Appel aux habitants de l’Europe sur l’esclavage et la Traite des Nègres par la Société Religieuse

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APPEL, ETC.

   Un pur sentiment de charité chrétienne et un ardent désir de voir se réaliser enfin l’extinction totale de l’esclavage, et l’abolition immédiate de la traite des nègres dans tout l’univers, nous portent à appeler sur ces deux points la plus sérieuse attention des habitants de l’Europe; et nous croyons remplir notre devoir de chrétiennes en plaidant, avec toute l’énergie dont nous sommes capables, la cause des enfants de l’Afrique, victimes depuis longtemps d’une si intolérable oppression, et de la plus barbare tyrannie (1).

(1). Il y a plus de 50 ans que la Société chrétienne des Amis, communément appelés Quakers, a pensé qu’un de ses devoirs religieux était de plaider la cause des esclaves de l’Afrique. Longtemps auparavant ils avaient résolu de se mettre avec soin à l’abri du reproche d’être intéressés en aucune manière dans le commerce criminel de la traite, et dans le cours de ce siècle, ils ont pris une part active aux efforts de leurs frères, les chrétiens d’Angleterre, pour amener l’abolition de la traite et de l’esclavage. Il ne faut donc pas s’étonner ici de les voir considérer comme une de leurs obligations les plus sacrés, de faire un appel à toutes les nations étrangères, pour les inviter a s’unir a eux dans toutes les mesures qui peuvent contribuer à l’extinction totale du double fléau, crime affreux qui est le sujet de ce petit écrit.

   La seconde vérité, c’est que nous sommes tous même sang, tous enfants d’un père commun, quelle que soit notre couleur, quel que soit notre pays; nous sommes tous frères; tous nous sommes doués de raison; tous nous possédons une âme immortelle. En vertu de l’éternelle loi de Dieu lui-même, loi d’amour. suivant l’expression énergique et touchante qui la caractérise, nous sommes tenus de nous aimer les uns les autres, de comprendre dans cet esprit d’amour la famille humaine tout entière, et de nous traiter réciproquement, suivant les principes immuables de la justice et de la vérité.

   Mais nous ne sommes pas frères seulement sous le rapport de la création; nous sommes encore les uns et les autres les objets de cette glorieuse Rédemption que nous devons à Jesu-Christ.

   Tous nous avons péché; nous sommes donc tous sous le poids de la condamnation pour le péché; mais c’est lui, Notre-Seigneur tout-puissant, qui est mort pour nous racheter de nos péchés; si nous sommes sauvés, c’est pas lui seul que nous pouvons l’être. C’est là un autre lien encore, lien plein de douceur, qui unit entre eux les membres de la race humaine, enfants d’un père commun, d’un père universel.

   Le jour arrivera où le Fils de l’homme viendra dans sa gloire pour juger le monde; et devant lui seront rassemblées toutes les nations, juifs et gentils; et chacun devra rendre compte de tous ce qu’il a fait, soit en bien soit en mal, pendant son existence corporelle. Sous tous ces différents rapports, la Bible parle de nous comme d’une race commune, ayant des intérêts communs, de communs privilèges, et des destinées communes.

   Après ces graves et solennelles considérations sur le rapport qui existe entre l’homme et son Créateur et Rédempteur, il sera peut-être à propos, et ce sera rester dans notre sujet, d’examiner si les hommes ont agi les uns à l’égard des autres comme des frères, comme des enfans du même père céleste.

   Les pages de l’histoire, qui nous entretiennent des actions des hommes, soit comme nations, soit comme individus, ne nous offrent les plus ordinairement que les plus sombres tableaux de cruauté et de méchanceté. Partout où existe le pouvoir, acquis ou transmis, telle est la corruption du coeur humain, qu’au lieu de traiter les autres hommes avec cet amour, cette pitié, cette justice, que commande la loi de fraternité et de charité, ce pouvoir a été fort souvent un instrument, d’autorité arbitraire et de tyrannie, un moyen d’avilissement et de dégradation.

   Des millions d’êtres de la race humaine ont été tenus en servitude; et ainsi comprimée, l’énergie native de leur âme n’a pu se manifester; la raison, cette faculté noble, au lieur d’être cultivée en eux, a été pervertie, et on les a empêchés d’occuper dans la famille des hommes le rang qui leur appartenait. L’esclavage transforme l’homme en un article de commerce; l’esclavage vient audacieusement se mettre entre lui et son Créateur; il affaiblit à un degré effrayant les douces relations de mari, de père et d’enfant; il dépouille l’esclave de toute son utilité morale sur la terre; il le déshérite autant qu’il est possible de toutes les nobles jouissances de la vie, et ne lui laisse guère que celles de la brute. Oui, telle est l’influence dégradante de la servitude dans laquelle l’homme tient l’homme son semblable, que son effet infaillible est d’anéantir tout sentiment moral, d’aveugler le jugement de lui ôter jusqu’à la perception du bien et du mal.

   L’esclavage nourrit et fortifie les mauvaises passions de notre nature, tandis qu’il étouffe et éteint tout ce qu’elle peut en avoir de douces et d’élevées. Et sans nous arrêter sur l’injustice du travail forcé en usage dans les colonies européennes, on peut dire que l’esclavage a répandu sa contagieuse influence sur les plus belles portions de la terre, convertissant le riant jardin en un aride désert, portant la désolation et la stérilité partout où l’activité du laboureur libre aurait par amener la fertilité et l’abondance.

   Le plus sûr remède à tels maux, c’est l’adoption et la pratique des principes de la religion chrétienne. Notre-Seigneur lui même, le grand législateur du christianisme, dont nous sommes tenus de suivre implicitement les préceptes, si nous voulons être dignes de porter son nom, a dit: «Toutes les choses que vous voulez que les hommes vous fassent; faites-les-leur aussi de même».

   Si nous conformons à cette maxime, et comme nations et comme individus, il faut que l’esclavage cesse; il n’y a pas d’homme, il n’y a pas de peuple qui Courbât volontairement la tête sous le joug de l’esclavage; donc, ceux qui prennent cette maxime pour règle de leur conduite ne peuvent imposer ce joug aux autres. Quel hommes voudrait qu’on le traitât d’une manière cruelle, qu’on lui infligeât d’affreuses tortures, qu’on arrachât de ses bras sa femme et ses enfants, ou qu’on l’arrachât des leurs? Aucun. Donc, le chrétien ne peu agit ainsi à l’égard des autres hommes. Voici le premier et le grand commandement donné par le Christ Jésus: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toutes tes forces, et voici le second: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» Si nous aimons Dieu véritablement, nous aimerons tous les hommes comme étant ses enfants. Or, pourrions-nous jamais outrager, torturer, dégrader ceux que nous aimerions ainsi?

   Non, cela est contraire à la nature des choses. Quelle simplicité, quelle pureté dans la loi de dieu! Quelle complication, quelle fausseté dans les raisonnements de l’homme corrompu! Notre devoir et notre intérêt sont inséparables; en observant la loi de dieu, nous travaillons a augmenter essentiellement notre félicité. Si au contraire, pour nos fins particulières, nous sulons aux pieds, nous violons cette loi, nous attirons sur-nous-mêmes les soucis, la crainte, mile embarras, et cela, pour satisfaire un vil égoïsme et de criminelles passions.

   Ouvrons toutes les annales de cruauté et de la méchanceté que nous fournit la triste histoire du genre humain, nous n’en trouverons pas qui offre un lus effrayant et plus déplorable amas de crimes, et par conséquent de misères, que l’histoire de la traite des esclaves de l’Afrique et des horreurs qui l’accompagnent.

   Depuis plus de deux siècles, ce système d’iniquité exerce ses ravages, et des millions de nos semblables ont été sacrifiées pour assouvir les passions cupides et cruelles des Européens, qui osent s’appeler chrétiens. Ajoutons, et c’est qu’il y a de plus affligeant, ajoutons qu’après des recherches attentives sur l’état actuel de la traite, on a de fortes preuves qu’en ce moment même cet infâme trafic continue sur une plus grande échelle encore, et avec toute l’effronterie de l’impunité.

On excite des guerres entre les petits souverains de l’Afrique. Des villages sont livrés aux flammes pour en faire sortir les habitants; ces malheureux se précipitent effrayés hors de leurs demeures, et deviennent la proie de maraudeurs en embuscade. On les conduit de force vers la côte; on leur fait subir les plus affreuses tortures, les plus cruelles privations; on les arrache aux liens les plus chers de l’humanité. Arrivés au lieu de leur destination, ils sont réunis en troupeaux, et souvent plus durement traités que des bêtes de somme. Quand une occasion favorable se présente, on les pousse le plus vite possible vers les bâtiments qui les attendent; on les retient jusqu’au départ dans le port et dans quelque anse écartée; on les entasse comme des balles de marchandises, et d’indicibles souffrances les attendent pendant leur voyage à travers l’Atlantique. Ceux qui survivent à tant d’horreurs sont réservés à toutes sortes de cruautés et d’indignités de la part de conducteurs ou de commandeurs impitoyables. Enfin, la débauche et mille autres vices, suites inévitables de l’esclavage, sont les derniers, mais non les moins désastreux, de tous les résultats de ce système d’injustice, qui ne peut qu’enfanter partout où il règne, la plus effrayante immoralité.

Les commissaires envoyés à Sierra-Leone ont évalué à 80.000 le nombre d’esclaves enlevés chaque année sur la côte occidentale de l’Afrique, la majeure partie de Whydah, de Bonny, du vieux et du nouveau Calabar, et des autres rivières qui se déchargent dans le golfe de Guinée. Il a été établi que la seule anse de Benin avait contenu jusqu’à cinquante bâtiments négriers, capables de prendre 20,000 nègres, amenés à la fois par les différentes rivières. Les principaux marchés de la côte orientale sont Quilimana et Mozambique. Dans l’automne de 1837, des bâtiments en nombre suffisant pour charger 3,000 esclaves, mouillaient sur ce premier point; et à Mozambique 10,000 esclaves, suivant les rapports, n’attendaient que le moment de l’embarquement; seize négriers, de 300 à 900 tonneaux, étaient alors à l’ancre dans le port, et prêts à prendre leur affreuse cargaison.

Un dépouillement attentif des pièces fournies au parlement de la Grande-Bretagne sur la traite des noirs, autorise à croire que le nombre des esclaves enlevés sur les deux côtes, l’orientale et l’occidentale, principalement par des sujets portugais, espagnols et brésiliens, ne se monte pas à moins de 150,000. Mais la brèche faite à la population de l’Afrique s’élève à un chiffre beaucoup plus fort, car la capture de ces 150,000 esclaves coûte la vie à une multitude d’autres nègres, et occasionne une effroyable effusion de sang. La famine suit ordinairement, si ce n’est toujours, ces enlèvements d’hommes, et ajoute encore à la liste des victimes. La destruction d’hommes causée par la traite a été estimée àun nombre égal à celui des noirs emmenés en esclavage, ce qui fait pour l’Afrique une perte totale de trois cent mille individus par an.

Et ces infortunés sont nos frères et nos soeurs! et c’est pour eux, aussi bien que pour nous-mêmes, que Christ est mort! et ils n’avaient jamais fait le moindre mal aux Européens; jamais ils n’avaient commis de crimes qui pussent légitimer un traitement si barbare! Si l’on ne met bientôt un terme à ce système de méchanceté, aussi compliqué que criminel, ne sommes-nous pas fondés à craindre que Dieu se lèvera dans sa colère pour prononcer une sentence terrible contre ceux qui outragent ainsi l’oeuvre de ses mains? Celui qui juge toute la terre ne fera-t-il pas justice? Les documents abondent à l’appui des faits que nous venons d’exposer.

Il ne sera pas inutile de jeter maintenant un coup d’oeil rapide sur l’état présent de cet atroce trafic, tel qu’il existe encore ou a existé parmi les nations de l’Europe.

Nous parlerons d’abord de la Grande-Bretagne. Pendant une longue suite d’années, la traite a jeté une déplorable flétrissure sur notre caractère national, et déshonoré un peuple qui fait profession du christianisme. En 1807, le peuple anglais a prononcé l’abolition de la traite. Les défenseurs de cette grande mesure se flattaient de l’espoir consolant qu’elle ne tarderait pas à être suivie de l’abolition de l’esclavage. Hélas! ils s’abusaient. On s’aperçut bientôt qu’à moins d’une intervention du pouvoir législatif pour mettre fin à l’esclavage, on ne pouvait assigner de terme à sa durée. Une société se forma donc à Londres pour aviser aux moyens d’arriver à ce but; dès l’année suivante, l’affaire fut portée au parlement; et en 1833, grâce aux efforts combinés et persévérants d’hommes de toutes les classes, doués de talents divers, d’hommes d’intégrité et de principes chrétiens, agissant de concert sur l’esprit public, et appelant sur la cause qu’ils servaient la bénédiction du Très-Haut, une loi abolit l’esclavage, mais on y annexa un système d’apprentissage qui devait durer jusqu’en 1840. Ce système, si anomal par son caractère, si injuste dans son principe, se trouva en même temps si vicieux dans la pratique, qu’il n’y eut qu’un cri dans le public pour en demander l’abolition. Enfin, l’année dernière, eut lieu l’heureux événement de l’absolue et entière émancipation des esclaves, et c’est avec un vif sentiment de satisfaction que nous pouvons dire qu’aujourd’hui l’esclavage a cessé d’exister dans les colonies anglaises des Indes occidentales. L’expérience a fourni la démonstration complète que les nègres, que les enfants de l’Afrique, sent capables d’apprécier la liberté et d’en jouir; qu’ils se conduisent comme de paisibles et laborieux sujets du gouvernement britannique; que même, grâce à la bénédiction divine; la conduite d’un grand nombre d’entre eux est pour leurs anciens oppresseurs et pour le monde en général une éclatante proclamation de l’excellence et de la puissance de la religion chrétienne, dont les vérités leur sont enseignées aujourd’hui.

La France, nous le disons avec joie, a aboli la traite, et, parmi ses habitants les plus éclairés, un grand nombre, convaincus de l’iniquité de l’esclavage, font ce qui est en leur pouvoir pour l’anéantir entièrement dans les contrées qui sont sous sa domination. Puissent-ils persévérer dans leurs efforts et dans leurs voeux! Puissent des milliers de collaborateurs se joindre à eux! et puisse un succès complet couronner bientôt leur sainte entreprise!

L‘Espagne aussi a, par une loi, aboli la traite; mais c’est avec douleur que nous ajoutons que; malgré la ratification solennelle d’un traité avec la Grande-Bretagne, des milliers d’esclaves sont transportés tous les ans des rivages de l’Afrique à Cuba et dans les autres établissements espagnols; ainsi les crimes se perpétuent, la misère et la barbarie se maintiennent, en dépit de la loi, en dépit de la justice.

Si le Portugal conserve encore quelques colonies, elles sont en petit nombre; mais il continue autant qu’il est en lui à se souiller du crime de la traite; et le Brésil, quoique formant un gouvernement séparé de l’ancienne monarchie de l’Europe, reçoit annuellement, sous le pavillon portugais, des milliers de victimes de ce commerce infâme.

Mais ce n’est pas seulement sous les couleurs portugaises que ces cargaisons de chair humaine arrivent au Brésil. D’autres pavillons encore sont employés à couvrir cette détestable industrie, et l’on calcule qu’en totalité, dans un temps très-court, ilreçut plus de 50,000 Africains. On les y transporte avec des précautions d’une cruauté inouïe, et ils vont, comme esclaves, traîner la plus misérable existence chez cette nation qui, depuis longtemps déjà, a consenti à mettre fin à l’atroce système dont ils sont les victimes.

La traite est abolie en Hollande depuis plusieurs années; il en est de même en Danemarck et en Suède; et cependant l’esclavage existe encore dans leurs colonies des Indes occidentales.

Les États-Unis, nous le disons avec une profonde douleur, les États-Unis qui, d’après ces principes de liberté et d’égalité qu’ils font sonner si haut, auraient du se montrer, pour ainsi dire, à l’avant-garde des peuples, pour détruire l’esclavage, sont encore profondément enfoncés dans ce maudit et criminel système. Un trafic de nègres, un trafic considérable se fait à l’intérieur, entre plusieurs des États de l’Union, dégradant les âmes de ceux qui prennent part à cette odieuse industrie, et perpétuant ainsi l’injustice et la cruauté. Nous applaudissons néanmoins aux efforts d’un grand nombre de bons et sages citoyens de ces États, qui n’ont pas craint de se mettre en avant, et de plaider avec une noble hardiesse la cause de la justice et de l’humanité. La lumière se répand de proche en proche, et nous sommes assurés que, malgré de grands et nombreux obstacles, le jour n’est pas éloigné où les droits inaliénables d’une race opprimée seront pleinement reconnus.

Le remède efficace aux maux qu’enfante la traite, est dans l’extinction absolue de l’esclavage; fermez le marché et la denrée cessera d’y arriver. Que de crimes, que de cruautés cesseraient pour toujours, si les nations que nous venons d’énumérer, s’entendaient tout à coup, pour conformer leur conduite aux principes de la justice et de l’équité, pour accorder, ou plutôt pour restituer aux malheureux esclaves ces priviléges auxquels la nature leur a donné le même droit qu’à nous-mêmes! Ces contrées, où règnent aujourd’hui l’oppression et la misère, deviendraient, nous en croyons notre confiance dans cette providence divine qui gouverne toutes choses, deviendraient les demeures d’une race d’hommes paisibles, amis de l’ordre, de l’industrie et du travail. Puissent les gouverneurs de ces nations, dirigés par les principes d’une politique juste et éclairée, céder bientôt à la voix de la sagesse, à celle d’un intérêt bien entendu, et n’être pas insensibles à la gloire d’avoir établi un tel état social!

Qu’on ait sans cesse devant les yeux ce grand principe, l’extinction de l’esclavage, et qu’on le prenne pour règle de conduite; qu’en même temps toutes les puissances, tous les talents de l’Europe se concertent pour créer et favoriser en Afrique un commerce équitable, paisible et légitime. Qu’on aille au secours de ces vastes contrées, désolées jusqu’ici par le commerce des esclaves, en encourageant la culture de ces productions dont une providence bienfaisante les a si richement dotées, qui sont spécialement adaptées au climat des tropiques, et qui pourraient alors fournir abondamment aux besoins et aux jouissances des habitants de l’Europe. Introduisez, parmi ces peuples, comme compensation des maux incalculables qu’on leur a fait souffrir, l’amour de la paix et de la sécurité domestique, et les habitudes de la civilisation; mais appliquez-vous, par-dessus tout, à favoriser, parmi eux, la libre diffusion de la connaissance du glorieux Évangile de vie et de salut, qui vient par Jésus-Christ.

En notre qualité de chrétiens, nous faisons ici un appel à nos frères, à ceux qui s’honorent comme nous de porter le nom de Christ, à tous ceux qui professent la même religion sainte, dans toutes les contrées où cet écrit pourra parvenir. Nous les prions de se recueillir pour méditer sur les vérités qui viennent de leur être exposées, et de se mettre un instant à la place des victimes innocentes dont nous essayons de plaider la cause, Qu’ils répondent à une question que nous leur adressons avec tous les égards de la charité chrétienne. Se croiraient-ils irréprochables devant le Très-Haut, ou plutôt n’encourraient-ils pas la plus terrible responsabilité, si, en présence de ces faits, ils ne cherchaient pas par quels moyens, sans s’écarter de l’esprit pacifique de l’Évangile, mais enfin avec une fermeté et une constance chrétiennes, ils peuvent contribuer à hâter la fin de ces misères.

Et que nul ne suppose qu’il ne peut y rien faire, en disant qu’il n’a ni crédit ni influence. Il peut ouvrir le coeur à la pitié qu’inspirent les souffrances des opprimés, et y entretenir le sentiment d’une sainte indignation; il peut répandre parmi ses amis et ses voisins la connaissance de l’état des choses que nous déplorons; il peut se réunir à ceux qui tenteraient de porter cette cause devant les chefs et les gouverneurs des nations, dans les formes constitutionnelles, et sans porter atteinte à la paix publique; il peut enfin adresser à Dieu, au suprême Gouverneur de l’univers, ses humbles et ferventes supplications, et le prier d’inspirer aux conseils des nations de sages et généreuses résolutions, qui mettent un frein à la méchanceté de l’homme, et désormais ôter à l’oppresseur tout moyen d’oppression.

Nous plaidons pour ceux qui gémissent dans une cruelle servitude, qui ne peuvent se faire entendre eux-mêmes, dont les cris et les gémissements ne peuvent parvenir jusqu’à notre oreille, dont nous ne pouvons voir les plaies et les meurtrissures; et nous recommandons cette juste et sainte cause à tous vos meilleurs sentiments d’hommes et de chrétiens.

Puisse le Seigneur notre Dieu, exauçant notre prière, hâter le jour où on n’entendra plus parler de violence dans le pays, ni de dégât dans les contrées, où la terre sera remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer des eaux qui la couvrent, et où les royaumes du monde seront soumis à notre Seigneur et à son Christ!

Au nom d’une réunion représentant la Société religieuse des Y, de la Grande-Bretagne, tenue à Londres, le 1er du 3me mois, 1839.

Signé: PETER BEDFORD, secrétaire.

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II. Marche à la côte.

   1. Le major Gray, ayant rencontré dans le cours de son voyage, un convoi d’esclaves, donne à ce sujet les détails suivants: «Les femmes et les enfants, tous presque entièrement nus et chargés de lourds fardeaux, étaient attachés ensemble par le cou; on le forçait d’avancer sur un chemin jonché de cailloux qui leur coupaient les pieds d’une manière affreuse. Comme un grand nombre d’enfants ne pouvaient suivre à pied, à cause de la faiblesse de leur âge, les uns étaient portes sur les épaules des autres esclaves, d’autres étaient en croupe derrière les capteurs, qui, pour les empêcher de tomber, les attachaient à la partie postérieure de leur selles avec des cordes faites d’écorce, sorte de corde si dure, que ces pauvres petits innocents en avaient le dos et les flans coupés, et que le sang en coulait. Ce n’était là cependant que la moindre souffrance de ces malheureux enfants, si on la compare aux écorchures horribles, ou plutôt aux plaies que leur faisaient au siège les secousses et le frottement continuel du dos du cheval sur lequel on les posait à cru, dont le pas le plus ordinaire était le trot ou l’amble, et que l’on poussait quelquefois au grand galop l’espace de quelques toises pour l’arrêter ensuite brusquement (*).»

(*). Voyage de Gray en Afrique.

   2. Les enfants, dit Lyon, en parlant de la route du désert, sont jetés avec le bagage sur les chameaux, quand ils ne sont pas en état de marcher; mais s’ils ont seulement cinq ou six ans, on force ces pauvres petites créatures à trotter tout le jour; même, comme je l’ai souvent remarqué, quand on faisait des traites de quatorze ou de quinze heures. Leur nourriture ordinaire consiste en une petite mesure de dattes le matin, et, le soir, une demi-pinte de bouillie. Il y a des maîtres qui ne permettent jamais à leurs esclaves de boire après leur repas, si l’on ne se trouve pas positivement près d’un des lieux où l’on a coutume de les faire boire. Aucun propriétaire en marche sans son fouet, dont il fait un usage continuel. Boire trop d’eau, apporter une trop petite charge de bois, ou s’endormir avant que la cuisine soit finie, c’étaient là autant de crimes presque capitaux, et ces pauvres gens avaient beau chercher à s’excuser, en disant qu’ils étaient excédés de fatigue, rien ne pouvait les sauver du terrible fouet. Il n’y a pas un esclave qui ose être malade, ou se dire hors d’état de marcher; et lorsque le malheureux malade vient à mourir, le maître soupçonne qu’il avait quelque chose de dérangé en dedans, et se reproche de ne lui avoir pas largement appliqué le remède courant, qui consiste à brûler le ventre avec un fer rouge; c’est ainsi qu’ils rassurent leur conscience, pour la manière cruelle dont ils traitent ces infortunés.

   3. Burckhardt dans son journal (1814), en parlant d’une caravane qu’il accompagnait, dit qu’on n’entendait d’autre bruit que les gémissements de quelques femmes malades et les coups de fouet de leurs cruels maîtres.

   4. «Si les centaines, ou plutôt les milliers de squelettes, dit, en 1824, le major Denham, qui blanchissent la terre, entre Koula et Moorzouk, n’étaient pas comme autant de voix qui racontent cette lamentable histoire, la différence qui se trouve entre l’état de tous les esclaves qui sont ici (au Soudan) et celui dans lequel ils arrivent ordinairement au Fezzan, ne prouverait que trop clairement les horribles souffrances qui commencent pour eux au moment où ils quittent leur pays.» «Au puits de Meshour, dit-il, nous trouvâmes le sol jonché de plus de cent squelettes» «Un de nos compagnons de voyage, ajoute-t-il, compta sur un espace de chemin de vingt-six milles, cent sept de ces squelettes» «Dans chacun des deux derniers jours, dit-il encore, nous rencontrâmes de soixante à soixante-dix et quatre-vingt squelettes; mais il eût été trop long de compter ceux qui gisaient autour du puits d’El Hammar».

   5. Lander, dans son journal, décrit presque dans les mêmes termes les souffrances que les esclaves ont à endurer dans leur marche à la côte. Dans une seule occasion, en parlant d’une troupe de cinquante de ces infortunés, qu’il avait vus avec de lourds fardeaux sur leurs têtes, il dit que deux jours après la troupe tout entière manquait, et les recherches que l’on fit apprirent qu’ils avaient péri d’excès de fatigue et faute d’eau.

   6. Ces détails sont confirmés par Caillé (1), qui rapporte ce qui suit dans un endroit de son voyage: «Notre situation était toujours la même; le vent d’est soufflait avec violence, et loin de nous procurer quelque rafraîchissement, ne servait qu’à soulever des montagnes de sable, sous lesquelles il menaçait de nous ensevelir; et ce qui nous inquiétait le plus, c’était de voir la diminution rapide de notre eau, en raison de l’excessive évaporation que ce vent occasionnait. Personne n’éprouvait plus vivement le tourment de la soif que les pauvres petits esclaves, qui demandaient de l’eau à grands cris. Epuisés par la souffrance, et aussi à force de crier, ces infortunées créatures tombaient sur la terre, et paraissaient n’avoir plus la force de se relever; mais leurs maîtres ne leur permettaient pas de rester là longtemps et de retarder ainsi leur marche. Insensibles à des souffrances que l’enfance est si peu en état de supporter, les barbares les entraînaient avec la violence la plus brutale, ne cessant de les battre jusqu’à ce qu’ils eussent atteint les chameaux, qui étaient déjà à une assez grande distance.

(1). Voyage de Caillé à Tombouctou.

III Détention à la côte avant l’embarquement.

1. «Nous eûmes l’occasion, dit le commodore Owen, dans son voyage à Benguela, en 1825, de voir un convoi d’esclaves des deux sexes enchaînés les uns aux autres par couples. Une centaine environ de ces pauvres gens arrivaient d’un point de l’intérieur fort éloigné. Plusieurs étaient réduits à l’état de squelettes, et étaient en proie à toutes les souffrances que peuvent occasionner la fatigue et le besoin; on en voyait à qui leurs fers, par un continuel frottement, avaient déchiré, percé la chair, et mis les os à nu, et leurs plaies en suppuration étaient devenues les nids de myriades de mouches, qui avaient déposé leurs oeufs dans les cavités où la gangrène avait commencé à se mettre»

   […] 2. Lander, dans son journal, décrit ainsi la visite d’une troupe de nègres amenés à Badagry: «Le roi les fait passer en revue; on met à part soigneusement les malades, les vieillards et les estropiés, et on les enferme enchaînés dans le magasin d’une des factoreries. Lors de mon séjour à Badagry, il y avait cinq de ces magasins qui renfermaient plus de mille esclaves des deux sexes. Le lendemain, on lie les bras à la plupart de ces pauvres malheureux et on les porte sur les bords de la rivière; là on leur attache au cou quelque objet pesant, on les mène dans des canots jusqu’à milieu du courant, et on les lance à l’eau, d’où est sûr qu’ils ne pourront pas se tirer.

   3. M. Leonard nous apprend que « vers 1830, le roi de Loango dit aux officiers du Primrose qu’il était à même de charger huit bâtiments négriers par semaine, à quatre ou cinq cents nègres par bâtiments; mais que, ne trouvant pas de débouché pour la plus grande partie de ses prisonniers, il était dans la nécessité de les tuer. Ainsi, quelque temps avant l’arrivée du Primrose, un grand nombre de ces infortunés avaient été pris dans une incursion; d’abord, on les avait employés, à porter à la côte l’ivoire et les autres marchandises qui composaient le butin; mais comme on ne trouvait pas à les vendre, et qu’on n’aurait pu les nourrir sans des frais considérables, on les mena au pied d’une colline, un peu au delà de la ville, et là, de sang-froid, on les assomma à coups de massue sur la tête.

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