Réponse de M. l’abbé Giudicelly …

MONSEIGNEUR,

LA justice tardive que vous venez de me rendre, au sujet d’une partie de mes réclamations, me permet enfin de croire qu’il suffira de vous informer des persécutions dont je suis victime pour espérer d’en voir la fin.

Les derniers renseignemens de l’administration coloniale de St.-Louis, qui vous sont parvenus, au bout de trois ans, et qui vous ont convaincu que j’avais été frustré injustement du remboursement des avances que j’ai faites pour le service du roi, ont dû vous dévoiler en même temps les criminelles intrigues des personnes intéressées à vous cacher la vérité.

Des fonctions trop élevées ne permettent point à votre excellence de s’occuper des miseres humaines ; c’est pourquoi je prends la liberté de lui exposer, encore une fois, les basses manoeuvres de quelques petits esprits, à la haine desquels il est difficile à un honnête homme d’échapper.

En 1818, j’ai quitté le Sénégal, sans être payé de l’arriéré de mes appointemens ; et, de retour en France, je n’ai été remboursé que d’une partie de la dépense de mon voyage que la conduite inconvenante du sieur Fleuriau, alors gouverneur, par interim, en l’absence du sieur Schmaltz, m’a obligé de faire à mes frais. J’ai attendu, pendant six mois, un à compte sur mes appointemens échus, sous prétexte que vos bureaux manquaient d’informations qu’il a fallu envoyer demander en Afrique.

Depuis 1818, je réclame pour indemnité de logement, ou pour avance employées à l’entretien du culte, une somme d’environ 5,000 fr., et ce n’a été que le 30 avril dernier que vos bureaux sont enfin convenus qu’il m’est dû 752 fr. pour remboursement de la dépense d’un gardien que j’ai entretenu, pendant vingt mois, pour le service de la chapelle.

Monseigneur, est-ce par justice, ou par charité chrétienne, que les nombreux agens de votre ministère, et la légion d’employés, qui dévore la misérable colonie du Sénégal, ont, sous différens prétextes, refusé la restitution d’une dette aussi légitime ? Que serai-je devenu si Dieu ne m’avait pas accordé la santé nécessaire pour travailler ? Lorsque ma vieille mère, à qui j’ai abandonné mes propriétés territoriales, qui ne produisent plus rien depuis qu’une énorme surcharge d’impôts paralyse toute culture, néglige de payer un douzieme ; croyez-vous, monseigneur, qu’on lui accorde un délai de quelques mois pour prévenir la vente des boeufs, des charrues et peut-être celle de ma terre ? Les sieurs Schmaltz et Fleuriau, dont les comptes sont loin d’avoir la simplicité des miens, ont toujours été payés sans que vos bureaux aient jamais jugé nécessaire d’envoyer prendre de nouveaux renseignemens au delà du tropique. Faut-il que j’attribue cette différence de conduite à un oubli involontaire, ou bien à la haine que je me suis attirée, pour avoir voulu faire parvenir jusqu’à votre excellence, quelques vérités qui contrarient les intérêts de ces deux honnêtes hommes et de plusieurs autres réputés tels, aux yeux de quelques personnes désintéressées qui dirigent vos bureaux. Il me serait facile, monseigneur, de prouver que tous ceux qui ont fait la traite des noirs, ceux qui l’ont protégée, ou qui ont eu seulement la complaisance de ne rien voir ont constamment trouvé dans vos bureaux accueil favorable, facilité et promptitude à liquider leurs comptes, même quand il s’est agi de dépenses pour mettre à neuf, aux frais de l’état et pour les intérêts du roi, le navire d’une courtisane. Les brouillons et les extravagans, c’est-à-dire ceux que MM. Fo…, M…, S…, Fl… et C… jugent tels, n’ont qu’à espérer que la persécution dont vous avez honoré, sans le vouloir, M. Morenas. Il faut espérer que le patriotisme des chambres saura rendre plus de justice au citoyen courageux, qui affronte la rage des méchans pour en délivrer les opprimés.

Revenons, monseigneur, à mes réclamations, que je crois plus justes et mieux fondées qu’aucune de celles de plusieurs employés concussionnaires qui ont été payés, néanmoins sans difficulté. Ces réclamations, que vous repoussez, sont fondées en majeure partie sur les déboursés que j’ai faits, depuis le 23 décembre 1816 jusqu’au 20 septembre 1818, pour l’entretien d’un servant, d’un gardien, et pour toutes les autres défenses de la chapelle. J’ai fourni ces avances dans l’intérêt de la religion et d’après l’usage constant de la colonie, où, dans tous les temps, les administrations française et anglaise ont pris à leur charge tous les frais de l’église. J’ai eu l’honneur de vous soumettre ces justes réclamations à diverses époques, et à chacune d’elles j’ai reçu des réponses différentes.

Au sujet du gardien dont vous consentez aujourd’hui à me rembourser la dépenses, M. le gouverneur Fleuriau m’écrivait, en date du 28 septembre 1818, QUAND (je copie fidèlement sa lettre QUAND à l’entretien d’un nègre, on vous a déjà répondu que non seulement on vous paierait l’entretien, mais l’arriéré… Malgré ce passage qui est assez clair, comme vous voyez, monseigneur, vous m’annoncez, dans votre lettre du 24 mars 1819, que les frais de la chapelle, l’entretien d’un servant et d’un gardien, étant de nature à être supportés par le curé, sur le produit du casuel, il n’y aurait lieu à m’accorder une indemnité qu’autant qu’il serait prouvé que le casuel a été insuffisant pour couvrir cette dépense. Votre dépêche suivante, du 16 septembre, porte : que, d’après les règles établies dans les autres colonies et dans la métropole, les frais journaliers, du culte ainsi que la solde des servans et gardiens, sont payés sur les revenus de la fabrique. Il n’a pas encore été établi de fabrique, dans les paroisses de St.-Louis et de Gorée, et la totalité du casuel de ces cures tourne au profit des curés qui PARAISSENT être ainsi restés chargés des dépenses d’entretien du culte. Ce ne serai par conséquent qu’autant que le casuel aurait été insuffisant, qu’il pourrait être question de vous allouer une indemnité. D’APRÈS LES DOCUMENS qui me sont transmis par l’administration du Sénégal, il n’y aurait pas lieu à vous procurer l’indemnité dont il s’agit. Malgré tout cela, monseigneur, vous reconnaissez enfin, au bout de trois ans, la légitimité de ma réclamation et vous me dites dans votre dernière lettre, du 30 avril 1821 : Quant à l’entretien d’un gardien, je vois que l’administration du Sénégal AVAIT DÉCIDÉ qu’il serait alloué, pour cet objet, 18 fr. par mois et une ration de vivres.

Si c’est pour simplifier ainsi les affaires et pour vous informer avec autant de promptitude de ce qui se passe dans les colonies qu’on entretient à grands frais des légions d’employés, dont la principale occupation est de multiplier d’inutiles écritures, vous me permettrez, monseigneur, de vous faire observer que l’argent de la nation pourrait être dépensé d’une manière plus utile, et les intentions religieuses de sa majesté mieux secondées.

Passons à un autre article. Il résulte, dites-vous, des dernières informations que je viens de recevoir du Sénégal, que ce serait les élèves de l’enseignement mutuel qui auraient fait gratuitement l’office de servant de la chapelle. Voici, monseigneur, ce que j’ai à vous apprendre sur ce paragraphe. Les sieurs Schmaltz et Fleuriau, que vous ne soupçonnerez point j’espère d’avoir voulu pallier mes fautes, ne s’étaient pas encore avisés d’un pareil subterfuge, quoiqu’ils vissent fréquemment le nommé Dard, qui avait mérité leur confiance pour ces démarches clandestines qu’on ne propose point à un honnête homme. Ce fripon a été signalé à l’opinion publique par ma réponse au rapport de M. Courvoisier et par la seconde pétition de M. Morenas. Comme vous paraisses ne point connaître ces deux pièces, permettez-moi, monseigneur de vous en offrir un exemplaire. Dans la première, vous trouverez que ce filou, bien accueilli par les administrations du Sénégal, a été chargé de composer contre moi un libelle diffamatoire, tendant à faire croire que j’aurais retiré des sommes de mes ouailles. Cette production infernale a été repoussée avec mépris par les indigènes, malgré les sollicitations du maire qui la colportait par ordre. Dans la seconde pétition de M. Morenas vous verrez que ce même Dard, expulsé pour vol, de Paris, a extorqué de l’argent des pauvres noirs, quoiqu’il fut payé par le roi, pour les instruire gratuitement. Vous serez indigné, sans doute, d’apprendre que ce voleur ait été bien accueilli dans vos bureaux, sous les auspices des sieurs Schmaltz et Fleuriau. Et qu’on n’ait pas craint, à son sujet, d’en imposer au public par des éloges mensongers débités d’une manière assez peu convenable, par des personnes d’ailleurs fort au-dessus du rôle qu’on leur a fait jouer.

Voici la vérité au sujet du servant dont on refuse de me rembourser les frais, que j’ai avancés pour le service du culte et dans l’intérêt de la religion. Depuis mon arrivée au Sénégal j’ai pris, pour avoir soin de la chapelle, le nommé François, noir libre, que j’ai logé, nourri, habillé et payé jusqu’à mon départ. Le sieur Dard n’a jamais conduit ses élèves à l’église, qui n’aurait pas pu les contenir faute d’espace. Les jeunes gens que je disposais pour la première communion ne pouvaient y entrer que les jours de la semaine et un seul aidait François le dimanche à me servir la messe. Je crois qu’il faut faire honneur de ce nouveau mensonge à l’imagination paresseuse de l’un de ces grands génies qui peuplent vos bureaux et qui n’aura pas pris garde que la chambre, qui sert de chapelle au Sénégal, ne ressemble point aux églises de Paris. A la vérité le sieur Dard est venu quelquefois avant que son improbité me fût connue, chanter l’office dans les grandes cérémonies. Mais, dans mes comptes, je ne demande rien pour ce service que j’ai regardé comme gratuit. Je me borne à réclamer ce que j’ai déboursé pour le servant qui a eu soin de l’église ; et j’espère bien que personne autre que Dard n’aura l’effronterie de présenter, comme appartenant à l’enseignement mutuel, un serviteur que je payais et que par fois j’envoyais à cette école, pour utiliser son temps.

Toutes ces tracasseries, monseigneur, font naître une foule d’idées peu propres à donner une haute opinion de l’impartialité et de la justice qui devraient caractériser tous les actes qui sortent de vos bureaux. Depuis quatre ans on ne cesse de commenter mes paroles, et de faire de minutieuses enquêtes sur les moindres de mes actions. Pourquoi, monseigneur, sous votre administration, où la calomnie, si cruellement acharnée à me nuire, trouve tant d’accès pour arriver jusqu’à vous ; pourquoi n’a-t-on jamais ordonné un seule enquête, au sujet des captiveries, pas même à l’égard de celles qui passaient publiquement pour appartenir au gouverneur Schmaltz ? D’où vient qu’on a négligé d’en faire sur l’horrible trafic du sang humain, exercé sans mystère, par des employés sous vos ordres ? comment se fait-il qu’on repousse encore les témoignages qui confirment l’existence de la traite et sa continuation actuelle ? Mais, dites-vous, un commissaire du roi, M. le baron de Mackau… je vous dispense du reste. Sachez que devant Dieu, comme devant les hommes, ce n’est qu’aux dépens de son honneur qu’on ment aux nations.

Je réclame une indemnité de logement, pour 1818, égale à celle qu’on m’a payé pour 1817, et sur laquelle on m’a fait injustement une retenue d’environ 500 fr., dont je demande la restitution. Un léger examen suffira pour convaincre votre excellence que cette réclamation est aussi juste que celle que j’ai faite, à l’égard du gardien, et à laquelle vous venez de faire droit.

Voici, à ce sujet, ce que M. Fleuriau m’écrivait, le 28 septembre 1818 : Il ne vous revient point de meubles ; comme le loyer de la chapelle est de 800 fr. et que vous en recevez 1,200, les menus frais sont à votre charge. Vous avez trop de perspicacité, monseigneur, pour qu’il soit nécessaire de vous faire remarquer que cet habile administrateur a écrit dans cette occasion, comme dans bien d’autres, sans savoir ce qu’il voulait dire. En effet, soit qu’il ait voulu répondre à ma demande d’une indemnité de logement, ou à celle du remboursement des frais que j’ai avancés pour l’église, sa décision ne peut me concerner en aucune manière, puisque je n’ai jamais touché ni 1,200 fr., ni 800, pour le loyer de la chapelle, que l’administration a toujours payé directement au propriétaire de la maison. Cette sotte réponse ne répond donc aucunement à ma réclamation, pour indemnité de logement. Voyons, monseigneur, s’il y est mieux répondu par votre lettre, du 24 mars 1819. Vous déclarez, me faites-vous dire, que l’administration du Sénégal a payé ce qui était dû pour le loyer du logement que vous occupiez. Il en résulte, ajoutez-vous, que vous avez été réellement logé aux frais du roi et qu’il ne peut par conséquent être question de vous allouer aucune indemnité pour cet objet. Non, monseigneur, je n’ai jamais dit cela, et vous me prêtez, sur la foi de vos commis, une absurdité forgée dans vos bureaux. J’ai dit que j’avais reçu les deux tiers de mon indemnité de logement pour 1817 ; mais j’ignore si l’on a payé le loyer de la chapelle qui ne me regarde point et dont je ne me suis jamais mêlé. Quand j’ai logé dans un cabinet, servant de sacristie et d’antichambre à cette chapelle, c’était parce que les deux gouverneurs de la colonie m’ont refusé, pendant onze mois, un à-compte sur mes appointemens. Dans un autre moment je pourrai entrer dans quelques détails sur l’emploi des millions qu’on a eu l’imprudence de leur confier, et montrer avec quelle improbité ils ont su les administrer à leurs profits, tout en parlant sans cesse, des intérêts du roi (1).

(1). Les nombreuses fournitures du privilégié Potin ont été soldées sans difficulté par le gouverneur Schmaltz, son protecteur désintéressé, à l’exception d’un petit compte de 40,000 fr. que M. Lecoupé, gouverneur actuel, a fait réduire par des experts à 20,000 fr.

Vous convenez donc, monseigneur, que j’avais le droit d’être logé aux frais du roi. M. Schmaltz en était convenu de même, en m’annonçant, en juin 1817, que mon indemnité de logement était fixée à 1,200 fr. Il est vrai que cette justice m’a été rendue avant qu’il fût question, entre lui et moi, d’aucune discussion sur la traite. M. Fleuriau faisait un aveu semblable en me payant, en mai 1818, mon indemnité pour 1817, sur laquelle il a décidé verbalement qu’il serait retenu 400 fr. J’aime à croire, pour l’acquit de sa conscience, que cette injuste retenue a été portée en recette sur le budjet de la colonie. Il me reste à examiner, monseigneur, si, comme vous le prétendez, j’ai été logé aux frais du roi. Dès mon arrivée, je me suis casé dans un petit cabinet attenant à la chambre dont on a fait l’église. Ce cabinet, qui servait d’antichambre et de sacristie, était occupé par le public les dimanches et les jours de fête ; car c’est de là que, faute de place, la plupart des employés assistaient à l’office. Je couchais sur des nattes, n’ayant pu obtenir un lit des magasins du roi, ni des atteliers de l’état, où l’on en fabriquait cependant pour des personnes étrangères à l’administration. J’ai demandé, pour me loger d’une manière plus décente, un à-compte sur mes appointemens qu’on m’a refusé pendant onze mois. En attendant le paiement de ce qu’on me devait, ai-je eu tort, monseigneur, d’employer le peu d’argent dont j’ai pu disposer à l’entretien du culte, plutôt qu’à me loger commodément ? Je suppose qu’au lieu de me réfugier dans la sacristie, j’eusse accepté le toit d’un noir hospitalier, ou que, faute d’une cabane, j’eusse bivouaqué sous un arbre, comme les malheureux naufragés de la Méduse ont été forcés de faire ; votre excellence pense-t-elle qu’il fût convenable de me retenir mon indemnité de logement non employée, sous prétexte de favoriser les intérêts de sa majesté très-chrétienne ? Est-il décent, monseigneur, qu’un pauvre ecclésiastique réclame en vain le nécessaire dont il s’est privé pour le service de la religion, tandis que les récompenses et les honneurs sont prodigués à des hommes gorgés de superflu, enrichis aux dépens des intérêts du roi et qui ont foulé aux pieds tout principe de religion et d’humanité ?

Voici un paragraphe qui contient contre moi un nouveau reproche qui serait grave, s’il était fondé, et dont il est étonnant qu’on ne se soit pas avisé plutôt. Vous dites, dans votre dernière lettre : des déclarations, qui m’ont été transmises par l’administration du Sénégal, établissent qu’il manque, AU GREFFE DE ST.-LOUIS, une partie au moins DES REGISTRES DE L’ÉTAT CIVIL QUE VOUS AVEZ TENUS dans la colonie. Je ne doute pas que vous ne me donniez sur ce point, qui intéresse l’ordre public et le sort des familles, les explications nécessaires et que vous ne me mettiez à portée de faire rétablir à St.-Louis les minutes des actes, qui seraient restés en votre possession.

Monseigneur, vous avez auprès de vous, et parfois dans votre société, les deux administrateurs dont vous avez tant de fois fait l’éloge, et c’est à moi, indigne, à moi, que vous n’avez cessé de blâmer, que vous avez proscrit et que vous persécutez encore, à qui vous venez aujourd’hui demander des renseignemens sur une partie de votre administration étrangère à mes fonctions. Suis-je donc responsable de l’incapacité de ces hommes que vous proclamiez naguère comme très-habiles ? Est-ce ma faute si MM. Schmaltz et Fleuriau ont mieux géré leurs propres affaires que celles du roi ? S’ils ont permis que le greffier de la colonie dilapidât, sous leurs yeux, les fortunes des familles, dont il était dépositaire ? qu’il négligeât la tenue des actes civils pour se livrer à l’infâme commerce de la traite ? Votre demande, monseigneur, a lieu de me surprendre ; car j’ai toujours rempli mes devoirs ecclésiastiques, en me conformant aux lois, sans chercher à m’attribuer une autorité qui ne m’appartient point.

Je n’ai jamais été chargé, ni à St.-Louis, ni à Gorée, des actes civils dont, par conséquent, je ne puis pas être responsable (1). Pour vous en convaincre il me suffira de vous envoyer copie de quelques-unes des pièces que j’ai entre les mains et d’après lesquelles j’ai donné la bénédiction nuptiale.

(1). Je n’ai tenu d’autre registre qu’un Journal des cérémonies religieuses, dont j’ai gardé le double. Si son excellence juge qu’il puisse être de quelque utilité pour réparer le désordre qui règne dans le greffe de Saint-Louis, je me ferai un devoir d’en donner une copie certifiée.

Copie de la première pièce :

Extrait des registres du greffe du Sénégal.

Par acte du trois novembre mil huit cent dix-sept, appert qu’il a été fait AU GREFFE, SERVANT DE MAISON COMMUNE PAR LE GREFFIER DU ROI, CHARGÉ DE L’ÉTAT CIVIL, célébration de mariage, entre Jean-Baptiste Derneville et Louise Thevenot, habitant indigène dudit lieu, en présence de leurs parens et témoins respectifs soussignés AU REGISTRE.

Pour extrait ;

Signé PICARD, greffier

Copie de la seconde pièce :

Extrait des actes du greffe du Sénégal.

Le cinq novembre mil huit cent dix-sept, a été célébré PAR MOI, GREFFIER, CHARGÉ DE L’ÉTAT CIVIL, le mariage de M. Jean-François-Seraphin Castille, ingénieur, avec demoiselle Catherine-Augustine Imbert ; en présence des père et mère de la demoiselle, et des témoins respectifs des époux qui ont signé AU REGISTRE.

Pour extrait conforme AU REGISTRE ;

Signé PICARD, greffier.

Il y avait donc de mon temps à St.-Louis, un greffe qui servait de maison commune, un greffier du roi, chargé de l’état civil, tenant un registre. Qu’est-ce qu’on me demande, monseigneur ? Si l’on ignore tout cela dans vos bureaux, à quoi donc a-t-on employé les sept millions dépensés dans cette colonie ? Ne dois-je point aussi donner des explications sur la conduite des administrateurs Schmaltz et Fleuriau qui ont allumé la guerre avec tous les peuples du Sénégal et anéanti le commerce de cette malheureuse colonie (1) ? Il ne me reste qu’à me demander compte des riches récoltes qu’on a promises en échange des millions prodigués à ce charlatan, dont tous le savoir consiste à mettre les sots dans ses intérêts.

(1). Le fruit de l’administration de ces deux habiles gouverneurs, qui avaient promis de métamorphoser en paradis les sables infertiles du Sénégal, a été une guerre générale avec tous les peuples qui habitent les bords de ce fleuve. Guerre entreprise pour des motifs si peu favorables aux intérêts de la colonie ; que les habitans ont continué de vivre en paix avec ces mêmes peuples. Aujourd’hui les négocians de Saint-Louis trafiquent sans obstacles avec les sujets du roi Damel, avec les Maures et les Phuls, coalisés pour faire la guerre seulement aux employés de la colonie. Ce bizarre état de choses a fait baisser le prix de nos marchandises, et élever de moitié celui de la gomme ; ce qui a doublé les frais de nos fabriques, quant à cet article. La guinée bleue (pièce de toile) que l’on échangeait en 1818, contre cent vingt livres de gomme, n’en vaut plus aujourd’hui que trente-cinq. Il existe donc un résultat bien réel de cette fameuse expérience, aussi mal exécutée, que mal conçue ; c’est une double dépense de plus que la nation supporte depuis l’expédition lucrative du Sénégal.

Voyez maintenant, monseigneur, la confiance que vous devez avoir dans les documens, les déclarations et les renseignemens positifs que vous fournit l’administration du Sénégal. Tout ceci doit vous faire voir la confusion qui règne dans les affaires de cette pauvre colonie !

Vous terminez votre lettre par le paragraphe suivant : L’administration du Sénégal, que j’avais invitée à intervenir pour vous procurer le paiement des droits réclamés par vous pour l’enterrement de six employés, me répond qu’elle n’a aucun moyen de reprise à cet égard. Si vous m’indiquez le nom des employés dont il s’agit, je ferai rechercher, s’il existe, dans la caisse des invalides de la marine quelque somme appartenant à leur succession, sur laquelle vous puissiez exercer vos droits, dans le cas où vous le jugeriez convenable.

Dans celle du 24 mars 1819, vous me disiez que les frais d’enterrement des employés devaient m’être payés par les héritiers, s’il y en avait. Pendant que j’étais au Sénégal, M. Fleuriau m’écrivait, le 28 septembre 1818 ; il ne vous revient pas de frais d’enterrement. Si cependant vous avez déboursé quelques frais, il est juste qu’ils vous soient payés. A la vérité ce plaisant administrateur a oublié de me dire par qui ; mais depuis j’ai appris, par vs lettres, que ce devait être par les héritiers, s’il y en avait.

Ainsi donc lorsque j’étais au Sénégal, on me renvoyait aux héritiers d’Europe pour être défrayé des dépenses que je n’ai faites que d’après les ordres de l’administration ; et d’ici on me renvoie au Sénégal pour être remboursé de ces mêmes frais. Aujourd’hui, en m’annonçant qu’il ne reste plus rien de ces successions, vous avez l’obligeance de m’offrir de faire chercher dans la caisse des invalides s’il existe encore quelques lambeaux appartenant à ces successions sur lesquels je pourrai exercer mes droits, si je le juge convenable.

Non, monseigneur, je ne jugerai jamais convenable de m’approprier quelques misérables débris des successions que vos employés ont dévorées. Je réclame le paiement d’une somme légitimement acquise, et non pas la facilité de dépouiller la veuve et l’orphelin du dernier denier qu’on n’a pu leur ravir (1).

(1). M. Jean Grimard, subrécargue du brick Le Gascon, étant décédé dans la nuit du 2 septembre 1818, les scellés furent apposés sur les effets de la cargaison. Le second capitaine, alors absent, se permit à son retour de les briser pour prendre l’argent qu’il voulut, sans que l’administration de M. Fleuriau ait jamais jugé à propos de s’apercevoir de cette violation, qui avoit excité la surprise et l’indignation du public.

M. Valate, propriétaire d’un bâtiment, parti avec une cargaison de noirs, sous le commandement du capitaine Desse, et pendant l’administration de M. Fleuriau, occupait, avec une servante qu’il avait amené ? ? ? ? ? ? la maison de M. Labourée, où demeurait aussi le sieur Mille, commis de marine, chargé de la comptabilité, et qui vivait maritalement avec la fille de M. Labourée. M. Valate succomba à l’intempérie de la saison, dans la nuit du 16 août 1818, et le sieur Mille, avertit par les sanglots de la servante, accourut, comme le vautour attiré par l’odeur d’un cadavre. Il s’empressa d’ouvrir une malle où il prit une poignée d’argent qu’il jeta à cette malheureuse, en la chassant impitoyablement de la maison, malgré la nuit, ses cris et sa douleur. Il accompagna cette action de paroles qui auraient sali la bouche de l’homme le plus grossier. Cette pauvre servante se réfugia chez M. Boucalini, son compatriote ; et, le lendemain, de bonne heure, M. Mille lui fit dire de rentrer dans le logement de son maître, en la faisant prévenir que les effets de la succession avaient été mis sous le scellé. (Par lui seul, et pendant la nuit !…)

Ce Mille est le même administrateur qui, sous M. Fleuriau, avait retardé la saisie du postillon, pour se faire payer trente-six noirs, qu’il avait vendus au capitaine, et qui alla lui-même, le lendemain, saisir ce navire avec les trente-six esclaves qu’il avait vendus la veille. (Voyez pag. 30 de la seconde Pétition de M. Morénas, sur la Traite qui continue de se faire à la côte d’Afrique.)

Monseigneur, je vous ai fait quelques révélations qui n’ont servi qu’à m’attirer des vengeances beaucoup plus honorables que les éloges prodigués, par ordre ou par complaisance, à l’administration des sieurs Schmaltz et Fleuriau. Lorsque le jour de la justice sera venu, je vous en ferai bien d’autres.

En attendant, j’ai l’honneur d’être, monseigneur, de votre excellence, le très-patient serviteur,

GIUDICELLY.

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