Des caractères physiologiques des Races Humaines…

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La plupart des pays de l’Europe ont envoyé dans des régions lointaines une partie de leur population, où elle est établie depuis un ou plusieurs siècles; et comme un grand nombre de ces colonies est confiné dans des îles où elles sont restées presque sans mélange, on peut y juger de l’influence prolongée du climat. Il y a eu à la vérité un mélange de race plus ou moins étendu avec les esclaves noirs; mais il en est résulté une caste particulière, qui, portant les caractères visibles de son origine, ne peut être confondue avec la population blanche. Celle-ci habite depuis long-temps les régions équatoriales, dans cet extrême de température contre lequel l’industrie de l’homme sait moins le défendre; et quel en a été le résultat? L’Angleterre, la France, l’Espagne, méconnaissent-elles leurs enfants? ou si elles les trouvent un peu hâlés, un peu brunis, plus sensibles au plaisir et moins disposés au mouvement, leur voient-elles des traits différents? paraissent-ils à leurs yeux comme une race étrangère ou altérée? Un colon anglais, français, espagnol, ne porte-t-il pas les caractères propres de la mère-patrie?

Et si quelqu’un avait le tact assez fin pour les distinguer comme colons, il saisirait des nuances si délicates qu’elles échapperaient à la plupart des hommes, et par-là n’auraient aucune importance dans la question qui nous occupe.

Ce sont des observations de cette espèce qui ont d’abord fait une impression profonde sur mon esprit. Elles m’ont donné la preuve que des peuples établis dans des climats différents pouvaient conserver leur type pendant plusieurs siècles.

Mais la vérité n’en est peut-être pas assez évidente, parce que les peuples de la mère-patrie n’ayant pas chacun un type unique, mais plusieurs qui n’ont pas été définis, la comparaison serait difficile et embarrassante. Il se pourrait même que, plus frappé des nuances qui les distinguent que des formes et des proportions qui leur sont communes, on arrivât a une conclusion contraire. Je citerai donc un exemple qui ne laissera pas de doute.

   Les traits des juifs sont tellement caractérisés qu’il est difficile de s’y tromper, et, comme il s’en trouve dans presque tous les pays de l’Europe, il n’est point de figure nationale plus généralement connue et plus reconnaissable. On peut les regarder comme des colonies de même race établies dans ces contrées. Depuis des siècles ils font partie de la population des pays où ils se sont fixés; et s’ils n’ont point participé aux bienfaits du gouvernement, on ne les a pas privés de la liberté d’habiter le même sol, de respirer le même air, de jouir du même soleil. Comme ils ont conservé leur religion, leurs moeurs et leurs usages, qu’ils ont fait peu d’alliances avec les peuples chez lesquels ils demeuraient, il serait difficile de trouver des conditions plus propres à faire ressortir les effets du climat.

   D’abord le climat ne les a pas assimilés aux nations parmi lesquelles ils habitent; et ce qu’il y a de plus important c’est qu’ils se ressemblent tous dans des climats divers. Un juif anglais, français, allemand, italien, espagnol, portugais, est toujours un juif par la figure, quelles que soient les nuances qu’il présente; c’est-à-dire que tous ont les mêmes caractères de formes et de proportions, en un mot tout ce qui constitue essentiellement un type.

   Ainsi les juifs de ces divers pays se ressemblent beaucoup plus entre eux qu’ils ne ressemblent aux nations parmi lesquelles ils vivent; et le climat, malgré la longue durée de son action, ne leur a guère donné que des diversités de teinte et d’expression, et peut-être d’autres modifications aussi légères.

   De ce qu’ils se ressemblent entre eux partout, il ne suit peut-être pas à la rigueur qu’ils étaient anciennement ce qu’ils sont aujourd’hui. Mais si vous voulez vous contenter d’un espace de trois cents ans, je puis vous en donner une preuve irrécusable. A Milan j’ai vu la Cène de Léonard de Vinci; ce chef-d’oeuvre, tout dégradé qu’ils est par l’injure du temps, et l’incurie des habitants, conserve encore distinctement les figures de presque tous les personnages. Les juifs d’aujourd’hui y sont peints trait pour trait. Personne n’a représenté comme ce grand peintre le caractère national, tout en conservant aux individus la plus grande diversité. Vous le concevrez facilement si vous vous rappelez combien il aimait les sciences en général, et surtout l’histoire naturelle. Si vous n’avez pas lu sa vie, écrite par M. Beyle dans son Histoire de la Peinture en Italie, lisez-la: aucun auteur ne l’a mieux fait connaître.

   Je vous ai donné une date précise et authentique; elle détermine un espace de temps qui peut être considérable comme période historique, mais qui ne l’est pas assez dans la question qui nous occupe.

   Quel était le type des juifs à l’époque de leur dispersion? voilà ce qu’il importerait de savoir. On aurait ainsi une période de plus de 1700 ans, pendant laquelle le climat aurait eu le temps d’agir, et nous saurions ce que nous devons en attendre dans une espace qui embrasse à peu près la moitié des temps historiques.

   On pourrait se contenter à moins; mais si vous étiez plus exigeant et si vous vouliez savoir quel était le type des juifs à une époque plus reculée, je puis vous dire ce qu’il était il y a plus de trois mille ans.

   Pour remonter si haut, vous me permettrez de vous dire à quelle occasion je reconnus ce fait; je ne m’éloignerai guère de mon sujet. Je lisais un ouvrage de M. Prichard sur l’histoire naturelle de l’homme, dans lequel il soutenait une thèse singulière: que les hommes étaient primitivement noirs; et qu’ils devenaient blancs par la civilisation. L’ouvrage est plein d’intérêt, et traité avec un talent remarquable; l’auteur nous montre dans diverses parties du monde une gradation de couleur chez les habitants d’un même pays; les plus foncées dans les classes inférieures, les plus claires dans les plus riches et les plus puissantes. Vous voyez que ces faits cadrent fort bien avec son hypothèse; mais vous voyez aussi qu’ils se rapportent tout aussi bien à d’autres faits que nous présentent des peuples dont l’histoire nous est parfaitement connue; c’est-à-dire des races différentes établies sur le même sol, parmi lesquelles il y a une gradation de puissance et de civilisation: les noirs obéissant aux jaunes; les uns et les autres soumis, dans des degrés différents, aux blancs; des nuances intermédiaires résultant du mélange et occupant dans la société des rangs intermédiaires à ceux de leurs parents.

   Parmi les faits rapportés par l’auteur, il y en avait un qui attira particulièrement mon attention: il citait un auteur grec qui, en parlant des Égyptiens, dit expressément qu’ils étaient noirs et crépus. J’étais alors à Londres, avec le docteur Hodgkin, jeune médecin très-instruit, actuellement professeur d’anatomie pathologique à l’hôpital de Guy, et avec le docteur Knox, profondément versé dans l’anatomie comparée, et qui, pendant son séjour en Afrique, avait étudié les races nègres. Je leur parlai de la citation de l’auteur grec; et il me vint dans l’esprit de la vérifier en ayant recours, non au texte, mais à un monument qui était à notre portée, le tombeau du roi d’Égypte, qui se trouvait alors à Londres, et que vous avez probablement vu à Paris. En ce cas, vous savez qu’une multitude de figures y sont peintes de grandeur naturelle, dont la plupart représentent des personnes du peuple. Leur teint, à la vérité, est d’un brun très-foncé, mais elles n’ont ni la couleur, ni les cheveux crépus du nègre. Ces caractères ne se voient que dans un très-petit nombre à part, qui évidemment sont des nègres éthiopiens. A côté se trouvent deux autres petits groupes de nations étrangères, dans l’une desquelles nous reconnûmes d’une manière frappante la nation juive. J’avais vu la veille des juifs qui se promenaient dans les rues de Londres; je croyais voir leurs portraits.

   Je ne doute pas que le témoignage de MM. Knox et Hodgkin, et le mien, ne vous paraissent suffisants; je ne cherchais pas d’autres preuves, lorsque, lisant depuis peu le Voyage de Belzoni en Égypte, je trouvai, à l’endroit où il décrit les figures de ce tombeau, les passages suivants: «On distingue, à l’extrémité de ce cortège, des hommes de trois sortes de nations, qui diffèrent des autres individus, et qui représentent évidemment des Juifs, des Éthiopiens et des Perses; (Voyages en Égypte et en Nubie, Paris, 1821, p. 389, t. I); et ailleurs, p. 390: «On y distingue des Perses, des Juifs et des Éthiopiens; les premiers à leurs costumes auxquels on les reconnaît toujours dans les tableaux qui représentent leurs guerres avec les Égyptiens; les Juifs sont reconnaissables à leur physionomie et à leur teint, et les Éthiopiens à la couleur de leur peau et à leur parure.»

   Voici donc un peuple qui subsiste avec le même type pendant une longue suite de siècles, qui embrasse presque toute l’étendue des temps historiques; durant la première moitié de cette période éprouvant des désastres inouïs; durant l’autre moitié dispersé dans des climats divers, persécuté, honni, vilipendé, formant une caste de parias, le rebut du genre humain. On ne saurait guère imaginer une réunion de circonstances plus propres à modifier profondément l’organisation physique d’un peuple; il faut donc que la nature humaine ait une grande force de résistance pour avoir pu en triompher.

   Ce grand exemple paraît comme une expérience rigoureuse faite dans le dessein de constater l’influence des climats divers sur les formes et les proportions humaines dans toute l’étendue des siècles historiques.

   N’en forçons pas cependant les conséquences; tous les peuples ne seraient peut-être pas également aptes à résister de même; mais s’ils ne conservaient pas toujours leur type avec la même constance, admettons du moins que telle est la tendance de la nature, et que s’ils n’étaient exposés qu’à cette seule cause d’altération, une grande partie conserverait les traits caractéristiques de leurs ancêtres dans une longue suite de temps.

   Mais que peut faire le climat en comparaison du croisement des races! Or, tous les peuples dont nous connaissons l’histoire y ont été plus ou moins soumis; cause d’autant plus puissante qu’agissant sur l’organisation intime, elle préside à la première formation de l’être, et semble devoir toujours en altérer les formes. Si elle agissait sans frein, peut-être qu’elle confondrait tout; mais elle a des bornes; et d’abord il y en a d’évidentes, qu’il suffit de nommer. Les différences de castes et de rangs dont l’origine remonte souvent à une différence de race, opposent en premier lieu une barrière qu’on franchit souvent par quelques endroits, malgré la sévérité des lois et la force des préjugés, mais qui retient long-temps la multitude. Ces restrictions, tout artificielles qu’elles sont, n’ont pas laissé de durer chez certains peuples depuis qu’ils ont commencé à paraître distinctement sur la scène du monde; néanmoins, comme toutes les institutions humaines doivent céder au temps, et qu’ailleurs tous les rangs ont été bouleversés, voyons ce qui arriverait dans un état de choses où l’impulsion de la nature ne connaîtrait pas de frein. Or nous établirons ici des principes qui nous serviront de guides dans la suite, et qui dépendent de la proportion numérique des races qui se mêlent et de leur distribution respective sur le même territoire.

   D’abord le nombre relatif; supposant que le penchant au mélange soit sans entraves. Ici nous savons à point nommé ce que fait la nature lorsque la disproportion est grande; le type du très-petit nombre peut disparaître entièrement. Voici dans quelles conditions et après combien de générations le fait a lieu ordinairement. On croise un animal domestique avec un autre d’une race différente; on croise ensuite le produit de ce mélange avec un individu de l’une de ces races pures. Le nouveau produit se rapproche de celle-ci. On continue les croisements d’après le même principe jusqu’à ce que le dernier produit rentre dans un des types primitifs; ce qui arrive en général au bout de la quatrième génération. Ce résultat peut avoir lieu plus tôt ou plus tard; il peut même, suivant ce que j’ai appris de M. Girou de Buzareingnes, se faire attendre jusqu’à la treizième génération et peut-être au-delà: mais ce fait est rare, et, de quelque importance qu’il soit pour la science, nous ne cherchons pas les extrêmes, mais ce qui a lieu communément. D’ailleurs nous avons des renseignement positifs sur ce qui arrive en pareil cas dans les races humaines dont les tracés dans les générations successives, sont les plus reconnaissables: celles des nègres ou des blancs disparaissent vers la quatrième ou la cinquième génération, conformément au résultat général que nous avons indiqué chez les animaux domestiques.

   Ce fait paraît d’abord défavorable à la recherche des anciennes races dans les modernes. Oui, sans doute, si l’on se proposait de retrouver tous les éléments qui ont formé une nation, quelque faibles qu’ils aient été; mais lorsqu’il s’agit des grandes masses, remarquez combien l’examen devient plus facile par cette élimination.

   Supposons toutefois que le type subsiste à cause des entraves mises au mélange; à plus forte raison le plus petit nombre n’aura pas altéré les formes du plus grand. Voilà un principe d’une grande importance, dont nous ferons souvent l’application.

   Prenons maintenant l’autre cas extrême, où les deux races sont en nombre égal; que faut-il pour qu’elles se confondent en un seul type intermédiaire?

   Il faut que chaque individu de l’une s’unisse à un individu de l’autre; il faut que chacun ait une grande part dans la fusion des caractères; car de légères nuances ne défigurent pas un type.

   Voilà des conditions impérieusement requises; croyez-vous qu’elles soient faciles à remplir? Nous ne dirons pas que cet équilibre est impossible; il est rare que l’on puisse se permettre de pareilles assertions; mais nous dirons que, tout en supposant la possibilité de cette égalité, nous ne devons jamais nous y attendre.

   Car qui peut supposer que chaque individu d’une race s’unisse à un individu de l’autre? De pareilles unions ne sauraient être l’effet du choix, mais de la nécessité; et quelle nécessité? Je ne connais que celle d’obéir au despote le plus absolu et tel qu’il n’en a jamais existé. Admettons cependant qu’elle ait lieu; le peuple ne sera qu’un vil troupeau; et pour savoir ce que serait le fruit de son obéissance, examinons ce qui arrive chez d’autres êtres aussi abrutis et également asservis à la volonté d’un maître.

   Vous savez que des races différentes d’animaux se croisent suivant la volonté de l’homme, et que le produit des croisements que vous connaissez le mieux participe l’une et de l’autre souche.

   Il forme ainsi un type nouveau, mais intermédiaire, et par cela même distinct et particulier; car, n’ayant que des ressemblances partielles avec ceux dont il dérive, il ne représente plus ni l’un ni l’autre.

   Voilà ce que l’on sait généralement, et l’on ne connaît guère que des faits de cet ordre. Il en est cependant qui démontrent une autre tendance de la nature, qui nous intéresse ici particulièrement. M. Coladon, pharmacien de Genève, pour multiplier les expériences sur les croisements de races et étendre nos idées sur ce sujet, éleva un grand nombre de souris blanches et de souris grises. Il en étudia attentivement les moeurs et trouva le moyen de les faire produire en les croisant. Il commença alors une longue suite d’expériences en accouplant toujours une souris grise à une souris blanche. Quel résultat attendez-vous? qu’il y ait eu souvent des mélanges? Non, jamais. Chaque individu des nouveaux produits était ou entièrement gris ou entièrement blanc, avec les autres caractères de la race pure; point de métis, point de bigarrure, rien d’intermédiaire, enfin le type parfait de l’une ou de l’autre variété. Ce cas est extrême, à la vérité: mais le précèdent ne l’est pas moins; ainsi les deux procédés sont dans la nature: aucun ne règne exclusivement.

   En réfléchissant aux rapports dans lesquels se trouvent les races primitives, voici des conditions qui peuvent faire prévaloir l’un ou l’autre de ces effets. Quand les races différent le plus possible, comme lorsqu’elles ne sont pas de la même espèce, telles que l’âne et le cheval, le chien et le loup ou le renard, leur produit est constamment métis. Si au contraire elles sont très-voisines, elles peuvent ne pas donner naissance à des mélanges, et reproduire les types purs primitifs. Voilà deux principes fondamentaux et féconds en applications. Quelque légitimes qu’elles soient, nous nous en abstiendrons jusqu’à ce que nous ayons fait voir que la même tendance existe chez l’homme. Continuons cependant à étendre plus avant dans ce sujet en ne le considérant d’abord que chez les animaux. Je n’ai pas besoin d’appuyer sur ces faits pour les confirmer, comme ils sont authentiques, on est forcé de les admettre malgré leur apparente contradiction.

   Que la nature tantôt confonde, tantôt sépare les types, il n’y a rien là que de très-conforme à sa marche ordinaire, puisqu’on voit ses efforts sans cesse conspirer ou se combattre; puisqu’on la voit toujours occupée à produire, conserver et détruire.

   Mais ce n’est pas à ces généralités que nous devons nous borner. En examinant les faits de plus près, nous trouvons la plus grande conformité précisément où nous voyons au premier coup d’oeil le plus de contraste. Dans le croisement de races très-éloignées, le métis présente un type différent de celui de la mère, malgré certaines conformités. Lorsque deux races voisines reproduisent l’un et l’autre type primitif, la mère donne aussi naissance à un être qui diffère d’elle. Voilà la conformité des faits; mais remarquez que dans ce dernier croisement la mère reproduit un être plus semblable à elle-même que dans le premier; elle s’éloigne donc moins dans ce cas de la tendance la plus générale de la nature, qui est la propagation des mêmes types. Elle s’y conforme bien plus encore lorsqu’on considère cette tendance sous son véritable point de vue.

   Dans les classes inférieure des animaux il n’y a pour ainsi dire qu’un sexe, puisqu’il n’y a pas de distinction parmi les individus quant aux organes de la reproduction, et chaque être donne la vie à un autre parfaitement semblable à lui-même. Il n’y a donc ici qu’un seul type de procréé. Dans les ordres plus élevés deux sexes concourent à la formation de deux individus qui les représentent; ainsi la mère met au jour tantôt l’un fait à son image, tantôt l’autre qui retrace celle du père. Or elle produit deux types très-distincts malgré leurs rapports, et à tel point que le mâle et la femelle d’une même espèce diffèrent souvent plus entre eux que l’un et l’autre ne diffèrent d’individus de même sexe dans des espèces voisines. Cela est si vrai que le mâle et sa femelle, chez des animaux dont on n’avait pas eu l’occasion d’observer les habitudes, ont fréquemment été classés comme des espèces diverses; les insectes et les oiseaux surtout en ont fourni des exemples nombreux.

   Il est manifeste que les observations de M. Coladon rentrent dans cet ordre de faits, considérés dans leur généralité; puisque la mère produit deux types, dont l’un représente celui de sa propre race et l’autre les caractères physiques de la race du père. Je pourrais citer d’autres exemples tirés des animaux, mais, comme le résultat des expériences de M. Coladon est plus tranché, je m’en tiens à cet exemple frappant.

   Ce qui nous importe davantage c’est que les mêmes phénomènes arrivent chez l’homme; et, qui plus est, dans les mêmes conditions que j’ai indiquées. Les races humaines qui diffèrent le plus entre elles donnent constamment des métis. C’est ainsi que le mulâtre résulte toujours du mélange des races blanches et noires. L’autre observation de la reproduction des deux types primitifs, lorsque les parents sont de deux variétés voisines, est moins notoire, mais n’en est pas moins vraie. J’ai eu de fréquentes occasions de le reconnaître. Le phénomène n’est pas constant; mais qu’importe? Le croisement produit tantôt la fusion, tantôt la séparation des types; d’où nous arrivons à cette conclusion fondamentale, que les peuples appartenant à des variétés de race différentes, mais voisines, auraient beau s’allier entre eux de la manière hypothétique que nous avons décrite plus haut, une portion des nouvelles générations conserverait les types primitifs.

   Ce qui tend encore à les maintenir est la distribution géographique des peuples de race différente sur le même territoire. Car qui peut admettre une répartition tellement égale qu’il ne s’y forme une multitude de groupes où tantôt l’un tantôt l’autre prédomine dans une grande proportion? Cette condition seule suffit pour empêcher l’extinction des types primitifs.          Il en disparaît aussi par extermination; des tribus, des peuplades, peuvent tomber sous le fer ennemi, mais difficilement une nation, et surtout une race entière. Les Guanches ont disparu; ils ont été anéantis principalement par cette cause; mais ils étaient confinés dans les petites îles. Si les Caraïbes ont cessé d’exister de même dans les îles de l’Amérique, leur trace subsiste encore sur le continent. Je n’en connais guère d’autres exemples bien avérés; car je n’adopte pas l’opinion généralement répandue parmi mes compatriotes, de l’extinction des anciens Bretons sur le territoire conquis par les Saxons. Je m’intéresse beaucoup à cette question, comme vous le verrez dans la suite, et je la discuterai brièvement, de manière à ce que cet exemple serve pour la plupart des autres. Remarquez toutefois que je ne nie pas la possibilité du fait; je ne traite que de sa probabilité. Et souvenez-vous que les Bretons n’étaient pas des sauvages, mais qu’ils avaient un certain degré de civilisation; ce qui change essentiellement les rapports des deux peuples, comme je le ferai voir plus tard. Quel intérêt avaient les Saxons à les expulser ou les exterminer entièrement? Ils firent la conquête de l’Angleterre pour y jouir d’une plus grande aisance; c’était à une époque où les esclaves faisaient une partie considérable des richesses; se seraient-ils privés d’une pareille ressource? ou les Bretons auraient-ils eu un si grand amour de la liberté et un si profond mépris pour la vie, qu’ils aient préféré la mort à l’esclavage lorsqu’ils ne pouvaient s’y soustraire par la fuite? Quelle qu’ait été la valeur naturelle des Bretons ou leur esprit d’indépendance, ils ne paraissent pas avoir eu ce caractère à cette époque: leur supplique aux Romains pour les rappeler à leur défense en fait foi, ainsi que l’alliance avec les Saxons, qu’ils réclamèrent en désespoir de cause. Une pareille constance n’est pas admissible chez les Bretons ni à cette époque ni à aucune autre, ni chez aucune nation. Un petit nombre peut se dévouer, mais non tout un peuple. Les Romains, c’est assez dire, rendaient les armes, et se soumettaient à l’esclavage.

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