Tractatus de contractibus, hodiernis Galliarum legibus accomodatus…

On demande si l’homme a sur un autre quelque droit de «propriété» (dominium), et quel est ce droit?

Réponse: Par le droit primitif de la nature, l’homme n’a sur un autre homme aucun droit de propriété, parce que, d’après le droit de nature, tous les hommes sont égaux, comme étant de même nature et nés du même père, et destinés à la même fin. Mais l’homme peut avoir un droit de propriété sur un autre homme, dans ce sens qu’il peut l’acheter, le vendre, on s’en servir pour le faire travailler, car l’esclavage, de la même manière que le conçoivent les chrétiens, n’est autre chose qu’une perpétuelle subjection par laquelle un homme est tenu de travailler pour un autre en retour des alimens qu’il lui donne; or, cet état n’est en contradiction avec aucunes espèce de droit.

1º.- Il n’est pas en contradiction avec le droit naturel. Le droit naturel permet que quelqu’un de son droit ou qu’il en soit privé pour une raison suffisante; or, lorsque quelqu’un devient esclave, il le devient, ou parce qu’il cède l’usage de sa liberté, ou parce qu’il est privé par une raison suffisante; car quelqu’un peut devenir esclave, soit par vente, soit par une juste condamnation, soit par le droit de guerre, soit par sa naissance. Or, dans tous les cas, l’homme devient esclave, ou parce qu’il cède de son droit, ou parce qu’il en est privé pour une juste cause.

Premièrement, il est esclave par achat, parce qu’il a transporté à perpétuité à un autre le droit de propriété utile qu’il avait lui-même sur ses membres; c’est ainsi qu’un domestique cède pour un temps, onéreusement ou gratuitement l’usage de ses membres, deuxièmement, il est esclave par une juste condamnation, parce que le juge qui pouvait le condamner à mort a pu, à plus forte raison, le condamner à l’esclavage; troisièmement, il est esclave par le droit de guerre, parce que le vainqueur tient ce droit de la convention des nations; quatrièmement, il est esclave par naissance, car, dans l’intérêt public, c’est-à-dire pour empêcher que les enfants qui naissent d’une esclave ne périssent ou ne vivent de vols, puisque les parents esclaves n’ont rien pour nourrir leurs enfants, le prince a pi établir que celui qui naîtrait d’une mère esclave eut droit aux vêtements et aux aliments chez son maître, par le fait même qu’il est esclave»

Il n’est pas en contradiction avec le droit divin. S’il c’était contraire au droit divin, la loi qui le condamne serait ou dans l’ancien ou dans le nouveau testament; or, elle ne se trouve pas dans l’ancien, puisque la loi de Moïse permettait aux Hébreux de se livrer en perpétuelle servitude. (Exode 21 Levit 25) (1)ni dans le nouveau, puisque saint Pierre exhorte les esclaves à rendre tout honneur à leurs maîtres, même lorsqu’ils son d’un culte différent.

(1). Est-ce donc à nous à défendre Moïse contre un théologien? C’est la plus grande gloire au contraire du sublime législateur des Hébreux d’avoir, à cette époque reculée du monde, protesté contre l’esclavage en n’autorisant pas la servitude perpétuelle des Israélites. Le jubilé est institué pour annuler tout engagement servile parmi les enfants d’Israël. « Vous sanctifierez cette année, vois crierez LIBERTE dans les pays pour tous les habitants. Cette année sera pour vous le jubilé. Vous retournerez chacun dans sa possession, et chacun retournera dans sa famille». (Levitique, chap. 25, V 9 et 10) Tout le monde sait, au reste, que Moïse fit une bien autre protestation contre la servitude. Il est le premier esclave révolté de l’antiquité.

3º Il n’est point en contradiction avec le droit civil en général. Car la servitude fut permise chez les nations, même les plus civilisées, et elle est permise, encore aujourd’hui, chez diverses nations.

4º.- Il n’est pas en contradiction avec le droit ecclésiastique. Car dans divers passages du droit canonique, on traité de la servitude et on la suppose toujours permise.

Donc, etc.

Cette propriété du maître sur l’esclave n’est que la propriété de son travail avec l’obligation pour le maître de donner à l’esclave ce qui lui est nécessaire et ce qui est raisonnablement utile à son corps et à son âme; car ces droits sont essentiels à la nature humaine, et l’esclave ne peut les abdiquer.

CONCLUEZ DE LA: 1º.- Que le commerce des nègres, quoique déplorable, est à la rigueur licite, s’ils sont privés à juste titre de leur liberté, et s’ils sont traités avec humanité par les marchands. Cependant. comme ces conditions ne sont presque jamais remplies, ce n’est qu’à grand peine que ce commerce peut n’être pas condamnable. C’est pourquoi dans nos colonies et dans tous les pays, où il est encore en vigueur, il est soumis à de nombreuses restrictions.

Vous direz peut-être: un commerce est illicite lorsqu’il détruit la dignité de l’homme; or, c’est ce que le fait le commerce des nègres, car dans ce commerce l’homme est vendu comme un cheval ou un mulet.

Répondez négativement. Autrefois la religion de Moïse le permettait aux Israélites, et maintenant la religion chrétienne. quoiqu’elle le modifie considérablement ne le réprouve pas à la rigueur; en effet. l’homme ayant le droit utile ou l’usage de ses membres, rein n’empêche que, par une servitude volontaire, il le transfère à un autre. De là personne ne peut se plaindre que l’on assimile l’homme aux chevaux et aux bêtes de somme; car il faut distinguer dans l’homme ce qui tient à la personne, et ce qui tient à la nature; pour ce qui tient à la personne, il est l’image de Dieu, et, par conséquent, ne ressemble à rien, sur la terre; pour ce qui tien à la nature, il boit, il mange, et fait toutes les actions communes aux brutes. Par la servitude, on aliène seulement l’usage de la vie matérielle et des membres, ce qui se loue tous les jours, aussi bien pour les hommes que pour les animaux»

CONCLUEZ DE LÀ:- 2º Que les esclaves de vente ou de naissance ne peuvent s’enfuir, à moins qu’ils ne manquent du nécessaire ou ne soient excités au péché, car en fuyant, ils priveraient leur maître de son droit et de sa chose. Mais s’ils manquent du nécessaire ou sont excités au péché, ils peuvent fuir, parce que le contrat étant rompu d’une part, il l’est de l’autre par cela même. Ainsi, les esclaves faits à la guerre peuvent fuir d’après le droit de post-liminum(1), s’ils en trouvent l’occasion. En effet, les nations chez lesquelles le droit de servitude a été introduit n’ont jamais en l’habitude de réclamer ceux qui avaient fut ainsi. De même la fuite est permise, lorsque cette fuite ne doit porter aucun dommage au bien public, aux esclaves qui le sont devenus par une juste condamnation, si la peine est trop pesante et trop longue; le prince n’a point entendu imposer l’obligation aux prisonniers de garder librement leurs fers, lorsque facilement ils peuvent les briser; cette loi ne serait pas en rapport avec la fragilité humaine, et elle servirait plutôt à la perte qu’à l’édification.

(1). Suivant le droit romain, le prisonnier de guerre devenait esclave. Quand il pouvait a rentrer dans son pays, il était supposé n’en être jamais sorti, par conséquent, n’être jamais tombé dans l’esclavage. Il reprenait donc ses droits même pour le passé, ou pour mieux dire, il les conservait sans les avoir jamais perdus.- Telle était la conséquence d’une fiction admise sous le nom de post-liminum, en faveur des prisonniers de guerre qui rentraient dans leur patrie. On a appelé ce droit post-liminum, des deux mots limine (seuïl) et post (après)

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