dans les trois jours qui suivirent, le Capitaine et la presque totalité de l’équipage en furent frappés aussi.»

(*). Une circonstance a été omise dans l’ouvrage du Docteur Guillié, probablement parce qu’elle n’était pas nécessaire aux développemens des moyens employés par l’art dans cette conjecture; mais elle est attestée par des témoignages irrécusables, et elle peut contribuer à jeter un nouveau jour sur la nature de cet infâme commerce. Le capitaine, voulant empêcher les nègres de se précipiter à la mer, en fit fusiller et pendre plusieurs, dans l’espoir d’arrêter les autres par l’effroi de ce terrible spectacle; mais cette barbarie fut inutile, et l’on fut obligé de reléguer de nouveau ces malheureux à fonds de cale.

Ici est le détail des moyens mis en usage par le chirurgien du navire. Tous furent insuffisans.

«Les douleurs augmentaient de jour en jour, ainsi que le nombre des aveugles, en sorte que l’équipage, déjà saisi de la crainte d’une révolte parmi les nègres, (*) était frappé de la terreur de ne pouvoir diriger le bâtiment pour se rendre aux Antilles, si le dernier des matelots qui seul n’avait pas été atteint par la contagion et sur lequel se fondaient toutes les espérances, venait à cesser de voir comme les autres.

(*). «La révolte qu’on craignait n’arriva pas, parce que les nègres qui étaient tous de tribus différentes, loin de profiter de leur situation et de leur nombre pour s’affranchir de leur esclavage, conservaient toutes leurs haines et leurs inimitiés et étaient toujours prêtes à se mettre en pièces les uns les autres.»

«Un pareil événement était arrivé à bord du Léon, bâtiment espagnol qui croisait devant le Rodeur et dont tout l’équipage était devenu aveugle, avait été obligé de renoncer à diriger le navire, en se recommandant à la charité du Rodeur presque aussi malheureux que lui. Mais les marins qui montaient ce navire n’avaient pu, ni abandonner leur bord pour aller sur le bord espagnol, à cause de la cargaison de nègres, ni recevoir l’équipage de ce navire, le leur étant à peine suffisant pour eux. (*)

(*). Depuis on n’a plus entendu parler du Léon. Il a, sans doute, été perdu.

«La difficulté de soigner un si grand nombre de malades dans un espace si resserré, jointe au manque d’alimens frais et de médicamens, faisait envier le sort de ceux qui allaient devenir les victimes d’une mort, qui paraissait inévitable, et la consternation était générale.

«Arrivé à la Guadeloupe, le 21 Juin 1819, l’équipage était dans un état déplorable. Parmi les nègres, 39 sont devenus aveugles, 12 sont borgnes, et 14 ont eu des tâches plus ou moins considérables sur la cornée. Parmi l’équipage, 12 hommes ont perdu la vue. De ce nombre est le chirurgien,» M. Maignant, à présent en France, «qui est resté aveugle sans espoir de recouvrer jamais la vue; cinq sont devenus borgnes; parmi ces derniers se trouve le capitaine; quatre ont des taies considérables et des adhérences de l’iris à la cornée. Trois jours après l’arrivée du navire, le seul homme à qui la providence avait permis d’échapper à la contagion pour guider ses compagnons, en fut atteint lui-même.»

Tels sont les détails que donne M. Guillié sur le voyage du Rodeur. Mais il a retranché de ces détails l’une des plus horribles circonstances, sans doute parce qu’elle ne servait à éclaircir aucun principe de l’art. Il parle d’un certain nombre de Noirs devenus aveugles, mais il n’ajoute pas, quoique le fait soit positif, que tous ceux qui se trouvèrent dans cet état, furent jetés à la mer. (*) On devine aisément le motif de cette barbarie. Arrivés à la Guadeloupe, ils n’auraient pas trouvé d’acheteurs: ceux mêmes qui n’avaient perdu qu’un oeil, ne pouvaient se débiter qu’à bas prix. Quant aux autres en les gardant, on aurait fait la dépense de leur nourriture, sans espérance d’être indemnisé. En les noyant, non-seulement on évitait une perte certaine, mais encore on se ménageait la faculté de recourir aux assureurs qui avaient assuré la cargaison. On pourrait alléguer, par exemple, que, dans le dénuement d’eau où on se trouvait, on avait jeté à la mer une partie des esclaves pour sauver le reste. Quoiqu’il en soit, et qu’elles qu’aient été les raisons alléguées par les propriétaires, on affirme que leurs réclamations ont été accueillies, et qu’il leur a été payé la valeur de 39 esclaves par les assureurs.

(*). M. Guillié a publié ce fait dans la première édition de son ouvrage périodique, mais il l’a retranché quelques jours après dans une édition nouvelle, dans la crainte, sans doute, de compromettre les acteurs de cette tragédie sanglante.

Un autre fait non moins important, mais qui a été omis également dans le récit de M. Guillié, c’est que le Rodeur étant de retour en France, comme nous l’avons dit, le 22 Octobre 1819, a été frété de nouveau, dit-on, par les mêmes propriétaires, est parti du Hâvre, au commencement de 1820, pour faire la Traite une seconde fois, et M. Boucher qui avait commandé dans le premier voyage, a été encore une fois investi du même commandement.

L’histoire du Rodeur présente un exemple des horreurs dont les esclaves sont victimes durant la traversée. Mais elle acquiert un plus haut degré d’importance, en ce qu’elle prouve d’une manière péremptoire l’impunité avec laquelle se commettent en France les infractions les plus ouvertes et les plus notoires aux lois qui abolissent la Traite. Ces détails ont dû être connus des autorités de la colonie où ont été vendus les esclaves qui n’avaient point été noyés. Le ministre de la marine doit également en avoir pris connaissance depuis plusieurs mois, et cependant il paraît qu’aucune mesure n’a encore été prise, pour livrer à la rigueur des lois les auteurs d’une contravention aussi flagrante. Ni le navire, ni la cargaison, n’ont été confisqués. Le capitaine, acteur immédiat dans ce drame sanglant, loin d’avoir été privé de son commandement et rendu incapable d’en occuper d’autres, comme la loi l’exigeait, a été de nouveau investi du commandement du même navire, à l’effet de renouveler ses criminelles expéditions. On n’a, à ce qu’il paraît, interrogé ni les propriétaires, ni les armateurs; tous ont eu la permission de jouir, avec impunité du fruit de leur brigandage, et de méditer de nouveaux attentats contre les malheureux enfans de l’Afrique.

Cependant, on ne pouvait pas s’excuser sur le manque de preuves. Le chirurgien du navire, M. Maignan, était dernièrement à Paris, et sans doute il y est encore. La plupart, si non la totalité de ses compagnons aveugles sont retournés en France où il doit être facile de les découvrir; et on peut découvrir aussi, par le moyen du rôle de l’équipage, les 9 autres personnes qui composaient l’équipage du navire. Très-certainement, si jamais il s’est présenté une occasion qui, indépendamment de la facilité de se procurer des preuves, réclamait l’intervention du ministère français, c’est sans doute celle qui s’est offerte dans le Rodeur, et cependant, c’est en s’appuyant de ce fait même que le ministère français a cherché à jeter le discrédit sur les plaintes du gouvernement britannique touchant la Traite française. Le 7 Décembre 1819, après «une enquête sévère,» (tel est le terme employé par le ministre français) à l’effet de découvrir la vérité sur cette matière, il adressa à l’Ambassadeur Britannique une lettre dont on n’aperçoit pas trop bien, dès l’abord, le but précis, mais dans laquelle on entrevoit l’intention d’insinuer que M. Boucher, Capitaine du Rodeur, s’est pleinement justifié des charges qui pesaient sur lui, et que lui et plusieurs de ses compatriotes ont été exposés à des imputations injurieuses et dénuées de toute justice, en conséquence la conduite des négriers espagnols et portugais qui, toutes les fois qu’ils rencontraient des navires français, prenaient leurs noms. Tout ceci est attesté par le Capitaine Boucher, dont on ne saurait trop admirer la belle conduite dans le voyage où il a commandé le Rodeur. Certes, c’est pour nous un sujet d’étonnement que le ministère français ait poussé la simplicité jusqu’à se laisser abuser, un seul moment, par un conte aussi absurde, et, non seulement qu’il se soit laissé abuser, mais qu’il s’en soit prévalu pour contester la vérité de toutes les plaintes de ce genre qui lui ont été déférées contre des sujets français adonnés au commerce des noirs.

Il serait curieux de connaître toutes les mesures de cette enquête sévère qu’a cru devoir ordonner le ministère de la marine, pour s’assurer si les plaintes de l’Ambassadeur Britannique, à l’égard du Rodeur, étaient fondées; et, nous croyons pouvoir affirmer qu’il importe au caractère de ce ministère, de produire au grand jour sa conduite dans cette circonstance. Car il est évident que, s’il n’existait pas un système artistiquement combiné dans le dessein de cacher la vérité sur l’état de la Traite française et de protéger les coupables, il n’aurait pas été possible d’empêcher le développement de tout l’ensemble de cette opération criminelle. Ce fut le 7 Novembre 1819, que Sir Charles Stuart dénonça, pour la première fois, le Rodeur comme engagé dans le commerce des Noirs. Ce navire était arrivé au Hâvre, 15 jours avant. Le capitaine, le contre-maître, le chirurgien et la partie de l’équipage devenue aveugle, devaient être alors sur les lieux. Il est impossible que le fait de leur aveuglement ne fût pas connu au Hâvre; et on ne peut supposer que ces hommes, si on les eût questionnés, se fussent tous accordés à taire la cause et les circonstances de la perte de leur vue. En effet, ils étaient si peu disposés à garder le silence sur ce sujet, que, cinq semaines après l’arrivée du navire, tous les détails que l’on vient de lire avaient été déjà communiqués à Paris à une foule de personnes de distinction et d’hommes de l’art qui en publièrent toutes les circonstances. Comment se fait-il donc que cette affaire fût tellement ignorée du ministère français, qu’il regardât le Capitaine Boucher comme une victime de la calomnie, tandis que les détails de ce criminel voyage étaient connus, dans toute leur énormité, du public parisien? Il serait vraiment curieux de connaître comment le ministère français, lui qui a à sa solde une police dont l’activité et l’intelligence sont devenues proverbiales en Europe, lui qui jouit de pouvoirs si illimités sans l’exercice des enquêtes judiciaires, a pu se laisser induire si grossièrement en erreur sur un objet qu’il lui importait tant de connaître. Oui, nous le répétons, il importe à l’honneur du gouvernement français, et spécialement du ministère de la marine, de remonter à la source de tout ce mystérieux système de fraude et de déception; il faut qu’il déchire le voile qui, depuis si long-temps, dérobe à sa vue tant d’odieuses infractions aux engagemens nationaux, infractions dont l’évidence a frappé tout le monde excepté lui seul. et quelles raisons spécieuses ont pu apporter le capitaine et les propriétaires du Rodeur, pour justifier le voyage de ce navire à Bonny, et de là à St. Thomas? Il était impossible de donner à ce voyage d’autre motif que celui de la Traite.

Il importe surtout de connaître quelles mesures a prises le gouvernement français pour livrer les coupables à la rigueur des lois, lorsqu’il ne lui a plus été possible de rester ignorant de cette affaire. En supposant même que la pétition de M. Morenas à la chambre des députés n’ait pas attiré son attention, ce qui est inadmissible, puisqu’il ne peut pas se faire que cette pétition n’ait pas été dans les bureaux de la marine le sujet d’une considération sérieuse, encore est-il avéré qu’au commencement de Décembre 1820, toute cette affaire a été communiquée au ministère français par Lord Castlereagh, avec les détails qu’on vient de lire. Quelles mesures a-t-on prises depuis? Le Rodeur, son commandant et ses propriétaires se sont occupées d’un second voyage du même genre, à ce qu’on assure. Existe-t-il encore des doutes sur le première et la seconde destinations? N’a-t-on pas les preuves sous la main? Les auteurs de cette criminelle opération ne sont-ils pas connus? Que veut-on de plus, et qu’attend-on encore? Il est du devoir du gouvernement britannique, et plus encore de l’honneur du gouvernement français, que cette affaire soit enfin approfondie. Mais poursuivons.

Le 20 janvier, Lord Castlereagh adressa la lettre suivante à Sir Charles Stuart:

«J’ai le regret de vous apprendre que toutes les conférences entamées à Londres au sujet de l’abolition de la Traite, viennent d’être suspendues entièrement, parce que quelques ministres étrangers, et particulièrement les plénipotentiaires française, n’ont pas reçu de leurs gouvernemens les instructions nécessaires.

«En conséquence, vous voudrez bien, de concert avec le Général Pozzo di Borgo, représenter à Monsieur Pasquier l’état où a été amenée la négociation, l’intérêt soutenu que cette cause inspire à ce pays, et notre sincère regret que les progrès de cette grande cause n’aient pas répondu aux espérances qu’une si puissante union faisait concevoir pour son succès. Vous voudrez bien engager le ministère français à apporter, sans délai, à cet objet, son attention la plus sérieuse, et à concourir à l’exécution des mesures que les cinq puissances se sont solennellement engagées à prendre.

«J’espère que Votre Excellence trouvera le gouvernement français disposé à embraser une mesure basée sur le principe du droit de visite mutuelle, ou à prendre en considération quelqu’autre système analogue qu’il croira propre à diriger vers le but désiré les efforts réunis de toutes les puissances.

«Vous pouvez assurer M. Pasquier que les propositions du gouvernement français seront reçues par le gouvernement de S. A. R. le Prince Régent, avec le désir le plus sincère de leur donner l’attention la plus sérieuse, et de co-opérer à leur exécution, s’il en approuve le contenu.

«En discutant cette matière avec le gouvernement français, il serait à désirer que Votre Excellence combinât ses opératioes, autant que possible, de concert avec le ministre de Russie, et pour ce qui est de l’obligation où vous êtes de justifier les vues conçues jusqu’à ce jour par votre gouvernement sur les moyens propres à réprimer efficacement un trafic coupable qui semble avoir pris une extension nouvelle, il est nécessaire d’en référer Votre Excellence, pour plus amples informée au protocol, des conférences d’Aix-la-Chapelle.

«Le rapport d’une entrevue que j’ai eue sur cet objet avec MM. Lainé et Molé, lors de mon séjour à Paris, mérite particulièrement de fixer votre attention, en ce que la proposition que je mis alors sous les yeux du ministère français, n’entraînait le sacrifice permanent d’aucune prétention. Elle était fondée sur le principe d’une mesure provisoire et expérimentale qui servirait à constater, par une épreuve de quelques années seulement, les avantages et les inconvéniens d’un système de répression locale en vertu duquel on réunirait sur les côtes d’Afrique les forces maritimes des deux puissances, pour les opposer au barbare commerce des esclaves. En supposant qu’au bout de quatre ou cinq ans, ce système se trouvât présenter plus d’inconvéniens que d’utilité, ou que, dans cet espace de temps, l’absence du mal eût rendu le remède inutile, alors, la convention une fois expirée, on serait libre de ne la pas renouveler. Mais, d’un autre côté, si ce mode de répression, comme nous sommes portés à le croire, était trouvé convenable et efficace, sans entraîner à sa suite aucun des inconvéniens redoutés, alors le succès de cette première épreuve pourrait engager les hautes parties contractantes à renouveler le même arrangement pour un plus long terme.

«Je recommande cet objet à l’attention particulière de Votre Excellence, d’autant plus que le prochain départ du Comte de Palmella qui quitte l’Angleterre au commencement d’Avril, pour retourner au Brésil, exige un surcroît d’activité.»

Sir Charles Stuart répondit le 23 Février 1820, de la manière suivante:

«J’ai reçu la dépêche de Votre Seigneurie, en date du 20 Janvier dernier, par laquelle elle me fait part de la manière dont il convient de procéder à l’effet de provoquer l’attention spéciale du gouvernement français sur les mesures à adopter pour mettre fin aux continuelles infractions faites aux lois promulguées par la France et l’Angleterre relativement la suppression de la Traite.

«Je me suis hâté d’entretenir à ce sujet M. Pasquier et M. de Cazes. Dans ma première entrevue avec M. Pasquier, il a paru manifester quelque répugnance à aborder cette question. Il m’a déclaré que, quant à présent, il ne voyait pas de raison d’accorder le droit de visite; que les infractions attribuées à des sujets français, dans plusieurs communications de la Grande-Bretagne, avaient été beaucoup exagérées et, quelquefois même, avaient été le résultat d’opérations mercantiles destinées à donner de l’emploi aux capitaux anglais; que, d’ailleurs, il était peu convenant qu’on s’adressât exclusivement à la France, sur ce sujet. Je répondis que les détails touchant les infractions commises par des sujets français, étaient contenus dans les renseignemens transmis aux ministres de S. M. britannique; que ces derniers étaient loin de croire que, le gouvernement voulût entretenir une opinion différente de celle des autres puissances européennes, et que ce serait pour eux une satisfaction véritable de voir le gouvernement français consentir à un arrangement commun qui lui serait proposé, de concert, par moi et par les ministres de Russie et d’Autriche.

«Dans l’entrevue que j’eus avec M. de Cazes, je lui exprimai le voeu de S. M. britannique de voir enfin cesser des abus également odieux au public des deux nations. M. de Cazes répondit qu’il ferait son possible pour hâter une détermination quelconque qui pût répondre aux voeux exprimés par ma cour; mais qu’il désirait apprendre de moi quels étaient les arrangemens qui pourraient la satisfaire. Je lui dis que, si on refusait d’admettre le principe général du droit de visite mutuelle, du moins on pourrait consentir à équiper une escadre composée de vaisseaux des deux nations, laquelle aurait ordre de croiser simultanément le long des côtes d’Afrique, pendant un certain nombre d’années convenues; et voyant qu’il paraissait considérer cet arrangement comme praticable, je lui donnai communication de toutes les pièces relatives à l’abolition de la Trait, qui ont été présentées au parlement pendant la session actuelle.

«Mardi dernier, M. Pasquier me dit que le gouvernement français avait examiné cette question avec le plus grand soin, et qu’il n’éprouvait aucune répugnance à accéder au voeu exprimé par ma cour; mais que, pour lui, il était intimément convaincu qu’il était impossible d’atteindre le but proposé par un arrangement partiel et par le seul concours des deux puissances, et qu’à moins que les mesures proposées ne fussent adoptées simultanément par toutes les puissances dans les possessions coloniales desquelles la Traite est tolérée, on ne devrait pas douter que les marchands d’esclaves ne trouvassent le moyen d’éluder les dispositions qu’on pourrait prendre; que le meilleur moyen d’empêcher l’achat des noirs sur la côte d’Afrique, serait d’en empêcher l’introduction dans les colonies; qu’il était facile à la France d’enregistrer des esclaves dans ses colonies, et d’en faire un dénombrement exact, de manière à pouvoir empêcher qu’aucun nouvel esclave n’y fût introduit, si, toutefois, les autres puissances voulaient consentir à employer le même moyen. Il ne parut pas faire grande attention aux difficultés que présente l’exécution de cette mesure dans les colonies espagnoles et portugaises, si toutefois on peut faire consentir ces deux puissances à son adoption, et il persista à soutenir que l’emploi d’une force armée pour empêcher le transport des Noirs hors de l’Afrique, serait une manière insuffisante, tant que des bureaux d’assurance, à Londres, continueraient d’assurer, à tant par tête, le passage des esclaves, de la côte d’Afrique aux Indes occidentales, sous le pavillon de toutes les nations, quoique je lui déclarasse que, dans mon opinion, une pareille idée était dénuée de toute espèce de vraisemblance.»

Une seconde lettre de Sir Charles Stuart, en date du 7 février 1820, contient ce qui suit:

«Comme l’attention du ministère français est maintenant sérieusement éveillée sur la nécessité d’établir des mesures efficaces pour l’entière abolition de la Traite, j’ai, de nouveau, traité ce sujets avec messieurs Pasquier, de Cazes, et Portal, pendant les trois derniers jours, et j’ai été secondé par le ministre de Russie, à qui j’ai représenté que le moment actuel était le plus favorable, pour mettre en usage les instructions qui lui avaient été transmises à ce sujet.

«Le Comte de Cazes et le Baron Portal m’ont dit qu’ils entraient pleinement dans les sentimens de ma cour sur cette question, et qu’ils sentaient la nécessité où ils étaient de prouver au monde, par des mesures effectives, qu’ils marchaient de concert avec le gouvernement de S. M. Britannique, dans leurs efforts pour empêcher les fréquentes infractions aux lois promulguées contre la Traite. Quand j’ai pressé ce dernier de me donner quelques détails sur les moyens qu’il croyait, dans les circonstances présentes, ne point offrir d’inconvéniens, il m’a répondu qu’après avoir mûrement réfléchi sur ce sujet, il avait eu le regret de voir qu’aucune des alternatives qui s’étaient présentées à son esprit, ne lui avait paru totalement libre d’objections, ou propre à conduire au résultat décisif qu’on se propose; que, d’abord, il avait pensé qu’il était possible d’interdire tout commerce entre l’Afrique et les Indes occidentales; mais, qu’après avoir considéré les résultats de cette mesure, il avait reconnu qu’elle serait notoirement préjudiciable au commerce légitime qui se fait avec cette partie du monde, sans atteindre le but désiré, puisque, quoique l’on pût faire, on ne pourrait empêcher le passage des navires négriers des côtes de Guinée au Brésil; que, bien que l’enregistrement des esclaves qui sont dans les colonies françaises, ne présentât aucune difficulté, cependant cette mesure ne pourrait empêcher leur aliénation, à moins qu’elle ne fût accompagnée d’une loi qui les attacherait au sol et qui changerait leur esclavage en un service par engagement; qu’ils présentait cette dernière idée au gouvernement britannique, plutôt comme une matière à considération, que comme une mesure adoptable. Au reste, il exprima la crainte où il était que, tant que le systême d’assurances secrètes pour les navires négriers, subsisterait en Angleterre, et que la Traite portugaise ne serait pas abolie, toutes les mesures qu’on prendrait ne fussent inefficaces et insuffisantes; que, quant au premier de ces maux, puisque la première source du mal venait des sujets de S. M. britannique, il était juste que la législature de la Grande-Bretagne y apportât remède, et qu’à l’égard de la dernière difficulté, il ne fallait rien moins, pour la détruire, que les efforts combinés de toutes les puissances qui ont décrété l’abolition de la Traite. Il termina en me donnant l’assurance qu’on allait expédier à M. de Caraman des instructions qui prouveraient l’empressement du gouvernement français à concourir cordialement à tous les arrangemens qui seraient jugés nécessaires.

«Deux jours après cette conversation, je vis de nouveau M. Pasquier: il me dit que ses collègues devaient m’avoir fait connaître les mesures auxquelles mes ouvertures étaient probablement sur le point de donner lieu; que, si les ministres de S. M. britannique se décidaient à présenter les Bills nécessaires contre les assurances secrètes des navires négriers, ce sujet devait nécessairement attirer l’attention de notre législature, dans le même moment qu’un acte législatif serait proposé aux chambres françaises pour rendre passibles de dispositions pénales, les complices de cet odieux commerce; que les instructions qu’il allait donner à M. de Caraman seraient d’un effet plus décisif encore, puisqu’il allait l’autoriser à proposer d’établir au Sénégal, ainsi que dans celle des colonies des Indes occidentales qui serait jugée la plus convenable, des commissions composées de sujets des deux nations, ayant la mission expresse d’assurer l’exécution des lois que les deux pays ont proclamées contre la Traite; qu’en outre, il donnerait à M. de Caraman l’ordre de concourir aux représentations qu’à la suite des conférences des plénipotentiaires à Londres, il pourrait être jugé convenable d’adresser à la cour de Rio de Janeiro, ne pouvant supposer que les ministres portugais pussent résister à l’autorité imposante que ces représentations vont acquérir, quand elles seront appuyées par toutes les grandes puissances.»

Les sentimens du ministère français, renfermés dans ces deux lettres de Sir Charles Stuart, paraissent exiger quelques observations.

1º. Le ministère Français se plaint qu’on a beaucoup exagéré les infractions reprochées aux sujets français. Mais où a-t-il vu cela? Serait-ce, par exemple, dans l’affaire du Rodeur, ou dans les communications faites à M. de Richelieu, et dont la véracité a été reconnue par M. Molé, ministre de la Marine? Jamais notre gouvernement n’a proféré une seule accusation, qu’il n’ait fourni à l’appui les faits qui lui servaient de base.

2º. Ailleurs, le ministre français se contente d’énoncer des charges vaques, sans spécifier aucun fait. «Souvent,» dit-il, «les infractions aux lois contre la Traite, ont été le résultat d’opérations mercantiles destinées à donner de l’emploi aux capitaux anglais.» Et ailleurs, «un bureau d’assurance établi à Londres continue d’assurer le passage des esclaves d’Afrique aux Indes occidentales, sous le pavillon de toutes les nations;» et «tant que ce systême d’assurances secrètes des navires négriers sera en usage en Angleterre,» toutes les mesures seront inefficaces et insuffisantes. N’est-il pas bien extraordinaire que, depuis plus de six années, qui se sont écoulées depuis le commencement de ces discussion, les ministres français, qui n’ont cessé de répéter les mêmes accusations, pour toute réponse aux faits établis et spécifiés par Sir Charles Stuart, n’aient pu jusqu’ici produire aucun exemple, soit de capitaux anglais employés à quelque expédition de négriers français, soit d’une assurance de quelque voyage de cette nature, sous pavillon quelconque, effectuée à Londres? De penser que ces assurances ont été effectuées aux bureaux d’assurances qui sont à Londres, la chose est complètement impossible. Il n’y a que deux bureaux de cette espèce à Londres, la Compagnie d’Assurances de la Bourse royale, et la Compagnie d’Assurances de Londres, et les affaires de ces deux compagnies ont un degré de publicité qui éloigne toute supposition qu’elles puissent être engagées dans des opérations criminelles et atroces de cette nature. Mais pourquoi les accusateurs ne citent-ils pas quelques faits? Ils affirment que les bureaux d’assurances assurent les esclaves à tant par tête! Pourquoi ne pas nous fournir quelques moyens de découvrir les actes criminels qu’ils nous dénoncent? S’ils consentent à le faire, ils peuvent être sûrs que ce pas ne manquera ni de zèle, ni de persévérance, pour provoquer la juste punition des coupables.

3º. N’est-il pas déplorable de voir le ministère français, dans l’impossibilité où il est de trouver d’autres raisons pour différer de prendre des mesures rigoureuses contre les auteurs de la Traite, alléguer que la législature britannique doit, premièrement, passer un acte contre les assureurs des bâtimens négriers. Ignore-t-on que, d’après les lois de notre pays, de telles assurances sont déjà un crime d’une nature infâmante, et que, si on parvenait à les découvrir, qu’elles fussent publiques ou secrètes, les plus rigoureux châtimens ne manqueraient pas d’atteindre leurs auteurs?

4º. Mais M. le Baron Portal observe que, «puisque la première source du mal vient des sujets anglais, c’est au parlement anglais à y trouver un remède.» Si l’affaire n’était pas d’un si grave intérêt, ce serait un spectacle assez plaisant que la naïve absurdité de ce raisonnement. Les ministres français, de leur part, ne spécifient aucun fait dans les charges qu’ils dirigent contre les sujets anglais, qu’ils accusent de prendre part à la Traite qui se fait sous le pavillon français; tandis que d’innombrables preuves viennent attester l’étendue et la cruauté avec lesquelles cette Traite est exercée: et, c’est dans de telles circonstances qu’ils déchargent les auteurs de la Traite française de toute accusation et de toutes culpabilité, et transfèrent l’une et l’autre à l’Angleterre, et cela par ce seul mot: «La première source du mal vient des sujets britanniques!» Et pourquoi ne remontent-ils pas à la source de ce mal? Sans doute, il y a des scélérats dans ce pays comme en en France, qui ne demanderaient pas mieux que de participer à la Traite, soit par des assurances, soit d’une autre manière, s’ils étaient certains de le faire avec impunité. Mais, parce qu’il a plu au gouvernement français de soupçonner vaguement les auteurs de la Traite française, d’être aidés secrètement par des sujets anglais, est-ce une raison pour ne pas punir les infractions reconnues, commises par ses propres sujets contre les lois promulguées par la France, et contre les traités signés par elle? De bonne foi, agirait-on ainsi s’il s’agissait de vols, d’assassinats, de brigandages, ou de conspirations contre l’état? Sans doute les ministres français ont le droit d’indiquer en quoi les lois de la Grande Bretagne sur la Traite sont défectueuses, et si ces défauts, ainsi spécifiés, existent réellement, ils auront droit de se plaindre, si on ne se hâte pas de les corriger. A plus forte raison, auraient-ils droit de se plaindre si, après avoir spécifié différens cas où les lois existantes ont été violées par des sujets anglais, les coupables continuaient à jouir d’une complette impunité.

Mais rien de semblable n’est allégué contre nous. (*) Et quant aux assureurs de navires négriers, soit sous pavillon anglais, soit sous pavillon étranger, depuis la promulgation de l’acte d’abolition les assureurs et les assurés sont passibles des châtimens les plus rigoureux.

(*). On va voir dans l’extrait suivant une accusation ou plutôt une insinuation dirigée par le ministre de la marine française contre un prétendu négrier anglais. C’est l’extrait d’une lettre du commissaire général de police à l’Orient, en date du 14 Mars 1818:

«Quant au brigantin le Maguet, ayant treize hommes d’équipage dont trois officiers, il est chargé de marchandises de Traite, entr’autres 150 barrils de poudre, 50 barrils de pierre à fusil. Sa destination est pour Mogador, côte d’Afrique, ou tous autres comptoirs sur la dite côte. Le capitaine a prétendu n’aller en Afrique que pour traiter de la poudre d’or, morphil et cuirs secs; mais, l’ayant un peu jaser par quelqu’un d’assez adroit, il a dit que la Traite des nègres s’y fait plus que jamais sous le pavillon espagnol et portugais: enfin, il a laissé entrevoir que c’était aussi son but; et il est à remarquer que le nom du bâtiment qui devrait être inscrit sur la poupe, ne s’y trouve que sur une petite planche fixée avec quelques cloux.

«Le capitaine, en buvant le punch, a raconté avoir fait un pareil voyage à celui qu’il entreprenait, qui avait rapporté à l’armateur 200 p. c. Il n’était arrivé que depuis dix jours, lorsqu’il a été ré-expédié, il prétend avoir eu, avant son départ, une conférence avec Lord Castlereagh qui demandait des renseignemens sur la manière dont la Traite des nègres se faisait à la côte d’Afrique.

Le comité s’est donné beaucoup de mouvement, pour découvrir le fond de cette affaire. Enfin il a trouvé que le Magnet, de 147 tonneaux, faisant voile de Londres pour les côtes d’Afrique, avait été obligé par le mauvais temps de relâcher dans le port de l’Orient. Après s’être réparé, il partit de là pour continuer son voyage. Il resta sur les côtes d’Afrique sept à huit mois, faisant le commerce des productions du pays, et au mois de Janvier 1819, après avoir achevé sa cargaison, il partit de Cape Coast Castle pour retourner en Angleterre. Dans la traversée il fut arrêté et dépouillé de quelques-unes de ses marchandises par un corsaire espagnols-américain. Il arriva dans la Tamise le 25 Mars 1819, et débarqua les articles suivans, tous étant des produits de l’Afrique, aucun des Indes occidentales, et formant ensemble une cargaison qui, comparée avec le tonnage du bâtiment, ne permet pas de croire qu’il ait pu également contenir des esclaves, lors même que sa destination ne rendrait pas cette supposition impossible:

Extrait du registre de la douane, au café Lloyd: «Vendredi, 25 Mars 1819. Le brigantin le Magnet, commandé par W. Grove, de 147 tonneaux, venant de Cape Coast Castle, arrivé dans le bassin de Londres, (M. Tanner, courtier), portant 160 barils et poinçons de poivre, 16 pièces de bois, 1250 dents d’éléphans, le tout consigné à Reid et compagnie: plus 21 barils et poinçons d’huile de palmier, et 192 dents d’éléphans, consignés à des particuliers.

5º. Les ministres français se plaignent encore de l’inconvenance qu’il y a, de la part de la Grande-Bretagne, de s’adresser exclusivement à eux sur le sujet de la Traite, ces messieurs accueilleraient, avec empressement, toutes les représentations qui pourraient les aider à en réprimer l’essor; mais, indépendamment de cette considération, le commencement de ce rapport doit les convaincre qu’ils ne sont pas les seuls auxquels on se soit adressé à ce sujet. Ils font valoir la nécessité d’agir simultanément; mais de toutes les puissances maritimes de l’Europe, compromises par cet odieux commerce, la France est jusqu’ici la seule qui se soit refusée à concourir à un plan d’opérations uniformes et simultanées. Ils disent que l’emploi d’une force armée est un moyen insuffisant. Mais pourquoi ce moyen ne serait-il pas employé jusqu’à ce que des mesures plus efficaces aient été concertées et mises en pratique? Plus de trois années se sont écoulées depuis que le Duc de Richelieu a annoncé l’intention de surseoir à l’adoption du droit de visite mutuelle, par l’enregistrement des esclaves dans les colonies françaises. Dernièrement M. le Baron Pasquier vient de rappeler le même projet. Cependant il ne paraît pas qu’aucune mesure ait encore été prise pour son accomplissement. M. le Baron Portal a proposé, en outre, d’interdire tout commerce entre l’Afrique et les Indes occidentales, ajoutant qu’il craignait que cette mesure ne fût préjudiciable au commerce légitime. Mais, dans le fait, il lui aurait été difficile de prouver l’existence d’un commerce légitime de la part des Français, entre l’Afrique et les Indes occidentales, une commission mixte chargée d’assurer l’exécution des lois: mais il ne paraît pas qu’on lui ait donné suite; et rien, dans les pièces qui sont sous nos yeux, ne nous explique les raisons de cette négligence.

Au mois de Mai 1820, plusieurs communications furent adressées au ministère français, au sujet de navires négriers Français qui avaient été visités sur la côte d’Afrique par les vaisseaux de S. M. Britannique: elles étaient suivies des excuses convenables sur cette violation des droits du pavillon français. Mais ces excuses étaient accompagnées de représentations énergiques sur les horreurs commises sous ce pavillon, et sur la nécessité de leur opposer des mesures rigoureuses. Les pièces que nous avons sous les yeux renvoient, pour ces détails, aux renseignemens déposés par l’amirauté sur le bureau du parlement. Les faits qui y sont énoncés concernent la Marie, la Catherine, le Joseph et le jeune Estelle. En outre, dans une communication subséquente, il est fait mention de 13 navires français, vus sur la côte d’Afrique, dans l’automne 1819, occupés à ce criminel commerce, desquelles, trois sont nominativement désignés: ce sont les goëlettes l’Elize, capitaine Lenant, et la Thétis toutes deux appartenant à MM. Jabert et Ferrant de la Guadeloupe; en outre, le brigantin l’Oscar, appartenant à des negocians de la Martinique.

Le 8 Décembre 1820, Lord Castlereagh adressa à sir C. stuart une lettre dont nous extrayons les passages suivans:

«A l’appui de mes premières dépêches au sujet de la Traite française et des établissemens français sur la rivière de Gambie, j’ai l’honneur de transmettre à Votre Excellence une pièce qui m’a été communiquée par quelques personnes qui s’occupent de surveiller, dans ce pays, l’exécution de la loi d’abolition. Cette pièce contient des faits et des raisonnemens de la plus grande force, qui établissent la continuation de la Traite par des sujets français, en violation des lois qui la prohibent, et les encouragemens qu’elle reçoit de l’établissement français sur la rivière de Gambie, établissement sur lequel le gouvernement français n’a aucun droit, selon les traités existans.

«Sir Chrales Mac Carthy, Gouverneur de Sierra Léone, est venu passer quelque temps en Europe, et est à Paris depuis quelques jours. Il a été fréquemment témoin oculaire des faits contenus dans la pièce ci-incluse; son long séjour sur les côtes d’Afrique, et l’attention qu’il a portée sur cet objet, l’ont familiarisé, plus que tout autre, avec tout ce qui est relatif à l’état actuel de la Traite.

«Je recommande instamment à Votre Excellence d’avoir de fréquentes communications avec le Colonel Mac Carthy, et lorsque vous posséderez parfaitement toutes les excellentes informations qu’il est en état de vous fournir, et que vous aurez attentivement parcouru les pièces ci-jointes, vous voudrez bien considérer quelles sont les représentations qu’il convient de faire au ministère français pour obtenir le résultat désiré, c’est-à-dire l’abolition réelle et non pas seulement apparente, de la Traite exercée par des sujets de la France, ou à l’aide de capitaux français.

«Le droit de visite mutuelle est toujours, dans l’opinion du gouvernement britannique, la seule mesure efficace qu’on puisse opposer à la continuation de la Traite; cependant, comme les difficultés, qui s’opposent à ce que cette mesure soit adoptée par le gouvernement français, paraissent insurmontables, le meilleur moyen qui reste à employer, c’est d’infliger, dans chaque pays, les châtimens les plus sévères contre les auteurs de la Traite.

«C’est dans cette vue, que je désirerais que l’attention de Votre Excellene se portât spécialement sur cette partie des pièces où l’on établit l’avantage qu’on retirerait d’une loi promulguée en France, portant peine infâmante contre toute personne convaincue d’avoir fait la Traite des esclaves; ainsi que sur cet autre endroit des pièces, où l’on prouve la nécessité de consacrer une mesure pareille, non par une simple ordonnance royale, mais par une loi positive émanée des trois branches de la législature française.»

La pièce dont parle Sa Seigneurie dans la lettre précédente, est datée du 10 Novembre 1820, et conçue en ces termes:

«La dernière fois que j’eus l’honneur de vous voir, vous me demandâtes de vous fournir par écrit les principaux points des informations que je vous avais communiqués au sujet de la Traite exercée par des sujets français.

«Le Ministre de la marine déclara au mois de Juin dernier à la Chambre des députés, que cette Traite était effectivement arrêtée, et il a, dernièrement, renouvelé cette assurance à notre gouvernement.

«Cette déclaration, j’ai tout lieu de le craindre, est pleinement démentie par les faits. Je ne crains pas de l’affirmer, la Traite française est actuellement plus active que jamais, et elle est exercée avec les circonstances les plus cruelles et les plus révoltantes qui aient jamais caractérisé cet infâme trafic. Je vais procéder immédiatement à l’exposé de quelques faits, pour servir de preuve à ce que j’avance.

«L’escadre anglaise, stationnée le long des côtes d’Afrique, a fait rencontre, cette année d’un assez grand nombre de navires faisant ouvertement la Traite sous pavillon français.

«j’ai été informé positivement que le nombre de navires ainsi rencontrés, était de plus de 25. Ce calcul peut être aisément vérifié: les lettres officielles adressées à l’amirauté par Sir George Collier, chef d’escadre de cette station, ainsi que ses rapports officiels au gouvernement Britannique, doivent renfermer à ce sujet des informations certaines et détaillées.

«Outre les navires qu’il a vus occupés à faire la Traite sur les côtes d’Afrique sous la protection du pavillon français, j’ai appris que Sir George Collier à son entrée dans le hâvre de la Havanne, y a trouvé une trentaine de bâtimens négriers, également sous pavillon français, et que, le terme durant lequel, en vertu du traité conclu avec la Grande-Bretagne, l’Espagne pouvait faire la Traite sous son propre pavillon, étant venu à expirer, les marchands de la Havanne ont généralement eu recours au pavillon français, comme le seul qui pût efficacement protéger leurs infractions à la loi promulguée par l’Espagne contre la Traite.

«M. Mac Carthy gouverneur de Sierra Léone, actuellement en Angleterre, m’a assuré qu’à son départ de Sierra Léone, au mois de Juillet dernier, cinq navires, sous pavillon français, étaient occupés à acheter des esclaves à la rivière Gallinas, environ 100 milles au sud de la colonie, et que les informations qu’il avait reçues à ce sujet, ne lui permettaient pas de douter, un seul moment, de la vérité de ce fait.

«Si ces renseignemens sont exacts, et l’autorité qui les atteste ne permet pas de douter de leur exactitude. Il s’ensuivra qu’entre le mois de Décembre 1819 et le mois d’Août 1820, 50 ou 60 bâtimens, sous pavillon français, étaient occupés à la Traite; et comme il est hors de doute que les navires rencontrés par nos croisières, ou venus à la connaissance du gouverneur Mac Carthy, ne forment qu’une portion de ceux qui sont actuellement employés à cet odieux trafic, on est forcé d’en conclure que le mal est arrivé à son comble. Et dans quel moment encore? Dans le temps que les ministres français, trompés sans doute par les rapports fallacieux qui leur ont été adressés, se félicitent des résultats de leurs soins et affirment à notre gouvernement que la Traite française a totalement cessé de toutes parts.

«Je crois avoir suffisamment prouvé l’étendue actuelle de la Traite française. Il me reste à dire quelques mots des circonstances atroces dont cette Traite est accompagnée.

«Quand j’eus l’honneur de vous voir, je remis entre vos mains des papiers renfermant des détails à ce sujet, entr’autres un extrait de la gazette de Sierra Léone, contenant le récit de la découverte faite par Sir George Collier, de quelques esclaves à bord du navire français la Jeune Estelle, commandé par Olympes Sanguines, et appartenant à des particuliers de la Martinique. (*) La seconde des pièces réclame une mention particulière. C’est l’extrait d’un ouvrage périodique publié, cette année, à Paris, sous le titre de «Bibliothèque ophthalmologique, par M. Guillié, directeur général et médecin en chef de l’Institution Royale des jeunes aveugles à Paris. occupé à éclaircir quelques questions sur l’ophtalmie, il raconte è ce propos ce qui suit:»

(*). Voici les détails de ce fait: «Le 4 Mars 1820, après une longue poursuite, les chaloupes du vaisseau de S. M. le Tartar, commandé par Sir George Collier, abordèrent un navire qui fut prouvé être la Jeune Estelle de la Martinique, commandé par Olympes Sanguines. Après l’abordage, Sanguines déclara qu’il avait été arrêté et dépouillé des esclaves qu’il avait à bord, et qu’il ne lui en restait pas un seul. L’agitation et l’alarme qu’on remarquait dans la contenance de tous les gens du navire, excita des soupçons, et on procéda à la visite du bâtiment. pendant cet examen, un des hommes de l’équipage du Tartar ayant frappé sur un baril qui paraissait très-soigneusement fermé, en entendit sortir une voix, comme les gémissemens d’une personne expirante. Le baril fut immédiatement ouvert, et on y trouva entassées deux jeunes négresses d’environ douze ou quatorze ans, qui étaient dans le dernier état de suffocation, et qui, grâce à cet heureux hazard, furent ainsi arrachées à la plus affreuse mort.

«Dès que ces deux jeunes infortunées furent arrivées à bord du Tartar, une personne qui avait été faite prisonnière sur un autre bâtiment négrier, les reconnut comme ayant appartenu au capitaine Richards commandant le shooner le Swift de New York. Une enquête ayant eu lieu à ce sujet, il fut reconnu que le capitaine Richards, contrebandier américain, était mort à un endroit de la côte d’Afrique appelé Trade Town, laissant 14 esclaves dont ces deux jeunes négresses faisaient partie. Après sa mort, Sanguines descendit à terre avec son équipage armé d’épées et de pistolets, s’empara des 14 esclaves et les embarqua à bord de la Jeune Estelle. Sir George Collier pensant que les 12 autres esclaves, procurés par cet acte de piraterie, devaient être cachés dans le navire, ordonna une nouvelle visite. Cette visite eut pour résultat d’arracher encore à la mort un noir, qui ne faisait cependant pas partie des 12 que l’on cherchait. On avait ménagé sur les tonneaux qui contenaient l’eau du navire, une espèce de plateforme composée d’ais détachés, ayant la forme d’un entrepont de 23 pouces de hauteur. C’est dans cet espace que devaient être entassées les malheureuses victimes que Sanguines avait dessein de se procurer sur la côte d’Afrique. Sous cette plateforme, le corps couvert de l’un de ces ais, pressé entre deux tonneaux, fut trouvé l’infortuné noir dont on vient de parler. Ce fut pour tous les témoins de cet affreux spectacle un grand sujet d’étonnement que de le trouver vivant encore dans une situation semblable. Sir George Collier voulait l’emmener à bord du Tartar, comme il avait fait pour les deux négresses; mais Sanguines ayant prouvé que ce malheureux Africain avait été dûment acheté pour la somme de 8 Dollars, payés en fer et en eau-de-vie, Sir George ne se crut pas autorisé à l’emmener. Si le navire eût été en état de faire route pour le Sénégal, il l’y eût conduit et l’eût remis à M. Schmaltz pour le faire juger; mais il n’en était point ainsi.

«Cependant l’on se demande ce que sont devenus les 12 autres esclaves enlevés à force ouverte à Trade Town. Sur ce point, on n’a aucun renseignement positif; on n’a que l’assertion de Sanguines, assertion qu’il n’a cessé de soutenir avec force, savoir: que ces esclaves lui avaient été enlevés par un corsaire espagnol. Mais, les officiers du Tartar se rappellèrent avec un sentiment d’horreur, que lorsqu’ils avaient commencé à donner la chasse à la Jeune Estelle, ils avaient aperçu plusieurs barils flottant derrière eux; et ils soupçonnèrent que chacun de ces barils contenait un ou plusieurs de ces malheureux, dont on s’était ainsi défait pour éviter qu’on ne découvrit l’acte de piraterie par lequel on se les était procurés. Malheureusement, cette poursuite les avait conduits si loin sous le vent, qu’il n’était plus possible de vérifier le fait. En outre, le temps qu’il fallait nécessairement employer à retourner contre le vent à l’endroit où la chasse avait commencé, ne permettait pas d’espérer qu’on pût revoir les barils qu’on avait déjà vus, et, encore moins, qu’on pût retrouver encore vivans les malheureux qu’on y supposait renfermés. Si les 12 esclaves dont on n’a rendu aucun compte satisfaisant, ont été jetés à la mer, il est évident qu’on a dû, en même temps, imaginer de leur donner ces barils pour tombeaux, sans quoi leurs cadavres, flottans sur les eaux, auraient sans doute frappé la vue de quelqu’un des gens de la frégate anglaise, et cette circonstance eût suffi pour découvrir toute cette horrible catastrophe. Au reste, les barils qu’on avait aperçus furent déclarés être des tonneaux d’eau qu’on avait jetés à la mer pour alléger le navire.

Quoiqu’il en soit, on ne doit pas oublier que Sanguines, quand Sir George Collier lui reprocha qu’il l’avait trouvé en violation des lois de son pays, répliqua que, s’il était coupable, il connaissait plus de 40 capitaines de navires, sous pavillon français, qui étaient dans le même cas que lui.

Ici se trouve l’histoire entière du Rodeur, telle que nous l’avons donnée plus haut. La lettre continue ainsi:

«Il me serait facile de prouver par des faits multipliés, les infractions commises contre les lois françaises sur la Traite, par de négriers des grands ports de mer de la France, et notamment de Nantes et de Bordeaux. mais ce n’est pas de là seulement que partent les navires négriers. Il en vient un grand nombre de la Seine; le Rodeur est l’un des nombreux navires qui ont fait voile du Hâvre pour cette destination. Il en part aussi de Honfleur, qui est sur la rive opposée de la Seine; et je puis affirmer moi-même, d’après une enquête que j’ai faite sur les lieux, que plusieurs expéditions, dont quelques-unes toutes récentes, sont parties de cette dernière ville. En 1819 le navire les deux Soeurs, commandé par M. Delomosne fit voile de ce port. Il se rendit au Sénégal où il prit 52 esclaves, pour les transporter aux Indes occidentales. De retour à Honfleur, il fut frété de nouveau au commencement de l’année 1820, et confié aux soins du capitaine Flahaut. Il chargea des esclaves sur les côtes d’Afrique, et les débarqua dans la petite île de St. Martin, après quoi il retourna à Honfleur, le 29 septembre 1820.

«Un autre navire, la Valentine, commandé par le capitaine Delomosne, le même qui avait commandé les deux Soeurs, fit voile de ce même port pour le Sénégal, le 6 Mars 1820. Là, il chargea environ 300 esclaves qu’il porta à la Martinique; on l’attendait pour le mois d’Octobre à Honfleur où l’on pensait généralement qu’il serait de nouveau frété ainsi que les Deux Soeurs, pour de nouvelles expéditions de la même nature.

«L’armateur de ces deux bâtimens est un nommé M. Collin, négociant à Honfleur, qui est, soutenu dans se spéculations, par une maison de Rouen et une autre de Paris. Les mêmes personnes préparent, en ce moment, pour le même objet, un troisième bâtiment, nommé l’Achille, si déjà ce dernier n’a pas mis à la voile.

«Un autre bâtiment, l’Eclair, qu’on dit être la propriété de M. Mathieu de Rouen, est de retour à Honfleur d’un semblable voyage.

«Mais il n’est pas nécessaire de donner plus d’étendue à ces détails, parce que, si les renseignemens fournis par Sir George Collier et par le gouverneur Mac Carthy sont reconnus exacts, la question sera résolue, et il sera prouvé que les déclarations faites par le gouvernement français sur la suppression de la Traite française, sont complettement illusoires.

«Mais, peut-être, ces déclarations ne portent-elles que sur les établissemens français de la côte d’Afrique; peut-être a-t-on voulu seulement donner à entendre que la Traite est entièrement abolie au Sénégal et à Gorée. Il y a tout lieu de craindre que ces déclarations ne soient fausses, quoique renfermées dans une limite si étroite. A mois de Juin 1819, le ministre de la Marine disait à la tribune de la Chambre des députés: «nous avons supprimé ce coupable commerce au Sénégal»; et cependant nous gémissons d’avoir à le dire, ce ministre s’est trompé dans cette occasion; et si les marchands d’esclaves du Sénégal et de Gorée ont senti la nécessité de prendre un peu plus de soin pour voiler les apparences, néanmoins, cet odieux commerce n’a point souffert de diminution. Il est possible que des navires négriers ne partent pas, à présent, des quais mêmes de Gorée et du Sénégal, sans prendre la plus légère peine de se cacher, comme cela se pratiquait précédemment; mais les endroits d’où ces mêmes navires partent aujourd’hui ne sont qu’à une très-petite distance de ces établissemens, et touchent presque aux limites de leur juridiction. Je sais bien qu’aujourd’hui comme autrefois, il n’y a qu’une très-petite partie des négriers français qui font leurs chargemens au Sénégal ou à Gorée. Il est probable que les neuf dixièmes chargent dans des endroits qui n’appartiennent pas à la couronne de France. Mais, alors, il est inutile de dire que l’on a aboli la Traite, si l’on entend par là une abolition qui ne s’étendrait que dans les 10 ou 15 lieues de côtes appartenant actuellement à la France. C’est comme si, avant l’acte d’abolition, nous avions dit, que nous avions aboli la Traite, parce que nous n’exportions aucun esclave de Sierra Léone et de Sainte Marie. En point de fait, on peut affirmer que, même dans cet étroit espace, la Traite française n’est point détruite. Le ministre de la marine lui-même, dans son rapport à la chambre des Députés du 29 Juin 1820, avoue que l’achat et la vente des esclaves sont permis, sans aucune restriction aux habitans de ces colonies: «On les vend,» dit-il, «on les achète sans violer la loi. Les Négreries de St.-Louis n’ont pu être détruites». Dans une pièce intitulée: «Requête présentées à Messieurs les membres composant la commission pour les affaires litigieuses concernant la Traite des Noirs,» (*) on affirme que les lois françaises sur l’abolition ont seulement prohibé le transport des esclaves des colonies françaises d’Afrique aux Indes occidentales, mais qu’elles n’ont point interdit leur exportation du Sénégal et de Gorée: et en preuve, on allègue, comme un fait notoire, que chaque jour des esclaves sont achetés à la colonie du Sénégal pour être transportés à Bahaguey ou à Gandiole, villages situés sur la côte à une petite distance du Sénégal, et que cette Traite qui s’est faite constamment, est autorisée par les lois de la France.

(*). «Il semblerait que les auteurs de cette pièce n’ont pas connu exactement les lois françaises promulguées sur ce sujet. Il paraît qu’ils n’ont prétendu faire allusion qu’à l’ordonnance royale du 8 Janvier 1817 mais une loi promulguée ensuite au mois d’Varil 1818, porte que tous sujets français ou tous étrangers résidans dans le territoire français, qui participent au commerce des esclaves sous quelque prétexte, avec quelque circonstance, et dans quelque partie du monde que ce soit, seront punis par la confiscation du navire et de sa cargaison. Mais on voit par la phrase que nous avons extrait du rapport du ministre de la marine, que les dispositions de cette loi peuvent être interprétées d’une manière fort large et fort commode pour les marchands d’esclaves.»

«Maintenant, s’il est vrai qu’aucune restriction n’est mise à l’achat des esclaves de l’intérieur par les habitans du Sénégal et de Gorée; s’il est vrai, ainsi que l’affirme M. Giudicelli dans sa brochure, comme témoin oculaire, que des noirs sont journellement exposés en vente, dans les marchés, comme du bétail; si des dépôts d’esclaves, auxquels on donne le nom de négreries, sont regardés comme des établissemens légaux dans ces colonies; si les lois françaises ne s’opposent point à ce que les esclaves renfermés en dépôt dans les négreries, en soient retirés, de temps en temps, selon les besoins des propriétaires, pour être transportés dans des lieux limitrophes de la juridiction coloniale, d’où rien ne s’oppose plus à leur exportation pour tout autre lieu; on se demande si, après cela, on peut dire encore, avec quelque apparence de vérité, que la Traite abolie, est d’une manière quelconque, dans les colonies françaises de la côte d’Afrique? Les colons eux-mêmes ne peuvent désirer, pour leur propre usage de plus grandes facilités. Si l’on ne voulait que la permission d’acheter un ou deux esclaves, pour l’usage domestique, et pour suppléer au décroissement qui peut survenir dans une population si limitée, on n’aurait pas besoin d’avoir des entrepôts de bétail humain. Il est de fait que tant qu’il sera permis d’acheter des esclaves dans ces colonies, la Traite continuera d’exister. Il ne faut pas moins qu’une prohibition absolue de la Traite dans toutes ses modifications, accompagnée de dispositions pénales, avant d’atteindre cet état satisfaisant auquel les ministres français se flattent d’être arrivés.

«Mais enfin, il importe d’examiner si le droit d’acheter et de vendre nos semblables, exercé dans une si vaste étendue par les colons du Sénégal et de Gorée, n’est effectivement appliqué qu’à se procurer des domestiques pour leur propre usage. Cette question mérite à peine qu’on s’y arrête sérieusement; car, une chose dont on doit convenir, c’est que, dans l’état actuel des lois françaises contre la traite, il est impossible qu’on n’abuse pas d’un pareil droit. Il y a plus, faites telles lois que vous voudrez, si vous accordez un pouvoir de cette nature aux colons résidans sur les côtes d’Afrique, comptez qu’ils en abuseront, surtout à Gorée et au Sénégal, où les colons ne font presque pas de culture. Mais la vérité est que l’on ne conduit des esclaves dans ces deux établissemens que pour les revendre; et lorsque les circonstances, comme actuellement par exemple, rendent périlleuse leur exportation directe, on les met en dépôt à Babaguey, à Gandiole, à Cacheo, à Cassamanza, à Bissao, ou aux îles du Cap verd, d’où des navires viennent les prendre sans compromettre les autorités françaises.

«On peut s’en rapporter, pour la vérité de ces détails, aux preuves et aux documens qui sont entre les mains du colonel Mac Carthy. je remarquerai seulement que les autorités portugaises de Bissao et du Cap Verd ont montré beaucoup d’ardeur à donner tous les encouragemens possibles aux contrebandistes français; et, pour le dire en passant, quoique cette circonstance ne rentre pas essentiellement dans mon sujet, il serait facile de prouver que les gouverneurs des établissemens portugais sur les côtes d’Afrique sont, eux-mêmes, au nombre des principaux contrebandiers.

«Avant de quitter cette branche de la Traite française qui se fait à Gorée et au Sénégal, il est un point sur lequel je désire attirer votre attention particulière.

«Au moyen de l’établissement de Bathurst, situé à l’embouchure de la Gambie, la Grande-Bretagne, par le fait, commande cette rivière, de manière à pouvoir empêcher que des esclaves ne la descendent pour être, de là, exportés par mer. A environ vingt milles de l’établissement anglais, est un lieu appelé Albreda, où les Français avaient anciennement une factorerie, et dont ils ont récemment pris possession. A la faveur de cette factorerie, ils tirent des esclaves de toutes les parties de la Gambie qui, sans eux, serait totalement libre de l’influence funeste de la Traite. Ils ne peuvent, il est vrai, transporter leurs esclaves sur la rivière, sans être arrêtés par l’établissement de Ste. Marie; mais, comme le commerce légal leur est permis, ils lèvent aisément cette difficulté. On fait passer dans des embarcations ordininaires, jusqu’à Albreda, les marchandises destinées à l’achat des esclaves. Là, les esclaves qu’on a achetés, sont transportés dans de petits canots, ou sont dirigés par terre sur Cacheo, ou sur quelqu’autre endroit de la côte, d’où on les embarque définitivement pour les Antilles. Maintenant, s’il est vrai que les Français aient le droit de posséder Albreda, je ne connais aucun moyen de s’opposer à de tels maux. Mais je crois être fondé à dire qu’en vertu des traités, ce droit, ils ne l’ont pas. Le traité de 1783 contient les articles suivans:

«Art. IX. Le roi de la Grande-Bretagne cède, en plein droit, et garantit à S. M. très-chrétienne, la rivière du Sénégal et ses dépendances, ainsi que les forts de St. Louis, Podur, Galanm, Arguin et Portendic, et S. M. britannique rend à la France l’île de Gorée qui sera remise en l’état où elle était, lors de la conquête.

«Art. X. De son côté, S. M. très-chrétienne garantit au Roi de la Grande-Bretagne, la possession du fort James et, de la rivière de Gambie.»

«On voit par ces articles que la rivière de Gambie fut, dans le fait, cédée à la Grande-Bretagne, comme le Sénégal à la France. Or, comme il es très-certain que la France ne consentirait jamais à nous laisser aucun des établissemens qui sont sur cette dernière rivière, elle n’est pas autorisée davantage à réclamer aucun des établissemens qui sont sur la première. D’ailleurs, Albreda est une dépendance, non du Sénégal, mais de Gorée, et on doit observer que l’article qui stipule la redition de Gorée ne contient pas ces mots «et ses dépendances,» qui ont été employées, lorsqu’il s’est agi du Sénégal. La France, il est vrai, peut alléguer en sa faveur que de 1783 à 1792. Albreda a continué de servir de factorerie ou de comptoir aux marchands français; mais c’est simplement parce que nous avions négligé de prendre possession du fort James qui, ayant été démoli durant la guerre est resté en ruines jusqu’au moment où, il y a quatre ou cinq ans, nous l’occupâmes de nouveau. Depuis cette dernière époque, le gouverneur Mac Carthy n’a cessé de protester contre l’occupation de la factorerie d’Albreda par les Français, et de réclamer, à cet égard, l’exécution du traité de 1783, traité dont les dispositions n’ont été modifiées par aucune convention subséquente.

«Il est évidemment prouvé par tout ce qui vient d’être dit, que la Traite française n’a été abolie que de nom. Permettez-moi de dire que, pour rendre cette abolition efficace, il serait nécessaire, non seulement de déclarer, en termes généraux, que toute espèce de commerce d’esclaves est formellement interdite aux sujets français et à toute personne résidant dans le territoire français, mais encore de prohiber spécialement toute nouvelle introduction d’esclaves de l’intérieur dans les établissemens français situés sur la côte d’Afrique. Il serait également nécessaire d’appliquer les `peines promulguées contre la Traite à toutes les circonstances dont peut être susceptibles ce commerce criminel, de quelque manière qu’il soit exercé, et de mettre au nombre des coupables tous les affréteurs de navires négriers et tous ceux qui en assurent les propriétés. Ces dispositions devraient être contenues dans une loi, et non dans une ordonnance. Je ne puis juger jusqu’à quel point il serait possible d’ajouter aux peines pécuniaires déjà infligées, une peine infâmante. Il est certain qu’une addition semblable donnerait à la loi une vigueur nouvelle et la mettrait à même d’atteindre le but que se proposaient ses auteurs. Il serait aussi à désirer que la France adoptât un systême de croisière plus à portée d’assurer l’exécution des lois, et qu’on ne se bornât pas, comme à présent, à croiser devant les 10 ou 15 lieues de côtes qui dépendent des établissemens de Gorée et du Sénégal. Si à cela on ajoutait des récompenses pour les captures d’esclaves, on verrait doubler, sans contredit, le zèle de tous les officiers publics.

«Dans le rapport fait à la chambre des députés, le 29 Juin 1820, dont j’ai déjà eu occasion de parler, on trouve le passage suivant:

«Cinquante-deux bâtimens français, anglais et espagnols, ont été l’objet d’informations, de condamnations et de poursuites.

«Il serait convenable de réclamer, à ce sujet, des détails qui pussent mettre le gouvernement anglais à même de poursuivre les infractions faites aux lois de la Grande-Bretagne.

«Je vous ai aussi envoyé l’affaire d’un autre navire négrier français, nommé le Sylphe.»

A cette communication Lord Castlereagh ajouta, quelques jours après, les détails additionnels qui suivent:

«Extrait d’une Lettre d’Antigue du 16 Octobre 1820.

«Il y a huit jours qu’on a saisi dans ce port un brigantin français chargé de 128 Africains. Son nom est la Louise; il porte 120 tonneaux, vient du Sénégal et était destiné pour la Guadeloupe. Le contre maître qui avait le commandement à la place du capitaine dangereusement malade à bord, avait pris notre île pour la Guadeloupe. Il arriva par le côté sur de l’île, sous pavillon français, et fut abordé par Mr. Chipchase, employé à la douane, qui l’amena dans le port. Après que l’équipage eut reconnu son erreur, les esclaves furent tous mis à fond de câle, et quelques-uns des gens de l’équipage eurent même l’audace de débarquer pour se procurer des rafraîchissemens, déclarant que le brigantin allait sur son lest, destiné pour Cayenne.

«Les noirs étaient dans un état digne de pitié; mais ils ont actuellement bonne mine; ils sont pour la plupart jeunes, surtout les femmes, deux desquelles ont des enfans à la mamelle: il y en a une qui, il y a quelques jours, est accouchée de deux jumeaux mort nés. Le receveur des impôts a eu le plus grand soin de tous les esclaves, et les a habillés et nourris.

«Le capitaine est parti d’ici pour la Guadeloupe, d’où il est ensuite revenu avec ordre d’abandonner le brigantin et de retourner à cette île avec l’équipage. Il paraît qu’il était destiné pour la maison de Lisle et Rancée de la Guadeloupe; mais ces messieurs ont désavoué, depuis, tout rapport quelconque avec ce navire.»

Extrait d’une Lettre de Démérara du 18 Août, 1820.

«Il résulte de l’enquête faite sur le capitaine et l’équipage de la chaloupe la Hariott, saisie dans la rivière Esséquibo, ainsi que de leurs interrogatoires et de leurs réponses séparées, que tous s’accordèrent à convenir que la Traite se fait encore régulièrement aux îles françaises, de la manière la plus ouverte et dans une étendue prodigieuse. Il y a sept ou huit goëlettes continuellement employées à faire le voyage des côtes d’Afrique à la Martinique. Une partie de leurs cargaisons est directement envoyée à St. Thomas; le reste est ré-exporté de la Martinique à Surinam. Un vaisseau de guerre anglais s’étant plaint que l’une de ces goëlettes était chargée d’esclaves dans la baye de St. Pierre, le gouverneur interposa son autorité; mais l’équipage de la Hariott en ignorait le résultat. Ainsi, à moins que le gouvernement britannique ne consente à faire, à ce sujet, des représentations convenables, tous ces navires négriers continueront à jeter l’ancre dans les ports de la Martinique, à débarquer leurs esclaves, à les vendre, à les rembarquer pour les ré-exporter ailleurs, le tout sans qu’on paraisse y faire la moindre attention. Cette circonstance est une violation des lois françaises, ainsi qu’un outrage à la cause de l’humanité.»

Ces diverses communications furent mises par Sir Charles Stuart, sous les yeux du gouvernement français les 11 et 18 Décembre 1820; et, dans sa note portant cette dernière date, il représente que, si les difficultés qui s’opposent à l’admission du droit de visite mutuelle paraissent insurmontables, la bonne foi exige du moins qu’on promulgue de nouvelles mesures législatives. En conséquence il demande:

«1º. Que l’on interdise en termes généraux tout commerce d’esclaves quelconque à tous les sujets français et à tous les étrangers résidant dans le territoire français;

«2º. Que l’introduction de nouveaux esclaves de l’intérieur de l’Afrique dans les établissemens français sur la côte, soit prohibée.

«3º. Que l’on applique les peines décernées contre les auteurs de la Traite, à tous les individus intéressés dans l’équipement ou dans l’assurance des navires négriers;

«4º. Enfin, quoique dans cette circonstance on ne puisse mettre trop de sévérité dans les dispositions pénales, il s’en remet à la sagesse de la législature française, pour savoir si une peine infâmante ne serait pas la plus propre à assurer l’exécution des lois contre la Traite.»

Sir C. Stuart, dans une lettre adressée à Lord Castlereagh, en date du premier Janvier 1821, annonce qu’il a eu une entrevue avec le ministre de la marine, baron Portal.

«J’ai eu la satisfaction de voir, écrit-il, qu’il n’a point révoqué en doute la véracité des renseignemens que je lui ai adressés: mais il m’a assuré qu’il avait co-opéré cordialement aux efforts faits par la Grande-Bretagne pour rendre effective l’abolition de la Traite.

«Il m’a assuré en outre que plus de 40 poursuites avaient déjà été dirigées contre des personnes impliquées dans des transactions qui tombaient sous les dispositions des lois françaises contre la Traite; mais que les contrats, particulièrement les assurances faites sous seing privé par des étrangers, la plupart sujets britanniques, contrats qu’il était impossible de mettre au grand jour, étaient devenus si communs, qu’il était à craindre qu’en beaucoup de cas les poursuites ne fussent rendues inutiles.

«M. Portal m’a déclaré ensuite qu’il avait pressé avec vigueur dans le département dont il est chargé, tous les arrangemens propres à prévenir la continuation de la Traite; que l’ordre avait été expédié à l’amiral stationné dans les Indes occidentales, de diriger un vaisseau de guerre, vers la hauteur de la Havanne, afin d’intercepter les navires négriers destinés pour ce port, et que l’on avait rédigé de nouvelles instructions basées sur les renseignemens fournis par M. Mac Carthy, lesquelles allaient être expédiées à l’administration du Sénégal, pour lui servir de règle de conduite dans l’emploi des croisières de cette station, tous actes, ajouta-t-il, qui devaient prouver au gouvernement britannique la sincérité des efforts de l’administration française dans cette grande cause.»

Le 23 mars 1821, Lord Castlereagh écrivit à Sir C. Stuart:

«La note dont je transmets copie à Votre Excellence, m’a été remise par M. le Duc de Cazes, quelques jours avant son départ pour la France. Elle renferme l’exposé des mesures qui auront été prises par le gouvernement français et par les autorités coloniales, pour assurer la punition des auteurs de la Traite.

«Votre Excellence verra qu’on y parle de certains navires portant pavillon anglais, et qu’on déclare engagés dans la Traite. Il paraît, d’après les pièces contenues dans la note de M. de Caraman, de Juin dernier, que les navires en question qui, comme Votre Excellence le remarquera, portent tous des noms français, ont été poursuivis et condamnés dans les colonies. Quoiqu’il en soit, les insinuations de l’ambassadeur français à ce sujet, ainsi que diverses intimidations qui ont été faites à Votre Excellence, sur l’emploi de capitaux anglais au profit de la Traite, et sur des assurances de navires négriers, effectuées en Angleterre, m’engagent à requérir de Votre Excellence que vous veuillez bien presser le gouvernement français de vous fournir les détails de toutes les affaires de ce genre qui ont pu, ou pourraient à l’avenir, arriver à sa connaissance, et je vous prie de me les transmettre immédiatement.

«Il est impossible que, sur des rapports vagues et des accusations énoncées d’une manière générale, lesquelles ne portent aucun caractère de vérité, le gouvernement anglais prenne aucune mesure à ce sujet; mais si l’on peut lui fournir des faits précis et des informations sûres qui prouvent l’emploi de capitaux anglais en faveur de la Traite, ou les encouragemens quelconques qui lui seraient fournis par des sujets anglais, ce sera un besoin comme un devoir pour lui d’employer tous ses efforts à s’assurer la punition des coupables.»

La note du Duc de Cazes est datée du 12 Février 1821. Nous allons la transcrire:

«La France a franchement fait usage de toutes les ressources qu’elle trouvait dans la forme de son administration, pour créer des moyens propres à faire cesser la Traite des Noirs.

«Les ordonnances publiées, les lois rendues en 1817 et 1818, ont prononcé la confiscation des bâtimens qui se livreraient à ce trafic, et l’interdiction du capitaine qui les commanderait. En 1819, une commission spéciale présidée par un conseiller d’état, et composée de magistrats choisis dans la Cour de Cassation, la Cour royale et le Tribunal de première instance de Paris, et d’un officier général de la marine, a été établie pour examiner toutes les actions judiciaires à intenter, à suivre, ou à soutenir en France, dans l’intérêt public, en matière de contravention aux dispositions qui prohibent la Traite des Noirs.

«le ministre de la marine n’a cessé, depuis cinq ans, de poursuivre, en toute occasion, les expéditions illicites. Dans cet espace de temps, il a été saisi par les soins de l’autorité française, un grand nombre de bâtimens fraudeurs, dont une partie a été condamnée et confisquée. Un état des diligences, poursuites, instances et condamnations qui ont eu lieu jusqu’à la fin du mois d’Avril 1820, a été transmis à Lord Castlereagh par M. le Comte Caraman, le 17 Juin dernier. Parmi les bâtimens saisis, il s’en est trouvé plusieurs appartenant à des sujets de Sa Majesté Britannique.

«Au mois de Septembre 1819, le capitaine de vaisseau, Baron de Mackau, fut envoyé au Sénégal avec la mission de vérifier sur les lieux les imputations qui étaient sans cesse dirigées contre l’administration de cette colonie. Au retour de cet officier, il fut fait par M. le ministre de la marine, sur le résultat de sa mission, un rapport qui a été communiqué à Lord Castlereagh, en même temps que l’état ci-dessus mentionné, et par lequel le gouvernement anglais a dû voir que tous les bâtimens indiqués comme s’étant effectivement livrés à la Traite depuis le 25 Janvier 1817, avaient été poursuivis ou condamnés, par suite des dispositions prohibitives de la Traite des Noirs.

«Les navires le Narcisse de St. Malo, et l’Auguste de Marseilles avaient été signalées par les journaux anglais, au commencement de 1820, comme ayant débarqué des Noirs de Traite aux Antilles françaises. Le ministre de la marine s’est empressé d’ordonner une enquête pour s’assurer de l’exactitude des faits. Elle a lieu de la part des autorités de la Martinique, qui ont mis, dans leurs recherches, tout le soin et toute l’activité que l’on devait attendre de leur zèle, et il en est résulté que le débarquement annoncé était entièrement controuvé et que la cargaison des navires désignés, se composait d’objets entièrement licites.

«Le gouvernement français n’a pas mis moins de zèle à la répression de la Traite à l’île de la Bourbon, et les nombreux documens transmis par M. de Caraman à Lord Castlereagh, le 17 Juin dernier, auront donné au gouvernement anglais des preuves non équivoques des efforts des administrations françaises dans cette colonie, pour concourir à ce but.

«Lois, ordonnances, instructions ministérielles, mesures publiques et particulières, tout a donc été mis en usage. Si les résultats n’ont pas toujours été aussi complets qu’on devait l’espérer, ils ont, du moins, été plus satisfaisans que ne semblaient l’indiquer les rapports transmis aux autorités anglaises. Il est de fait que les expéditions frauduleuses faites par des sujets franais, sont devenues beaucoup plus rares et que le zèle ne s’est point démenti. Il est probable que plusieurs expéditions de ce genre se seront faites sous pavillon français, et, c’est ce qui aura donné en Angleterre, l’idée que, c’était en France que se commettait le plus grand nombre d’infractions aux lois contre la Traite. Au surplus, de nouvelles mesures ont été successivement adoptées.

«Plusieurs agens subalternes qui ne mettaient point assez de sévérité dans l’exécution des ordres de répression, ont été renvoyés du service.

«Une flotille destinées à explorer les rivières dur la côte d’Afrique a été organisée. Elle contribuera puissamment à empêcher le trafic des Noirs.

«La station navale d’Afrique a été renforcée, composée de fins voiliers et munie d’instructions qui lui indiquent les points de croisière reconnus comme devant être occupés. Elle éclairera les côtes, de manière à rendre impossible, ou du moins extrêmement difficile, tout embarquement ou débarquement illicite.

«La station des Antilles a été également renforcée, en raison des moyens dont le département de la marine a pu disposer.

«Enfin, le gouvernement français a ordonné à ses agens dans les établissemens de St. Louis et de Gorée, de promouvoir et de favoriser, autant que possible, le systême des engagemens volontaires d’africains, et de se modeler, à cet égard, sur ce qui se pratique à Sierra Léone.

Il est nécessaire maintenant d’examiner les détails que renferme cette note, et les documens auxquels elle fait allusion, lesquels se trouvent également parmi les pièces que nous avons sous les yeux.

Les faits prouveront si le ministère français a employé les meilleurs moyens pour parvenir à la répression de la Traite. Cependant il n’a point encore adopté ou mis en exécution les mesures énoncées dans la lettre de Sir C. Stuart, du 18 Décembre 1820.

La note cite en preuve de cette assertion l’exposé des enquêtes, poursuites, instances et condamnations qui ont eu lieu jusqu’à la fin d’Avril 1820. Cette liste contient les noms de 41 navires; mais, dans ce nombre 24 n’ont été que l’objet d’enquêtes inutiles, sept ou huit ont été acquittés, un, réputé anglais a été mis à la disposition du gouvernement de l’île Maurice, trois autres, également réputés anglais, ont été confisqués; il ne reste donc que cinq ou six navires français contre lesquels il a été dirigé des poursuites, et on est incertain, d’après l’exposé en question, si, dans ce dernier nombre, il y en a eu plus de deux ou trois définitivement condamnés.

Nous allons produire quelques-unes des affaires qui n’ont donné lieu qu’à des diligences, pour prouver l’inefficacité des moyens employés dans la plupart de ces sortes d’enquêtes.

«1º. Les deux soeurs, capitaine Delomosne. Ce bâtiment armé à Honfleur, était désigné comme ayant pris 150 nègres à la côte d’Afrique, et les ayant débarqués à la Martinique. Ecrit en 1819 aux administrateurs de la Martinique, de la Guadeloupe, du Sénégal et de Cayenne, et au Hâvre. Les réponses parvenues de la Martinique et de Guadeloupe portent que le bâtiment ne s’y est pas présenté. On attend les autres réponses.»

Il est d’abord étonnant que ce bâtiment, ayant fait voile d’Honfleur, le ministre de la marine se soit adressé pour avoir des informations, non à Honfleur, mais au Hâvre. Il est encore plus remarquable qu’en Avril 1820, il n’eût pas encore reçu de réponse du Hâvre, quoiqu’on lui eût déjà répondu de la Martinique et de la Guadeloupe. Le Ministre ne doit avoir éprouvé aucune difficulté à connaître les propriétaires du navire. En Angleterre même, on sait qu’il appartient à M. Collin de Honfleur, qui en est l’armateur et le propriétaire, conjointement avec la maison Relouis et compagnie de Rouen. En Angleterre également, quoique nous n’ayons pas à notre disposition les moyens dont dispose le ministre de la marine, nous connaissons une grande partie de l’histoire de ce navire, et cela, sans que nous ayons été obligés de nous adresser à la Martinique ou à la Guadeloupe, mais en prenant seulement la peine de lire le bulletin de commerce, annexé au Journal de Paris. Le 27 Février, 1819, ce navire quitta le Hâvre, pour aller au Sénégal, avec une cargaison mêlée. La série des bulletins qui est sous les yeux du Comité étant incomplète, nous ne pouvons assigner l’époque précise de son retour des Indes occidentales où il est dit s’être rendu venant des côtes d’Afrique avec une cargaison d’esclaves. Mais il paraît qu’il mit de nouveau la voile pour l’Afrique, au commencement de 1820, et que là, s’étant procuré une cargaison d’esclaves, il les transporta aux Indes occidentales, et revint à Honfleur, le 27 Septembre 1820. Il était parti sous le commandement de M. Flahaut; mais, à son retour, il était commandé par M. Durand, et il s’est représenté venant de St. Martin, l’une des Antilles, avec du sucre, du rhum, etc. Le 25 Novembre 1820, il mit de nouveau à la voile pour le Sénégal, sous le commandement de M. Voissard. Le premier voyage, est-il dit, avait paru si lucratif, que les mêmes propriétaires amenèrent la Valentine dont le commandement fut confié à M. Delomosne, le même qui avait déjà commandé les deux Soeurs. La Valentine fit voile de Honfleur, le 9 Mars 1820, pour les côtes d’Afrique d’où elle transporta environ 300 esclaves à la Martinique; on ajoute qu’après les avoir débarqués, elle est de nouveau repartie pour les côtes d’Afrique, afin d’y charger une nouvelle cargaison du même genre.

«2º. L’Eliza, capitaine Tabry, armé à Bordeaux, désigné comme ayant chargé, en 1818, au Sénégal, 150 Noirs de Traite. Ecrit, en 1818, à M. le commissaire général de la marine à Bordeaux et à M. le commandant du Sénégal; d’après les réponses, aucune poursuite n’a été dirigée contre le bâtiment, attendu qu’il n’y a pas eu d’indice de contravention.»

Le ministre de la marine a été informé d’après des autorités non équivoques, que le navire de ce nom avait fait voile du Sénégal avec 150 esclaves, dont un grand nombre étaient pour le compte des employés du gouvernement français au Sénégal. MM. Mille et Colbrand, commis de la marine, en avaient chacun douze à bord; M. Trèves, commis, et M. Calvet, chirurgien en avaient chacun dix; M. Lemeur, grand magasin et M. Maritan, apothicaire, chacun six. Le ministre a été également informé que les esclaves avaient été vendus à la Guadeloupe: en outre il lui a été fourni copie de l’acte de vente de l’un de ces esclaves, pour le compte d’une personne du Sénégal. L’acquéreur est M. Pul de la Guadeloupe; les vendeurs sont Messieurs Lamey et Damblet, négocians à la Pointe-à-Pitre. L’acte est signé par ces Messieurs et porte la date du 31 Mai 1818, à la Pointe-à-Pitre, Guadeloupe. mais, en outre, M. le Baron de Mackau, commissaire du Roi, informait le ministre, dans son rapport, que ce navire avait certainement exporté des esclaves du Sénégal. Puisqu’il est vrai que tous ces faits ont été à la connaissance du ministre, il est difficile de rendre raison de la marche étrange, vague et infructueuse qu’a prise l’enquête faite à ce sujet.

«3º. La Rosalie, Capitaine Deschamps, fit voile de Honfleur, en 1819, pour les côtes d’Afrique, dans le dessein, comme on le suppose, de faire la Traite des esclaves. D’après la réponse du gouverneur de la Martinique, il est constaté que la Rosalie a touché à la Martinique, mais on n’a aucun lieu de soupçonner qu’elle se livrât au commerce des esclaves.

«Ce navire revint à Honfleur, le 1er. ou le 2 Septembre 1819, commandé par Voissard, le même, sans doute, qui commande actuellement les deux Soeurs. Il venait de la Martinique, avec une cargaison composée de différens articles. Le gouverneur de la Martinique n’en parle que comme ayant touché à cette île; tandis que la vérité est qu’il avait pris, dans cette île, sa cargaison pour Honfleur. Il ajoute que ce navire n’a donné aucun lieu de soupçonner qu’il se livrât au commerce des esclaves. Cela paraîtra fort extraordinaire, si l’on considère qu’il a fait voile d’Honfleur pour l’Afrique, qu’il a été vu à la Martinique, de retour de son voyage d’Europe en Afrique et d’Afrique à cette île. Comment n’est-il pas venu dans la pensée du gouverneur ou dans celle du ministre de la marine, de s’assurer de l’objet et du motif de ce double voyage, de s’informer de l’emploi de la cargaison, qu’il avait chargée à Honfleur, ainsi que de l’emploi du produit de la vente?

4º. Le Rodeur. – ce navire est nommé deux fois dans cette liste, et chaque fois, ce qui doit paraître fort étrange, sans qu’il soit fait mention des circonstances notoires qui ont trait à son affaire. Voici d’abord comme il en est parlé: «Le Rodeur, Capitaine Boucher, en armement en 1820, au Hâvre, avec une destination présumée pour la Traite. Ecrit, en 1820, à l’administration maritime au Hâvre; on attend la réponse. N. B. Le Rodeur est déjà en état de prévention, comme s’étant, précédemment, livré à la Traite. La commission instituée par l’ordonnance royale du 22 Décembre 1819, à l’effet de donner son avis motivé, concernant toutes actions judiciaires à intenter, à suivre, ou à soutenir en France, dans l’intérêt de l’administration publique, en matière de contravention aux dispositions prohibitives de la Traite des Noirs, a été chargée d’examiner s’il y a lieu de le poursuivre à ce regard: il est porté, par ce motif, à la suite du présent état.»

La seconde fois qu’il est fait mention de ce navire, c’est parmi les quatre procédures pendantes actuellement en France; on s’exprime en ces termes à son égard: «Le Rodeur est signalé comme ayant pris à la côte d’Afrique un chargement de 280 Noirs esclaves qu’il aurait ensuite transportés à St. Thomas. La commission s’est saisie de examen des pièces.»

Que l’on compare des détails donnés par le ministre de la marine avec les faits horribles que nous avons relatés dans ce rapport, et l’on conviendra que les démarches du ministre, à cet égard, sont d’une faiblesse dont on a droit de s’étonner, et qui porterait à croire que, dans cette affaire, comme dans toutes celles qui sont relatives à la Traite, quelque influence coupable s’interpose entre les intentions du ministre et leur accomplissement.

Toutes ces enquêtes paraissent avoir été dirigées avec la même mollesse, et exécutées avec la même inutilité. Elles n’ont, en conséquence, produit aucun résultat; et l’on peut prédire sans hésiter que, tant qu’un pareil état de choses subsistera, les côtes d’Afrique auront beau fourmiller de navires négriers, sous pavillon français; la Martinique, la Guadeloupe et Cayenne auront beau être, chaque jour, transformées en marchés d’esclaves, on ne verra appliquer à aucun des coupables les châtimens que les lois ont prononcés contre eux.

Parmi les sept ou huit procédures qui ont été suivies d’un acquittement, le Comité remarque celle du Sylphe. Ce navire est dit avoir été poursuivi à la Guadeloupe, le 20 Août 1818, et ensuite acquitté. il y eut appel de la sentence de la part du ministère public; mais l’acquittement fut confirmé, le 18 Septembre 1818. Malgré cette sentence d’acquittement, il n’en est pas moins vrai que ce navire a débarqué à la Guadeloupe environ 300 esclaves consignés à MM. Segond père et fils de cette île. Nous ignorons les moyens qu’a mis en usage le procureur du Roi pour prouver le fait matériel du délit; mais il est bien étonnant que ce navire ait été acquitté, si l’on considère que l’équipage qui avait monté ce navire pendant son voyage aux côtes d’Afrique et pendant son voyage de retour, était encore à la Guadeloupe lors du jugement, et que les 300 Africains qu’il venait de transporter, avaient tous été vendus à des habitans de la Guadeloupe. Mais nous allons bientôt avoir de nouvelles lumières sur ce sujet: suivons cependant le Sylphe dans ses mouvemens. A peine était-il acquitté, que déjà il faisait voile de nouveau pour les côtes d’Afrique; il chargeait 388 esclaves à la rivière Bonny, et se préparait déjà à les transporter à la Guadeloupe, lorsqu’au 7ème degré, 50 minutes de Latitude Nord, 16ème degré, 30 minutes de Longitude Ouest, il fut capturé par le vaisseau de S. M. le Redwing, Capitaine Hunn. Il y avait alors 51 jours que le Sylphe avait quitté Bonny. Il fut conduit à Sierra Léone où il arriva le 10 Février 1819, et 364 esclaves y furent débarqués; 24 avaient péri dans la traversée. La procédure qui eut lieu, à cette occasion, prouva, comme nous l’avons établi plus haut, que le navire avait déjà exécuté un voyage de cette nature pour la Guadeloupe où ce commerce se faisait sans qu’on eût recours, pour cela, à de grandes précautions. Les bâtimens négriers étaient dans l’habitude de déposer leurs esclaves dans quelqu’endroit reculé de l’île, à quelque distance de la capitale. C’est ainsi que le Sylphe avait débarqué ses Noirs à un petit village nommé St. Thomas, ayant une anse de sables et situé sous le vent de la Pointe-à-Pitre. Alors l’armateur, ou celui à qui la cargaison était consignée, étant averti à point nommé de l’arrivée du navire, se rendait sur-le-champ au lieu du débarquement, afin de se charger des esclaves et de leur donner un local, en attendant que la vente en fût effectuée. Le navire paraissait alors à la Pointe-à-Pitre, où il se disait venu des côtes d’Afrique, et débarquait la petite quantité d’ivoire ou d’autres productions africaines qu’il avait à son bord.

Ajoutez à cela que M. le Baron de Mackau, dans son rapport au ministre de la marine, a déclaré qu’il lui était positivement démontré que le Sylphe avait enlevé des Noirs au Sénégal.

Les trois navires, sous pavillon anglais qui sont dits avoir été condamnés à l’île Bourbon, sont les suivans:

         Le Bon Accord,                      13 Janvier 1818.

         La favorite,                 9 janvier 1819.

         L’Espérance,               22 Juin 1819.

Le premier de ces navires est dit avoir été saisi, et le capitaine condamné aux frais. Les deux autres sont dits avoir été confisqués, avec leur cargaison. Aucun appel n’ayant eu lieu, le jugement de ces trois affaires a été définitif.

Il n’a été expédié en Angleterre que les copies officielles de deux de ces procédures, celles de la Favorite et de l’Espérance; elles prouvent que ces deux navires n’avaient évidemment arboré le pavillon anglais, que pour échapper au vaisseau de guerre français qui les a capturés, et qu’ils étaient réellement, de propriété française. Le propriétaire de la Favorite était M. Cremasy de l’île Bourbon qui allégua, pour sa justification, que c’était sans son autorisation que le capitaine avait acheté des esclaves à la côte de Zanguebar.

L’Espérance avait été saisie par un acte de piraterie du capitaine de la Favorite. Quant au Bon Accord, on n’a reçu aucun détail dur ce navire; son nom français, fait fortement présumer qu’il n’est point de propriété anglaise. Une présomption plus forte encore, c’est le fait de sa condamnation à l’île de Bourbon. Cependant, s’il est vrai qu’il soit anglais, il est nécessaire de connaître les faits de la procédure, afin que les parties puissent être poursuivies selon les lois britanniques.

En parcourant cette liste à laquelle se réfère la note du Duc de Cazes, le Comité s’est étonné de l’importance que le ministre de la marine paraît avoir attachée aux réponses vagues des autorités de la Martinique et de la Guadeloupe, par lesquelles elles repoussent les accusations portant sur le sujet de la Traite. Ces autorités sont représentées comme ayant déployé, dans leurs recherches à cet égard, tout le soin et toute l’activité qu’on pouvait attendre de leur zèle.

L’appendice au 14ème Rapport de l’Institution Africaine, contient, page 70, une lettre de la Guadeloupe, qui jette beaucoup de lumière sur le soin, l’activité et le zèle de ces fonctionnaires. Depuis, il a été reçu de la même île, deux autres lettres qui éclaircissent davantage encore ce sujet. Les passages suivans que nous en extrayons, en diront plus que des volumes:

                                                                    Guadeloupe, 13 Décembre 1820.

«En Septembre dernier, une goëlette américaine a débarqué 60 esclaves à Ramboillette, Port Louis. La personne qui a présidé au débarquement, est la même dont j’ai déjà eu occasion de parler. Il paraît que ce bâtiment a éprouvé quelques contrestemps sur la côte d’Afrique, et, qu’ayant perdu ses ancres et ses cables, il s’est vu forcé de revenir, sans avoir completté sa cargaison: en outre, il a rapporté avec lui une partie de ces articles qu’il avait pris pour échanger contre les natifs. Ces articles consistent en fusils, coutelas, barrils de poudre, pots de fer, verroux, cadenas, et pierres à fusil, etc.

«On assure que les personnes intéressées dans cette expédition, sont MM. Segond, ferrand et Rancé.

«Les planteurs de Ste. Anne ont équippé une goëlette qui a été construite à Ste. Rose et, de là, a fait voile pour l’Afrique d’où elle a rapporté une cargaison d’africains. Un autre navire qui était attendu ici a été capturé par un corsaire de l’Amérique du Sud, dans les environs de Deseada, situé au vent de cette île, ayant 300 esclaves à bord. il a été conduit aux Keys, petites îles dans le voisinage de St. Thomas où l’on a vendu la cargaison sur le pied de 40 dollars par tête. Le navire se nomme le protée. Depuis, il a été rendu à son Capitaine, après la vente de la cargaison: je l’ai vu à la Pointe-à-Pitre, et j’ai su, en outre, qu’il est consigné à un nommé M. Rézel.

«Une partie de ces esclaves a été amenée à la Martinique par un autre corsaire qui les a vendus à raison de 85 dollars par tête. Soixante d’entre ces derniers ont été mis à la disposition de M. Delisle de la Pointe-à-Pitre.

«Le 20 Octobre, une nouvelle vente de Noirs a eu lieu à Gozier, petit bourg situé à l’entrée du Hâvre de la Pointe-à-Pitre. On soupçonne qu’ils composaient la cargaison de la Thétis qui, quelques jours auparavant, était entrée en lest à la Pointe-à-Pitre.

«Tous les navires que je vous ai auparavant cités comme appartenant ou consignés à MM. Segond, ont été frétés de nouveau et ont mis à la voile pour l’Afrique, en Février dernier ou quelque temps après. La Thétis dont je viens de vous parler est, je crois, du nombre de ceux au sujet desquels je vous ai fait alors parvenir des informations. Tous les autres sont de retour de leur voyage, avec les mêmes résultats que la Thétis, excepte le brick de Fox qui n’est pas encore revenu. Le 29 Octobre, l’Adèle Aimée, Capitaine Bouffier, débarqua 209 africains. La cargaison se composait originairement de 217, mais il en était mort 8 dans la traversée. Ces esclaves furent vendus à St. François. Ils ont dû produire environ 3000 livres de France, ou 150 livres sterling, l’un dans l’autre. L’Adèle Aimée arriva à la Pointe-à-Pitre avant cette vente, après une absence de plusieurs mois employés, comme tout le monde le savait, à se procurer des esclaves. Ce navire appartient à MM. Segond. Le 3 Novembre, la goëlette l’Atalante, Capitaine Boulemère, arriva à la Pointe-à-Pitre. Elle toucha également à St. François; mais, comme elle appartenait à la même maison que l’Adèle Aimée, et, comme cette dernière venait de vendre, depuis peu, toute sa cargaison, à St. François, les propriétaires voulant d’ailleurs éviter aux planteurs qui habitent sur les côtes de la Guadeloupe la peine de se rendre aux anses de Grand Terre, se déterminèrent à choisir St. Marie Capisterre pour débarquer et vendre leur cargaison. Le débarquement fut donc effectué pendant la nuit qui avait précédé l’arrivée de l’Atalante à la Pointe-à-Pitre, et le dimanche suivant la vente eut lieu. Le nombre d’esclaves, au commencement du voyage, était de 210; treize étants morts, il n’en fut mis à terre que 197. Le 18 du même mois, la goëlette l’Eugénie, Capitaine Cramponnière, arriva également à la Ppointe-à-Pitre, après avoir débarqué sa cargaison à Capisterre. La vente fut publiée sur-le-champ et eut lieu le 22 suivant. J’ignore le nombre des esclaves que ce navire avait à bord; mais il porte le même tonnage que l’Atalante.

«Si ces navires n’ont pas été saisis avec leurs cargaisons, on ne peut l’attribuer qu’à une connivence du collecteur et des officiers de la douane. Ste Maries est à une si petite distance de la Pointe-à-Pitre, que je ne puis expliquer autrement l’impunité des deux derniers navires. Lorsque l’Atalante a touché St. François, j’en ai été instruit; j’ai su également qu’elle devait effectuer son débarquement à St. Marie; et si j’avais pu compter sur le gouvernement de cette île; j’aurais certainement réussi à faire saisir le navire et les esclaves. Mais de quoi aurait servi une dénonciation de ma part? Elle aurait été préjudiciable à mes intérêts commerciaux dans ce pays, et si elle fût venue à être découverte, elle m’aurait, sans doute, exposé à perdre la vie; ou, à tout autre événement, j’aurais été à jamais exclu de cette île, circonstance qui aurait causé ma ruine; mon malheur n’aurait été, d’ailleurs, d’aucune utilité aux innocentes victimes arrachées de leur pays natal, contre toutes les lois divines et humaines et en violation des décrets de la nation française dont les sujets s’occupent, avec un si funeste succès, à introduire sans cesse, dans cette île, de nouveaux Africains.

«L’Atalante avait pris sa cargaison d’esclaves à Bonny. Quand elle quitta cet endroit, elle y laissa le brigantin le Fox, faisant eau et ayant déjà chargé une partie de sa cargaison. Une chaloupe chargeait également des esclaves à Bonny, dans le même moment que l’Atalante, et arriva également à St. François où elle effectua un débarquement de 100 esclaves. Aussitôt que les navires arrivent à la Pointe-à-Pitre, ils sont vendus. A peine l’Adèle Aimée, l’Atalante et l’Eugénie furent-elles arrivées, que l’on en publia la vente qui eut lieu immédiatement.

«Je joins ici des extraits du Journal politique et commercial de la Pointe-à-Pitre où vous trouverez indiquée l’époque de l’arrivée de ces bâtimens. Une de ces publications, ci-incluse, vous prouvera combien la vente de l’Eugénie a suivi de près son arrivée. Je n’ai pas cru qu’il fût nécessaire de charger le port de cet envoi, en y joignant toutes les publication de vente des autres navires. Une seule suffira pour vous prouver la vérité des détails que je vous transmets à cet égard. (*)

(*). Voici l’une de ces publications de vente. – «Vente publique. Mercredi prochain, 22 du courant, il sera procédé devant le magasin de MM. Victor Blancé et Comp. à 11 heures du matin, à la vente publique de la goëlette l’Eugénie, telle qu’elle se poursuit et comporte, sans aucune réclamation quelconque. Les conditions de la vente sont de payer comptant, et ce, avant la mise en possession de l’adjudicataire, et en cas d’inexécution, la goëlette sera recriée, le lendemain, à sa folle enchère.

«Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, le 18 Novembre 1820.»

«Peut-être désirez-vous savoir pourquoi les navires sont vendus immédiatement après leur arrivée, et pourquoi le nom de MM. Segond est si souvent mentionné. Vous saurez donc que ces messieurs sont ici, concurremment avec MM. Rancé et compagnie, les chefs d’une compagnie ou association de négriers. Chaque expédition est entreprise au compte d’un certain nombre d’actionnaires. Chacun souscrit pour la somme qu’il veut risquer et retire un bénéfice proportionné à ses avances. L’affaire est alors remise à la conduite des chefs. Le navire est estimé avant son départ pour la Traite, et, à son retour, il est vendu immédiatement, par la voie des enchères. Quand je considère les moyens mis en usage pour ce commerce barbare et anti-chrétien, je ne m’étonne plus de son activité continue; et, en effet, à chaque expédition nouvelle, il est facile de trouver une nouvelle compagnie d’actionnaires, et c’est ainsi qu’on rend les fonds des entreprises inépuisables.

«Dans la matinée du 7 Novembre, environ dix douaniers de la Pointe-à-Pitre, débarquèrent dans ce port. Ils avaient été envoyés, pendant la nuit précédente, au nord de la rivière Sallée, sous prétexte de visiter les différentes anses situées dans cette partie de l’île, mais, en effet pour fournir à MM. Segond la facilité de débarquer des esclaves à la Pointe-à-Pitre même; et effectivement, dans la nuit du 6, 60 de ces infortunés y furent mis à terre pendant l’absence des douaniers. Nul doute que ce ne fût le reste de la cargaison de l’Atalante. Dans les soirées des 18, 19 et 20 Novembre, les officiers de la douane étaient au nord de l’île à l’embouchure de la rivière Sallée, occupés à visiter quelques paquebots et quelques bateaux pêcheurs. Vous croyez peut-être qu’ils s’occupaient au sud, à faire passer de Ste. Marie Capisterre à la Pointe-à-Pitre, le reste de la cargaison de l’Eugénie; et l’éloignement des douaniers n’avait pas, probablement d’autre objet. Les faits viennent à l’appui de cette conjecture. Et, en effet, le 20, arriva de Ste. Marie. A peine était-elle près du quai de MM. Segond, que le signal du débarquement fut donné par un coup de pistolet; c’est alors que 22 malheureux Africains furent débarqués et conduits un à un comme des criminels, aux magasins de MM. Segond. Après qu’ils eurent été tous mis à terre, on tira un second coup de pistolet, et, à ce signal, l’officier de la douane vint à bord de la chaloupe pour la visiter!!!

«J’ai vu le Capitaine et l’équipage d’un brigantin négrier, lesquels étaient arrivés à Port Louis, venait d’Antigue, dans une petite goëlette. Leur navire et sa cargaison avaient été saisis à l’île d’Antigue. Il paraît qu’ils avaient pris cette dernière pour la Guadeloupe. Ce navire était distiné pour cette île (*). On nomme M. Rancé, comme le propriétaire ou le consignateur.

(*). «Ce doit être la Louise dont nous avons parlé plus haut.

«L’Adèle Aimée chargea ses esclaves au vieux Kalabar situé, comme je m’en suis informé, au sud-est de Bonny. C’est là qu’un chef du pays, appelé Duc Ephraim, fournit des esclaves à l’Adèle Aimée, à raison de 22 à 35 barres par tête. Dans le temps que l’Adèle Aimée était au vieux Kalabar, l’Attalante, l’Eugénie et le brigantin le Fox, tous appartenant à la Guadeloupe, étaient à Bonny. L’Adèle Aimée avait quatre canons à bord, pendant son séjour à la côte d’Afrique, deux desquels, portant six livres de balle, furent vendus au Duc Ephraim qui a fait des offres à MM. Segond pour la continuation de la Traite. En même temps, il envoya à bord un enfant de ses parens, avec un domestique pour le servir, afin de le faire élever à la Guadeloupe. Un navire qui était à Bonny et qui n’avait pu y faire ses affaires, vu l’affluence des bâtimens qui y prenaient des cargaisons d’esclaves, arriva au vieux Kalabar quand l’Adèle Aimée y était encore, et rapporta que le nombre des bâtimens qui étaient en chargement à Bonny, s’élevait jusqu’à 20.

«Les matelots de ce pays éprouvent de grandes tentations de se livrer au commerce des esclaves. Ils reçoivent de 25 à 30 dollars par mois; de sorte que quelques-uns, à leur retour à la Pointe-à-Pitre, touchent jusqu’à 200 dollars qu’on leur paye pour la totalité du voyage. L’Atalante a été de nouveau frétée, et a fait voile de la Pointe-à-Pitre. Nul doute que ce ne soit dans le dessein de continuer la Traite sur la côte d’Afrique. Le capitaine de ce navire, sur le bruit des mauvais traitemens qu’il faisait subir à ses matelots, n’a pu trouver de quoi composer son équipage; mais on dit qu’il doit se rendre à la Martinique, pour le compléter. Son départ est indiqué dans les extraits ci-joints, sous la date du 23 au 30 Novembre. Vous remarquerez que tous ces navires venant d’Afrique, se disent venant en lest de St. Barthelemy.

«Actuellement on est venu au point d’introduire des esclaves dans cette île d’une manière si ouverte, que ceux que MM- Segond ont fait passer de Ste- Marie à la Pointe-à-Pitre, sont employés publiquement à transporter des pierres pour servir à la construction d’un grand édifice commencé dernièrement par ces négocians; et ces messieurs n’ont aucune crainte de les voir saisir. La Louise, goëlette d’une marche supérieure, dont je vous ai parlé dans ma lettre de Février dernier, est reconstruite entièrement à neuf. Elle doit être frétée, m’a-t-on dit, pour la Traite et sera bientôt prête.

«Je ne puis terminer cette communication sans exprimer l’horreur et l’indignation que j’éprouve à vous apprendre que le saint jour du Dimanche est celui qu’on a généralement choisi pour la vente de ces cargaisons humaines, parce que ce jour est celui où les planteurs se réunissent pour se rendre à l’église!!!

«La goëlette l’Atalante est la même que je vous ai mentionnée dans ma lettre de Février dernier sous le nom de la Talente. Cette erreur provient de ce que je n’ai pas bien saisi la vraie orthographe du nom que je n’avais encore qu’entendu prononcer.»

Guadeloupe, 5 Mars 1821.

«En addition à ma dernière communication, sous la date du 13 Décembre dernier, je me vois obligé, à regret, de vous annoncer l’arrivée du brigantin le Fox, de retour des côtes d’Afrique, avec une cargaison d’esclaves, après une absence d’un an. Il a chargé à Bonny, et quand il a quitté cet endroit, il y a laissé 28 navires de tout bord, qui s’y étaient rendus pour acheter des esclaves. J’ai appris que le chef du pays se nomme le Roi Pepper, et que c’est lui qui fournit à Bonny, les cargaisons d’esclaves. Le Fox est arrivé à la hauteur du Port Louis, le 23 du mois dernier, et y est resté jusqu’à ce jour. C’est pendant ce temps qu’a eu lieu le débarquement et la vente de ces malheureux enfans de l’Afrique. A son apparition, ses signaux furent sur-le-champ reconnus par l’agent de MM. Segond qui avaient plusieurs mois d’avance reçu toutes les instructions nécessaires sur son arrivée à Port-Louis. Aussitôt un employé de l’agent fut envoyé pour communiquer avec le Fox qui alors s’approcha et jeta l’ancre à Port lOuis, à deux heures de l’après midi, en présence de tout le peuple et même de l’officier de la douane alors de service: les douaniers, pendant ce temps, avaient quitté la Pointe-à-Pitre et étaient allés à l’embouchure de la rivière Sallée, d’où ils avaient pu voir le brick s’approcher de Port Louis. Cependant le bruit se répandit dans tout le bourg de Port Louis qu’il venait d’arriver un navire négrier. Aussitôt on dépêcha une chaloupe par la rivière Sallée à MM. Segond, à la Pointe-à-Pitre; le Capitaine du Fox s’y rendit lui-même. A neuf heures du soir environ, la chaloupe revint avec la Capitaine et le commis en chef de MM. Segond. Ainsi vous voyez que le Capitaine s’est montré hardiment à la Pointe-à-Pitre, avant que les esclaves ne fussent débarqués. On s’occupa, immédiatement, à concerter les mesures du débarquement de la cargaison: on résolut d’attendre jusqu’à trois heures du matin du jour suivant, afin d’être favorisés par le clair de lune. En conséquence, on loua deux larges canots pour cet objet. Mais le Capitaine étant fatigué et malade, le débarquement ne put commencer à cette heure. Il eut lieu plus tard, et n’était pas encore terminé à sept ou huit heures du Samedi matin, 24 Février. On mit tous les esclaves dans un vieux magasin de Ramboillette (Port Louis), où tout le monde pouvait les voir. J’ai vu l’officier de la douane de service, les aller voir avec les autres. Je me suis également procuré ce cruel spectacle. J’ai voulu me convaincre par mes propres yeux. Je vis environ 300 de ces être infortunés, entassés, sans distinction de sexe, dans le magasin dont j’ai parlé; ils n’avaient d’autre lit que la terre; ils étaient nuds, à l’exception d’un petit nombre d’entre eux qui avaient une pièce d’étoffe qui leur couvrait le milieu du corps. Quelques-uns étaient malades, d’autres offraient l’aspect le plus hideux et l’image de squelettes. Ils sont de la nation d’Eboe, et j’ai appris que le Roi Pepper les a tirés de l’intérieur de l’Afrique. Il les a fournis très-lentement; c’est ce qui a retenu le Fox si long-temps sur la côte. Le chargement se composait d’abord de 328 esclaves; mais il en est mort environ 28, parmi lesquels il en est quelques-uns qui se sont jetés à la mer, dans la persuasion, comme on me l’a dit, qu’ils reverraient, par ce moyen, leur chère patrie. Ceux qui ont été débarqués devaient se monter à 300, parce que, quelques-uns étant morts depuis le débarquement, la vente se composait encore de 294. Des circulaires ont été expédiée aux divers planteurs qui demeurent dans la Grande Terre, ou sur les côtes de la Guadeloupe, à l’effet de les inviter à le vente qui a eu lieu hier, jour de Dimanche. Il n’y en a que 80 qui n’ont pas été vendus. La vente a dû produire, par tète, environ 3000 livres de France, ou 150 livres sterling l’un dans l’autre. Parmi ceux qui ont été vendus, se trouvaient un grand nombre d’enfans des deux sexes. Le reste a été embarqué aujourd’hui à bord d’une chaloupe qu’on a fait venir de la Pointe-à-Pitre pour cet objet. Je l’ai observée à son départ; elle se dirigeait vers l’occident. J’ai appris qu’elle allait à Porto Rico. Le jour même où elle avait débarqué sa cargaison, le Fox se rendit à la Pointe-à-Pitre. Mais avant qu’il ne mît à la voile, je me rendis à son bord; j’y vis des plateformes élevées, et tout, en un mot, m’indiqua qu’il y avait eu une cargaison d’esclaves. C’est dans cet état que le Fox a dû arriver à la Pointe-à-Pitre. Là, il a été mis en vente et adjugé au plus haut enchérisseur, le 1er. de ce mois, comme cela se pratique à la Pointe-à-Pitre pour les autres navires négriers, afin de clore le compte des actionnaires intéressés dans le voyage.

«La Louise dont je vous ai annoncé le prochain départ, a mis depuis à la voile. C’est un excellent voilier. L’Eugénie a également mis de nouveau à la voile. On m’a dit, et je le crois, que ces navires destinés pour la Traite, se fournissaient d’armes et de munitions à l’arsenal public de la Pointe-à-Pitre. Tous partent armés. Remarquez qu’il n’y a point de magasins particuliers où l’on puisse se fournir d’armes et de munitions. Pour ce qui est des détails que je viens de vous donner sur l’arrivée du Fox, ils ne reposent pas sur des rapports vagues, ou sur la croyance générale; je n’ai rien avance que je n’aie vu moi-même.»

«Il serait doué d’une âme bien froide et bien insensible celui qui, à ma place, n’eût pas été pénétré d’horreur et d’indignation. Quand je considère que le Roi de France a signé des traités solennels et promulgué de solennels décrets contre cet odieux commerce, tandis que des sujets Français n’ont pas honte de le continuer, avec le succès le plus scandaleux, je ne puis m’empêcher de gémir sur cet acte d’iniquité, sur cette violence ouverte d’un traité auguste et sacré. Ah! je n’en doute pas, si le Roi ou ses ministres avaient été présens au débarquement du Fox, des larmes de compassion auraient coulé de leurs yeux, à moins qu’ils n’eussent déjà visité les colonies et que les préjugés barbares des colons ne les eussent rendus sourds à la vois de l’humanité, à moins encore qu’ils ne fussent pas convaincus de cette vérité, que les Africains sont nos frères. L’âme de notre auguste Monarque aurait été frappée d’un douloureux étonnement, s’il avait été témoin d’un semblable spectacle, s’il avait pu voir des officiers préposés par lui, encourager et faciliter l’introduction des Africains à la Guadeloupe.

«Pour moi, je pense que la manière dont on introduit actuellement les esclaves à la Guadeloupe est, beaucoup plus favorable aux intérêts des négriers, que ne le serait une introduction permise par les lois. Dans l’état actuel des choses, les dépenses qu’ils sont obligés de faire pour se ménager leur sécurité, ne s’élèvent pas à plus de 600 dollars par chaque navire; tandis que, dans l’autre hypothèse, nul doute qu’on ne leur imposât une forte taxe. Ne l’élevons qu’à cinq pour cent: sur ce pied là, le Fox, en n’évaluant ses esclaves qu’à 100 livres sterling par tête, l’un dans l’autre, aurait été imposé à 147′ livres, ou 3266 dollars, pour le montant de sa cargaison.»

Tel est le récit d’un homme qui a été témoin oculaire de la plupart des faits qu’il raconte. Et ici, on ne doit pas oublier, que la Guadeloupe a été cédée à la France par la Suède, sous la médiation de ce pays et sous la condition avec laquelle la Suède l’avait, elle-même reçue de la Grande-Bretagne, savoir que la Traite des esclaves y serait entièrement abolie. On avouera que cette condition semble avoir été violée d’une manière assez flagrante.

Avant de terminer ces observations déjà si étendues au sujet de cette liste et des diverses poursuites, condamnations, etc. le Comité observera qu’elle est loin de comprendre tous les navires qui, à diverses époques, ont été signalés au gouvernement français, comme se livrant à la Traite.

La pièce alléguée ensuite dans la note du Duc de Cazes est le rapport du Baron de Mackau, envoyé au Sénégal en Septembre 1819, à l’effet de s’assurer de la vérité des imputations adressées à cette colonie, relativement à la Traite; rapport qui fera voir, au dire de la note, que «TOUS les vaisseaux indiqués comme s’étant effectivement livrés à la Traite, depuis le mois de Janvier 1817, avaient été ou poursuivis, ou condamnés, par suite des dispositions prohibitives de la Traite des Noirs

Au reste, ce rapport attribué au Baron de Mackau, n’est point le rapport adressé par M. de Mackau au ministre de la marine, mais bien le rapport du ministre rédigé d’après les communications de cet officier. Il eût été, sans doute, plus satisfaisant d’avoir, dans cette circonstance, les communications mêmes.

On lit dans ce rapport: «M. le Baron de Mackau est remonté à l’origine de chaque fait, et il a trouvé vrais la plupart de ceux rapportés dans un imprimé publié en Angleterre, et ayant pour titre, Exposé des faits relatifs à la Traite des Noirs, dans le voisinage du Sénégal. Ainsi il est démontré que les navires de la Reine Caroline, l’Elisa, l’Astrée, le Sylphe, le Zephir, une autre Elisa, la Marie, ont enlevé des Noirs au Sénégal, du 25 Janvier 1817 au 15 Juillet 1818; qu’à Gorée, particulièrement, on s’est livré à ce commerce avec une ardeur et une publicité très-remarquables; que quelques agens subalternes de l’administration avaient mérité, et ont justifié depuis, les dénonciations qui ont pesé sur eux.

Croira-t-on que le rapport qui contient de telles concessions, renferme aussi les passages suivans? «Le Baron de Mackau est resté plus de trois mois au Sénégal; il a mis toute son attention à bien juger de chaque chose. Comme il plaçait, dit-on, son honneur à dire la vérité, ou du moins ce qui lui paraît vrai, il a vu les naturels et leurs chefs; il a passé des journées entières dans leurs villages et dans leurs cases; et il déclare positivement n’avoir trouvé, nulle part, aucune trace des enlèvemens des Noirs, non plus que des dévastations et des horreurs décrites comme ayant eu lieu presqu’immédiatement après le mois de janvier 1817, dans le 13eme. Rapport des Directeurs de l’Institution Africaine, cité dans la 8eme. livraison de la Minerve. Heureusement, dit-il, tous les faits qui figurent dans ce tableau sont controuvés. Les accusations reproduites sous tant de formes, répétées dans tant d’écrits, que la Traite des Noirs avait été, non-seulement tolérée, mais encore encouragée au Sénégal, en 1817 et 1818, que l’autorité en tirait un lucre détestable, que des captiveries avaient été publiquement établies à St. Louis, que 1500 esclaves y étaient à la chaîne, dans les derniers mois de 1818, ne sont, aux yeux de M. le Baron de Mackau, que d’odieuses calomnies inventées par la passion et accréditées par une fâcheuse imprudence.»

Il est difficile de comprendre comment le ministre aurait pu faire pour concilier ces deux passages contradictoires contenus dans le même rapport. Le Comité est d’opinion qu’ils sont inconciliables. Quelques observations suffiront pour le prouver.

1º. «L’Exposé des faits» que la Baron de Mackau convient être vrai, en grande partie, contient tous les faits relatifs au Sénegal que renferme pareillement le 13eme. Rapport de l’Institution Africaine qu’on taxe néanmoins de fausseté. Cependant si l’un est vrai, l’autre doit l’être également. En faisant cette remarque, le Comité observe qu’il a eu sous les yeux les deux ouvrages.

2º. Le Baron déclare qu’il n’a trouvé aucune trace des enlèvemens des Noirs, non plus que des dévastations commises en 1817 et 1818, c’est-à-dire, deux ou trois années avant son arrivée au Sénégal. Mais comment aurait-il pu en trouver? Comment, en 1820 pouvait-il trouver des traces des dévastations et des atrocités commises si longtemps auparavant? Les malheureuses victimes de ces cruautés n’étaient plus là pour raconter leurs souffrances; elles avaient traversé l’océan et travaillent sans doute alors sous le fouet des planteurs des Indes occidentales. Les pluies d’une seule saison avaient suffi pour faire disparaître le sang des victimes, et les traces des embrasemens; et la nature indulgente et prodigue envers ces brûlans climats, avait jeté son manteau de verdure sur les blessures de l’Afrique et les crimes de l’Europe.

3º. Si le rapport du Baron de Mackau est digne de foi, ces navires dont il affirme, comme une chose avérée, qu’ils faisaient leurs chargemens d’esclaves au Sénégal, où se procuraient-ils donc leurs cargaisons? Qui fournissait, par exemple, aux cargaisons de chair humaine de la Reine Caroline, des deux Elisa, de l’Astrée, du Sylphe, du Zephir, de la Marie et de beaucoup d’autres qu’on aurait pu ajouter à cette fatale liste? Et ces marchands de Gorée, dont il est dit qu’ils surpassaient de beaucoup les négriers du Sénégal par l’ardeur et la publicité qu’ils apportaient à cet odieux commerce, d’où tiraient-ils leurs approvisionnemens d’esclaves? Croira-t-on, comme le suppose le rapport, qu’ils les obtenaient sans violence et sans fraude, sans dévastations et sans ravages, sans meurtres et sans incendies? Nul assurément ne le croira. Ce sont là les moyens, les grands moyens de la Traite; et le Baron de Mackau a prouvé, tout à la fois, et son ignorance de ce sujet et son excès de crédulité, lorsqu’en convenant que la Traite avait été exercée avec une grande activité à Gorée et au Sénégal, pendant les années 1817 et 1818, il a prétendu qu’elle n’a entraîné à sa suite aucune des horreurs et des dévastations décrites dans le 13ème Rapport de l’Institution Africaine. Le Baron de Mackau a été induit aussi grossièrement en erreur, dans cette circonstance, que l’a été le ministère français dans tant d’autres.

4º. mais le Rapport nie qu’il y ait des entrepôts d’esclaves établis à St. Louis. Ici le Rapport est en contradiction formelle avec le ministre de la marine, ou plutôt le ministre, auteur du Rapport, est en contradiction avec lui-même. Car, il a confirmé le Rapport fait par M. Courvoisier à la chambre des députés, en Juin 1820, au sujet de la pétition de M. Morénas. Ce rapport, ainsi confirmé par le ministre, établit que les habitans du Sénégal non-seulement pouvaient se livrer, mais se livraient effectivement à l’achat d’autant de Noirs qu’il leur plaisait, qu’ils tiraient de l’intérieur, réduisaient en esclavage et renfermaient dans les négreries; et ce même Rapport leur reconnaît le droit d’en agir ainsi. Voici les termes employés à cette occasion: «On les vend, on les achète, sans violer la loi. Les négreries de St. Louis n’ont pu être détruites.» Mais ces négreries pour lesquelles le ministre de la marine a montré tant de tendresse et d’indulgence, quand est-ce qu’elles ont été construites? Elles n’existaient pas au mois de Janvier 1817, avant la cession de la colonie à la France. Ce n’est que depuis qu’elles ont été établies; et quel autre motif que celui de la Traite aurait pu présider à leur établissement?

5º. Le Baron de Mackau nie que la Traite ait été encouragée, ou même tolérée par les autorités du Sénégal. Cette accusation n’est, selon lui, qu’une infâme calomnie; il affirme que ces messieurs n’ont cessé de lutter contre la Traite et qu’ils ont déployé une grande vigueur dans les efforts qu’ils ont faits pour prévenir les infractions dont on se plaint. Cependant, si nous consultons le témoignage de M. le Baron de Mackau lui-même, il en résultera que la Traite a eu une grande activité à Gorée et au Sénégal: d’un autre côté, si nous consultons le rapport de M. Courvoisier, confirmé par le ministre de la marine, nous en tirerons encore la même conclusion. Comment concilier de tels faits avec ce grand zèle déployé par les autorités de la colonie? On ne doit pas oublier que Gorée et le Sénégal ne sont que des établissemens peu considérables, où il ne peut se faire aucune opération qui ne soit à l’instant connue de quiconque veut la connaître, et qu’il est impossible, conséquemment, de dérober à la connaissance du gouverneur, aucune exportation d’esclaves. Comment se fait-il que les gouverneurs anglais qui ont précédé M. Schmaltz et M. Fleurieu, tels que les Colonels Maxwell et Mac Carthy, ainsi que les Colonels Breton et Chisholm, ont réussi à arrêter la Traite pendant le cours de leur administration. Sans doute, parce qu’ils en avaient le désir. Que MM. Schmaltz et Fleurieu produisent, s’ils le peuvent, les preuves des efforts qu’ils ont faits pour s’opposer à ce commerce, depuis le mois de Janvier 1817, jusqu’au mois de Mai 1818, espace dans lequel on s’est livré à ce commerce, suivant le rapport même de M. le Baron de Mackau, leur avocat et leur ami.» Qu’ils produisent les mesures qu’ils ont prises, les ordres ou proclamations qu’ils ont émis, les actes des saisies et poursuites qu’ils ont ordonnées, les plaintes qu’ils ont adressées au ministre de la marine, les demandes qu’ils ont faites pour obtenir des croisières ou une extension de pouvoirs, si ceux qui leur étaient attribués étaient reconnus insuffisans. Tant que rien de tout cela ne sera produit, et rien de tout cela n’a été produit encore, ces éloges des autorités du Sénégal seront appréciées à leur juste valeur.

6º. Pour mieux prouver encore la fausseté des allégations justificatives du Baron de Mackau, ou plutôt du ministre de la marine interprétant le Baron de Mackau, nous produirons le témoignage décisif de témoins oculaires respectables et dignes de foi. Il ne sera pas nécessaire de donner en détail le témoignage de M. Morenas, contenu dans ses pétitions adressées à la chambre des députés. Toute la France le connaît. Nous ajouterons à ce témoignage celui de M. Giudicelli, préfet apostolique du Sénégal, qui a certifié, sur sa conviction personnelle, la vérité des faits contenus dans les pétitions de M. Morenas, et qui, dans une brochure publiée sous son nom, et dans laquelle il offre de prouver ses allégations devant les tribunaux, affirme que, sous l’administration de MM. Schmaltz et Fleurieu, l’exécrable commerce de chair humaine a été exercé à Gorée et au Sénégal avec la plus grande publicité. «J’ai vu moi-même, dit-il, embarquer par centaines, soit à Gorée, soit à St. Louis, des malheureux noirs destinés pour l’Amérique.» – «La pétition de M. Morenas,» dit-il ensuite, «est si peu dénuée de fondement, que je m’offre d’y ajouter plusieurs autres faits pour convaincre les incrédules. M. Morenas a dit, par exemple, qu’une cargaison d’esclaves est partie, le jour de la St. Louis, du quai de la maison Potin. je puis ajouter que deux malheureux noirs qui avaient servi à table pendant le repas que le gouverneur donna à cette occasion, furent enlevés de l’office et embarqués, à la connaissance de plusieurs personnes. Voici également quelques détails sur le massacre que M. Morenas dit avoir eu lieu dans le village Diaman. Le désir de m’instruire me conduisit dans la maison d’un indigène, voisine de la mienne, où l’on avait acheté une femme de vingt ans, capturée à cette occasion. J’appris d’elle que, n’ayant pu fuir, à cause d’une blessure au pied, les maures l’avaient faite esclave; que, son mari étant à la chasse depuis huit jours, sa fille aînée avait été sauvée par sa grand’mère; que son grand’père était mort en défendant le village, et que les Maures, en arrêtant cette malheureuse avaient poignardé dans ses bras un enfant de cinq mois. cette négresse souffrait beaucoup de mes questions, et je ne parvins qu’avec peine à lui faire accepter un petit secours. Il fallut lui répéter souvent, peut-être sans la convaincre, que tous les blancs ne se ressemblaient pas et que le plus grand nombre détestaient de pareilles horreurs. Pourquoi donc, s’écriait-elle avec vivacité en fondant en larmes, ne les empêchent-ils pas?

«La destruction du village Diaman, fut le signal des plus horribles excès dont à peine j’aurais osé soupçonner des cannibales. Sur le Sénégal, dans les rues de la colonies, comme dans les campagnes environnantes, tout noir inconnu et sans protection, était arrêté, vendu et embarqué. Combien de fois n’ai-je pas entendu les cris des infortunés qui se débattaient, pendant la nuit, contre leurs ravisseurs?

«Dans le commencement de l’année 1818, le roi Damel vint camper, avec environ 3,000 hommes de cavalerie et infanterie, et mille maures, au village de Gandiole, à trois lieues de St. Louis. J’allai voir ce barbare qui, pendant six mois de la même année, a parcouru les différentes parties de son royaume en y mettant le feu, l’incendie et la mort. A qui a-t-il vendu ceux de ses sujets qu’il a faits esclaves par milliers? Tous sont partis du Sénégal ou de Gorée pour l’Amérique.

«Enfin, en 1817 et 1818, employés ou non, tous ou presque tous ont fait la Traite au Sénégal, et j’ai vu journellement des malheureux noirs pouvant à peine se traîner sous le poids de leurs fers, se promenant ou plutôt chancellant dans les rues, pour respirer quelques instans un air moins empesté que celui des captiveries.

«A cette époque, il y avait dans la colonie plus de 2000 esclaves destinés à être embarqués pour l’Amérique; et ils le furent, en effet, après le retour de M. Schmaltz.»

7º. Le ministre de la marine affirme à Lord Castlereagh que, dans le temps où M. de Mackau a quitté le Sénégal, c’est-à-dire vers la fin de janvier 1820, la Traite était généralement abandonnée, à l’exception de quelques individus qui n’attendaient qu’une administration moins sévère pour renouveler ce coupable commerce. Entr’autres faits, la saisie faite à Antigue, en Octobre dernier, du négrier français la Louise, revenant du Sénégal avec une cargaison d’esclaves, prouve combien cette assurance est peu fondée.

Le ministre de la marine, dans une note d’Avril 1820, si souvent mentionnée, a fait à notre gouvernement la promesse d’une nouvelle loi relative à la Traite. Mais bien qu’un an se soit écoulé depuis que cette promesse a été faite, elle n’a point encore été remplie, et rien n’annonce encore au Comité qu’on se prépare à la remplir. Ce ministre informa en même temps Lord Castlereagh que certains agens subalternes du gouvernement français avaient pris part à la Traite, que l’un d’eux avait été mis à la pension de retraite et que les autres seraient éloignés du service, (sans doute aussi avec la pension de retraite, ainsi, du moins, le présume le Comité). Voilà donc des fonctionnaires publics, coupables du crime atroce d’avoir fait la Traite, crime rendu doublement atroce par la violation des devoirs qui leur étaient imposés, à cet égard, comme fonctionnaires, et pour toute punition, ces hommes sont éloignés du climat pestilentiel du Sénégal, pour aller, avec une pension de retraite, respirer l’air salubre de la France!

On se souvient que le Baron de Mackau avoue qu’il lui a été démonstrativement prouvé que certains navires qu’il nomme, se sont livrés à la Traite et ont pris des cargaisons d’esclaves au Sénégal. A ce sujet, le ministre de la marine observe qu’il a inséré leurs noms dans le tableau des diligences, poursuites, instances et condamnations. C’est une chose curieuse que d’observer la place qu’ils occupent dans ce tableau. Comme leur culpabilité a paru évidente à M. le Baron de Mackau et, on doit le présumer, au ministre de la marine lui-même, il peut paraître étonnant de n’y rencontrer aucune trace de leur punition.

Pour ce qui est de la Reine Caroline, de l’Astrée et du Sylphe, le tableau nous apprend qu’ils ont été acquittés! Acquittés!… eux dont la culpabilité est établie d’une manière si évidente dans le rapport de M. le Baron! L’un des deux Eliza n’est point mentionnée du tout. Quant à l’autre Eliza et au Zéphir, le tableau porte qu’il a été écrit à Bordeaux et au gouverneur du Sénégal, et que, d’après les réponses, il n’a été fait aucune poursuite, attendu qu’il ne se trouve aucun indice de contravention. pour la Marie, son enquête n’est point encore finie. Et cependant, nous ne nous lasserons pas de le répéter, ce sont ces mêmes navires qui, à la connaissance de M. le Baron de Mackau, ont transporté des esclaves du Sénégal aux Indes occidentales, et cet officier avoue que leur culpabilité lui est démontrée! Au reste, l’impunité de ces navires, dans de telles circonstances, fournit une nouvelle preuve des soins, du zèle et de l’activité déployées, dans toutes ces poursuites, par les autorités françaises des Antilles!

Le Duc de Cazes parle du zèle non équivoque déployé par le général Milius, gouverneur de l’île Bourbon, contre les auteurs et fauteurs de la Traite; et ici le Comité se félicite franchement de pouvoir se joindre à son Excellence dans les éloges qu’il donne à ce digne officier dont le nom mérite d’être inscrit parmi ceux des plus ardens amis des Africains opprimés. Toute sa correspondance montre un esprit pénétré d’horreur pour la Traite, et juste appréciateur des maux affreux qu’elle engendre. Sur la proposition du Général Darling, gouverneur de l’île Maurice, il a, sur-le-champ, accédé à un arrangement en vertu duquel le transport d’armes et de munitions, de Maurice et Bourbon à Madagascar, est prohibé, et cela, dans la vue de diminuer les causes et les instrumens de ces guerres funestes entre les noirs, qui servent à alimenter la Traite. Il a, en outre, donné une autre preuve honorable de son sincère attachement aux principes de l’humanité, en proposant que les vaisseaux de guerre des deux pays pussent se considérer comme autorisés à détenir réciproquement les navires sur lesquels ils trouveraient des esclaves, jusqu’à ce que les deux gouvernemens aient pris des arrangemens à ce sujet. A cette proposition qui porte l’empreinte du noble caractère du Général Milius, le Général Darling a cru devoir répondre de la manière suivante:

«Je désirerais sincèrement pouvoir adopter la proposition de Votre Excellence, relativement au droit de visite mutuelle, exercé par les vaisseaux de guerre des deux nations, sur les navires soupçonnés de se livrer à la Traite; mais je dois faire observer à Votre Excellence, qu’en faisant cette proposition, elle n’a pas remarqué qu’une proposition semblable avait été soumise à Paris par le ministère britannique, et repoussée par le gouvernement français. J’ai donc cru devoir porter cette circonstance à la connaissance de Votre Excellence, d’autant plus qu’admirateur du zèle généreux que déploie Votre Excellence dans la cause des noirs et de l’humanité, je regretterais vivement d’avoir contribué à vous faire adopter une mesure que votre gouvernement n’est probablement pas disposé à approuver. J’ai l’espoir que la franchise avec laquelle j’ai instruit Votre Excellence de ce fait, contribuera à cimenter, de plus en plus, la confiance que je me réjouis et que je m’honore de voir régner entre Votre Excellence et moi.»

Nous avons dit plus haut qu’un navire négrier, sous pavillon anglais, nommé la Favorite, avait été condamné à l’île Bourbon. La correspondance qui a eu lieu, à cette occasion, entre les autorités de cette île et celles de l’île Maurice, ne doit laisser aucun doute, comme nous l’avons déjà observé, que le navire ne soit de propriété française. Dans tout le cours de cette affaire, ainsi que dans tous les actes de son administration, le gouverneur de l’île Bourbon a continué de manifester l’excellent esprit qui l’anime. Nous en trouvons encore la preuve dans une autre affaire dont les détails sont horribles à décrire, et dont le sujet est un acte de piraterie du genre de ceux que fait naître à chaque instant la Traite. Nous extrayons les passages suivans du rapport adressés au ministre de la marine par le Général Milius:

Après avoir observé que «ces excursions barbares que les négriers font si continuellement à Bourbon, malgré l’extrême sévérité qu’il montre pour s’y opposer, se renouvellent aussi souvent à Maurice, mais avec des circonstances plus atroces,» il continue en informant Son Excellence qu’il a été invité par le gouverneur de Maurice à lui livrer un coupable nommé Lemoine, dont la conduite, ajoute-t-il, «confirme les observations que j’ai déjà eu, tant de fois, l’occasion d’adresser à Votre Excellence, sur la dureté, la cupidité et la barbarie de tous ceux qui se livrent au commerce des esclaves.» Il ajoute que ses recherches ont été inutiles. Les faits sont établis par le Général Milius de la manière suivante:

«En septembre dernier, le sieur Lemoine, capitaine et armateur de la goëlette l’Espoir ou la Bamboche, était parti de Maurice sous pavillon anglais, et s’était dirigé sur les côtes de Madagascar et de Mozambique. Il rencontra en route un navire portugais, chargé de noirs et de poudre d’or; l’avidité, l’amour du gain, s’emparèrent de son âme; il s’élança sur le bâtiment portugais et tua d’abord le maître d’équipage, à coups de fusils. Arrivé à l’abordage, il s’empara bientôt du navire qu’il attaquait, et ses premières questions s’adressèrent à un colonel portugais âgé de 50 ans, auquel il demanda où était l’argent et la poudre d’or. Après ce court interrogatoire, Lemoine se dérangea à dessein, et le nommé Reineur qui se trouvait derrière lui, fit sauter la cervelle du malheureux colonel, à l’aide d’un pistolet. mais ce crime ne suffisait point à leur malheureuse cruauté. Le capitaine du bâtiment qui venait d’être pris, effrayé de la rapidité de ces massacres, se jeta à la mer, pour chercher un salut contre la mort: Vaine espérance! la rage de Lemoine et de ses satellites n’était pas satisfaite. Ils le poursuivirent dans un canot, et, l’ayant bientôt atteint, lui déchargèrent un coup de sabre sur la tête. L’infortuné, se sentant blessé, s’accrocha fortement pour se soutenir au canot que montaient ses assassins; ils profitèrent de cette erreur du désespoir, et ils eurent la lâche barbarie de lui passer un sabre au travers de la gorge, dont la point sorti par le côte de leur victime. Le cadavre disparut, et ils revinrent à bord fatigués, mais non pas assouvis de meurtres. Ils renfermèrent dans la cale les matelots portugais, et, après avoir enlevé la riche cargaison, ils sabotèrent le navire à la flottaison et le firent couler avec les prisonniers qu’ils avaient enfermés…»

«J’avoue, Monseigneur, que ces actes horribles de cruauté, seraient trop pénibles à raconter s’il n’était pas extrêmement rare de les voir accompagnés de circonstances aussi affreuses.

«Après cette infâme expédition, Lemoine se rendit à Mahé d’où il partit, peu de temps après, pour retourner à Maurice, en laissant au nommé Basset, son second, le commandement de la goëlette restée aux Seychelles.

«De retour à l’île de France, Lemoine donna ordre à Basset de vendre son navire à Mahé; cela fut exécuté par l’entremise du juge de l’Amirauté; mais, lorsque Basset réclama le montant de cette vente, les indiscrétions de son équipage avaient donné lieu à des soupçons; le bruit de leurs assassinats s’était, généralement répandu, et Basset fut arrêté. Ayant obtenu des aveux du coupable, les preuves les plus authentiques du crime qui avait été commis, de complicité avec Lemoine et les matelots de la goëlette l’Espoir, le commandant des Seychelles les envoya à la cour supérieure de l’île Maurice, où leur affaire s’instruit en ce moment.

«Mais la justice ne sera qu’à demi satisfaite; le premier coupable s’est échappé, et tout fait présumer qu’il a quitté les deux colonies.

Voilà Monseigneur, la narration fidèle des horreurs commises par un traitant. Voilà jusqu’où le délire de la cupidité peut porter ceux qui trafiquent ainsi du sang humain. Je n’ajouterai pas une seule réflexion; le coeur et la pensée de Votre Excellence feront la conclusion de cette lettre.»

La conduite du général Milius forme un éclatant contraste avec celle de tant de Français qui n’ont pas craint de se mettre en opposition avec le voeu déclaré de leur Roi et le génie bienfaisant et philantropique de la généreuse nation française. Nul ne peut lire les détails que nous venons de donner, relativement à l’exercice de la Traite par des sujets français sans se voir forcé d’avouer, quoiqu’à regret, que toutes les stipulations de la France, à ce sujet, sont comme non avenues. Et, en effet, ces stipulations ont été si honteusement violées, avec une si coupable persévérance, d’une manière si flagrante et si impunie, qu’il est difficile de concilier de tels faits avec la bonne foi du gouvernement français, à moins de supposer qu’un systême de déception ingénieusement fabriqué, a été mis en oeuvre par les marchands de sang humain, de concert avec quelques sous-fonctionnaires avides et sans principes, qui y ont trouvé une combinaison utile à leurs intérêts.»

   Le Duc de Cazes, ou plutôt le ministre de la marine, (le Duc n’étant ici envers notre gouvernement de l’interpréte de ce ministre), termine sa note en observant que le gouvernement français a donné des ordres pour encourager au Sénégal un système d’engagemens volontaires des Africains, et a recommandé de se régler, à cet égard, sur ce qui se pratique à Sierra Léone. Mais, de quel système d’engagemens volontaires veut-on parler? Si ce système consiste à transporter les Noirs dans les Indes occidentales, rien de semblable certes, n’existe à Sierra Léone, et ce systême n’est que la Traite, déguisée sous un terme plus doux. Si, par là, on veut entendre un travail volontaire à Gorée et au Sénégal, le véritable, le seul moyen de réussir est d’abolir dans ces établissemens, à l’exemple de Sierra Léone, l’atroce coutume de trafiquer de ses semblables. Voilà par où il faut commencer à imiter Sierra Léone. Tout autre expédient serait inutile, sans cette condition préalable.

   Quant aux mesures à prendre pour rendre plus efficace le système de croisière adopté par la France, les épreuves qu’on peut faire à cet égard, ne réclament qu’un espace de temps fort court. Mais en supposant même que la marine française fît tout ce qui est en son pouvoir pour réprimer la Traite, ses efforts seront infructueux encore, tant qu’une loi solennelle ne décrétera pas des peines infâmantes contre les auteurs de cet horrible commerce.

   La nécessité de cette loi déjà été pleinement démontrée. S’il était besoin de nouvelles preuves, nous citerions la pièce suivante prise parmi un grand nombre d’autres semblables qui, depuis peu, ont librement circulé en France. Ce projet coupable dont nous allons donner copie, circulait, imprimé, à Paris et au Hâvre, dans les premiers mois de l’année actuelle.

   «PROSPECTUS d’armement et cargaison au port du Hâvre d’une goëlette d’environ 70 tonneaux, reconnue d’une marche très-supérieure, destinée pour faire sur la côte d’Afrique, sous le commandement du Capitaine Dentu qui en arrive, la Traite d’environ 100 à 105 mulets dont l’introduction aura lieu dans l’une des Antilles. Dans le cas où la cargaison ne pourrait pas completter le nombre des mulets, le Capitaine s’engage à en prendre à frêt, au quart de bénéfice sur la vente de chaque.

«MISE DEHORS»

   Le navire avec ses agrès et apparaux, doublé en cuivre.                             15,000 fr.

   Vivres pour dix mois et avances à l’équipage                                                         4,000

   Cargaison.                                                                                                  25.000

   Assurances du capital à 20 pour cent.                                                                    8,800

                                                                                                                      ————-

                                                                                              Total.               52,800 fr.

   La cargaison composée d’après les demandes que les principaux habitans du lieu ont faites au Capitaine, est estimée devoir rapporter un bénéfice de 115 pour cent, qui formerait un capital de 53,750 fr.

«RETOURS PRESUMÉS»

105 mulets, à 550 fr.                                                                                     57.750 fr.

«VENTE DE RETOURS»

   Le navire traitant 105 mulets, on présume qu’on en perdra au plus cinq; surtout quand on emporte de bons vivres et divers rafraîchissemens, choses essentielles au succès du voyage. Il en restera donc au moins 100 qu’on pourrait, en calculant sur la vente de divers autres navires, porter à 550 piastres chaque. Ma, pour mettre tout au plus bas, nous ne les estimerons qu’à 500:

   100 mulets à 500 piastres.                                                                          262.500 fr.

«À DEDUIRE» 

   Mise hors du navire.                                                           52.800 fr.

   Commission du Capitaine, à 10 p. cent                               26.250

   Gratifications, Commissions, etc.                                        12.000

   Décompte et renvoi des équipages.                                     5.000

                                                                                              ———            96.050

   Bénéfice net, le navire restant à vendre.                                                     166.450 fr.

«CONDITIONS DU PRÉSENT PROSPECTUS.

«La somme de 52,800 fr., à laquelle la présente opération doit, approximativement, s’élever, sera divisée en actions de 3000 fr. Chacun des intéressés devra, à la première réquisition, verser le montant des actions pour lesquelles il aura souscrit, aux mains de l’armateur, un tiers comptant, et les deux autres tiers en papier de satisfaction dur le Hâvre, Rouen, ou Paris, à trois mois.

«M. I. Ferrant, comme armateur, aura la direction de l’opération et le choix des agens qui devront y concourir. Il arrêtera avec eux les conditions du voyage. Il donnera aux Capitaine et au correspondant, les instructions qu’il croira nécessaires pour la réussite sans, toutefois, pouvoir été rendu responsable des fautes, malversations, ou toute autre mauvaise fortune.

«L’armateur fera, autant que possible, assurer les capitaines employés à l’opération, pour tous risques, jusqu’à la destination à la colonie, (les retours en France ne devant l’être qu’aux conditions d’usage), par quelques chambres d’assurances, et sur quelques places que ce soit, mais sans en courir aucune responsabilité personnelle. Il sera loisible aux intéressés de faire assurer le montant de la prime de leur intérêt dans cette opération, de manière qu’en cas de sinistre, ils soient entièrement couverts.

«Il est alloué à l’armateur, une commission de deux pour cent sur la mise dehors du navire et sur la cargaison, ainsi que sur les produits bruts de la vente des retours en France, et ce, indépendamment de celle allouée au consignataire dans le cas où, par un événement ou cause quelconque, le navire relâcherait dans tout autre port de mer. Il percevra, en outre, deux pour cent de ducroir pour les ventes à terme, et 1/2 pour cent sur les sommes qu’il aurait fait assurer.

«Les comptes d’armement et de cargaison seront remis aux intéressés un mois après le départ du navire. Ceux de vente, ainsi que les produits nets de l’opération, un mois après la vente finale des retours qui seront effectués, autant que possible, par le capitaine, sur tous navires en destination pour le Hâvre, et au frêt le plus doux qu’il se pourra.

«Aussitôt l’arrivée du navire aux diverses destinations où il doit se rendre, l’armateur en préviendra les intéressés ainsi que de celle des retours dont il poursuivra la vente, s’il juge le moment opportun, ou s’il le trouvait défavorable, il en ferait part aux intéressés du Hâvre ou qui y seront représentés, et l’avis de la majorité décidera s’il faut y procéder de suite, ou l’ajourner.

«Le présent ne deviendra obligatoire que dans le cas où l’armateur ne trouverait à remplir la moitié au moins des actions formant le montant de l’opération.

«Les conditions ci-dessus, convenues entre MM. les armateurs et les intéressés, seront exécutées, de bonne foi, aux lois ou réglemens qui pourraient y être contraires. En cas de contestation, elles seront respectivement soumises par les parties à des arbitres choisis parmi les négocians de la place. Ils auront la faculté de s’adjoindre un tiers, en cas de partage d’opinion.»

Voici aussi la copie d’une lettre d’une maison de commerce de Nantes, qui ne prouve que trop clairement la déplorable étendue qu’a acquise la Traite française. Elle porte la date du 18 Février 1821.

         «MONSIEUR,

«Ayant resté, plus de vingt années, attaché à l’ancienne et respectable maison Barthélemy Duchesne et Compagnie de votre ville, où j’ai eu l’avantage de faire votre connaissance personnelle et de me pénétrer du plaisir que mes anciens patrons avaient éprouvé en rétablissant des rapports avec vous, comme il me serait également agréable d’en voir naître entre nous, je me fais un devoir de vous donner avis qu’ayant fixé ma résidence à Nantes, par suite de la dissolution totale de la susdite maison, je viens d’y former un établissement sous mon privé nom, et, en conséquence, j’ai l’honneur de vous faire part que je dispose en ce moment une expédition pour la côte d’Afrique.

«Désirant vous y faire participer et vous avoir pour co-intéressé, je vous détaille ci-après mon projet, son cours et le résultat qu’il pourra donner. Ainsi que vous le remarquerez par le contenu de la présente, on ne courra d’autre risque que celui de gagner, puisque tout sera assuré.

«Je vous avoue que c’est vraiment tout ce qu’il y a de mieux à entreprendre aujourd’hui. Ces sortes d’expéditions donnent de très-grands avantages, et notre port en offre la preuve par la multiplicité des armemens qui s’y font journellement en destination de la côte d’Afrique.

Mon bâtiment est neuf, d’une marche supérieure et de soixante-dix pieds de tête en tête; c’est un brick, et je doute qu’il y en ait un plus joli en ce port.

«Le prix auquel s’élèvera l’armement n’excédera pas 84,000 fr., et le détail dans lequel je vais entrer, vous convaincra que j’y ai apporté la plus grande attention et la plus sévère économie.

«Ce bâtiment, du port de 145 tonneaux, se nommera la Patite Lilie, et sera commandé par le Capitaine Olivier, homme de son état, connu et recommandable, sous tous les rapports. Je lui donnerai une cargaison de 35,000 fr., et je suis assuré, ainsi que le Capitaine, qu’il sera possible de traiter de 250 à 300 N – qu’on vendrait une fois rendus à plus de 2000 fr., chaque.

«Le navire prêt à prendre son chargement, gréé, équipé, muni d’armes, pourvu de tous recharges nécessaires pour un voyage au long cours, compris avances et oeuvres pour cette opération, ainsi que son doublage en cuivre, artillerie, etc. coûtera 49,000 fr. La cargaison bien assortie, étant de 35,000 fr. l’entier armement s’élèvera à 84,000 fr. Je ferai assurer la totalité de la mise hors, s’il est possible, la prime au sus, afin de couvrir l’entier capital.

«Si vous désirez un Prospectus avec détail, je m’empresserai de vous en faire parvenir un, persuadé que, connaissant bien la délicatesse de ces sortes d’opérations, vous n’en ferez que l’usage le plus discret. Je vous le confierai avec plaisir et sous le sceau de l’amitié.

«S’il entrait dans vos convenances de me charger du soin d’un armement pour votre propre compte ou celui de vos connaissances, je m’engagerais à l’exécuter avec toute le zèle, l’économie et la célérité possibles, ayant, à cet égard, tous les moyens à ma disposition.

«Veuillez, s’il vous plaît, avoir la complaisance de me fixer, le plus promptement possible, sur la somme que vous désirez prendre dans mon expédition, son départ devant avoir lieu avant la fin du mois prochain.

«En attendant votre réponse, je vous offre mes services, en cette ville, pour tout ce qui peut vous être agréable.

«J’ai l’honneur de vous saluer bien sincèrement.

(Signé) «BERTHIER.

P.S. – Il ne me reste plus qu’une douzaine de mille francs à placer. Dites-moi, s’il vous plaît, s’il vous conviendrait de les prendre en totalité ou en partie.»

Pag. 202

   «Bien que le congrès de Vienne ait dénoncé ce commerce comme un crime de l’atrocité la plus noire, bien que toutes les grandes puissances aient exprimé alors leur ferme résolution de mettre fin à cet horrible fléau, il est, néanmoins, notoire que la Traite est encore exercée, aujourd’hui, dans une proportion inconnue jusqu’à ce jour, sous le pavillon et par les sujets de ces mêmes puissances qui avaient concouru à cette déclaration solennelle

Pag. 205

   «En conséquence, nous supplions Sa Majesté, de représenter à la cour de France combien ces actes coupables compromettent sa réputation et son honneur; nous la supplions, également, de vouloir bien renouveler ses tentatives près de cette puissance, pour l’inviter à remplir les engagemens solennels qu’elle a contractés au sujet de la Traite, comme aussi à réaliser la promesse qu’elle a faite récemment d’employer des mesures plus efficaces, et de promulguer de nouvelles dispositions pénales, afin d’empêcher que des sujets français ne continuent, à l’avenir, ce commerce dévastateur.

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