Mémoires sur la vie d’Antoine Bénezet..

Pag. 10-31

CHAPITRE II.

Sa Sollicitude pour les enfans de l’Afrique.- Il ouvre pour eux une école. Son opinion touchant leurs facultés intellectuelles.- Sa correspondance au sujet de la Traite de Noirs.

Ilétait impossible que, doué d’une philanthropie aussi illimitée, l’état de dégradation et la condition misérable des enfans de l’Afrique, n’attirât pas son [de A. Bénezet] attention et n’émut pas sa sensibilité. C’est en 1750, que se manifesta, pour la première fois, sa sollicitude pour les Africains. On le vit alors profondément affecté de l’iniquité de la Traite des Noirs. L’acte de réduire des hommes en esclavage, lui parut une violation de toutes les lois divines et humaines, et la cruauté des négriers et des planteurs envers leurs infortunées victimes, excita vivement son indignation. C’est alors aussi que, cédant à l’impulsion de sa conscience, et pour l’accomplissement d’un devoir sacré, on le vit pour la première fois s’arracher avec peine à sa chère obscurité, et se présenter à la barre de l’opinion publique, pour y plaider la cause d’une race opprimée. Il donna une première preuve de l’intérêt qu’il portait aux enfans de l’Afrique, en s’efforçant d’améliorer lacondition d’une portion d’entre eux. Philadelphie contenait un grand nombre de ces infortunés. Antoine Bénezet adopta dans leur intérêt, la mesure la plus propre à leur conférer des bénéfices directs et immédiats. Il ouvrit pour eux une école gratuite, dont il dirigeait lui-même l’enseignement; et lorsque, d’après son exemple, le plan d’un établissement plus vaste fut arrêté par la communion religieuse à laquelle il appartenait, on l’y vit contribuer libéralement de son modeste revenu, et solliciter vivement les contributions pécuniaires des plus opulens d’entre ses frères, pour l’érection d’un édifice spécial consacré à l’instruction des noirs et des hommes de couleur.

Il réussit au delà de ses espérances dans cette oeuvre de charité et de miséricorde. Les progrès de ses élèves dans l’enseignement qu’il leur communiquait, l’amélioration morale et religieuse qui, dans un grand nombre d’entre eux, recompensa ses pieux efforts, éveillèrent l’attention de plusieurs hommes influens qui, jusqu’alors, n’avaient professé que le mépris le plus profond pour ces infortunés, et qui, dès ce moment, s’empressèrent de diriger leurs investigations vers la cause de leurs souffrances.

Parmi les faits importans qu’il fut à même de vérifier dans l’exercice de ses touchantes fonctions, il se convainquit que les noirs possédaient des capacités mentales et des facultés intellectuelles qui les égalaient, sous ce rapport, à toute autre portion quelconque de la famille humaine.

   Son opinion, à cet égard, mérite la plus haute considération, non seulement parce qu’elle revendique en faveur d’une intéressante portion du genre humain, ces attributs de notre céleste origine que la raison et la religion s’accordent à leur reconnaître; mais encore, en ce qu’étant le résultat d’un jugement motivé sur l’examen des faits, elle peut être considerée comme une réponse solennelle et péremptoire à opposer aux sophismes, à l’avarice et à la cruauté dont le ligue impie s’est efforcé de nous prouver qu’un épiderme noir ne saurait envelopper un être raisonable

   «Je puis affirmer en sureté de conscience» dit Bénezet, dans une de ses lettres, «que j’ai trouvé, dans un nombre donné de Noirs, une somme de talens égale à celle que pourrait présenter le même nombre de blancs, et je suis fier de pouvoir déclarer que l’opinion partagée par quelques personnes, que les Noirs sont une race d’hommes inférieurs aux autres en capacité, est un préjugé vulgaire fondé uniquement sur l’ignorance et l’orgueil des maîtres qui, tenant continuellement leurs esclaves à une énorme distance; ne sont nullement competens pour établir, à leur égard, un jugement sain.»

   Ayant ainsi éveillé l’attention et la réflexion dans Philadelphie, et détruit, jusqu’à un certain point, dans cette ville, le préjugé dominant contre les Noirs, il se vit en mesure de faire en leur faveur, un appel à la pitié et à la justice des peuples et des gouvernements. Il essaya d’abord d’éclairer sur cette importante question l’opinion publique, en composant et en faisant insérer dans les almanacs et les papiers publics, des morceaux détachés sur l’illégalité de l’esclavage. Il publia ensuite divers essais sur la Traite des Noirs; il y représentait avec force et vérité les crimes de ce commerce homicide, les souffrances qu’il inflige à ses victimes et les conséquences redoutables qui en sont nécessairement le produit.

   Voici les titres des ouvrages les plus remarquables qu’il publia sur ce sujet:

   Détails sur cette partie de l’Afrique habitée par les Noirs. Avis à la Grande Bretagne et à ses Colonies, sur les suites calamiteuses de l’Esclavage des Noirs, 1767.

   Détails historiques sur la Guinée, sa position, ses produits, le caractère de ses habitans; accompagné d’un coup-d’oeil sur l’origine et les progrès de la Traite des Noirs, sa nature et ses effets calamiteux 

   Ces divers écrits furent imprimés à ses frais, et voici la lettre qui en accompagnait la distribution. Nous la donnons telle qu’elle est consignée dans le volume manuscrit dont nous l’extrayons:

   «Copie de la substance d’une lettre circulaire adressée à diverses personnes de marque en Europe et en Amérique, en leur envoyant des exemplaires de divers écrits sur la Traite des Noirs, spécialement à l’archevêque de Canterbury; les dittes lettres écrites en 1758 et années suivantes.

   «C’est avec tout le respect dont je suis capable, animé par l’amour de mes semblables, et dans la persuasion que ton voeu le plus sincère est pour la suppression de mal et l’établissement de la justice, établissement qui seul peut faire la gloire d’une nation, que je prends la liberté de te saluer, et de te prier de vouloir bien diriger ton attention vers un sujet qui a, dans ce pays, excité l’intérêt d’un grand nombre de gens de bien; je veux parler de la Traite des Noirs, de l’acte d’acheter et d’arracher de pauvres Africains à leur terre natale, pour les soumettre à perpétuité, eux et leurs enfants, à un esclave oppressif et cruel; commerce scandaleux, auquel la nation anglaise se livre avec une déplorable activité; commerce qui, je regrette de le dire, augmente de jour en jour dans les colonies britanniques de l’Amérique septentrionale, et qui, selon toutes les probabilités, va recevoir un accroissement nouveau des acquisitions que viennent de faire les Anglais sur la rivière du Sénégal.»

   Je t’envoie ci-joint quelques brochures, recemment publiées sur ce sujet. Tu y trouveras le tableau des cruautés et des misères qu’enfante une traite dévastatrice qui réduit à un intolérable esclavage, et trop souvent frappe d’une mort prématurée et douloureuse, des milliers d’innocentes victimes. Hommes comme nous, comme nous nés égaux et libres, et rachetés comme nous au prix du sang précieux de Jésus-Christ».

   «Je te supplie de les lire attentivement. Je ne doute pas que tu ne sois convaincu après cette lecture que ce sujet est l’un de ceux qui réclâment le plus impérieusement l’attention sérieuse de tous ceux à qui a été confié le gouvernement temporel ou spirituel des peuples, et qui désirent éloigner de leur tête et épargner à leur nation, la responsabilité des dangers qui, tôt ou tard, menacent d’atteindre les pays impliqués dans ce commerce sanglant».

   Tu trouveras, sans doute, dans ces graves motifs, l’excuse de la liberté que je prends de m’adresser à toi, en cette occasion.

   «Comment un fléau d’une nature aussi hideuse, a-t-il pu exister si long-temps, sans qu’on en remarquât la criminalité? Comment a-t-il pu être protégé par les gouvernements et consacré par la loi. Sans doute parce que les hommes du pouvoir, soit ecclésiastiques, soit laïcs, ont ignoré la source coupable de ce commerce affreux, les barbaries qui l’accompagnent, et qu’ils n’ont point entendu les innombrables et douloureux gémissements qui, du sein de tant de victimes de l’oppression, s’élèvent chaque jour vers le trône d’un Dieu miséricordieux, père commun de tous les hommes.»

«ANTOINE BÉNEZET.»

La circulation de ces écrits parmi les hommes éminens de toutes les parties du globe, produisit les plus heureux effets, en attirant leur attention sur les crimes et les maux inhérens à la Traite et à l’esclavage.

Par là Antoine Bénezet établit des communications avec quelques-uns des plus illustres philanthropes de l’Europe et de l’Amérique, qui, sympathisant avec lui dans ses vertueuses vues, se montrèrent disposés à réunir leurs efforts aux siens pour purger de cette vaste souillure, l’un et l’autre hémisphère.

Nous remarquerons, en particulier, l’influence que son ouvrage sur la Guinée, exerça sur l’esprit du vertueux et infatigable Thomas Clarkson dont les travaux ont si puissamment contribué à amener l’abolition de la Traite par le parlement britannique. En 1785, le docteur Peckard, vice-chancelier de l’université de Cambridge, proposa pour sujet d’une dissertation latine, aux bacheliers-ès-arts de l’université, la question suivante: Anne liceat invitos in servitutem dare? Est-il permis de réduire les hommes en esclavage, contre leur gré? Thomas Clarkson qui, l’année précédente, avait obtenu le premier prix de dissertation latine, résolut de maintenir, cette année,

 la réputation qu’il s’était précédemment acquise, et se prépara, en conséquence, à traiter le sujet proposé. Mais la matière lui était si complètement étrangère, et il était très-embarrassé de savoir quels auteurs il devait consulter, «lorsque, me trouvant un jour chez un de mes amis», c’est ainsi qu’il s’exprime lui-même, «je pris un journal qui se trouvait par hazard sur une table. L’un des articles qui attirèrent mon attention, fut l’annonce d’un ouvrage de Bénezet, intitulé: Détails historiques sur la Guinée. Je quittai, sur le champ, mon ami, et me rendis à Londres, en toute hâte, pour acheter ce livre. Je trouvai dans cet ouvrage presque tous les renseignemens dont j’avais besoin.»

Thomas Clarkson composa donc, d’après cet ouvrage, sa dissertation latine qui fut couronnée, et, à dater de ce moment, l’abolition de la Traite devint l’affaire de sa vie entière (1).

(1). Voyez l’ouvrage de Thomas Carkson, intitulé: Histoire de l’origine, des prgrès et de la consommation de l’Abolition de la Traite des Noirs.

Bien que les gouvernemens de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, aient légalement aboli le commerce de chair humaine (1), cependant on a toute raison de croire que la traite continue de se faire, sous pavillon étranger, par des sujets des deux pays.

(1). Il ne faut pas perdre de vue qu’à l’époque où l’auteur écrivait ceci, ces deux nations étaient les seules qui eussent aboli la Traite. Depuis, cette abolition a été effectuée par toutes les nations maritimes, et une déclaration solennelle de toutes les puissances de l’Europe, réunies au congrès de Vienne, a proclamé la Traite, un fléau qui a désolé l’Afrique, deshonoré l’Europe et affligé l’humanité.

Note du Traducteur.

Les lettres suivantes donneront une idée des opinions de Bénezet relativement au trafic de chair humaine, des moyens qu’il mettait en usage pour en provoquer l’abolition, et de l’intérêt qu’il avait réussi à inspirer pour ses généreux efforts.

«Philadelphie, 16me jour du 7me mois, 1781.»

«Mon cher Abbé Rayal,»

«D’après l’idée que j’ai conçue de la justice et de la générosité de tes sentimens; j’ai pris la liberté de t’écrire il y a environ sept à huit mois, sous le couvert de mon ami Benjamin Franklin, je t’ai aussi écrit par l’entremise de J- B-, qui, je le crains, a péri dans la traversée, N’ayant point reçu de réponse, ne sachant pas même si mes lettres te sont parvenues ou si les tiennes n’ont point été égarées, je profite du départ de mon ami le Docteur Griffiths, pour t’envoyer deux exemplaires d’un petit essai sur l’Origine et les Principes de mes frères les Quakers, que tu n’as pas jugés indignes de ton attention, comme je le vois dans ceux d’entre tes ouvrages qui sont parvenus jusqu’à moi.»

Je n’ai rien à ajouter à ce que je t’ai déjà écrit. Je me bornerai à te répéter que je te salue affectueusement, dans les principes de la raison et de l’humanité, lesquels constituent ce grand cercle d’amour et de charité, qui n’est point limité par les liens du sang ou les distinctions de peuples, mais qui embrasse toute la création dans sa sphère immense. Pour moi, mon désir le plus vif est de promouvoir, autant qu’il est en moi, la félicité de tous les hommes, et même de mes ennemis, si j’en ai. Je prie Dieu, qu’il te donne la santé de corps et d’esprit, afin que tu continues de proclamer aux hommes, tes frères, des principes tendant à remplir leurs coeurs de bonté, d’amitié, de charité les uns envers les autres; afin que tu puisses travailler encore de tout ton pouvoir, à rendre les hommes raisonnables, utiles les uns aux autres et, conséquemment heureux. Je prie Dieu spécialement que tu combattes ce faux principe d’honneur, ou plutôt cet orgueil et cette folie intolérables qui règnent si fortement chez ta nation où les êtres les plus indolens et les plus inutiles sont réputés les plus nobles. Efforçons nous de leur faire comprendre que les hommes ne sont nobles qu’en proportion qu’ils sont raisonnables.»

«Le bonheur ne se trouve que dans la vertu seule, et il est, néanmoins, des hommes qui le cherchent dans des titres acquis à leurs pères pour les richesses qu’ils ont accumulées, ou pour la part qu’ils ont prise à des guerres qui ont désolé le monde; deux moyens généralement injustes et oppressifs, et qui, conséquemment sont plus des motifs de honte et d’humiliation.»

«Présentons aux princes et aux chefs des nations, l’exemple de Numa Pompilius qui, par une conduite opposée à celle de Romulus son prédécesseur, et de la plupart de ses successeurs, rendit pendant son long règne, les Romains tout ensemble si respectables et si heureux. Mais surtout, mon ami, représentons à nos compatriotes l’iniquité abominable de la Traite des Noirs. Démasquons ces prétendus disciples du Christ, qui stimulent les Africains à vendre leurs frères. Élevons-nous enfin, élevons-nous avec énergie contre la corruption introduite dans les principes et dans les moeurs des planteurs et propriétaires d’esclaves, corruption qui est le résultat du fait même de ce genre de propriété si évidemment contraire à l’humanité, à la raison et à la religion. Exposons, avec plus d’énergie encore, les effets désastreux de l’esclavage sur les principes et les moeurs de leurs enfans nécessairement élevés dans la fainéantise, l’orgueil et au sein de tous les vices auxquels la nature humaine est sujette.

«Combien n’est-il pas à désirer que Louis XVI dont on a loué l’humanité et les vertus, donnât aux autres potentats de l’Europe, l’exemple d’interdire à ses sujets toute participation ultérieure à un commerce si coupable en lui-même, et si funeste dans ses conséquences! Plût à Dieu aussi que ce monarque rendit des ordonnances en faveur des Africains actuellement esclaves dans ses possessions; coloniales! Ah! si le Christianisme, cette loi de charité et d’amour, exerçait une influence véritable sur les coeurs de ses prétendus disciples, nous verrions une foule de Chrétiens traverser l’Afrique et les deux Indes; non pour tremper, dans les crimes de; la Traite, et se souiller de sang; non pour acquérir des richesses, but coupable où tendent tous les voeux de nos soi-disant Chrétiens: remplis de l’amour divin, ces pieux voyageurs visiteraient les régions lointaines, afin de révéler à leurs habitans la corruption du coeur humain; afin de les appeler autour de l’étendart de la croix, qui doit être pour eux l’étendart du salut. Je termine cette lettre à la hâte, en te priant de vouloir bien excuser ses incorrections que je n’ai pas le tems de corriger. Écris-moi, par plusieurs occasions différentes, les vaisseaux destinés pour ces parages, n’arrivant pas toujours à leur destination.»

«Je suis ton affectionné ami,

 «ANTOINE BÉNEZET.»

Voici la réponse que fit l’Abbé à cette énergique épitre.

Bruxelles, 26 Décembre 1781.

«Aucune de vos lettres ne m’est parvenue. J’ai seulement reçu celle qui porte la date du 16 Juillet, 1781, avec les écrits lumineux et peins de sensibilité qui l’accompagnent. Aucun présent ne pouvait m’être plus agréable. Ma satisfaction a égalé le respect que j’ai toujours professé pour la société des Quakers. Plût au ciel que toutes les nations adoptassent leurs principes! Alors le monde serait heureux, et le sang ne souillerait plus la terre. Élevons ensemble nos prières vers l’Être suprême, pour qu’il réunisse toute la famille humaine par les liens d’une charité tendre et inaltérable.»

Je suis etc.

«RAYNAL.»

Environ deux ans après avoir reçu de l’Abbé Raynal la réponse que l’on vient de lire, Bénezet adressa la lettre suivante à la reine Charlotte:

«A Charlotte, Reine de la Grande-Bretagne,»

Persuadé que je remplis un devoir religieux, et encouragé par l’opinion générale de ton empressement à secourir le malheur, je prends la liberté e te présenter respectueusement quelques traités qui, je crois, renferment une description fidèle de la condition déplorable où se trouvent placés plusieurs centaines de mille de nos frères, les Africains, que l’on arrache annuellement à leur terre natale, en brisant tous les liens qui les attachaient à la vie, pour les condamner, dans les îles de l’Amérique, au plus rigoureux comme au plus cruel esclavage; pratique inhumaine et coupable qui avance par d’horribles souffrances, la mort d’un grand nombre de ces infortunés.»

«Quand l’on considère que les habitans de la Grande-Bretagne, qui jouissent d’une mesure si abondante de liberté civile et religieuse, ont été et sont encore profondément impliqués dans cette violation flagrante des droits de l’humanité, et que, même, l’autorité nationale est appelée à consacrer l’infâme Traite des Noirs, il est permis de croire que cette grande plaie morale a contribué, et, tant que le mal continuera d’exister, doit continuer encore à attirer la colère divine sur la nation britannique et sur tous les territoires soumis à sa domination.»

«Puissent ces considérations t’engager à interposer ta bienfaisante influence en faveur d’une race opprimée à qui son état abject confère un droit de plus à la pitié et aux bienfaits de tous les esprits généreux, privée qu’elle est des moyens de solliciter, par elle-même, les secours et la protection dont elle a besoin. Ainsi puisse-tu être dans les mains de celui par qui régnent les rois, un instrument utile, et servir à détourner de dessus cet empire la main céleste qui s’est déja étendue sur lui d’une manière si redoutable; et puissent les bénédictions de tant d’infortunés, t’accompagner et te soutenir à cette heure dernière et fatale où tu chercheras en vain les consolations et des secours dans les grandeurs dont tu es aujourd’hui entourée.»

«Outre les écrits sur la Traite des Noirs, sur lesquels j’appelle spécialement ton attention, j’en ai joint quelques autres que j’ai publiés à diverses époques, parce que j’ai cru de mon devoir de le faire, et qui, je l’espère, te seront également agréables. Leur objet est de propager parmi les hommes, ces principes de charité et de paix universelle, que l’Évangile a introduits dans l’univers.»

«J’espère que tu voudras bien excuser avec bienveillance, la liberté que prend en se moment un vieillard dont l’esprit, détaché depuis plus de quarante ans des affaires du monde, s’est principalement fixé sur le spectacle des souffrances qu’inflige la plus injuste comme la plus cruelle des oppressions à une portion si considérable de la famille humaine; j’ajouterai que ce vieillard fait des voeux sincères et ardens pour la félicité temporelle etspirituelle de la reine et de son royal époux.»

«ANTOINE BÉNEZET.»

Philadelphie, 25e jour au 8e mois, 1783.

On assure qu’après avoir parcouru cette épître touchante, la reine observa que son auteur était un homme véritablement bon; qu’elle acceptait avec plaisir son cadeau, et qu’elle lirait ses livres avec attention.

Bénezet fit, au sujet de la Traite des Noirs, des communications de la même nature aux reines de France et de Portugal, ainsi qu’à la comtesse d’Huntingdon. Cette dernière avait fondé, aux environ de Savannah, en Géorgie, un collège pour l’éducation des orphelins indigens. Les directeurs employaient des esclaves à la culture des terres dont elle avait libéralement doté cette institution. L’appel de Bénezet au coeur de cette femme charitable, réussit complétement. En effet, elle répondit à la lettre qu’il lui adressât à ce sujet, que cette mesure n’aurait jamais son assentiment, et qu’elle allait s’occupper à l’abolir.

Il était également en correspondance, avec George Witfield et plusieurs autres personnes distinguées. Nous allons citer quelques-unes des réponses qui furent faites à ses lettres.

D’Ambroise Sterle, secrétaire de Lord Howe.

Philadelphie, 2 Juin, 1778.

«Je ne dois pas oublier, mon estimable ami, de vous faire mes sincères remercimens; pour les livres que vous avez eu la bonté de m’adresser. Je les lirai avec attention, et les conserverai en mémoire de vous. Il serait heureux pour le monde en général et pour chaque individu en particulier, que les principes que ces livres contiennent, fussent complétement compris et pratiqués de bonne foi. Nous n’aurions plus alors à déplorer les fléaux et les malheurs qui, conséquences naturelles du péché, sont le produit de l’ambition et de toutes les autres passions coupables qui désolent l’univers. Le monde serait alors, en quelque sorte, un véritable Paradis. reconquis où l’on verrait la philanthropie et la bienveillance universelle régner, comme elles le doivent, dans le coeur de tous les hommes.»

«Quoiqu’une longue et douloureuse expérience nous ait appris combien les principes véritables

du Christianisme, doivent rencontrer d’obstacles dans leur marche et dans leur mise en pratique; cependant, nous avons déjà, dès ici bas, cette récompense de nos efforts, que nous jouissons nous-mêmes d’une paix intérieure que le monde, ne peut ni nous donner, ni nous enlever; et, bien que les royaumes de ce monde s’écroulent et disparaissent au milieu des luttes dont le genre humain est le perpétuel théâtre, nous avons, au ciel, préparé des mains de Dieu même, un royaume incorruptible et d’une éternelle durée.»

«Privés du plaisir de nous revoir sur la terre, c’est là que nous nous retrouverons «dépouillés l’un et l’autre de l’enveloppe grossière qui nous retenait prisonniers, et nous abreuvant à cette source intarissable de félicité, qui découle de la droite de Dieu. Je vous salue et reste avec une estime sincère, votre affectionné ami.»

De John Wesley.

«Vous savez que Mr. Oglethorp avait entrepris d’établir une colonie, sans le secours des noirs; mais elle a enfin prévalu la voix de ces hommes qui vendent à prix d’or et leur Dieu et leur pays; qui rient au spectacle des souffrances de leurs frères; se moquent de la pitié, et, incrédules à tous les cultes, n’en reconnaissent d’autre que celui de l’argent. Nul doute que ce ne soit pour nous un devoir sacré de tout faire pour extirper l’infâme commerce de chair humaine. Dans ce but, la propagation de vos écrits peut être de quelque utilité. Mais je crains que sa suppression définitive ne soit ajournée jusqu’à l’époque où tous les royaumes de la terre, deviendront les royaumes de Dieu.»

De Nathaniel Gilbert.

Antigue, 29 Octobre, 1768.

«Je désire embrasser comme mes frères, tous ceux qui aiment le Sauveur Jésus en sincérité de coeur. Je pense que, sur les points fondamentaux, il y a parfaite homogénéité d’opinion entre tous les Chrétiens véritables. Il y a une grande justesse dans vos écrits sur la Traite des Noirs et l’esclavage. Cette matière avait attiré mon attention, long-tems avant que la vérité à cet égard me fût connue. Vos argumens contre l’acte d’acheter des esclaves, ou contre toute participation quelconque dans cette espèce de commerce, me paraissent irresistibles.

La grandeur du but, dans l’abolition de la Traite, le zèle infatigable de Bénezet dans cette noble cause, doivent nous la faire considérer comme l’affaire importante et l’occupation principale de sa vie. Et en effet, pour tout autre que Bénezet, il y avait dans ce seul point de quoi requérir tout le zèle et toute la persévérance, tout le tems et les talens, aussi bien que toute la philanthrophie d’un ami du genre humain; et on n’en trouve pas davantage dans les philanthropes les plus illustres de tous les tems. Mais le génie bienfaisant d’Antoine Bénezet était universel; aucune limite ne pouvait le circonscrire; et, bien que l’abolition de la Traite fut le centre de toutes ses pensées, nous allons le voir signaler dans d’autres objets, ce même amour des hommes, cette même charité inépuisable, que nous avons déjà eu occasion d’admirer en lui.

Pag. 39

   «Je crois qu’un tems vendra où une occasion sera offerte d’abolir ce fléau déplorable,. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de préparer cette époque et de la hâter afin d’en être témoins. Sinon, transmettons à nos enfans, avec nos esclaves, notre pitié pour leurs souffrances et leur condition malheureuse, et notre horreur pour l’esclavage. Si nous ne pouvons réaliser encore l’abolition de cet esclavage douloureux, traitons du moins avec douceur ses victimes. Ce sera un premier pas vers le retour à la justice. Nous devons à la religion que nous professons, de montrer qu’elle est en opposition avec la loi qui sanctionne l’esclavage.»

Related Posts