Appel de la capitale de l’Écosse aux Etats-Unis d’Amerique

 [Au verso du faux-titre:]

Ouvrages sur l’esclavage publiés par le même libraire Hachette, rue Pierre-Sarrazin, nº 12.

Haïti, ou Renseignemens authentiques sur l’abolition de l’esclavage & ses résultats à Saint-Domingue & à la Guadeloupe, avec des détails sur l’état actuel d’Haïti & des noirs émancipés qui forment sa population; traduit de l’anglais.- Prix, br. 3 fr.

Anti-slavery Reporter, nº 112, on the working of the abolition act.- Prix, br. 1 fr. 50 cent.

Tableau de l’esclavage tel qu’il existe dans les Colonies françaises.- Prix, br. 75 cent.

Faits & Renseignemens prouvant les avantages du travail libre sur le travail forcé, & indiquant les moyens les plus propres à hâter l’abolition de l’esclavage dans les Colonies européennes.- Prix, br. 2 fr. 50 cent.

Détails sur l’Émancipation des Esclaves dans les Colonies anglaises, pendant les années 1834 & 1835, tirés des documens officiels présentés au parlement anglais & imprimés par son ordre, avec des notes & observations; traduit de l’anglais.- Prix, br. 2 fr. 50 cent.

Suite de ces détails.- Prix br. 2 fr.

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APPEL DE LA CAPITALE DE L’ÉCOSSE AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE, AU SUJET DE L’ESCLAVAGE.

Les Sociétés pour l’Émancipation des Esclaves établies dans les deux premières villes de l’Ecosse, Édimbourg & Glascow, viennent d’adresser aux États-Unis d’Amérique un Appel qui nous a paru mériter l’attention de tous les peuples civilisés, de toutes les nations chrétiennes qui tiennent encore leurs semblables en esclavage.

Cet appel porte pour épigraphe ces mots si connus de la déclaration de l’indépendance américaine: «Nous tenons pour incontestables, & évidentes par elles-mêmes, les vérités suivantes: que tous les hommes ont été créés égaux; qu’ils ont reçu du Créateur certains droits inaliénables, & que parmi ces droits, on doit placer au premier rang la liberté, la vie & la recherche du bonheur.»

Aussi long-temps que l’esclavage, y est-il dit en commençant, a continué à souiller le territoire des colonies de la Grande Bretagne, la nation anglaise n’a pas cru pouvoir élever la voix contre le maintien de ce crime de lèse-humanité dans les autres parties du monde. Mais aussitôt qu’eut été porté le coup qui abolissait cette odieuse institution dans les possessions britanniques, rien ne l’empêcha plus d’exprimer hautement, et par tous les moyens possibles, sa profonde sympathie pour les souffrances de l’esclave, sur quelque point du globe que retentisse encore le bruit de ses fers;et au mois d’octobre 1833, fut formée à Édimbourg une société, signal et modèle de plusieurs autres qui ne tardèrent pas à s’établir, «pour l’abolition de l’esclavage dans tout l’univers». L’attention de ces sociétés, dirigée en général sur la continuation de la traite, et sur l’esclavage dans les différentes colonies européennes, et surtout au Brésil, où ces deux fléaux étaient dans toute leur intensité, se fixa plus particulièrement sur les États-Unis d’Amérique, là où ils régnaient hardiment & sans contrôle, où ils étaient défendus sans pudeur & sans honte, «où ils se signalaient par les circonstances les plus déshonorantes qu’eût jamais éclairées la lumière du soleil, & cela chez un peuple qui avait la prétention d’être regardé par tous les autres peuples comme le plus libre qui fût dans l’univers. Là, plus de deux millions d’esclaves, noirs ou mulâtres, continuent à gémir dans l’oppression la plus barbare, sans consolation pour le présent, sans espoir pour l’avenir, tandis que plus de trois cent mille autres individus de même couleur, nominalement affranchis, sont encore aujourd’hui condamnés, par l’homme blanc, à la plus abjecte dégradation, au plus ignominieux mépris, sans autre crime que celui de n’avoir pas la peau de la même nuance que la sienne. Les Etats-Unis, il faut leur accorder cette triste prééminence, se distinguent parmi tous les peuples dans la perpétuation de cette cruelle & avilissante proscription; car au Brésil même, pour ne pas parler des colonies françaises ou anglaises, au Brésil, aussitôt que l’esclave, ou mulâtre ou noir, a été déclaré libre, il devient éligible, à tous les emplois, & est, au yeux de la loi, l’égal des blancs.»

Ce fut donc dans ce vaste champ de misères et de crimes que la Société d’Édimburg crut de son devoir de commencer l’oeuvre à laquelle elle s’était consacrée.

«Oui,» dit-elle avec autant d’énergie que de vérité, «c’était vers ce pays que nous devions diriger nos premiers efforts, vers ce pays non moins coupable que le nôtre ne l’avait été, mais où des actes que la Grande-Bretagne n’eut jamais à se reprocher, n’ont que trop long-temps trouvé une sanction légale et d’indignes apologies; vers ce pays où, à côté de cette déclaration que répètent journellement toutes les bouches que tous les hommes sont égaux, et ont reçu du Créateur des droits inaliénables, on tient dans l’avilissement plus de deux millions trois cent mille individus de l’espèce humaine; où l’on continue sans un soupir, sans un signe de regret, un système d’esclavage et d’une traite intérieure, et, ce qui est bien plus terrible encore, où l’on a eu la sacrilège audace d’entrelacer, en quelque sorte, le code de l’esclavage et ses abominations avec les saintes lois et le miséricordieux système du christianisme; ce pays, où l’homme est la propriété absolue de l’homme son semblable, un objet de troc ou de vente, un meuble, qu’on ne range pas parmi les êtres raisonnables; où l’esclave est héréditaire, et où les enfans d’une femme esclave, quoique nés d’une père blanc, sont condamnés à une servitude perpétuelle; où, en effet, les pères vendent souvent leurs propres enfans; où les femmes même sont vendues au poids et en échange contre des bêtes brutes; où, dans le plus peuplé et le plus puissant des États de l’Union, la peine infligée à quiconque a entrepris de montrer à lire à des Noirs, quand il y a récidive, est la mort; où, dans tous les États à esclaves, les bienfaits de l’éducation sont prohibés, et où, le plus ordinairement, on punit de l’amende, du fouet et de la prison, ceux qui osent employer des moyens quelconques pour éclairer la population noire ou de couleur; là, enfin où, chaque fois qu’il se lève, le soleil voit deux cents enfans de plus nés dans cette déplorable condition d’une servitude sans espérance, et où, par conséquent, le cours d’une seule année grossit les millions d’âmes abruties par l’esclavage d’autant d’infortunés que les marchands de chair humaine de toutes les nations en arrachent à l’Afrique.

«C’est au milieu de si douloureuses circonstances que, du sein même de l’Amérique, se firent entendre quelques voix généreuses. «Il est impossible,» dirent-elles aux amis de l’émancipation dans la Grande-Bretagne, «il est impossible que le peuple anglais, près de porter le dernier coup à l’esclavage colonial, regarde comme terminée cette grande et noble entreprise, tant qu’il restera sous le ciel un seul être à figure humaine exploité par un autre comme sa propriété. Non, chers amis, vous ne refuserez pas de faire quelque chose pour nous, bien persuadés que tous vos sacrifices, comme la semence qui tombe dans une bonne terre, ne manqueront pas de produire au centuple.»

En conséquence de cet appel, le 7 octobre 1833, les sociétés d’émancipation d’Édimbourg et de Glascow élurent comme leur agent M. G. Thompson, qui, pendant plusieurs années, avait travaillé avec zèle à la destruction de l’esclavage britannique, par des lectures publiques où il avait déployé ce que la raison et l’éloquence ont de plus entraînant. Malgré tout ce que cette mission avait d’épineux, il n’en fut point effrayé, et il débarqua à New-York le 19 septembre 1834. A son arrivée, la société de la Nouvelle-Angleterre pour l’abolition de l’esclavage persuadée, comme elle le déclarait, «que le moyen le plus efficace qu’elle pût adopter pour amener l’affranchissement des Nègres des Etats-Unis était celui-là même qui avait eu en Angleterre de si heureux résultats, et qui consistait à employer des agens à la fois intelligens et éloquens,» invita M. Thompson à tenir des séances et à y développer les principes et la théorie du système. Pendant son séjour aux États-Unis, et il y passa plus de treize mois, M. Thompson fit de deux à trois cents discours publics, indépendamment d’un nombre infini d’entretiens plus ou moins longs dans les comités, conventions, associations, etc. Au moment de son départ, il avait enrôlé de mille à douze cents ministres de l’Évangile sous la bannière de l’émancipation immédiate; chaque semaine voyait s’organiser de nouvelles sociétés; un grand nombre de journaux et de brochures périodiques plaidaient en faveur de la population de couleur, opprimée, foulée aux pieds; et tous les jours la cause de l’humanité gagnait en force morale et acquérait de nouveaux partisans.

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La première chose à faire en Amérique était donc d’établir que l’esclave est un homme, de revendiquer ses titres de membre de la famille humaine, et de le faire reconnaître par ses maîtres comme un être de la même espèce qu’eux. Quand on mettait en question le droit que pouvait avoir un esclave, un homme enfin, de participer à tous les droits de l’humanité, il ne demandait pas sous quel climat il était né, quelle était sa couleur, sa stature, le tissu de ses cheveux ou la conformation de ses membres; il ne demandait pas s’il sortait de quelque palais aux somptueux portiques, ou de la pauvre hutte d’un nègre des Indes occidentales; non, il le soumettait à une autre et plus décisive épreuve; il se bornait à cette question: Est-il capable d’élever son esprit et son coeur jusqu’à l’amour de son Dieu? Si la réponse était affirmative, alors il regardait comme reconnue sa nature d’homme; il le réclamait comme un frère, et l’élevait au même rang qu’il occupait lui-même.»

M. Thompson peignit ensuite l’état de dégradation dans lequel croupissent les esclaves des États-Unis, et dit que les dignitaires même de l’Église et les ministres étaient propriétaires d’esclaves. Un de ses amis ayant un jour adressé à quelques noirs cette révoltante question: A qui êtes-vous? j’appartiens à M. tel, dit un de ces malheureux; moi à M. tel, dit un autre; un troisième répondit qu’il appartenait à la congrégation! Cela s’explique par l’usage où sont certaines personnes pieuses de léguer leurs esclaves à l’église, espèce de fondation dont le but est de fournir aux frais de la prédication de l’évangile. Un fait notoire, c’est qu’il n’y a pas d’esclaves plus misérables que ceux qui sont ainsi la propriété d’une congrégation, et cela parce qu’on les loue, comme on louerait un cheval, pour un terme de trois ou six mois à des personnes qui, n’ayant aucun intérêt à s’occuper de leur bien-être à venir, n’ont d’autre objet que d’en tirer le plus qu’il est possible pendant le temps de la location. M. Thompson assurait aussi qu’on refusait aux esclaves toute espèce d’instruction & de consolation religieuse, et qu’à la Louisiane il y avait peine de mort contre quiconque était convaincu pour la seconde fois d’avoir montré à lire à un esclave. Pour prouver que la traite intérieure existait encore aux États-Unis, il rapportait que, dans le district de Columbia, le prix d’une licence pour le commerce des esclaves était de 400 dollars, et que le produit de ces licences était appliqué à des constructions de canaux et à l’éducation des jeunes Blancs à Washington! Dans ce même district, on arrêta un jour un pauvre homme sur le simple soupçon qu’il était esclave; il fut affiché comme tel, mais personne ne se présenta pour le réclamer. Que firent alors ses oppresseurs? Lui accordèrent-ils une indemnité pour son indigne détention? Point du tout; il fut mis à l’encan, et vendu pour être esclave le reste de ses jours, et cela, pour payer les frais de son emprisonnement!

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Lorsque M. Thompson arriva en Amérique, l’opposition n’existait pas; on dédaignait les abolitionnistes comme autant de pauvres visionnaires; on était loin de les croire dangereux; mais les progrès de la cause qu’ils avaient embrassée eurent bientôt réveillé les anti-abolitionistes de leur léthargie, et partout on dénonça les amis de l’esclave comme des perturbateurs de la paix du pays. Mais, malgré ces premiers efforts de leurs adversaires, la cause marcha. Même dans les États du Sud, ajoute M. Thompson, ces sentimens se faisaient jour, bien que personne n’osât les avouer; car là tout homme qui aurait l’imprudence de dire: je suis abolitionniste, prononcerait son arrêt de mort. Le noble juge Lynch, ce juge expéditif, la hart en main, ferait comparaître le coupable, et il y aurait à peine un intervalle entre le moment de sa déclaration et celui où il serait lancé dans l’éternité.

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RÉSOLUTIONS.

I. C’est avec un mélange de douce satisfaction et de poignans regrets que nous avons entendu le rapport qui vient de nous être fait par notre digne et estimable ami M. GEORGE THOMPSON; de satisfaction, en le revoyant parmi nous sain et sauf, mais de regret, en considérant les causes qui ont provoqué son retour des États-Unis, si long-temps avant l’époque marquée par lui, et où nous nous attendions nous-mêmes à le revoir.

   II. Nous nous sommes défendus dès les premiers pas, et nous nous défendons encore aujourd’hui de toute intention, même la plus éloignée, de nous immiscer dans le régime civil ou dans ce qui concerne les institutions d’un seul état, d’une seule ville, ou du plus petit village des États-Unis; mais regardant comme un devoir de proclamer à la face de tous les hommes les grands principes de vérité, de justice et d’humanité, et considérant le maintien de l’esclavage comme la violation permanente d’une loi infiniment supérieure à tous les réglemens et à toutes les combinaisons de la police humaine, nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer la douleur que nous ressentons, en voyant que, dans un pays où l’on parle un idiome qui est aussi le nôtre, dans un pays qui a la prétention d’être la terre classique de la liberté, l’esprit de persécution contre ceux qui se bornent à plaider la cause de l’opprimé, en est venu à un tel point de violence qu’il a comprimé, si ce n’est anéanti, toute liberté de discussion.

III. Comme Dieu a créé d’un seul et même sang toutes les nations destinées à peupler la surface de la terre, et comme il a lui-même déterminé la place que chacune d’elles devait y occuper, le préjugé de la couleur, qui règne depuis des siècles, et est si fortement enraciné aux États-Unis, nous afflige et nous inspire plus d’horreur que jamais, comme étant non-seulement une intarissable source de crimes, mais aussi en lui-même un acte de mépris et un outrage audacieux envers notre commun créateur, et envers le juge au tribunal duquel nous ne pouvons échapper.

IV. Les persécutions auxquelles ont été en butte nos amis, les abolitionistes des États-Unis, nous inspirent la plus profonde douleur. Qu’ils n’oublient pas que ceux qui les persécutent violent cette même constitution américaine qui proclame l’égalité de droits pour tous les hommes, en dépouillant de tout droit naturel plus de deux millions de leurs concitoyens, en proscrivant ceux qui prêchent les doctrines de cette même constitution; qu’ils se disent que ceux qui les persécutent n’outragent pas moins leur créateur, puisqu’ils motivent leur atroce injustice sur cette couleur de peau que Dieu a donnée au Nègre. Si jamais on a pu se dire: plus puissant est Celui qui est avec nous, que tout ce qui peut être contre nous, c’est surtout dans la lutte où nos amis sont engagés; voilà ce qu’ils doivent se redire sans cesse; nous les félicitons des progrès rapides qu’ils ont déjà faits dans cette sainte cause, en les exhortant à marcher en avant, et en leur souhaitant l’aide et les bénédictions du Tout-Puissant.

V. Nous nous rappelons avec plaisir cette communauté d’origine, de langage et d’intérêts qui existe entre nous et les États-Unis; mais autant nous applaudissons à toutes ces institutions religieuses et philanthropiques par lesquelles ils se signalent chaque jour; autant nous déplorons, nous condamnons l’appui donné à l’esclavage par des chrétiens, par des ministres de l’Évangile, par des églises; nous les adjurons, au nom de cette religion que nous professons les uns et les autres, de peser leur conduite dans la balance du sanctuaire; de mettre fin à cet affreux trafic où des corps et des ames d’hommes sont vendus et achetés; de se laver de cette tache déshonorante; de racheter le passé, en revenant à des sentimens d’équité et d’humanité; en émancipant et évangélisant les nègres leurs concitoyens, et en rendant ainsi hommage à Celui qui a fait d’un seul et même sang toutes les nations d’hommes.

VI. Quant à nous, nous saluons d’avance l’heureux jour où nos prières seront exaucées, où nos espérances seront réalisées par l’émancipation de tous les esclaves des États-Unis; nous entrevoyons déjà l’aurore de ce jour dans les craintes mêmes et dans la colère des propriétaires d’esclaves, qui ont substitué aux argumens qui leur manquent la déplorable ressource de l’émeute et de l’effusion de sang; nous l’entrevoyons dans les travaux d’un Garrison, dans les sacrifices d’un Tappan, dans les symptômes de rénovation que présentent déjà les séminaires de théologie, dans l’héroïsme chrétien des femmes qui se sont courageusement associées à la cause de l’émancipation, dans les trois cent vingt sociétés abolitionnistes qui se sont formées en une seule année, et surtout dans le caractère moral d’une cause qui est celle de la vérité, du patriotisme, de l’humanité, qui est celle de Dieu lui-même. Nous ne cesserons d’exhorter, d’encourager tous nos amis de delà l’Atlantique, et tous ceux qui pourraient visiter notre pays, à redoubler d’efforts pour amener promptement la destruction d’un système qui blesse si profondément toutes les règles de la justice, tous les principes de la religion, qui outrage le ciel même, et cela dans un pays où la lumière de l’Évangile brille avec tant d’éclat. Nous rendons grâces à Dieu pour le passé, nous prenons courage pour l’avenir, et nous invitons tous nos amis à persévérer dans les mêmes dispositions que nous.

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