De la Littérature des Nègres

Pag. V-XVJ

DÉDICACE.

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A tous les hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs et Sang-mêlés, soit par leurs ouvrages, soit par leurs discours dans les assemblées politiques, dans les sociétés établies pour l’abolition de la traite, le soulagement et la liberté des esclaves.

FRANÇAIS

Adanson (1). – Antoine Benezet, Bernardin-Saint-Pierre, Biauzat, Boissy-d’Anglas, Brissot. -Carra, le P. Cibot jésuite, Clavière, Clermont-Tonnerre, Le Cointe-Marsillac, Condorcet, Cournand. – Demanet, Desessarts, Ducis, Dufay, Dupont de Nemours, Dyannière. – D’Estaing. – La Fayette, Fauchet, Febvé, Ferrand de Baudières, Frossard. – Garat, Garran de Coulon, Gatereau, Le Genty, Girey-Dupré, Mad. Olympe de Gouges, Gramagnac, Grelet de Beauregard. – Hiriart. -Jacquemin, ancien évêque de Cayenne, Saint-John-Crevecoeur, de Joly. – Kersaint. -Ladebat, Lanjuinais, Lanthenas, Lescalier. – Théophile Mandar, L. P. Mercier, Mirabeau, Montesquieu. – Necker. – Pelletan, Pétion, Nicolas Petit-Pied docteur de Sorbonne, Poivre, Pruneau-de-Pomme-Gouge, Polverel. – Le général Ricard, Raynal, Robin, la Rochefoucault, Rochon, Roederer, Roucher. – Saint-Lambert, Sibire, Sieyes, Sonthonax, La Société de Sorbonne. – Target, Tracy, Turgot. – Viefville-Desessarts, Volney.

(1). Eu égard à la multitude de noms propres cités dans cet ouvrage, on a supprimé partout la qualification de Mr, dont la répétition eût été fastidieuse.

ANGLAIS

Will. Agutter, Anderson, Will. Ashburnam. – David Barclay, Richard Baxter, Mad. Barbauld, Barrow, Beatson, Beattie, Beaufoy, Mad. Behn, John Bicknell, John Bidlake, Wil. Lisle Bowles, Sam. Bradburn, Bradshaw, Brougham, Th. Burgess, Burling, Buttler. – Clément Caines, Campbell, T. Clarkson, John-Henri Colls, Th. Cooper, Cornwallis évêque de Lichtfield, Cowry, Crawford, Curran. – Danett, Th. Day, Darwin, Wil. Steel Dickson, Wil. Dimond junior, Dore, John Dyer. – Charles Ellis. – Alexandre Falconbridge, Mlle. Falconbridge, Robert Townsend Farqhar, James Foster, Fothergill, George Fox, Charles Fox. – Gardenston, Thomas Gisborne, James Grainger, Granville-Sharp, G. Gregory. – Hans-Sloane, Jonas Hanway, Hargrave, Rob. Hawker, Hayter évêque de Norwich, Hector Saint-John Rowland Hill, Holder, lord Holland, Melville Horne, Hornemann, Horne-Tooke, Horsley évêque de Rochester; Griffitt Hughes, Francis Hutcheson. – James Jamieson, Thomas Jeffery, Edward Jerningham, Samuel Johnson. – Benjamin Lay, Ledyard, Lettsom, Lucas, Luffman. – Macneil, Maddisson, Makintosch, Richard Mant, Hughes Mason, Millar, Mlle Hannah More, Morgan-Godwin. – John Newton, Robert-Boucher Nicholls doyen de Middleham, Rich. Nisbet. – Mad. Opie, Osborne. – Paley, Robert Percival, Thom. Percival, Pickard, John Philmore, Pinckard, William Pitt, Beilby Porteus évêque de Londres, Pratt, Price, Priestley, C. Peters. – James Ramsay, Rickman, Robertson ministre à Nevis, Robert Robinson, Mad. Marie Robinson, Reid, Rogers, Roscoë, Ryan. – Sewal, Shenstone, Shéridan, Smeathman, William Smith, Snelgrave, Robert Southey, James Field Stanfield, Stanhope, Sterne, Percival Stockdale, Mlle Stockdale, Stone recteur de Coldnorton. – Thelwal, Thompson, Thorneton. – John Waker, George Wallis, Warburthon évêque de Glocester, John Warren évêque de Bangor, John Wesley, Whitaker, J. White, Whitchurch, George Whithfield, Wilberforce, Mlle Hélène-Marie Williams, John Woolman. – Mlle Yearsley, Arthur Young, les auteurs anonymes de Indian eglogues, de The Crisis of the Sugar colonies, de The Sorrows of slavery, etc., etc.

AMÉRICAINS

Joël Barlow. – James Dana, Dwight. – Fernando Fairfax, Francklin. – Humphrey. – Imlay. – Jefferson. – Livingston. – Alexander Mac-Leod, Madison, Magaw, Warner Miflin, Mitchill. -Pearce, Pemberton, William Pinkeney. – Benjamin Rush. – John Vaughan, D. B. Warden, Elhanan Winchester, Vining.

NÈGRES ET SANG-MÊLÉS.

Amo. – Cugoano. – Othello. – Milscent, sous le nom de Michel Mina. – Julien Raymond. -Ignace Sancho. – Gustave Vassa. – Phillis Wheatley.

ALLEMANDS.

Blumenbach. – Auguste La Fontaine. – Mad. Julie duchesse de Giovane. – Kotzbue. – Less. -Oldendorp. – Pezzl, Ch. Sprengel. – Usteri.

DANOIS.

Bernstorf. – Isert. – Kirsten. – Niebuhr. – Olivarius. – Rahbek. – Th. Thaarup. – West.

SUÉDOIS.

Afzelius. – Euphrasen. – Auguste Nordenskiold, Ulric Nordenskiold. – And. Sparrman. -Trotter-Lind. – Wadstrom.

HOLLANDAIS.

Mad. Beaker. – Van Geuns. – Hogendorp. – Peter Paulus. – Mad. Wolf, de Vos, Peter Wrede.

ITALIENS.

Le cardinal Cibo, le collége des Cardinaux.- L’abbé Pierre Tamburini. – Zacchiroli.

ESPAGNOL.

Avendaño.

QU’ON ne s’étonne pas de ce que (Avendaño excepté) on ne trouve ici aucun auteur espagnol ni portugais; nul autre, à ma connoissance, ne s’est mis en frais de prouver que le Nègre appartient à la grande famille du genre humain, que partant il doit en remplir tous les devoirs, en exercer tous les droits: par delà les Pyrennées, ces droits et ces devoirs ne furent jamais problématiques; et contre qui se défendre, s’il n’y a pas d’agresseur? De nos jours seulement, par des applications forcées, un Portugais, dénaturant l’Ecriture sainte, a tenté de justifier l’esclavage colonial, si dissemblable à celui qui, chez les Hébreux, n’étoit guère qu’une sorte de domesticité; mais la brochure d’Azérédo (1) est passée de la boutique du libraire dans le fleuve de l’oubli. Tel est aussi le sort qu’ont eu les pamphlets de Harris, et du trinitaire Grabowski, qui invoquoient la Bible; celui-là en Angleterre, pour légitimer l’esclavage colonial; celui-ci en Pologne, pour river les fers des paysans de cette contrée, tandis que Joseph Paulikowski (2) et l’abbé Michel Karpowitz, dans ses sermons (3), proclamoient et revendiquoient pour tous l’égalité des droits. Les amis de l’esclavage sont nécessairement les ennemis de l’humanité.

(1). V. Analyse sur la justice du commerce, du rachat des esclaves de la côte d’Afrique, par J. J. d’Acunha de Azérédo Coutinho, in-8º, Londres.

(2). V. O Poddanych polskich, c’est-à-dire, des paysans polonais, par Joseph Paulikowski, in-8º, Roku 1788

(3). V. Kazania X. Michala Karpowicza, W. Roznych ocolicznosciach Miané, c’est-à-dire Sermons de l’abbé Karpowicz, 3 vol. in-12. W. Krakovie 1806. V. surtout les second et troisième volumes.

En général, dans les établissemens espagnols et portugais, on envisage les Nègres comme des frères d’une teinte différente. La religion chrétienne qui épure la joie, qui essuie les larmes, et dont la main est toujours prête à répandre des bienfaits, la religion se place entre les esclaves et les maîtres, pour adoucir la rigueur de l’autorité et le joug de l’obéissance. Ainsi, chez deux puissances coloniales, on n’a pas composé de plaidoyers inutiles en faveur des Nègres, par la même raison qu’avant l’Anglais Hartlib, on n’écrivoit pas sur l’agriculture de la Belgique, où la supériorité des méthodes et des procédés agronomiques suppléoit aux livres.

Si l’on censuroit dans cette liste l’insertion de certains noms que la vertu n’inscrit pas dans ses fastes, on répondroit que, sans vouloir atténuer les torts des individus, on ne les présente ici que sous le point de vue relatif à leurs efforts pour l’amélioration du sort des Noirs; et sur cet article même, on est loin de leur attribuer un égal degré de mérite et de talent. Il est affligeant qu’on ne puisse appliquer à tous une maxime du poëte Churchil, en disant qu’ils ont le coeur aussi pur que leur cause est légitime. Chacun reste maître d’exercer sa justice, en repoussant ces écrivains dans la classe malheureusement si nombreuse de gens de lettres qui ne valent pas leurs livres.

La liste qu’on vient de lire est sans doute très-incomplète; elle réclame des noms honorables, que j’ai oubliés, ou que je n’ai pas l’avantage de connoître, soit que dans leurs écrits les auteurs ayent gardé l’anonyme, soit que leurs écrits ayent échappé à mes recherches. Je recevrai avec reconnoissance tous les renseignemens qui peuvent réparer ces omissions involontaires, rectifier les erreurs, et compléter l’ouvrage. Parmi ces écrivains un grand nombre sont morts; je dépose sur leurs tombes mes hommages, et j’offre le même tribut à ceux qui vivant encore, et qui n’ayant pas, comme Oxholm, apostasié leurs principes, poursuivent sans relâche leur noble entreprise, chacun dans la sphère où l’a placé la providence.

Philantropes! personne n’est juste et bon impunément; entre le vice et la vertu la guerre commencée à la naissance des temps, ne finira qu’avec eux. Dévorés du besoin de nuire, les pervers sont toujours armés contre quiconque ose révéler leurs forfaits, et les empêcher de tourmenter l’espèce humaine. A leurs coupables tentatives opposons un mur d’airain, mais vengeons-nous d’eux par des bienfaits. Hâtons-nous; la vie est si longue pour faire le mal, si courte pour faire le bien! Cette terre se dérobe sous nos pas, et nous allons quitter la scène du monde; la dépravation contemporaine charie vers la postérité tous les élémens du crime et de l’esclavage. Cependant, parmi ceux qui s’agiteront ici-bas, lorsque nous dormirons dans le tombeau, quelques hommes de bien, échappés à la contagion, seront en quelque sorte les représentans de la providence: léguons-leur la tâche honorable de défendre la liberté et le malheur. Du sein de l’éternité, nous applaudirons à leurs efforts, et sans doute il les bénira ce Père commun, qui dans les hommes, quelle que soit leur couleur, reconnoît son ouvrage, et les aime comme ses enfans.

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DE LA LITTERATURE DES NÈGRES.

CHAPITRE PREMIER.

Ce qu’on entend par le mot Nègres. Sous cette dénomination doit-on comprendre tous les Noirs? Disparité d’opinion sur leur origine. Unité du type primitif de la race humaine.

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SOUS le nom d’Ethiopiens, les Grecs comprenoient tous les hommes noirs. Cette assertion s’appuie sur des passages de la bible des Septante, d’Hérodote, Théophraste, Pausanias, Athenée, Héliodore, Eusèbe, Flavius Josephe (1). Ils sont appelés de même par Pline l’ancien et Térence (2). On distinguoit les Ethiopiens orientaux, ou indiens, ou d’Asie, des Ethiopiens occidentaux, ou d’Afrique. Rome connut ceux-ci sans doute dans ses guerres avec les Carthaginois, qui en avoient dans leurs armées, à ce que prétend Macpherson, fondé sur un passage de Frontin (3). Rome ayant plus que la Grèce des relations fréquentes avec les côtes occidentales de l’Afrique, quelquefois, dans les auteurs latins, les Noirs furent appelés Africains (4). Mais en Orient, on continua de les désigner sous le nom d’Ethiopiens, parce qu’ils y arrivoient par la voie de l’Ethiopie, qui depuis l’an 651 paya, pendant assez long-temps aux Arabes, un tribut annuel d’esclaves, et qui, pour acquitter ce tribut, en tiroit peut-être de l’intérieur de l’Afrique (5). On les employoit à la guerre, car dans celle des croisades, on voit à Hébron, et au siége de Jérusalem, en 1099, des Noirs à cheveux crépus, que Guillaume de Malmesbury appelle également Ethiopiens (6).

(1). V. Jérémie, 13, 23. Flavius Josephe, Antiquités judaïques, l. VIII, c. VII. Theophraste, 22e caractère. Hérodote, dans Thalie et Polymnie, etc.

(2). Pline, l. V. c. IX. Térence, Eunuchus, act. I, scen. I.

(3). V. Annals of commerce, etc., by Macpherson, in-4° London 1805, t. I, p. 51 et 52. Frontin, Stratagemata, l. I, c. II.

(4). …Subito flens Africa nigras procubuit lacerata genas… dit Sidoine Apollinaire, dans le Panégyrique de Majorien.

(5). V. Gibbon’s, History, etc., reviewed by the rev. J. Whitaker, in-8°, London 1791, p. 18 et suiv.

(6). Guillelm. Malmesb., fol. 84.

Chez les modernes, quoique le nom d’Ethiopie soit exclusivement réservé à une région de l’Afrique, beaucoup d’écrivains, espagnols et portugais surtout, ont appelé Ethiopiens tous les Noirs. Il n’y a pas encore trente ans que le docteur Ehrlen imprimoit, à Strasbourg, un traité de servis AEthiopibus Europeorum in coloniis Americae (1). La dénomination d’Africains prévaut actuellement, et l’emploi de ces deux mots est également abusif, puisque d’une part l’Ethiopie, dont les habitans ne sont pas du noir le plus foncé (2), n’est qu’une partie d’Afrique, et que de l’autre il y a des Noirs asiatiques. Hérodote les nomme Ethiopiens à cheveux longs, pour les distinguer de ceux d’Afrique, qui ont les cheveux crépus; car autrefois on croyoit que ceux-ci n’appartenoient qu’à l’Afrique, et que les Noirs à cheveux longs ne se trouvoient que dans le continent asiatique. Quelques réglemens avoient défendu d’en importer dans les îles de France et de la Réunion; mais les relations des voyageurs nous ont appris que dans le continent africain, ainsi qu’à Madagascar, il y a aussi des Nègres à cheveux longs: tels sont, au centre de l’Afrique, les habitans de Bornou (3); tels étoient les Nègres pasteurs de l’île de Cerné, où les Carthaginois avoient des comptoirs (4). D’un autre côté les indigènes des îles des Andamans, dans le golfe du Bengale, sont des Noirs à cheveux crépus; dans diverses parties de l’Inde, les montagnards en ont presque la couleur, la figure et la chevelure. Ce fait est consigné dans un savant mémoire de Francis Wilford, associé de l’Institut national (5). Il ajoute que les plus anciennes statues des divinités indiennes ont la figure des Nègres. Ces considérations fortifient le système, qu’autrefois cette race a couvert une grande partie du continent asiatique.

(1). In-4°, Argentorati 1778.

(2). Voyage d’Ethiopie, par Poncet, p. 99, etc.; et l’Histoire du Christianisme d’Ethiopie, par La Croze. p. 77, etc.

(3). V. Idées sur les relations politiques et commerciales des anciens peuples de l’Afrique, etc., par Heeren, in-8°, Paris an 8, t. II, p. 10, 75.

(4). Ibid., t. I, p. 134, 156, 160.

(5). V. Asiatic researches, t. III, p. 355, etc.

La couleur noire étant le caractère le plus marqué qui sépare des Blancs une partie de l’espèce humaine, communément on a été moins attentif aux différences de conformation qui entre les Noirs eux-mêmes établissent des variétés. C’est à quoi fait allusion Camper, lorsqu’il dit que Rubens, Sébastien Ricci et Vander-Tempel, en peignant les Mages, ont peint des Noirs, et non des Nègres. Ainsi, avec d’antres auteurs, Camper restreint cette dernière dénomination à ceux qui se font remarquer par des joues proéminentes, de grosses lèvres, un nez épaté, et la chevelure moutonnée. Mais cette distinction entre eux, et ceux qui ont la chevelure lisse et longue, ne constitue pas une diversité de races. Le caractère spécifique des peuples est permanent, tant qu’ils vivent isolés; il s’affoiblit ou disparoît par le mélange. Reconnoît-on la peinture que fait César des Gaulois, dans les habitans actuels de la France? Depuis que les peuples de notre continent sont, pour ainsi dire, transvasés les uns dans les autres, les caractères nationaux sont presque méconnoissables au physique et au moral. On est moins Français, moins Espagnol, moins Allemand; on est plus Européen, et ces Européens, ont les uns la chevelure frisée, les autres lisse; mais si, à cause de cette différence et de quelques autres dans la stature et la conformation, on prétendoit assigner l’étendue et les limites de leurs facultés intellectuelles, n’auroit-on pas le droit d’en rire? Dira-t-on que la comparaison péche en ce que les chevelures européennes qui sont crépues ne sont pas laineuses? Au lien de se prévaloir des exceptions à cette règle, on se borne à demander si cette discrépance suffit pour nier l’identité d’espèce. Il en est de même dans la variété noire; entre les individus placés aux extrémités de la ligne terminée d’un côté par la variété blanche, et de l’autre par la noire, il existe des différences remarquables qui s’atténuent et se confondent dans les intermédiaires.

Des passages d’auteurs qu’on a cités, attestent que les Grecs ont eu des esclaves nègres; c’étoit même un usage assez commun, selon Visconti, qui, dans le Musée Pio Clementin, a publié une très-belle figure d’un de ces Nègres qu’on employoit au service des bains (1): déjà Caylus avoit fait graver plusieurs autres (2).

(1). T. III, p. 41, planch. 35.

(2). V. Recueil d’Antiquités, etc., t. V, p. 247, planch. 88, t. VII, p, 285, planch. 81.

La loi mosaïque défendoit de mutiler les hommes; mais Jahn assure, dans son Archeologie biblique, que les rois des Hébreux, achetoient des autres nations des eunuque, et spécialement des Noirs (1); il ne cite aucune autorité à l’appui de son dire. Toutefois il est possible qu’ils en aient eu, soit par leurs communications avec les Arabes, soit lorsque les flottes de Salomon cingloient d’Aziongaber à Ophir, d’où elles apportoient, dit Flavius Josephe, beaucoup d’ivoire, des singes et des Ethiopiens (2): ce qui est incontestable, c’est que l’Egypte commerçoit avec l’Ethiopie, et que les Alexandrins faisoient la traite des Nègres. Athenée et Pline le naturaliste en fournissent la preuve, et Ameilhon s’en appuie dans son histoire du commerce des Egyptiens (3).

(1). Archoeologia biblica, etc., à J. Ch. Jahn. Viennoe, p. 389.

(2). V. Josephe, Antiq., l. VIII, c. VII, p. 2. Hudson, dans sa traduction latine dit AEthiopes in Mancipia (esclaves); le texte grec ne le dit pas, mais le fait présumer.

(3). p. 85.

Pinkerton croit ceux-ci d’origine assyrienne ou arabe (1). Heeren paroît mieux fondé, en les faisant descendre des Ethiopiens, qui eux-mêmes, selon Diodore de Sicile, regardoient les Egyptiens comme une de leurs colonies (2). Plus on remonte vers l’antiquité, plus on trouve de relations entre leurs pays respectifs; même écriture, mêmes moeurs, mêmes usages. Le culte des animaux encore subsistant chez presque tous les peuples nègres, étoit celui des Egyptiens; leurs formes étoient celles des Nègres un peu blanchis par l’effet du climat. Hérodote assure que les Colches sont originairement Egyptiens, parce que, comme eux, ils ont la peau noire et les cheveux crépus (3). Ce témoignage infirme les raisonnemens de Browne; les expressions d’Hérodote, dit-il, signifient seulement que les Egyptiens ont un teint basané et des cheveux crépus, comparativement aux Grecs, mais elles n’indiquent pas des Nègres (4). A cette assertion de Browne il ne manque que la preuve; le texte d’Hérodote est clair et précis.

(1). V. Modern Geography, in-4º London 1807, t. II, p. 2; et t. III, p. 820 et 833.

(2). L. III, § 3.

(3). Hérodote, l. II, n° 104.

(4). V. Nouveau Voyage dans la haute et basse Egypte, par Browne, t. I, c. XII; et Walkenaer, dans les Archives littéraires, etc.

Tout concourt donc à fortifier le système de Volney, qui voit dans les Coptes les représentans des Egyptiens. Ils ont un ton de peau jaunâtre et fumeux, le visage bouffi, l’oeil gonflé, le nez écrasé, la lèvre grosse, en un mot la figure mulâtre (1). Fondé sur les mêmes observations, Ledyard croit à l’identité des Nègres et des Coptes (2). Le médecin Frank, qui étoit de l’expédition d’Egypte, appuie cette opinion par le rapprochement des usages, tels que la circoncision et l’excision pratiquées chez les Copte; et chez les Nègres (3); usages qui, au rapport de Ludolphe, se sont conservés chez les Ethiopiens (4).

(1). V. Voyages en Syrie et en Egypte, par Volney, nouvelle edit.. t. I, p. 10 et suiv.

(2). V. Ledyard, t. I, p. 24.

(3). V. Mémoire sur le commerce des Nègres au Caire, par Louis Franck, in-8º, Paris 1802,

(4). V. Jobi Ludolf, etc., Historia aethiopica, in-fol., 1681, Francofurti ad Moenum, l. III, c. I.

Blumenbach a remarqué dans des crânes de momies ce qui caractérise la race nègre. Cuvier n’y trouve pas cette conformité de structure. Ces deux témoignages imposans, mais en apparence contradictoires, se concilient en admettant, comme Blumenbach, trois variétés égyptiennes, dont une rappelle la figure des Indous, une autre celle des Nègres, une troisième propre au climat de l’Egypte, dépend des influences locales: les deux premières s’y confondent par le laps de temps (1); la seconde, qui est celle du Nègre, se reproduit, dit Blumenbach, dans la figure du sphinx. Ici Browne vient encore s’inscrire en faux. Il prétend que la statue du sphinx est tellement dégradée, qu’il est impossible d’assigner son véritable caractère (2); et Meiners doute si les figures du sphinx représentent des héros ou des génies mal-faisans. Ce sentiment est combattu par l’inspection des sphinx dessinés dans Caylus, Norden, Niebhur et Cassas, examinés sur les lieux par les trois derniers, et depuis par Volney et Olivier (3). Ils lui trouvent la figure éthiopienne; d’où Volney conclut qu’à la race noire, aujourd’hui esclave, nous devons nos arts, nos sciences, et jusqu’à l’art de la parole (4).

(1). V. De Generis humani varietate nativa, in-8°, Gottingue 1794.

(2). Browne, ibid.

(3). V. Voyage dans l’Empire ottoman, l’Egypte, la Perse, etc., par Olivier, 3. vol. in-4°, Paris 1804-7, t. II, p. 83 et suiv.

(4). Volney, ibid.

Grégory, dans ses Essais historiques et moraux, nous reporte aux siècles antiques pour montrer pareillement dans les Nègres nos maîtres en sciences; car ces Egyptiens, chez lesquels Pythagore, et d’autres Grecs, alloient puiser la philosophie, n’étoient, selon plusieurs écrivains, que des Nègres, dont les traits natifs furent décomposés et modifiés par le mélange successif des Grecs, des Romains et des Sarrasins. Dût-on prouver que les sciences sont venues de l’Inde en Egypte, en seroit-il moins vrai qu’elles ont traversé ce dernier pays pour arriver en Europe?

Meiners se retranche à soutenir que l’on doit peu aux Egyptiens; et un homme de lettres, à Caen, a publié une dissertation pour développer cette thèse (1). Déjà elle avoit eu pour défenseur Edouard Long, auteur anonyme de l’histoire de la Jamaïque, qui, en accordant aux Nègres un caractère très-analogue à celui des anciens Egyptiens, charge ceux-ci de mauvaises qualités, leur refuse le génie, le goût; leur dispute les talens pour la musique, la peinture, l’éloquence, la poésie; il leur accorde seulement la médiocrité en architecture (2). Il auroit pu ajouter que cette médiocrité se manifeste dans leurs pyramides, qu’un simple maçon eût pu construire, si la vie d’un individu étoit assez longue. Mais sans vouloir placer l’Egypte au terme le plus élevé des connoissances humaines, toute l’antiquité dépose en faveur de ceux qui l’envisagent comme une école célèbre, à laquelle s’instruisirent beaucoup de savans vénérés de la Grèce.

(1). V. Dissertation sur le préjugé qui attribue aux Egyptiens la découverte des sciences; par Cailly, in-8°, à Caen.

(2). The History of Jamaica, 3 vol. in-4°, London. 1774, V. t. II, p. 355 et suiv.; et p. 374, etc.

Quoique Edouard Long refuse du génie aux Egyptiens, il les élève fort au-dessus des Nègres; car il ravale ceux-ci au denier échelon de l’intelligence (1); et comme une mauvaise cause se défend par des argumens de même nature, au nombre de ceux qu’il allègue pour établir l’infériorité morale des Nègres, il assure que leur vermine est noire. C’est, dit-il, une remarque échappée à tous les naturalistes (2). En supposant la réalité de ce fait, qui oseroit (excepté Edouard Long) en conclure que les variétés humaines n’ont pas un type identique, et contester à quelques-unes l’aptitude à la civilisation?

(1) Ibid.

(2). The History of Jamaica, 3 vol. In-4°, London 1774, V. t. II, p. 352.

Ceux qui ont voulu déshériter les Nègres, ont appelé l’anatomie à leur secours, et sur la disparité de couleur se sont portées leurs premières observations. Un écrivain nommé Hanneman, veut que la couleur des Nègres leur soit venue de la malédiction prononcée par Noé contre Cham. Gumilla perd son temps à le réfuter. Cette question a été discutée par Pechlin, Ruysch, Albinus, Pittre, Santorini, Winslow, Mitchil, Camper, Zimmerman, Meckel père, Demanet, Buffon, Somering, Blumenbach, Stanhope-Smith (1), et beaucoup d’autres. Mais comment s’accorderoit-on sur les conséquences, si l’on est discordant sur les faits anatomiques qui doivent leur servir de base?

(1). Adversaria Anatomica, decad. 3, p. 26, n° 23. Dissert. de sede et causa coloris AEthiopum et coeterorum hominum, etc., Lugd. Bat. 1707. Mémoires de l’acad. des Sc. 1702. Observ. Anat., 1724. Venet. Exposition anat., 1743, Amst., t. III, p..278. De habitu et coloré AEthiopum, Kilon, 1677. Discours sur l’origine et la couleur des Nègres, 1764. V. les ouvrag. trad. par Herbel, t. I, 1784, p..24. V. Histoire de l’Afrique française 2 vol. in-8º. Sur la différence physique qui se trouve entre les Nègres et les Européens, § 48. De Generis Humani varietate natura, edit. 3, in-8°, Gotting. 1785. V. An Essay on the cause of the variety of complexion and figure in human species, by the rev. S. Stanhope-Smith, etc., In-8º, Philadelphia 1787. J’appelle l’attention sur cet ouvrage, qui mérite d’être médité.

Meckel père pense que la couleur des Nègres est due à la couleur foncée du cerveau; mais Walter, Bonn, Somering, le docteur Gall, et d’autres grands anatomistes, trouvent la même couleur dans les cerveaux des Nègres et ceux des Blancs.

Barrère et Winslow croient que la bile des Nègres est d’une couleur plus foncée que celle des Européens; mais Somering la trouve d’un verd jaunâtre.

Attribuez-vous la couleur des Nègres à celle de leur membrane réticulaire? Mais si chez les uns elle est noire, d’autres l’ont cuivrée ou couleur de bistre. Au fond, c’est reculer la difficulté sans la résoudre; car dans l’hypothèse que la substance médullaire, la bile, la membrane réticulaire, seroient constamment noires, il resteroit à expliquer la cause. Buffon, Camper, Bonn, Zimmerman, Blumenbach, Chardel son traducteur français (1), Somering, Imlay, attribuent la couleur des Nègres, et celle des autres variétés, au climat, secondé par des causes accessoires, telles que la chaleur, le régime de vie. Le savant professeur de Gottingue remarque qu’en Guinée, non-seulement les hommes, mais les chiens, les oiseaux, et surtout les gallinacées, sont noirs, tandis que l’ours et d’autres animaux sont blancs vers les mers glaciales. La couleur noire étant, selon Knight, l’attribut de la race primitive dans tous les animaux, il penche à croire que le Nègre est le type original de l’espèce humaine (2). Demanet et Imlay remarquent que les descendans des Portugais établis au Congo, sur la côte de Sierra-Leone, et sur d’autres points de l’Afrique, sont devenus Nègres (3); et pour démentir des témoins oculaires tel que le premier, il ne suffit pas de nier, comme l’a fait le traducteur du dernier ouvrage de Pallas (4).

(1). V. De l’unité du Genre humain, etc., par Blumenbach, traduit par Chardel.

(2). V. The Progress of civil Society, a didactic poem, by Richard Payrne-Knight, in-4º, London 1796, l, v, depuis le vers 227 et les suiv.

(3). V, A Topographical Description of the Western territory of north America, etc. by Georg. Imlay, in-8º, London 1793, V. lettre 9

(4). V. Voyage dans les départemens méridionaux de la Russie, p. 600, en note.

On sait que les parties les moins exposées au soleil, telles que la plante des pieds et les entre-doigts sont blafardes; aussi Stanhope-Smith, qui dérive la couleur noire de quatre causes, le climat, le régime de vie, l’état de société, la maladie, après avoir accumulé des faits qui prouvent l’ascendant du climat sur la complexion et la figure, explique très-bien pourquoi les Africains de la côte occidentale sous la zone torride, sont plus noirs que ceux de l’est; pourquoi la même latitude en Amérique ne produit pas le même effet. Ici l’action du soleil est combattue par des causes locales qui, en Afrique, la fortifient; en général la couleur noire se trouve entre les Tropiques; et ses nuances progressives, suivent la latitude chez les peuples qui très-anciennement établis dans une contrée n’ont été ni transplantés sous d’autres climats, ni croisés par d’autres races (1). Si les Sauvages de l’Amérique du nord, et les Patagons placés à l’autre extrémité de ce continent, ont la teinte plus foncée que les peuples rapprochés de l’isthme de Panama, pour expliquer ce phénomène, ne doit-on pas recourir aux transmigrations anciennes, et consulter les impressions locales? T. Williams, auteur de l’Histoire de l’Etat de Vermont, appuie ce système par des observations qui prouvent la connexité de la couleur et du climat; sur des données approximatives, il conjecture que pour réduire, par des croisemens, la race noire à la couleur blanche, il faut cinq générations qui, étant supposées chacune de vingt-cinq ans, donnent un total de cent vingt-cinq ans; que pour amener les Noirs à la couleur blanche, sans croisement et par la seule action du climat, il faut quatre mille ans; mais seulement six cents ans pour les Indiens qui sont de couleur rouge (2).

(1). Des plaisans ont débité qu’à Liverpool, où beaucoup d’armateurs s’enrichissent par la traite, on prioit Dieu journellement de ne pas changer la couleur des Nègres.

(2). V. The Natural and civil History of Vermont, by S. Williams, in-8º, 1794. Walpole New-Hamshire, p. 391 et suiv.

Ces effets sont plus sensibles chez les esclaves attachés au service domestique, mieux soignés, mieux nourris. Non-seulement leurs traits et leur physionomie ont subi un changement visible, mais ils gagnent au moral (1).

(1). V. An Essay, etc., p. 20, 23, 24, 58, 77. etc.

Outre le fait incontestable des Albinos, Somering établit, par des observations multipliées, que l’on a vu des Blancs noircir, jaunir; des Nègres blanchir ou pâlir, surtout à l’issue de maladies (1): quelquefois même, dans la grossesse, la membrane réticulaire des femmes blanches devient aussi noire que celle des Négresses d’Angola. Ce phénomène vérifié par le Cat, est confirmé par Camper, comme témoin oculaire (2). Cependant Hunter soutient que quand la race d’un animal blanchit, c’est une preuve de dégénération. Mais s’ensuit-il que dans l’espèce humaine la variété blanche soit dégénérée? Ou faut-il, au contraire, avec le docteur Rush, dire que la couleur des Nègres est le résultat d’une léproserie héréditaire? Il s’appuie du chimiste Beddoes, qui avoit presque blanchi la main d’un Africain, par une immersion dans l’acide muriatique oxigéné (3). Un journaliste propose, en ricanant, d’envoyer en Afrique des compagnies de blanchisseurs (4). Cette plaisanterie, inutile pour éclaircir la question, est inconvenante quand il s’agit d’un homme distingué comme le docteur Rush

(1). Ibid. § 48.

(2). V. Dissertations sur les variétés naturelles qui caractérisent la physionomie, etc.; par Camper; traduit par Jansen, in-4º, Paris 1791, p. 18.

(3). V. Transactions of the American philosophical society, etc., in-4°, p. 287 et suiv.

(4). V. Monthly Review, t. XXXVIII, p. 20.

Les philosophes ne s’accordent pas à fixer quelle partie du corps humain doit être réputée le siége de la pensée et des affections. Descartes, Harthley, Buffon offrent chacun leurs systèmes. Cependant, comme la plupart le placent dans le cerveau, on a voulu en conclure que les plus grands cerveaux étoient les plus richement dotés en talens, et que les Nègres l’ayant plus petit que les Blancs, devoient leur être inférieurs. Cette assertion est détruite par des observations récentes; car divers oiseaux ont proportionnellement le cerveau plus volumineux que celui de l’homme.

Cuvier ne veut pas que l’on mesure la portée de l’intelligence sur le volume du cerveau, mais sur celui de la partie du cerveau nommée les hémisphères, qui augmente ou diminue, dit il, dans la même mesure que les facultés intellectuelles de tous les êtres dont se compose le règne animal. Mais Cuvier, modeste comme tous les vrais savans, ne propose sans doute cette idée que comme une conjecture; car pour tirer une conséquence affirmative, ne faudroit-il pas que nous connussions mieux les rapports de l’homme, son état moral? Combien de siècles s’écouleront peut-être avant qu’on ait pénétré ce mystère.

«Tout ce qui différencie les nations, dit Camper, consiste dans une ligue menée depuis les conduits des oreilles jusqu’au fond du nez, et une autre ligne droite qui touche la saillie du coronal au-dessus du nez, et se prolonge jusqu’à la partie la plus saillante de l’os de la mâchoire, bien entendu qu’il faut regarder les têtes de profil. C’est non-seulement l’angle formé par ces deux lignes qui constitue la différence des animaux, mais encore des diverses nations; et l’on pourroit dire que la nature s’est, en quelque sorte, servi de cet angle pour déterminer les variétés animales, et les amener comme par degrés jusqu’à la perfection des plus beaux hommes. Ainsi la figure des oiseaux décrit les plus petits angles, et ces angles augmentent à mesure que l’animal approche de la figure humaine. Je citerai pour exemple (c’est Camper qui parle) les têtes de singe, dont les unes décrivent un angle de quarante-deux degrés, les autres un de cinquante. La tête d’un Nègre d’Afrique, ainsi que celle du Calmou, forment un angle de soixante-dix degrés, et celle d’un Européen en fait un de quatre-vingt. Cette différence de dix degrés fait la beauté des têtes européennes, parce que c’est un angle de cent degrés qui constitue la plus grande perfection des têtes antiques. De pareilles têtes, comme le plus haut point de beauté, ressemblent le plus à celle d’Apollon Pythien et de Méduse, par Sosocles, deux morceaux unanimement considérés comme les plus beaux (1)».

(1). V. Opuscules. t, I, p. 16; et Dissertations physiques sur la différence réelle que présentent les traits du visage chez les hommes de divers pays.

Cette ligne faciale de Camper a été adoptée par divers anatomistes. Bonn dit avoir trouvé l’angle de soixante-dix degrés dans les têtes des Négresses (1); et comme d’une part ces différences sont assez constantes; que d’une autre les sciences subissent aussi l’empire des modes, ce genre d’observations sur le volume, la configuration, les protubérances des crânes, sur l’expansion du cerveau, les affections spéciales dont chacune de ces parties peut être susceptible, et ses rapports avec l’intelligence humaine, a pris le nom de Cranologie, depuis que le docteur Gall en a fait l’objet de sa doctrine physiologique. Il est combattu entre autres par Osiander (2), qui d’ailleurs lui en conteste la priorité, et qui en trouve les élémens dans la Métoposcopie de Fuschius, et le Fasciculus medicinae de Jean de Ketham, etc. Il pouvoit y ajouter Aristote, Plutarque, Albert le Grand, Triumphus, Vieussens, dit le docteur Gall lui-même.

(1). Descriptio thesauri ossium Morbosor. Hovii 1787, p. 133.

(2). V. Epigrammata in complures musaei anatomici res, etc., par Fr. B. Osiander, In-8º, Gottingue 1807, p. 45 et 46.

Celui-ci veut fonder sur la structure du crâne la prétendue infériorité morale des Nègres; et quand on lui oppose le fait de beaucoup de Nègres dont les talens sont incontestables, il répond qu’alors leurs formes cranologiques se rapprochent de la structure des Blancs, et réciproquement il suppose que des Blancs stupides ont une conformation qui les rapproche des Nègres. Au reste, je m’empresse de rendre hommage aux talens et à la loyauté des docteurs Gall et Osiander; mais les hommes les plus éminens peuvent se fourvoyer dans les hypothèses, ou tirer d’observations justes des conséquences exagérées. Par exemple, personne ne contestera au président de l’académie des arts de Londres, d’être un grand peintre; mais comment s’y prendroit West pour prouver son opinion, que la physionomie des Juifs les rapproche de celle des chèvres (1). Est-il facile de déterminer les formes nationales, quand dans tous les pays on voit des variétés notables, même de village à village? je l’ai remarqué surtout dans les Vosges, comme Olivier dans la Perse; Lopez a vu des Nègres à cheveux rouges, au Congo (2).

(1). V. p. 20, de Chardel.

(2). V. Relazione del reame di Congo, p. 6.

Admettons néanmoins que chaque peuple a un caractère spécifique, qui se reproduit jusqu’à ce que le mélange éventuel l’altère ou l’efface. Qui pourroit fixer le laps de temps nécessaire pour détruire l’influence de ces diversités transmises héréditairement et qui sont le produit du climat, de l’éducation, du régime diététique, des habitudes? La nature est diversifiée dans ses détails à tel point, que quelquefois les yeux les plus exercés seroient tentés de rapporter à des espèces différentes des plantes congénères. Cependant elle admet peu de types primitifs, et dans les trois règnes, la puissance féconde de l’Eternel en fait jaillir une foule de variétés qui font l’ornement et la richesse du globe.

Blumenbach disoit que les Européens dégénèrent par un long séjour dans les deux Indes et en Afrique. Somering n’ose décider si la race primitive de l’homme, en quelque coin de la terre qu’on place son berceau, s’est perfectionnée en Europe, si elle s’est altérée en Nigritie, attendu que pour la force et l’adresse, la conformation des Nègres relativement à leur climat, est aussi accomplie, et peut-être plus que celle des Européens. Ils surpassent les Blancs par la finesse exquise de leurs sens, surtout de l’odorat. Cet avantage leur est commun avec tous les peuples à qui le besoin en prescrit un fréquent exercice; tels sont les indigènes de l’Amérique du nord; tels les Nègres marrons de la Jamaïque, qui à la vue distinguent dans les bois des objets imperceptibles à tous les Blancs. Leur taille droite, leur contenance fière, leur vigueur indiquent leur supériorité; ils communiquent entre eux en sonnant de la corne, et la nuance des sons est telle, qu’ils s’interpellent au loin en distinguant chacun par son nom (1).

(1). The History of the Maroons from their origin to the etablissement of their chief Tribe at Sierra-Leone, by R. C. Dallas, 2 vol, in-8°, London 1803, t. I, p. 88 et suiv.

Somering observe encore que la perfection essentielle d’une foule de plantes se détériore par la culture. La magnificence et la fraîcheur passagères qu’on s’efforce de produire dans les fleurs, détruisent souvent le but auquel la nature les destine. L’art de faire éclore des fleurs doubles, que nous devons aux Hollandais, ôte presque toujours à la plante la faculté de se reproduire. Quelque chose d’analogue se retrouve chez les hommes; leur esprit est souvent cultivé aux dépens du corps, et réciproquement; car plus l’esclave est abruti, plus il est propre aux travaux des mains (1).

(1). Somering, § 74.

On ne refuse point aux Nègres la force corporelle; quant à la beauté, d’où la faites-vous résulter? Sans doute de la couleur et de la régularité des traits; mais sur quoi fondé veut-on que la blancheur soit la couleur privativement admise dans ce qui constitue la beauté, tandis que ce principe n’est point appliqué aux autres productions de la nature? Chacun sur cet objet a ses préjugés, et l’on sait que diverses peuplades noires, transportant la couleur réputée chez eux la moins avantageuse au diable, le peignent en blanc.

Ce qu’on appelle la régularité des traits, est une de ces idées complexes dont peut-être n’a-t-on pas encore saisi les élémens, et sur lesquels, après tous les efforts de Crouzas, de Hutcheson et du P. André, il reste à établir des principes. Dans les mémoires de Manchester, George Walker prétend que les formes et les traits universellement approuvés chez tous les peuples, sont le type essentiel de la beauté; que ce qui est contesté est dès-lors un défaut, une déviation du jugement (1). C’est demander à l’érudition la solution d’un problème physiologique.

(1). T. V, IIe part.

Bosman vante la beauté des Négresses de Juïda (1); Ledyard et Lucas, celle des Nègres Jalofes (2); Lobo, celle des Abyssins (3). Ceux du Sénégal, dit Adanson, sont les plus beaux hommes de la Nigritie; leur taille est sans défaut, et parmi eux on ne trouve point d’estropiés (4). Cossigny vit à Gorée des Négresses d’une grande beauté, d’une taille imposante, avec des traits à la romaine (5). Ligon parle d’une Négresse de l’île S. Yago, qui réunissoit la beauté et la majesté à tel point, que jamais il n’avoit rien vu de comparable (6). Robert Chasle, auteur du Journal du Voyage de l’amiral du Quesne, étend cet éloge aux Négresses et Mulâtresses de toutes les îles du Cap Vert (7). Leguat (8), Ulloa (9) et Isert (10), rendent le même témoignage à l’égard des Négresses qu’ils ont vues, le premier à Batavia, le second en Amérique, et le troisième en Guinée.

(1). Bosman, Voyage en Guinée, 1705, Utrecht, lettre 18.

(2). Voyage de Ledyard et Lucas, t. II, 338.

(3). Relation historique de l’Abyssinie par Lobo, in-4°, Paris 1726, p. 68.

(4). Adanson, Voyage au Sénégal, p. 22.

(5). V. Cossigny. Voyage à Canton,

(6). V. Histoire de l’île des Barbades, de Rich. Ligon, dans le Recueil de divers voyages faits en Afrique et en Amérique, in-4°, Paris 1674, p. 20.

(7). V. Journal d’un Voyage aux Indes orientales, sur l’escadre de du Quesne, 3 vol. in-12, Rouen 1721, t. I, p. 202.

(8). Voyage de Leguat, t. II, p. 136.

(9). Ulloa, Noticias Americanas, p. 92.

(10). Isert. Reis of Guinea; Dordrecht 1790, p. 175.

D’après ces témoignages, Jedediah-Morse se mettra sans doute en frais pour expliquer le caractère de supériorité qu’il trouve imprimé sur le front du Blanc (1).

(1). V. p. 182.

Les systèmes qui supposent une différence essentielle entre les Nègres et les Blancs, ont été accueillis 1º. par ceux qui à toute force veulent matérialiser l’homme, et lui arracher des espérances chères à son coeur; 2º. par ceux qui, dans une diversité primitive des races humaines, cherchent un moyen de démentir le récit de Moïse; 3º. par ceux qui, intéressés aux cultures coloniales, voudroient, dans l’absence supposée des facultés morales du Nègre, se faire un titre de plus pour le traiter impunément comme les bêtes de somme.

Un de ceux qu’on avoit accusés d’avoir manifesté une telle opinion, s’en défend avec chaleur. On lui reprochoit d’avoir dit dans ses Idées sommaires sur quelques réglemens à faire à l’assemblée coloniale, imprimées au Cap, qu’il y a deux espèces d’hommes, la blanche et la ronge; que les Nègres et Mulâtres n’étant pas de la même que le Blanc, ne peuvent prétendre aux droits naturels pas plus que l’Orang-outang; qu’ainsi Saint-Domingue appartient à l’espèce blanche (1). L’auteur le nie. Il est remarquable qu’alors correspondant de l’académie des sciences, aujourd’hui membre de l’Institut, il avoit précisément à cette époque pour confrère correspondant de la même académie, un Mulâtre de l’île de France, Geoffroi-Lislet, dont il sera question ci-après.

(1). Par le baron de Beauvois, p. 6 et 24. Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, etc. par Garran, in-8°, Paris an 5 (1797).

Les loix coloniales ne prononçoient pas formellement qu’il y ait parité entre l’esclave et la brute; mais divers actes réglementaires et judiciaires le supposoient. Dans la multitude de faits, je choisis 1º. une sentence du conseil du Cap, tiré d’une source non suspecte, la collection de Moreau-Saint-Méry. L’énoncé de ce jugement rapproche sur la même ligne les Nègres et les porcs (1). 2°. Le réglement de police qui à Batavia interdit aux esclaves de porter des bas, des souliers, et de paroître sur les trottoirs près des maisons; ils doivent marcher dans le milieu de la rue avec les bestiaux (2).

(1). V. Loix et Constitution des colonies, par Moreau-Saint-Méry, t. VI, p. 144.

(2). V. Voyage à la Cochinchine, par Barrow, 2 vol. in-8°, Paris 1807, t. II, p. 63 et suiv.

Mais pour l’honneur des savans, qui ont approfondi cette matière, hâtons-nous de déclarer qu’ils n’ont pas blasphémé la raison en essayant de ravaler les Noirs au-dessous de l’humanité. Ceux même qui veulent mesurer l’étendue des facultés morales sur la grandeur du cerveau, désavouent les rêveries de Kaims, et toutes les inductions que veulent en tirer, soit le matérialisme pour nier la spiritualité de l’âme, soit la cupidité pour les asservir.

J’ai eu occasion d’en conférer avec Bonn d’Amsterdam, qui a la plus belle collection connue de peaux humaines; avec Blumenbach, qui a peut-être la plus riche en crânes humains; avec Gall, Meiners, Osiander Cuvier, Lacépède; et je saisis cette occasion d’exprimer à ces savans ma reconnoissance. Tous, un seul excepté qui n’ose décider, tous comme Buffon, Camper, Stanhope-Smith, Zimmerman, Somering, admettent l’unité de type primitif dans la race humaine.

Ainsi la physiologie se trouve ici d’accord avec les notions auxquelles ramène sans cesse l’étude des langues et de l’histoire, avec les faits que nous révèlent les livres sacrés des Juifs et des Chrétiens. Ces mêmes auteurs repoussent toute assimilation de l’homme à la race des singes; et Blumenbach, fondé sur des observations réitérées, nie que la femelle du singe soit soumise à des évacuations périodiques qu’on citoit comme un trait de similitude avec l’espèce humaine (1). Entre les têtes du sanglier et du porc domestique, qu’on avoue être de la même race, il y a plus de différence qu’entre la tête du Nègre et celle du Blanc; mais, ajoute-il, entre la tête du Nègre et celle de l’Orang-outang, la distance est immense. Les Nègres étant de même nature que les Blancs, ont donc avec eux les mêmes droits à exercer, les mêmes devoirs à remplir. Ces droits et ces devoirs sont antérieurs au développement moral. Sans doute leur exercice se perfectionne ou se détériore selon les qualités des individus. Mais voudroit-on graduer la jouissance des avantages sociaux, d’après une échelle comparative de vertus et de talens, sur laquelle beaucoup de Blancs eux-mêmes ne trouveroient pas de place?

 (1). V. De generis humani varietate nativa. Cependant selon Desfontaines, la femelle du pithèque (simia pithecus) a un léger écoulement périodique.

CHAPITRE II

Opinions relatives à l’infériorité morale des Nègres. Discussion sur cet objet. Obstacles qu’oppose l’esclavage au développement de leur facultés. Ces obstacles combattus par la religion chrétienne. Évêques et prêtres nègres.

L’OPINION de l’infériorité des Nègres n’est pas nouvelle. La prétendue supériorité des Blancs n’a pour défenseurs que des Blancs juges et parties, et dont on pourroit d’abord discuter la compétence, avant d’attaquer leur décision. C’est le cas de rappeler l’apologue du lion qui, à l’aspect d’un tableau représentant un animal de son espèce terrassé par un homme, se contenta de faire observer que les lions n’ont pas de peintres.

Hume, qui dans son Essai sur le caractère national, admet quatre à cinq races soutient que la blanche seule est cultivée, que jamais on ne vit un Noir distingué par ses actions et ses lumières. Son traducteur, ensuite Estwick (1), et Chatelux ont répété la même assertion. Barré-Saint-Venant, pense que si la nature permet aux Nègres quelques combinaisons qui les élèvent au-dessus des autres animaux, elle leur interdit les impressions profondes et l’exercice continu de l’esprit, du génie et de la raison.(2)

(1). Considération on the Negroe cause, par Estwick

(2). V. Des colonies sous la zone torride, particulièrement celle de Saint-Domingue, par Barré-Saint-Venant, in-8º,Paris 1802, c. VI.

Il est fâcheux de trouver le même préjugé chez un homme dont le nom ne se prononce parmi nous qu’avec une estime profonde, et un respect mérité; c’est Jefferson dans ses Observations sur la Virginie (1). Pour étayer son opinion, il ne suffisoit pas de ravaler le talent de deux écrivains nègres; il falloit établir par les raisonnemens et des faits multipliés, que, dans des circonstances donnés, et les mêmes pour des Blancs et des Noirs, ceux-ci ne pourroient jamais rivaliser avec ceux-là.

(1). V. Notes on the State of Virginia, etc., by Jefferson, in-8º, London 1787.

Pag. 50-54

C’est en 1789 que de Kinsgton en Jamaïque, on écrivoit: «Outre les coups de fouet par lesquels on déchire les Nègres, on les musèle pour les empêcher de sucer une de ces cannes à sucre arrosées de leurs sueurs, et l’instrument de fer avec lequel on leur comprime la bouche, empêche encore d’entendre leurs cris lorsqu’on les fouette (1)».

(1). V. American Museum, in-8º, Philadelphie 1789, t. VI, p. 407.

La crainte qu’inspirèrent les Marrons de la Jamaïque, en 1795, fit trembler les planteurs. Un colonel Quarrel offre à l’assemblée coloniale d’aller à Cuba chercher des meutes de chiens dévorateurs; sa proposition est accueillie avec transport. Il part, arrive à Cuba, et dans le récit de cette infernale mission, s’intercale la description d’un bal que lui donne la marquise de Saint-Philippe. Il revient à la Jamaïque avec ses chiens et ses chasseurs, qui, heureusement, ne servirent pas, parce qu’on fit la paix avec les Marrons. Mais on doit savoir gré de leur intention aux planteurs, qui payèrent largement les chasseurs, et votèrent des remerciemens, des récompenses au colonel Quarrel, dont le nom à jamais abhorré doit figurer à côté de Phalaris, Mezence, Néron, etc. Je le demande avec douleur, mais la vérité est plus respectable que les individus; malgré les témoignages qui déposent en faveur du caractère de Dallas, que faut-il penser d’un homme lorsqu’il se constitue l’apologiste de cette mesure? Il n’y a selon lui que des archi-sophistes qui puissent la censurer. «Les Asiatiques n’ont-ils pas employé des éléphans à la guerre? La cavalerie n’est-elle pas usitée chez les nations d’Europe? Si un homme étoit mordu par un chien enragé, se feroit-il scrupule de retrancher la partie attaquée pour épargner le tout, ect.» Mais qui sont les mordans et les enragés, sinon ceux qui. Dévorés par l’avarice, foulant aux pieds dans les deux Mondes toutes les loix divines et humaines, ont arraché d’Afrique et opprimé en Amérique de malheureux esclaves. Il est donc vrai que toujours la soif de l’or, du pouvoir, rend les hommes féroces, altère leur raison et anéantit tout sentiment moral. Si les circonstances les forcent à être justes, ils vantent comme des bienfaits les actes que la nécessité leur arrache. Colons, si vous aviez été traînés hors de vos foyers pour subir le même sort qu’eux, à leur place que penseriez-vous? que feriez-vous? Bryant-Edwards avoit peint les Nègres comme des tigres; il les avoit accusés d’avoir égorgé des prisonniers, des femmes enceintes, de enfans à la mamelle. Dallas, en le réfutant, se combat lui-même, et, sans le vouloir, détruit encore par les faits, les paralogismes allégués pour justifier l’emploi des chiens dévorateurs (1).

(1). V. ces horribles détails dans Dallas, t. II, lettre 9, p. 4 et suiv.

Plût à Dieu que les flots eussent engloutis ces meutes antropophages, stylées et dirigées par des hommes contre des hommes. J’ai ouï assurer que, lors de l’arrivée des chiens de Cuba à Saint-Domingue, on leur livra, par manière d’essai, le premier Nègre qui se trouva sous la main. La promptitude avec laquelle ils dévorèrent cette curée, réjouit des tigres blancs à figure humaine.

Wimphen, qui écrivoit pendant la révolution, déclare qu’à Saint-Domingue les coups de fouet et les gémissemens remplaçoient le chant du coq (1). Il parle d’une femme qui fit jeter son cuisinier nègre dans un four, pour avoir manqué un plat de pâtisseries. Avant elle, un planteur, nommé Chaperon, avoit fait la même chose (2).

(1). Wimphen, t. I, p. 128.

(2). V. Voyage aux Indes occidentales, par Bossu, 1769, Amsterdam, p. 14.

Pag. 88-129

CHAPITRE III.

Qualités morales des Nègres. Amour du travail, courage, bravoure, tendresse paternelle et filiale, générosité, etc.

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LES préliminaires, qu’on vient de lire, ne sont point étrangers à mon ouvrage, seulement ils sont une surabondance de preuves; car j’aurois pu aborder brusquement la question, et par une multitude de faits revendiquer l’aptitude des Nègres aux vertus et aux talens: les faits répondent à tout.

On accuse les Nègres d’être paresseux. Bosman, pour le prouver, dit «qu’ils sont dans l’usage de demander, non pas, comment vous portez-vous? mais comment avez-vous reposé (1)?» Ils ont pour maxime, qu’il vaut mieux être couché qu’assis, assis que debout, debout que marcher; et depuis que nous les rendons si malheureux, ils ajoutent le proverbe indien: Qu’être mort est encore préférable à tout cela. Cette accusation d’indolence, qui a quelque chose de vrai, est souvent exagérée: elle est exagérée dans la bouche de ces hommes habitués à manier un fouet sanglant pour conduire les esclaves à des travaux forcés: elle est vraie en ce sens, que des hommes ne peuvent pas avoir une grande propension au travail, soit lorsqu’ils n’ont aucune propriété, pas même celle de leur personne, et que les fruits de leurs sueurs alimentent le luxe ou l’avarice d’un maître impitoyable, soit lorsque dans des contrées favorisées par la nature, ses productions spontanées, ou un travail facile fournissent abondamment à des besoins qui n’ont rien de factice. Mais Noirs ou Blancs, tous sont laborieux, quand ils sont stimulés par l’esprit de propriété, par l’utilité ou le plaisir. Tels sont les Nègres du Sénégal, qui travaillent avec ardeur, dit Pelletan, parce qu’ils sont sans inquiétude sur leurs possessions et leurs jouissances. Depuis la suppression de la traite, ajoute-t-il, les Maures ne font plus de courses sur les Nègres, les villages se reconstruisent et se repeuplent (2).

(1). V. Voyage en Guinée, par Bosman, Utrecht 1705, p. 131.

(2). V. Mémoire sur la colonie française du Sénégal par Pelletan, in-8º, Paris an 9, p. 69 et 81.

Tels les laborieux habitans d’Axim, sur la côte-d’or, que tous les voyageurs se plaisent à décrire (1). Les Nègres du pays de Boulam, que Beaver cite comme endurcis au travail (2); ceux du pays de Jagra, renommés par une activité, qui enrichit leur contrée (3); ceux de Cabomonte et de Fida ou Juida, cultivateurs infatigables, au dire de Bosman qui, certes, n’est pas trop prévenu en leur faveur: avares de leur sol, à peine laissent-ils de petits sentiers pour communiquer entre les diverses propriétés; ils récoltent aujourd’hui, le lendemain ils ensemencent la même terre sans la laisser reposer (4).

(1). V. Prevot, t. IV, p. 17.

(2). V. Beaver, p. 383.

(3). V. Ledyard, t. II, p. 332.

(4). V. Bosman, lettre 18.

Les Nègres, trop sensibles à l’attrait du plaisir auquel ils résistent rarement, savent, néanmoins, supporter la douleur avec un courage héroïque, et que peut-être il faut attribuer en partie à leur athlétique constitution. L’histoire retentit des traits de leur intrépidité, au milieu des plus horribles supplices; la cruauté des Blancs a multiplié les expériences à cet égard. Le regret de la vie pourroit-il exister, lorsque l’existence elle-même n’est qu’une calamité perpétuelle? On a vu des esclaves, après plusieurs jours de tortures non interrompues, aux prises avec la mort, converser froidement entre eux, et même rire aux éclats (1).

(1). Labat, IV, p. 183.

Un Nègre, condamné au feu à la Martinique, et très-passionné pour le tabac, demande une cigare allumée, qu’on lui place dans la bouche: Il fumoit encore, dit Labat, lorsque déjà ses membres étoient attaqués par le feu.

En 1750, les Nègres de la Jamaïque s’insurgent, ayant Tucky à leur tête; leurs vainqueurs allument les bûchers, et tous les condamnés vont gaiement au supplice. L’un d’eux avoit vu de sang froid ses jambes réduites en cendres; une de ses mains se dégage, parce que le brasier avoit consumé les liens qui l’attachoient; de cette main il saisit un tison, et le lance au visage de l’exécuteur (1).

(1). V. Bryant-Edwards, Hist. des Indes occidentales; et Bibliothèque britannique, t. XIX, p. 495 et suiv.

Au dix-septième siècle, et lorsque la Jamaïque étoit encore soumise aux Espagnols, une partie des esclaves avoient reconquis leur indépendance, sous la conduite de Jean de Bolas. Leur nombre s’accrut, et ils devinrent formidables, quand ils eurent élu pour chef Cudjoe, dont le portrait est inséré dans l’ouvrage de Dallas. Cudjoe, également valeureux, habile et entreprenant, établit, en 1730, une confédération entre toutes les peuplades de Marrons, fit trembler les Anglais, et les réduisit à faire un traité, par lequel reconnoissant la liberté de ces Noirs, ils leur cèdent à perpétuité une portion du territoire de la Jamaïque (1).

(1). V. Dallas, t. 1, p. 25, 46, 60, etc.

L’historien portugais Barros dit, quelque part, que même aux soldats suisses, il préféreroit des Nègres. Pour rehausser l’éloge de ceux-ci, il alloit prendre dans l’Helvétie le point de comparaison qui étoit à ses yeux le plus honorable. Parmi les traits de bravoure qu’a recueillis le P. Labat, un des plus signalés arriva lors du siége de Carthagène: toutes les troupes de ligne avoient été repoussées à l’attaque du fort de la Bocachique; les Nègres, amenés de Saint-Domingue, l’assaillirent avec une impétuosité qui força les assiégés à se rendre (1).

(1). Labat, t. IV, p. 184.

En 1703, les Noirs prirent les armes pour la défense de la Guadeloupe, et firent plus que le reste des troupes françaises. Dans le même temps ils défendirent la Martinique, contre les Anglais (1). On se rappelle la conduite honorable des Nègres et des sang-mélés, au siége de Savannah, à la prise de Pensacola. Pendant notre révolution, incorporés aux troupes françaises, ils en ont partagé les dangers et la gloire.

(1). V. le Mémoire pour le nommé Roc, Nègre, contre le sieur Poupet, par Poncet de la Grave, Henrion de Pancey et de Foisi, in-8°, Paris 1770, p. 14.

Il étoit Nègre ce prince africain Oronoko, vendu à Surinam. Madame Behn avoit été témoin de ses infortunes; elle avoit vu la loyauté et le courage des Nègres en contraste avec la bassesse et la perfidie de leurs oppresseurs. Revenue en Angleterre, elle composa son Oronoko. Il est à regretter que sur un canevas historique, elle ait brodé un roman. Le simple récit des malheurs de ce nouveau Spartacus, et de ses compagnons, eût suffi pour attendrir les lecteurs.

Il étoit Nègre ce Henri Diaz, préconisé dans toutes les histoires du Brésil, auquel Brandano (qui à la vérité n’étoit pas colon) accorde tant d’esprit et de sagacité. D’esclave, Henri Diaz devint colonel d’un régiment de fantassins de sa couleur. Ce régiment, composé de Noirs, existe encore dans l’Amérique portugaise, sous le nom de Henri Diaz. Les Hollandais, alors possesseurs du Brésil, en vexoient les habitans. A cette occasion La Clede se répand en réflexions sur l’impolitique des conquérans qui, au lieu de faire aimer leur domination, aggravent le joug, fomentent des haines, et amènent tôt ou tard des réactions funestes à ceux-ci, et utiles à la liberté des peuples. En 1637, Henri Diaz se joignit aux Portugais, pour chasser les Hollandais. Ceux-ci, assiégés dans la ville d’Arecise, ayant fait une sortie, furent repoussés avec grande perte, par le général nègre; il prit d’assaut un fort qu’ils avoient élevé à quelque distance de cette ville. A l’habileté dans la tactique, aux ruses de guerre par lesquelles il déconcertoit souvent les généraux hollandais, il joignoit le courage le plus audacieux. Dans une bataille où la supériorité du nombre faillit l’accabler, s’apercevant que quelques-uns de ses soldats commençoient à foiblir, il s’élance au milieu d’eux en criant: Sont-ce là les vaillans compagnons de Henri Diaz? Son discours et son exemple leur infuse, dit un historien, une nouvelle vigueur, et l’ennemi qui déjà se croyoit vainqueur, est chargé avec une impétuosité qui l’oblige à se replier précipitamment dans la ville. Henri Diaz force Arecise à capituler, Fernanbouc à se rendre, et détruit entièrement l’armée batave. Au milieu de ses exploits, en 1645, une balle lui perce la main gauche; afin de s’épargner les longueurs d’un pansement, il la fait couper, en disant que chaque doigt de la droite lui vaudra une main pour combattre. Il est à regretter que l’histoire ne nous dise pas où, quand et comment mourut ce général. Menezes exalte son expérience consommée, et s’extasie sur ces Africains tout à coup transformés en guerriers intrépides (1).

(1). V. Nova Lusitania, istoria de guerras Brasilicas, por Francisco de Brito Freyre, in-fol., Lisbon 1675, l. VIII. p. 610; et l. IX, nº 762. Istoria delle guerre di Portogallo, etc., di Alessandro Brandano, in-4º, Venezia 1689, p. 181, 329, 364, 393, etc.

Istoria delle guerre del regno del Brasile, etc., dal P. F. G. Jioseppe, di santa Theresa Carmelitano, in-fol. Roma 1698, Ia parte, p. 133 et 183; IIa parte, p. 103 et suiv.

Historiarum Lusitanarum libri, etc., autore Fernando de Menezes, comite Ericeyra, 2 vol. in-4º, Ulyssipone 1734, p. 606, 635, 675, etc. La Clede, histoire de Portugal, etc., Passim.

Il étoit homme de couleur cet infortuné Ogé, digne d’un meilleur sort, qui se sacrifia pour assurer à ses frères mulâtres et nègres libres, tous les avantages qu’on pouvoit se promettre du décret du 15 mai, rendu par l’assemblée constituante, décret qui, sans rien brusquer, eût graduellement amené dans les colonies un ordre de choses conforme à la justice. Indigné de la perversité des colons, qui non-seulement empêchoient la publication de cette loi, mais qui avoient même surpris au gouvernement la défense d’embarquer des Nègres ou sang-mêlés, il prend la résolution de retourner aux Antilles. L’auteur de cet ouvrage, si souvent accusé de l’avoir engagé à partir, lui représente en vain qu’il faut temporiser, et ne pas compromettre par une démarche précipitée, le succès d’une cause si légitime; malgré ses avis Ogé trouve moyen, en 1791, de repasser par l’Angleterre et le continent américain, à Saint-Domingue: il demande l’exécution des décrets; on repousse ses réclamations dictées par la raison, et sanctionnées par l’autorité nationale; les partis s’aigrissent, on en vient aux mains; Ogé est livré perfidement par le gouvernement espagnol. Son procès s’instruit en secret, comme dans les tribunaux de l’inquisition; il demande un défenseur, on le lui refuse: treize de ses compagnons sont condamnés aux galères, plus de vingt au gibet; Ogé avec Chavanne à la roue. On poussa l’acharnement jusqu’à mettre de la distinction dans le lieu du supplice des Mulâtres et celui des Blancs. Dans un rapport où ces faits sont discutés avec impartialité, après avoir justifié Ogé, Garran conclut par ces mots: «On ne pourra refuser des larmes à sa cendre, en abandonnant ses bourreaux au jugement de l’histoire (1)».

(1). V. Rapport sur les troubles de Saint-Domingue, par Garran, 4 vol. In-8º, Paris an 6 (v. st. 1798), t. II, p. 52 et suiv. p. 73.

Il étoit homme de couleur ce Saint-Georges qu’on appeloit le Voltaire de l’équitation, de l’escrime, de la musique instrumentale. Reconnu pour le premier entre les amateurs, on le plaçoit dans le second ou le troisième rang parmi les compositeurs; quelques concertos de sa façon sont encore estimés. Quoiqu’il fût le héros de la gymnastique, etc., etc. il est difficile de croire avec ses admirateurs, qu’il tiroit à balle franche sur une balle lancée en l’air, et l’atteignoit.

Selon le voyageur Arndt, ce nouvel Alcibiade étoit le plus beau, le plus fort, le plus aimable de ses contemporains; d’ailleurs généreux, bon citoyen, bon ami (1). Tout ce qu’on appelle gens du bon ton, c’est-à-dire, gens frivoles, le regardoient comme un homme accompli; c’étoit l’idole des sociétés d’agrémens. Lorsqu’il tira avec la chevalière d’Éon, ce fut presque une affaire d’Etat parce qu’alors l’Etat étoit nul pour le public. Quand Saint-George, cité comme la plus forte épée connue, devoit faire des armes ou de la musique, la gazette l’annonçoit aux oisifs de la capitale. Son archet, son fleuret faisoient accourir tout Paris. Ainsi autrefois on affluoit à Séville quand la confrérie des Nègres, qui n’a pas été détruite, mais qui n’existe plus faute de sujets, formoit, à certains jours de fêtes, de brillantes cavalcades où ils faisoient des évolutions et des tours d’adresse (2).

(1). V. Bruch-Stücke einer reise durch Frankreich im frülhing and sommer 1799, von Ernst Moritz Arndt, 3 vol. In-8º, Leipzi 1802, t. II, p. 36 et 37.

(2). Note communiquée par mon ami de Lasteyrie, qui a fait en Europe plusieurs voyages scientifiques dont on attend l’impression, et qui justifieront les espérances du public.

Je ne crois pas, comme Malherbe, qu’un bon joueur de quilles vaille autant qu’un bon poëte; mais tous les talens aimables valent-ils un talent utile? Quel dommage qu’on n’ait pas dirigé les heureuses dispositions de Saint-George vers un but qui lui eût mérité l’estime et la reconnoissance de ses concitoyens! Hâtons-nous cependant de rappeler, qu’enrôlé sous les drapeaux de la république, il servit dans les armées françaises.

Il étoit Mulâtre cet Alexandre Dumas, qui avec quatre cavaliers attaqua, près de Lille, un poste de cinquante Autrichiens, en tua six, et fit seize prisonniers. Long-temps il commanda une légion à cheval, composée de Noirs et de sang-mêlés, qui étoient la terreur des ennemis… A l’armée des Alpes, il monta au pas de charge le Saint-Bernard, hérissé de redoutes, s’empara des canons qu’il dirigea sur le champ contre l’ennemi. D’autres déjà ont raconté les exploits qui l’ont signalé en Europe et en Afrique, car il fut de l’expédition d’Egypte. A son retour, il eut le malheur de tomber entre les mains du gouvernement napolitain, qui, pendant deux ans, le retint dans les fers avec Dolomieu. Alexandre Dumas, général de division, nommé par l’Empereur, l’Horatius-Coclès du Tyrol, est mort en 1807.

Il est Nègre ce Jean Kina de Saint-Domingue, partisan d’une mauvaise cause, lorsqu’il a combattu contre la liberté des hommes de sa couleur; mais qui, renommé pour sa bravoure, reçut à Londres un accueil si distingué. Le gouvernement britannique vouloit lui confier le commandement d’une compagnie de sang-mêlés, destinés à protéger les quartiers éloignés de la colonie de Surinam. En 1800 il repasse aux Antilles: un dédain humiliant lui rappelle qu’il est affranchi, son coeur s’indigne; il excite une insurrection pour protéger ses frères contre les colons qui faisoient avorter les Négresses à force de travail, et vouloient vendre les Nègres libres; bientôt il est pris, renvoyé à Londres, et renfermé à Newgate (1).

(1). V. L’ouvrage intitulé: Paris, t. XXXI, p. 405 et suiv.

Il étoit Nègre ce Mentor, né à la Martinique en 1771. Fait prisonnier en se battant, contre les Anglais, à la vue des côtes d’Ouessant, il s’empare du bâtiment qui le conduisoit en Angleterre, et l’amène à Brest. A la plus heureuse physionomie réunissant l’aménité du caractère et un esprit fin que la culture avoit perfectionné, on l’a vu occuper le siége législatif à côté de l’estimable Tomany. Tel étoit Mentor, dont la conduite postérieure a peut-être profané ces brillantes qualités; il a été tué à Saint-Domingue.

Il avoit porté les chaînes de l’esclavage ce Toussaint-Louverture, étant hattier sur l’habitation Breda, au géreur de laquelle il envoya des secours pécuniaires. Tant de preuves ont mis en évidente sa bravoure et celle de Rigaud, général mulâtre, son compétiteur, que personne ne la conteste. Sous ce rapport, Toussaint est comparable au Cacique Henri, dont on peut lire la vie dans Charlevoix. J’ai eu communication d’un manuscrit intitulé: Réflexions sur l’étal actuel de la colonie de Saint-Domingue, par Vincent, ingénieur. Voici le portrait qu’il trace du général nègre:

«Toussaint, à la tête de son armée, se trouve l’homme le plus actif et le plus infatigable dont on puisse se faire une idée. L’on peut rigoureusement dire qu’il est partout où un jugement sain et le danger lui font croire que sa présence est nécessaire. Le soin particulier de toujours tromper sur sa marche les hommes mêmes dont il a besoin, et auxquels on croit qu’il accorde une confiance qui n’est cependant à personne, fait qu’il est également attendu tous les jours dans les chefs-lieux de la colonie. Sa grande sobriété, la faculté donnée à lui seul de ne jamais se reposer, l’avantage qu’il a de reprendre le travail du cabinet après de pénibles voyages, de répondre à cent lettres par jour, et de lasser habituellement cinq secrétaires, en font un homme tellement supérieur à tout ce qui l’entoure, que le respect, la soumission pour lui vont jusqu’au fanatisme dans le très-grand nombre de têtes. L’on peut même assurer, qu’aucun individu aujourd’hui n’a pris sur une masse d’hommes ignorans le pouvoir qu’a pris le général Toussaint sur ses frères».

L’ingénieur Vincent ajoute que Toussaint est doué d’une mémoire prodigieuse; qu’il est bon père, bon époux; que ses qualités civiques sont aussi sûres que sa vie politique est astucieuse et coupable.

Toussaint rétablit le culte à Saint-Domingue, et son zèle lui avoit mérité l’épithète de capucin, de la part des gens à qui on pouvoit en donner une autre. Avec moi, il entretint une correspondance dont le but étoit d’obtenir douze ecclésiastiques vertueux. Plusieurs partirent sous la direction de l’estimable évêque Mauviel, sacré pour Saint-Domingue, qui se dévouoit généreusement à cette mission pénible. Toussaint, égaré par les suggestions de quelques moines dissidens, lui suscita des tracasseries, quoiqu’il eût précédemment félicité la colonie, de son arrivée, par une proclamation solennelle. Que Toussaint ait été cruel, hypocrite et traître, ainsi que les Nègres et Mulâtres associés à ses opérations, je ne prétends pas le nier; mais les Blancs… Ne jugeons pas une cause sur l’audition d’une seule partie. Un jour peut-être les Nègres écriront, imprimeront à leur tour, ou l’impartialité guidera la plume de quelque Blanc. Les faits récens sont, dit-on, du domaine de l’adulation et de la satire. Tandis que des gens le peignent, sans restriction, sous des couleurs odieuses, par un autre excès Whitchurch, dans son poëme d’Hispaniola, en fait un héros (1). Quoique Toussaint soit mort, la postérité qui rectifie, casse ou confirme les jugemens des contemporains, n’est peut-être pas encore arrivée pour lui.

(1). V. Hispaniola a poem, by Samuel WhitChurch, London 1805.

Terminons ce chapitre par un trait extrêmement curieux que fournit le courage d’un Nègre.

Le pape Pie II, voulant punir Cantelino, duc de Sora, envoya contre lui une armée sous les ordres du général Napoléon, de la famille des Ursins, qui déjà s’étoit distingué par ses exploits en commandant les troupes vénitiennes. Napoléon s’empare de la ville de Sora, mais il éprouve une résistance opiniâtre de la citadelle, défendue par sa position sur un rocher très-élevé, dans une île du Garillan. Après plusieurs jours de siége, une tour s’écroule sous le ravage des bombes. Alors un Nègre, qui, après avoir été domestique du général, étoit devenu soldat, dit à ses camarades: La citadelle est à nous, suivez-moi. Il jette avec force sa lance sur les ruines de la tour, se déshabille, franchit les eaux à la nage, reprend son arme et monte à l’assaut. Son exemple est imité d’une foule de soldats dont deux périssent entraînés par le courant; tous gravissent à sa suite. Les assiégés accablés de douleur, le sont plus encore de honte d’être vaincus par une troupe de soldats, tous nus et dirigés par un Nègre. Ce fait très-vrai paroîtra invraisemblable à la postérité, dit l’historien Gobellin (1), qui mérite, ainsi que le P. Tuzii (2), le reproche d’avoir tu le nom de ce valeureux Africain, auquel on dut la conquête de la citadelle.

(1). V. Pii secundi, pontificis maximi, commentarii, etc., a Joan. Gobellino compositi, etc., in-4°, Roma 1584, lib. V, p. 259; et lib. XII, p. 575 et seq. On prétend que ces commentaires ont été composés par Pie II lui-même, et que Gobellin n’a été que prête-nom.

(2). V. Memorie istoriche massimamente sacre della citta di Sora, dal pad. Fr. Tuzii, in.4°, Roma 1727. part. II, lih. VI, p. 116 et seq.

CHAPITRE IV.

Continuation du même sujet.

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 LA Loyauté est la compagne inséparable de la véritable bravoure; les faits qui suivent mettront en parallèle à cet égard les Blancs et les Noirs. Le lecteur équitable tiendra la balance.

Les Nègres marrons de Jacmel ont, durant près d’un siècle, épouvanté Saint-Domingue. Le plus impérieux des gouverneurs, Bellecombe, fut obligé, en 1785, de capituler avec eux; ils n’étoient cependant que cent vingt-cinq hommes de la partie française, et cinq de la partie espagnole; c’est le planteur Page qui nous le répète (1). A-t-on jamais ouï dire qu’ils ayent violé la capitulation, ces hommes contre lesquels on ordonnoit des battues comme on en fait contre les loups?

(1). V. Traité d’économie politique et de commerce des colonies, etc., par Page, in-8º, IIe partie, Paris 1802, p. 27.

En 1718, lorsqu’on étoit en pleine paix avec les Caraïbes noirs de Saint-Vincent, qui sont connus pour être braves jusqu’à la témérité, et plus actifs, plus industrieux que les Caraïbes rouges, on dirigea contre ceux de la Martinique une expédition injuste, et qui échoua: au lieu de s’irriter, l’année suivante ils eurent l’indulgence d’acquiescer à la paix; ces traits, dit Chanvalin, ne se lisent pas dans l’histoire des nations civilisées (1).

(1). V. Voyage à la Martinique, par Chanvalin, In-4°, p. 39 et suiv.

En 1726, les Marrons de Surinam, que la férocité des colons avoit portés au désespoir, conquirent leur liberté, et forcèrent leurs oppresseurs à traiter avec eux de peuple à peuple; ils observèrent religieusement les conventions. Les colons méritent-ils le même éloge? Après de nouvelles querelles, ceux-ci voulant négocier la paix, demandent une conférence aux Nègres, qui l’accordent, et stipulent pour préliminaire, qu’on leur enverra, parmi beaucoup d’objets utiles, de bonnes armes à feu et des munitions. Deux commissaires hollandais partent avec leur escorte, et se rendent au camp des Nègres: le capitaine Boston, qui les commandoit, s’aperçoit que les commissaires n’apportent que des bagatelles, des ciseaux, des peignes, de petits miroirs, mais point d’armes à feu, ni de poudre; d’une voix de tonnerre il leur dit: Les Européens pensent-ils que les Nègres n’ont besoin que de peignes et de miroirs? un seul de ces meubles nous suffit à tous; au lieu qu’un seul baril de poudre offert par les Hollandais, eût prouvé la confiance qu’on avoit en nous.

Les Nègres cependant, loin de céder au sentiment d’une légitime indignation contre un gouvernement qui manquoit à ses engagemens, lui accordent une année pour délibérer et choisir la paix ou la guerre. Ils fêtent de leur mieux les commissaires, leur prodiguent une bienveillance hospitalière, et les renvoient en leur rappelant que les colons de Surinam étoient eux-mêmes les artisans de leurs désastres par l’inhumanité avec laquelle ils traitoient leurs esclaves (1). Stedman, à qui nous devons ces détails, ajoute que les champs de cette république de Noirs sont couverts d’ignames, de maïs, de plantaniers et de manioc.

(1). Stedman, t. I, p. 88 et suiv.

Tous les auteurs qui, sans préjugé, parlent des Nègres, rendent justice à leur naturel heureux et à leurs vertus. Il est même des partisans de l’esclavage à qui la force de la vérité arrache des aveux en leur faveur. Tels sont, 1º. l’historien de la Jamaïque, Long, qui admire chez plusieurs un excellent caractère, un coeur aimant et reconnoissant; chez tous la tendresse paternelle et filiale portée au suprême degré (1).

(1). V. Long, t. II, p. 416.

2°. Duvallon, qui par le récit des malheurs de la pauvre et décrépite Irrouba, est sûr d’attendrir son lecteur et de faire exécrer le colon féroce dont elle avoit été la mère nourricière (1).

(1). V. Vue de la colonie espagnole, etc., en 1802, par Duvallon, in-8°, Paris 1803, p. 268 et suiv. «Allons voir la centenaire, dit quelqu’un de la compagnie, et l’on s’avança jusqu’à la porte d’une petite hutte où je vis paroître, l’instant d’après, une vieille Négresse du Sénégal, décrépite au point qu’elle étoit pliée en double, et obligée de s’appuyer sur les bordages de sa cabane, pour recevoir la compagnie assemblée à sa porte, et en outre presque sourde, mais ayant encore l’oeil assez bon. Elle étoit dans le plus extrême dénuement, ainsi que le témoignoit assez tout ce qui l’entouroit, ayant à peine quelques haillons pour la couvrir, et quelques tisons pour la rechauffer, dans une saison dont la rigueur est si sensible pour la vieillesse, et pour la caste noire surtout. Nous la trouvâmes occupée à faire cuire un peu de riz à l’eau pour son souper, car elle ne recevoit de ses maîtres aucune subsistance réglée, ainsi que son grand âge et ses anciens services le requéroient. Elle étoit, au surplus, abandonnée à elle-même, et dans cet état de liberté que la nature, épuisée en elle, avoit obligé ses maîtres à lui laisser, et dont en conséquence elle lui étoit plus redevable qu’à eux. Or il faut apprendre au lecteur, qu’indépendamment de ses longs services, cette femme, presque centenaire, avoit anciennement nourri de son lait deux enfans blancs, parvenus à une parfaite croissance, et morts avant elle, les propres frères d’un de ses maîtres qui se trouvoit alors avec nous. La vieille l’aperçut, et l’appelant par son nom, en le tutoyant (suivant l’usage des Nègres de Guinée), avec un air de bonhomie et de simplesse vraiment attendrissant: Eh bien! quand feras-tu, lui dit-elle, réparer la couverture de ma cabane? il y pleut comme dehors. Le maître leva les yeux et les dirigea sur le toit, qui étoit à la portée de la main. J’y songerai, dit-il. – Tu y songeras! tu me dis toujours cela, et rien ne se fait. – N’as-tu pas tes enfans? (deux Nègres de l’atelier, ses petits-fils), qui pourroient bien arranger la cabane. – Et toi, n’es-tu pas leur maître, et n’es-tu pas mon fils toi-même? Tiens, ajouta-t-elle, en le prenant par le bras et l’introduisant dans sa cabane, entre et vois-en par toi-même les ouvertures; aye donc pitié, mon fils, de la vieille Irrouba, et fais au moins réparer le dessus de son lit; c’est tout ce qu’elle te demande, et le bon Dieu te le rendra. Et quel étoit ce lit? Hélas! trois ais grossièrement joints sur deux traverses, et sur lesquels étoit étendue une couche de cette espèce de plante parasite du pays, nommée barbe-espagnole. Le toit de la cabane est entr’ouvert, la bise et la pluie fouettent sur ta misérable couche, et ton maître voit tout cela, et il y est insensible! Pauvre Irrouba!

Les mêmes vertus éclatent dans ce que racontent des Nègres, Hilliard-d’Auberteuil, Falconbridge, Grandville-Sharp, Benezet, Ramsay, Horneman, Pinkard, Robin, etc., et surtout Clarkson, qui, ainsi que Wilberforce, s’est immortalisé par ses ouvrages et son zèle dans la défense des Africains. George Robert, navigateur anglais, pillé par un corsaire son compatriote, se réfugie à l’île Saint-Jean, l’une de l’archipel du Cap-Vert; il est secouru par les Nègres. Un pamphlétaire anonyme qui n’ose nier le fait, tâche d’en atténuer le mérite, en disant que l’état de George Robert auroit touché un tigre (1). Durand préconise la modestie, la chasteté des épouses négresses, et la bonne éducation des Mulâtres à Gorée (2). Wadstrom, qui se loue beaucoup de leur accueil, leur croit une sensibilité affectueuse et douce, supérieure à celle des Blancs. Le capitaine Wilson, qui a vécu chez eux, vante leur constance en amitié; ils pleuroient à son départ.

(1). V. De l’esclavage en général, et particulièrement, etc., p, 180.

(2). V. Voyage au Sénégal, par Durand, in-4°, Paris 1802, p. 568 et suiv.

Des Nègres de Saint-Domingue, par attachement avoient suivi à la Louisiane, leurs maîtres, qui les ont vendus. Ce fait, et le suivant, que j’emprunte de Robin, sont des matériaux pour comparer, au moral, les Noirs et les Blancs.

Un esclave avoit fui; le maître promet douze piastres à qui le ramènera. Il est ramené par un autre Nègre qui refuse la récompense, et demande seulement la grâce du déserteur. Le maître l’accorde, et garde les douze piastres. L’auteur du voyage pense que le maître avoit l’âme d’un esclave, et le Nègre l’âme d’un maître (1).

(1). V. Robin, t. II, p. 203 et suiv.

Pour la bonté naturelle des Nègres après tant d’autres témoins incontestables, on peut encore citer le respectable Niebuhr, qui, dans le Musée allemand. (1), s’exprime ainsi:

(1). V. Deutsches Museum, 1787, t. I, p. 424.

«Le caractère des Nègres, surtout quand on les traite raisonnablement, est fidélité envers maîtres et leurs bienfaiteurs. Les négocians mahométans à Kahira, Dsjidda, Surate et ailleurs, achètent volontiers des enfans noirs, auxquels ils font apprendre l’écriture et l’arithmétique: leur commerce est presque exclusivement dirigé par ces esclaves, qu’ils envoient pour établir leurs comptoirs dans les pays étrangers. Je demandois à l’un de ces négocians, comment il pouvoit livrer des cargaisons entières à un esclave? Il me répondit: Mon Nègre m’est fidèle; mais je n’oserois confier mon négoce à des commis blancs, ils s’éclipseroient bientôt avec ma fortune.» Blumenbach, qui m’envoie ce passage, ajoute: Ainsi, on pourroit appliquer à nos protégés les pauvres Nègres, ces mots de Saint Bernard: Felix nigredo, quae mentis candore imbuta est (1).

(1). Lettre de M. Blumenbach, du 6 février 1808, à M. l’évêque Grégoire, sénateur. etc.

Le docteur Newton raconte qu’un jour il accusoit un Nègre de fourberie et d’injustice; celui-ci lui répond avec fierté: Me prenez-vous pour un Blanc (1)? Il ajoute que sur les bords de la rivière Gabaon, les Nègres sont la meilleure espèce d’hommes qu’il ait connus (2). Ledyard rend le même témoignage aux Foulahs, dont le gouvernement est absolument paternel (3).

(1). V. Thoughts upon the African slave trade, p. 24.

(2). V. An Abstract of the evidence, etc., p. 91 et suiv.

(3). V. Ledyard. t. II, p. 340.

Dans une histoire de Loango, on lit que si les Nègres, habitans des côtes, et fréquentant les Européens, sont enclins à la fourberie, au libertinage, ceux de l’intérieur sont humains, obligeans, hospitaliers (1). Cet éloge est répété par Golberry. Il se récrie contre la présomption avec laquelle les Européens méprisent et calomnient ces nations, que nous appelons si légérement sauvages, chez lesquelles on trouve des hommes vertueux, vrais modèles de tendresse filiale, conjugale et paternelle, qui connoissent tout ce que la vertu a d’énergique et de délicat; chez qui les impressions sentimentales sont très-profondes, parce qu’ils sont plus que nous voisins de la nature, et qui savent sacrifier l’intérêt personnel à l’amitié. Golberry en fournit diverses preuves (2).

(1). V. Histoire de Loango, par Proyart, 1776, in-8°, Paris, p. 59 et suiv.; p. 73.

(2). V. Fragment d’un Voyage en Afrique, par Golberry, 2 vol. in-8º, Paris 1802, t. II, p. 391 et suiv.

L’auteur anonyme des West indian eclogues (1)dut la vie à un Nègre qui, pour la lui sauver, perdit la sienne. Pourquoi le poëte qui, dans une note, rapporte cette circonstance, n’y a-t-il pas consigné le nom de son libérateur?

(1). In-4°, London 1787. 

Adanson, qui visita le Sénégal en 1754, et qui en parle comme d’un élysée, en trouva les Nègres très-sociables, et d’un excellent caractère. Leur aimable simplicité, dans ce pays enchanteur, me rappeloit, dit-il, l’idée des premiers hommes; il me sembloit voir le monde à sa naissance (1). En général, ils ont conservé l’estimable bonhomie des moeurs domestiques; ils se distinguent par beaucoup de tendresse envers leurs parens, beaucoup de respect pour la vieillesse, vertu patriarchale et presqu’inconnue parmi nous (2). Ceux, qui sont mahométans contractent une certaine alliance avec ceux qui ont été circoncis à la même époque, et se regardent comme frères. Ceux qui sont chrétiens conservent toute leur vie une vénération particulière pour leurs parrains et marraines. Ces mots rappellent une institution sublime que la philosophie envioit dernièrement au christianisme; cette espèce d’adoption religieuse répand sur les enfans des relations d’amour et de bienfaisance qui, dans le cas éventuel et malheureusement trop fréquent, où, en bas âge, ils perdroient les auteurs de leurs jours, prépare aux orphelins des conseils et un asile.

(1). Adanson, p. 31 et 118. V aussi Lamiral l’Afrique, et le peuple africain, p. 64.

(2). Demanet, p. II.

Robin parle d’un esclave à la Martinique, qui ayant gagné de quoi se racheter, préféra de racheter sa mère (1). L’outrage le plus sanglant qu’on puisse faire à un Nègre c’est de maudire son père ou sa mère (2), ou d’en parler avec mépris. Frappez-moi, disoit un esclave à son maître, mais ne maudissez pas ma mère (3). C’est de Mungo-Park que j’emprunte ce fait et le suivant. Une Négresse ayant perdu son fils, son unique consolation étoit de penser que cet enfant n’avoit jamais dit un mensonge (4). Casaux raconte qu’un Nègre voyant un Blanc maltraiter son père, enleva vite l’enfant de ce brutal, de peur, dit-il, qu’il n’apprenne à imiter ta conduite.

(1). V. Robin, t. I, p. 204.

(2). V. Long, t. II, p.416.

(3). V. Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, par Mungo-Park, t. II, p. 8 et 10.

(4). Ibid., p. II.

La vénération des Noirs pour leurs aïeux les suit par delà les bornes de la vie; ils vont s’attendrir sur la cendre de ceux qui ne sont plus. Un voyageur nous a conservé l’anecdote d’un Africain qui recommandoit à un Français de respecter les sépultures. Qu’eût pensé le premier s’il avoit pu croire qu’un jour elles seroient profanées dans toute la France, chez une nation qui se dit civilisée.

Les Noirs, au rapport de Stedman, sont si bienveillans les uns envers les autres, qu’il est inutile de leur dire: Aimez votre prochain comme vous-mêmes (1). Les esclaves du même pays surtout, ont un penchant marqué à s’entr’aider. Hélas! presque toujours les malheureux n’ont rien à espérer que de ceux auxquels ils sont associés par l’infortune.

(1). Stedman, t. III, p. 66.

Plusieurs Marrons avoient été condamnés à être pendus; on offre la grâce à l’un d’eux, à condition qu’il sera l’exécuteur. Il refuse; il aime mieux mourir. Le maître nomme un de ses esclaves pour le remplacer… Attendez que je me prépare… Il va dans la case, prend une hache, se coupe le poing; revient au maître, et lui dit: Exige maintenant que je sois le bourreau de mes camarades (1).

(1). V. Le Bonnet de Nuit, par Mercier, t. II, article Morale.

Dickson nous a conservé le fait suivant. Un Nègre avoit tué un Blanc; un autre homme accusé du crime alloit être mis à mort. «Le meurtrier va se déclarer à la justice, parce qu’il ne pourroit supporter le remords d’avoir causé à deux individus la perte de la vie». L’innocent est relâché, et le Nègre est envoyé au gibet, où il resta vivant six à sept jours.

Le même Dickson a vérifié que sur cent vingt mille, tant Nègres que sang-mêlés, à la Barbade, dans le cours de trente ans, on n’a ouï parler que de trois meurtres de la part des Nègres, quoiqu’ils fussent souvent provoqués par la cruauté des planteurs (1). Je doute qu’on puisse trouver beaucoup de résultats pareils, en compulsant les greffes des tribunaux criminels de l’Europe.

(1). Dickson, Letters on slavery, 1789, p. 20 et suiv.

La reconnoissance des Noirs, ajoute Stedman, les porte à s’exposer à la mort pour sauver leurs bienfaiteurs (1). Cowry raconte qu’un esclave portugais ayant fui dans les bois, apprend que son maître est traduit en jugement pour cause d’assassinat; le Nègre se constitue prisonnier en place du maître, donne des preuves fausses, mais judiciaires, de son prétendu crime, et subit la mort à la place du coupable (2).

(1). Stedman, t. III, p. 70 et 76.

(2). Cowry, p. 27.

Le Journal de littérature, par Grosier, a recueilli des détails attendrissans sur un Nègre de du Colombier, propriétaire dans les colonies, résidant près de Nantes. L’esclave étoit devenu libre; mais le martre étoit devenu pauvre. Le Nègre vendit tout ce qu’il avoit pour le nourrir. Quand cette ressource fut épuisée, il cultiva un jardin dont il vendoit les produits pour continuer cette bonne oeuvre. Le maître tombe malade; le Nègre, malade lui-même, déclare qu’il ne s’occupera de sa santé que quand le maître sera guéri; mais ce bon Africain succombe de fatigues, et après vingt ans de services gratuits meurt, en 1776, en léguant à du Colombier le peu qui lui restoit (1).

(1). V. Journal de littérature, des sciences et des arts, t. III, p. 188 et suiv.

On connoît trop peu l’anecdote de Louis Desrouleaux, Nègre, pâtissier à Nantes, puis au Cap, où il avoit été esclave d’un nommé Pinsum, de Bayonne, capitaine négrier. Ce capitaine, revenu en France avec de grandes richesses, s’y ruine; il repasse à Saint-Domingue: ceux qui se disoient ses amis lorsqu’il étoit opulent, daignent à peine le reconnoître. Louis Desrouleaux, qui avoit acquis de la fortune, les supplée tous; il apprend le malheur de son ancien maître, s’empresse de le chercher, le loge, le nourrit, et cependant lui propose d’aller vivre en France, où son amour propre ne sera pas mortifié par l’aspect des ingrats qu’il a faits. Mais je n’ai rien pour vivre en France… 15,000 francs annuels vous suffiront-ils?… Le colon pleure de joie; le Nègre lui passe le contrat et la pension a été payée jusqu’à la mort de Louis Desrouleaux, arrivée en 1774.

S’il étoit permis d’intercaler ici un fait étranger à mon sujet, je citerois la conduite des Indiens envers l’évêque Jacquemin, qui a été vingt-deux ans missionnaire à la Guyane. Ces Indiens, qui l’aimoient tendrement, le voyant dénué de tout lorsqu’on cessa de payer les pasteurs, vont le trouver et lui disent: Père, tu es âgé, reste avec nous, nous chasserons pour toi, nous pêcherons pour toi.

Et comment ces hommes de la nature seroient-ils ingrats envers leurs bienfaiteurs, lorsqu’ils sont bienfaisans envers leurs oppresseurs? Dans la traversée on a vu des Noirs enchaînés, partager leur triste et chétive nourriture avec les matelots (1).

(1). Stedman, t. I, p. 270.

Une maladie contagieuse avoit fait périr le capitaine, le contre-maître et la plupart des matelots d’un vaisseau négrier; ce qui restoit étant insuffisant pour la manoeuvre, les Nègres s’y emploient; par leur secours le vaisseau arrive à sa destination, ensuite ils se laissent vendre (1).

(1). Stedman, t. I, p. 270.

Les philantropes d’Angleterre aiment à citer ce bon et religieux Joseph Rachel, Nègre libre aux Barbades, qui s’étant enrichi par le négoce, consacra toute sa fortune à faire du bien. Les malheureux, quelle que fût leur couleur, avoient des droits sur son coeur; il distribuoit aux indigens, prêtoit à ceux qui pouvoient rendre, visitoit les prisonniers, leur donnoit des conseils, tâchoit de ramener les coupables à la vertu. Il est mort en 1758, à Bridgetown, pleuré des Noirs et des Blancs (1).

(1). Dickson, p. 180.

Les Français doivent bénir la mémoire de Jasmin Thoumazeau; né en Afrique en 1714, il fut vendu à Saint-Domingue en 1736. Ayant obtenu la liberté, il épousa une Négresse de la Côte-d’Or, et fonda au Cap, en 1756, un hospice pour les pauvres Nègres et sang-mêlés. Pendant plus de quarante ans, avec son épouse, il s’est voué à leur soulagement, et leur a consacré tous ses soins et sa fortune. La seule peine qu’ils éprouvassent an milieu des malheureux auxquels leur charité prodiguoit des secours, étoit l’inquiétude qu’après eux l’hospice ne fût abandonné. En 1789, le cercle des Philadelphes du Cap, et la société d’agriculture de Paris, décernèrent des médailles à Jasmin (1), qui est mort vers la fin du siècle.

(1). Description de la partie française de Saint-Domingue, par Moreau-Saint-Méry, t. I, p. 416 et suiv.

Moreau-Saint-Méry, et une foule d’autres écrivains, nous disent que les Négresses et les Mulâtresses sont recommandables par leur tendresse maternelle, par leur charité compatissante envers les pauvres (1). On en trouvera des preuves dans une anecdote qui n’a pas encore acquis toute la publicité dont elle est digne. Le voyageur Muugo-Park alloit périr de besoin au milieu de l’Afrique; une Négresse le recueille, le conduit chez elle, lui donne l’hospitalité, et assemble les femmes de sa famille qui passèrent une partie de la nuit à filer du coton, en improvisant des chansons pour distraire l’homme blanc, dont l’apparition dans ces contrées étoit une nouveauté: il fut l’objet d’une de ces chansons qui rappelle cette pensée d’Hervey, dans ses Méditations: Je crois entendre les vents plaider la cause du malheureux (2). Voici cette pièce: «Les vents mugissoient, et la pluie tomboit; le pauvre homme blanc, accablé de fatigue, vient s’asseoir sous notre arbre; il n’a pas de mère pour lui apporter de lait, ni de femme pour moudre son grain»; et les autres femmes chantoient en coeur: «Plaignons, plaignons le pauvre homme blanc; il n’a pas de mère pour lui apporter son lait, ni de femme pour moudre son grain (3).

(1). Saint-Méry. p. 44. Trois pages plus haut il loue en elles un extrême amour de la propreté.

(2). Hervey, Méditat., p. 151.

(3). Voyages et découvertes dans l’intérieur de l’Afrique, par Houghton et Mungo-Park, p. 180.

Tels sont les hommes calomniés par Descroizilles, qui, en 1803, imprimoit que les affections sociales et les institutions religieuses, n’ont aucune prise sur leur caractère (1).

(1). V. Essai sur l’agriculture et le commerce des îles de France et de la Réunion, in-8º, Rouen 1803, p. 37.

Aux traits de vertu pratiqués par des Nègres, aux témoignages honorables que leur rendent les auteurs, j’aurois pu en ajouter une multitude d’autres qu’on trouvera dans les dépositions officielles à la barre du Parlement d’Angleterre (1). Ce qu’on vient de lire suffit pour venger l’humanité et la vérité outragées.

(1). Entre autres ouvrages on peut consulter An Abstract of the evidence delivered before a select committee of the house of Commons, in the year 1790 and 1791, in-8º, London 1701. V. surtout p. 91 et suiv.

Gardons-nous cependant d’une exagération insensée qui chez les Noirs voudroit ne trouver que des qualités estimables; mais nous autres Blancs, avons-nous droit d’être leurs dénonciateurs? Persuadé qu’il faut très-rarement compter sur la vertu et la loyauté des hommes, quelle que soit leur couleur, j’ai voulu prouver que les uns ne sont pas originairement pires que les autres.

Une erreur presque générale, c’est d’appeler vertueux des individus qui n’ont, si je puis m’exprimer ainsi, qu’une moralité négative. La forme de leur caractère est indéterminée; incapable de penser et d’agir par eux-mêmes, n’ayant ni le courage de la vertu, ni l’audace du crime, également susceptibles d’impressions louables et coupables, ils n’ont que des idées et des inclinations d’emprunt; on nomme en eux bonté, douceur ce qui n’est réellement qu’apathie, foiblesse et lâcheté. Ce sont eux qui ont donné lieu à ce proverbe: Il est des gens si bons qu’ils ne valent rien.

Dans le tableau des faits honorables qu’on vient de présenter, on retrouve, au contraire, cette énergie (vis, virtus), qui fait des sacrifices pour pratiquer le bien, obliger les hommes, et agir conformément aux principes de la morale. Cette raison-pratique qui est le fruit d’une intelligence cultivée se manifeste encore sous d’autres rapports, quoique chez la plupart des Nègres la civilisation et les arts soient dans l’enfance. Mais avant d’aborder cet article, je crois faire plaisir au lecteur en intercalant ici la notice biographique d’un Nègre, mort il y a douze ans, en Allemagne, où ses vertus délicates et ses brillantes qualités lui ont acquis de la réputation.

Pag. 184-186

Grainger décrit une sorte de guitare inventée par les Nègres, sur laquelle ils jouent des airs qui respirent une mélancolie douce et sentimentale (1); c’est la musique des coeurs affligés. La passion des Nègres pour le chant ne prouve pas qu’ils soient heureux; c’est l’observation de Benjamin Rush, qui indique les maladies résultantes de leur état de détresse et de malheur (2).

(1). The sugar cane, a poem, in four books, by James Grainger, in-4º, 1764.

(2). V. American Museum, t. IV, p. 82.

Le docteur Gall m’assuroit qu’aux Nègres manquent les deux organes de la musique et des mathématiques. Quand sur le premier article, je lui objectois qu’un des caractères les plus saillans des Nègres est leur goût invincible pour la musique, en convenant du fait, il m’opposoit leur incapacité de perfectionner ce bel art. Mais l’énergie de ce penchant n’est-elle pas un signe incontestable de talent? Il est d’expérience que les hommes réussissent dans les études vers lesquelles une propension décidée, une volonté forte les entraînent. Qui peut présager à quel point les Nègres excelleront dans cette partie, quand les connoisssances de l’Europe entreront dans leur domaine? peut-être auront ils des Gluck et des Piccini. Déjà Gossec n’a pas dédaigné de transporter, dans une pièce de circonstance, le Camp de Grand-Pré, un air des Nègres de Saint-Domingue.

La France eut jadis ses Trouvères et ses Troubadours, comme l’Allemagne ces Min-Singer, et l’Ecosse ses Minstrells. Les Nègres ont les leurs, nommés Griots, qui vont aussi chez les rois faire ce qu’on fait dans toutes les cours, louer et mentir avec esprit. Leurs femmes, les Griotes, font à peu près le métier des Almées en Egypte, des Bayadères dans l’Inde (1). C’est un trait de conformité avec les femmes voyageuses des Troubadours. Mais ces Trouvères, ces Min-Singer, ces Minstrells furent les devanciers de la Malherbe, Corneille, Racine, Shakespeare, Pope, Gesner, Klopstok, etc. Dans tout pays le génie est l’étincelle recelée dans le sein du caillou; dès qu’elle est frappée par l’acier, elle s’empresse de jaillir.

(1). V. Golberry, ibid.

Pag. 205-208

LISLET-GEOFFROY, Mulâtre au premier degré, est un officier attaché au génie, et chargé du dépôt des cartes et plans de l’île-de-France. Le 23 août 1786, il fut nommé correspondant de l’académie des sciences, il est désigné comme tel dans la Connoissance des temps pour l’année 1791, publiée en 1789 par cette société savante, à laquelle Lislet envoyoit régulièrement des observations météorologiques, et quelquefois des journaux hydrographiques. La classe des sciences physiques et mathématiques s’est fait un devoir de se rattacher comme correspondans et associés, ceux de l’académie des sciences. Par quelle fatalité Lislet est-il le seul excepté? Seroit-ce à raison de sa couleur? Je repousse un soupçon qui seroit pour mes confrères un outrage. Certes, depuis vingt ans, loin de démériter, Lislet s’est acquis de nouveaux titres à l’estime des savans.

Sa carte des îles de France et de la Réunion, dressée d’après les observations astronomiques, les opérations géométriques de la Caille, et les plans particuliers qui avoient été levés, a été publiée en 1797 (an 5), par ordre du ministre de la marine, et m’a été donnée par Buache. Une nouvelle édition, rectifiée d’après les dessins envoyés par l’auteur, a paru en 1802; jusqu’ici c’est la meilleure que l’on connoisse de ces îles.

Dans l’amanach de l’Ile de France, que je n’ai pu trouver à Paris, Lislet a inséré des Mémoires, entr’autres, la description du Pitrebot, l’une des plus hautes montagnes de l’île (1).

(1). Ce fait m’est communiqué par un botaniste distingué, Aubert du Petit-Thouars, qui a résidé dix ans dans cette colonie.

L’institut, devenu légataire des diverses académies de Paris, publiera sans doute une précieuse collection de Mémoires qui sont en manuscrit dans ses archives. On y trouve la relation d’un voyage de Lislet à la baie de Sainte-Luce, île de Madagascar, que vient d’imprimer Malte-Brun dans ses annales des voyages; elle est accompagnée d’une carte de cette baie et de la côte. Lislet indique les objets d’échange à porter, les ressources qu’elle présente, et qui s’accroîtroient, dit-il, si au lieu de fomenter des guerres entre les indigènes pour avoir des esclaves, on encourageoit leur industrie par l’espérance d’un commerce avantageux. Les notions qu’il donne sur les moeurs des Madecasses, sont très-curieuses. Ses descriptions annoncent un homme versé dans la botanique, la physique, la géologie, l’astronomie;  cependant jamais il n’est venu sur le continent pour cultiver ses goûts et acquérir des connoissances; il a lutté contre les obstacles que lui opposoient les préjugés du pays. On peut raisonnablement présumer qu’il eût fait plus, si dès sa jeunesse amené en Europe, vivant dans l’atmosphère des savans, il eût trouvé autour de lui les moyens qui peuvent si puissamment stimuler la curiosité et féconder le génie.

Je tiens de quelqu’un qui étoit de l’expédition du capitaine Baudin, que Lislet ayant formé à l’Ile-de-France une société des sciences, quelques Blancs ont refusé d’en être membres, uniquement parce qu’un Noir en est le fondateur; par là même n’ont-ils pas prouvé qu’ils en étoient indignes?

Pag. 230-235

Les Espagnols, et plus encore les Portugais, sont incontestablement les nations qui traitent le mieux les Nègres. Chez eux, le christianisme inspire un caractère de paternité qui place les esclaves à très-peu de distance des maîtres. Ceux ci n’ont pas établi la noblesse de la couleur, ne dédaignent pas de s’unir par le mariage avec des Négresses, et facilitent aux esclaves les moyens de reconquérir la liberté.

Dans les autres colonies, souvent on a vu des planteurs s’opposer à ce que leurs Nègres fussent instruits d’une religion qui proclame l’égalité des hommes sortis d’une souche commune, participant tous aux bienfaits du Père des humains, qui ne fait acception de personne. Une foule d’écrivains ont développé ces vérités consolantes: parmi ceux de nos jours, il suffit de citer Robert-Robinson (1), Hayer, Roustan, Ryan traduit en Français par Boulard; Turgot, dans un discours magnifique que m’a communiqué Dupont de Nemours, qui se propose de le publier, etc. La tyrannie politique et l’esclavage sont des attentats contre l’Evangile. La basse annulation d’un grand nombre d’évêques et de prêtres n’a pu faire introduire d’autres maximes, qu’en dénaturant la religion.

(1). Slavery inconsistent with the spirit of christianity, a sermon preached at Cambridge, etc., by Robert Robinson, in-8º, Cambridge 1788. Il assure, p. 14, que les Africains ont les premiers baptisé des enfans pour les sauver de l’esclavage.

Des planteurs hollandais, étouffant la voix de la conscience, furent sans doute les instigateurs de Capitein, devenu l’apologiste d’une mauvaise cause. Croyant, ou feignant de croire, que par le maintien de la servitude on favoriseroit la propagation de la foi, il composa une dissertation politico-théologique pour soutenir que l’esclavage n’est pas opposé à la liberté évangélique (1). Cette assertion scandaleuse se reproduisit, il y a quelques années, dans les Etats-Unis. Un ministre, nommé John Beck, osa prêcher et imprimer, en 1801, deux sermons pour la justifier (2). Sachons gré à Humphrey d’avoir attaché le nom de John Beck au poteau de l’ignominie (3).

(1). Dissertatio politico-theologica de servitute libertati christianae non contraria, quam sub praeside J. Van den Honert, publicae disquisitioni subjicit J. T. J. Capitein, afer, in-4º, Lugduni Batavorum, 1742.

(2). The Doctrine of perpetual bondage reconciliable with the infinite justice of God, a truth plainly asserted in the jewish and christian scripture,  by John Beck, etc.

(3). A Valedictory discurse delivered before the Cincinnati of Connecticut at Hartford july 4th 1804, at the dissolution of the society, by  D. Humphrey, in-8º, Boston 1804.

Capitein ne se dissimule pas la difficulté de son entreprise, et particulièrement de répondre à ce texte de S. Paul: Vous avez été rachetés, ne vous rendez esclaves de personne (1). Il suppose (je ne dis pas il prouve) que cette décision exclut seulement les engagemens avec des maîtres idolâtres, pour faire le métier de gladiateurs, ou descendre dans l’arêne contre les bêtes féroces (2), ainsi qu’il se pratiquoit chez les Romains. Il s’objecte sans les discuter, le célèbre édit par lequel Constantin autorisa les affranchissemens, et l’usage des chrétiens mentionné dans les écrits des Pères, de donner la liberté à des esclaves, surtout à la fête de Pâques. De toutes parts s’élèvent les cris de l’histoire en faveur de ces affranchissemens, dont on trouve les formules dans Marculfe; et parce que la loi étoit seulement facultative, Capitein en infère la légitimité de l’esclavage; assurément c’est forcer la conséquence.

(1). I. Cor. VII, 23. Pretio empti estis, nolite fieri servi hominum.

(2). P. 27.

Il s’appuie du témoignage de Busbec, pour établir que l’abrogation de la servitude n’a pas été sans de grands inconvéniens, et que si elle avoit été conservée, on ne verroit pas tant de crimes commis, ni d’échafauds élevés pour contenir des gens qui n’ont rien à perdre (1): mais l’esclavage infligé comme punition légitime, ne légitime pas l’esclavage des Nègres; et d’ailleurs l’autorité de Busbec n’est rien moins qu’une preuve.

(1). V. Epistola turcica, Lugduni Batavorum 1633, p. 160 et 161.

Cette dissertation latine de Capitein, riche en érudition, mais très-pauvre en raisonnemens, traduite en hollandais par Wilhem (1), a été imprimée quatre fois; tout ce qu’on peut induire de plus sensé des paralogismes de ce Nègre, à qui ses compatriotes ne voteront sûrement pas des remercîmens, c’est que les peuples et les individus injustement asservis doivent se résigner à leur malheureux sort, quand ils ne peuvent rompre leurs fers.

(1). V. Staadtkunding-godgeleerd ondersoeksschrift over the slaverny, als niet strydig tegen de christelike vriheid, etc., uit het latyn vertaalt door heer de Wilhelm, in-4º, Leiden 1742.

Gallandat qui, dans les mémoires de l’académie de Flessinger a publié une instruction sur la traite des esclaves, montre bien peu de jugement en louant l’ouvrage de Capitein (1) sur cet objet.

(1). V. Noodige onderrichtlingen voor de slaafhandelaaren, t. I. Verhandelingen vitgegeven door het aeeuwsch genootschap, etc., te Middelburg 1769, p. 425.

On a encore de cet Africain un petit volume in-4º, de Sermons en langue hollandaise, prêchés dans différentes villes, et imprimés à Amsterdam et 1742 (1).

(1). V. Vit gewrogte predication zynde de trwherrige vermaaninge van den apostel der heydenen Paulus, aan zynen zoon Timotheus vit. II. Timotheus, II, v. 8; te Muiderberger, den 20 mai 1742, alsmede de voornaamste goederen van de opperste wysheit vit sprenken VIII, vers. 18, in twee predicatien in s’Gravenhage, den 27 mai 1742; en t’ouderkerk aan den Amstel, den 6 juny 1742, gedaan door J. E. J. Capitein, africaansche Moor, beroepen predikant op d’Elmina, aan het kasteel S. George, in-4º, te Amsterdam.

Pag. 273-285  

CHAPITRE IX

Conclusion.

DE tous les pays lettrés, je doute qu’il y en ait un où l’on soit aussi étranger qu’en France à tout ce qui s’appelle littérature étrangère. Seroit-on surpris dès-lors que pas un des auteurs nègres ne fût mentionné dans nos dictionnaires historiques, qui d’ailleurs ne sont guère que des spéculations financières? Ils contiennent les fastidieuses nomenclatures de pièces de théâtre oubliées, et de romans éphémères. Cartouche y a trouvé une place, et ils gardent le silence sur Raikes, fondateur des Sunday-school, ou Écoles du dimanche; sur William Hawes, fondateur de la Société humaine, pour soigner les individus frappés de mort apparente; sur des hommes tels que Hartlib, Maitland, Long, Thomas Coran, Hanway, Fletcher de Saltoun, Ericus Walter, Wagenaar, Bucklets, Meeuwis-Pakker, Valentyn, Eguyara, François Solis, Mineo, Chiarizi, Tubero, Jérusalem, Finnus Johannaeus, etc., etc., etc. On n’y trouve pas Suhm, le Puffendorf du dernier siècle; pas même un grand nombre d’écrivains nationaux qui dévoient y figurer, Persini, Blaru, Jehan de Brie, Jean des Lois, de Clieux, et ce bon quaker Benezet, né à Saint-Quentin, l’ami de tous les hommes, le défenseur de tous ceux qui souffroient, qui toute sa vie combattit l’esclavage par la raison, la religion et l’exemple. Il établit à Philadelphie une école pour les enfans noirs, qu’il enseignoit lui-même. Dans les intervalles qui lui laissoit cette fonction, il alloit chercher des malheureux à soulager. A ses funérailles, honorées d’un concours très-solennel, un colonel américain, qui avoit servi comme ingénieur dans la guerre de la liberté, s’écria: J’aimerois mieux être Benezet dans ce cercueil, que George Washingthon avec toute sa célébrité: c’est une exagération sans doute, mais elle est flatteuse. En parlant de Benezet, Ivan-Raiz, voyageur russe, disoit: Les académies d’Europe retentissent d’éloges décernées à des noms illustres, et Benezet n’est pas sur leurs listes. A qui donc réservent-elles des couronnes (1)? Ce Français qui excita si puissamment l’admiration des étrangers n’est pas même connu en France; il n’a pas trouvé la moindre place chez nos entrepreneurs de dictionnaires; mais Benjamin Rush, et une foule d’Anglais et d’Américains ont réparé cette omission.

(1). V. The américain Museum, in 8º, t. IV, Philadelphie 1788, p. 161; et t. IX, 1791, p.192 et suiv.

Des hommes qui ne consultent que leur bon sens, et qui n’ont pas suivi les discussions relatives aux colonies, douteront peut être qu’on ait pu ravaler les Nègres au rang des brutes, et mettre en problème leur capacité intellectuelle et morale. Cependant cette doctrine, aussi absurde qu’abominable, est insinuée ou professée dans une foule d’écrits. Sans contredit les Nègres, en général, joignent à l’ignorance des préjugés ridicules, des vices grossiers, surtout les vices inhérens aux esclaves de toute espèce, de toute couleur. Français, Anglais, Hollandais, que seriez-vous, si vous aviez été placés dans les mêmes circonstances? Je maintiens que parmi les erreurs les plus stupides, et les crimes lesplus hideux, il n’en est pas un que vous ayez droit de leur reprocher.

Long-temps en Europe, sous des formes variées, les Blancs ont fait la traite des Blancs; peut-on caractériser autrement la presse en Angleterre, la conduite des vendeurs d’ames en Hollande, celle des princes allemands qui vendoient leurs régimens pour les colonies? Mais si jamais les Nègres, brisant leurs fers, venoient (ce qu’à Dieu ne plaise), sur les côtes européennes, arracher des Blancs des deux sexes à leurs familles, les enchaîner, les conduire en Afrique, les marquer d’un fer rouge; si ces Blancs volés, vendus, achetés par le crime, placés sous la surveillance de géreurs impitoyables, étoient sans relâche, à coups de fouet, au travail, sous un climat funeste à leur santé, où ils n’auroient d’autre consolation à la fin de chaque jour que d’avoir fait un pas de plus vers le tombeau, d’autre perspective que de souffrir et de mourir dans les angoisses du désespoir; si, voués à la misère, à l’ignominie, ils étoient exclus de tous les avantages de la société; s’ils étoient déclarés légalement incapables de toute action juridique, et si leur témoignage n’étoit pas même admis contre la classe noire; si, comme les esclaves de Batavia, ces Blancs, esclaves à leur tour, n’avoient pas la permission de porter des chaussures; si, repoussés même des trottoirs, ils étoient réduits à se confondre avec les animaux au milieu des rues; si l’on s’abonnoit pour les fouetter en masse, et pour enduire de poivre et de sel leurs dos ensanglantés, afin de prévenir la gangrène; si en les tuant on en étoit quitte pour une somme modique, comme aux Barbades et à Surinam; si l’on mettoit à prix la tête de ceux qui se seroient, par la fuite, soustraits à l’esclavage; si contre les fuyard on dirigeoit des meutes de chiens formés tout exprès au carnage; si blasphémant la divinité, les Noirs prétendoient, par l’organe de leurs Marabouts, faire intervenir le ciel pour prêcher aux Blancs l’obéissance passive et la résignation; si des pamphlétaires cupides et gagés discréditoient la liberté, en disant qu’elle n’est qu’une abstraction (actuellement telle est la mode chez une nation qui n’a que des modes); s’ils imprimoient que l’on exerce contre les Blancs révoltés, rebelles, de justes représailles, et que d’ailleurs les esclaves blancs sont heureux, plus heureux que les paysans au sein de l’Afrique; en un mot, si tous les prestiges de la ruse et de la calomnie, toute l’énergie de la force, toutes les fureurs de l’avarice, toutes les inventions de la férocité étoient dirigées contre vous par une coalition d’êtres à figure humaine, aux yeux desquels la justice n’est rien, parce que l’argent est tout; quels cris d’horreur retentiroient dans nos contrées! Pour l’exprimer, on demanderoit à notre langue de nouvelles épithètes; une foule d’écrivains s’épuiseroient en doléances éloquentes, pourvu toutefois que n’ayant rien à craindre, il y eût pour eux quelque chose à gagner.

Européens, prenez l’inverse de cette hypothèse, et voyez ce que vous êtes.

Depuis trois siècles, les tigres et les panthères sont moins redoutables que vous pour l’Afrique. Depuis trois siècles, l’Europe, qui se dit chrétienne et civilisée, torture sans pitié, sans relâche, en Amérique et en Afrique, des peuples qu’elle appelle sauvages et barbares. Elle a porté chez eux la crapule, la désolation et l’oubli de tous les sentimens de la nature, pour se procurer de l’indigo, du sucre, du café. L’Afrique ne respire pas même quand les potentats sont aux prises pour se déchirer; non, je le répète, il n’est pas un vice, pas un genre de scélératesse dont l’Europe ne soit coupable envers les Nègres, et dont elle ne leur ait donné l’exemple. Dieu vengeur, suspens ta foudre, épuise ta miséricorde en lui donnant le temps et le courage de réparer, s’il est possible, ses scandales et ses atrocités.

Je m’étois imposé le devoir de prouver que les Nègres sont capables de vertus et de talens; je l’ai établi par le raisonnement, plus encore par les faits; ces faits n’annoncent pas des découvertes sublimes; ces ouvrages ne sont pas des chefs-d’oeuvre; mais ils sont des argumens sans réplique contre les détracteurs des Nègres. Je ne dirai pas avec Helvétius que chacun en naissant apporte d’égales dispositions, et que l’homme n’est que le produit de son éducation; mais cette assertion, fausse dans sa généralité, est vraie à bien des égards. Un concours d’heureuses circonstances développa le génie de Copernic, de Galilée, de Leibnitz et de Newton; des circonstances fâcheuses ont peut-être empêché d’éclore des génies qui les auroient surpassés; chaque pays a sa Béotie, mais en général on peut dire que le vice et la vertu, l’esprit et la sottise, le génie et l’ineptie appartiennent à toute sorte de contrées, de nations, de crânes et de couleurs.

Pour comparer des peuples, il faut les placer dans les mêmes conjonctures; et quelle parité peut s’établir entre les Blancs, éclairés des lumières du christianisme qui mène presque toutes les autres à sa suite, enrichis des découvertes, entourés de l’instruction de tous les siècles, stimulés par tous les moyens d’encouragement; et d’autre part, les Noirs privés de tous ces avantages, voués à l’oppression, à la misère? Si aucun d’eux n’avoit fait preuve de talens, on n’auroit pas lieu d’en être surpris; ce qu’il y a vraiment d’étonnant, c’est qu’un si grand nombre en ayent manifesté. Que seroient-ils donc si, rendus à toute la dignité d’hommes libres, ils occupoient le rang que la nature leur assigne, et que la tyrannie leur refuse?

Souvent en politique les révolutions brusques, à raison des désastres qu’elles entraînent, peuvent s’assimiler aux grandes convulsions de la nature. De la part des planteurs, c’est encore une nouvelle imposture d’avoir confondu la question de l’émancipation avec celle de la traite, d’avoir débité que les amis des Noirs vouloient un affranchissement subit et général. Ils opinoient pour une marche progressive qui opéreroit le bien sans secousse; tel étoit l’avis de l’auteur de cet ouvrage, lorsque dans un écrit adressé aux Nègres et Mulâtres libres, et qui lui a valu tant d’injures, il annonçoit (et il l’annonce encore), qu’un jour sur les rivages des Antilles, le soleil n’éclairera plus que des hommes libres, et que les rayons de l’astre qui répand la lumière ne tomberont plus sur des fers et des esclaves (1), mais les planteurs français ont repoussé avec acharnement tous les décrets par lesquels l’assemblée constituante vouloit graduellement amener des réformes salutaires; leurs orgueil a perdu pour eux les colonies du nouveau Monde, qui ne fleuriront jamais, dit Le Genty, que sous les auspices de la liberté personnelle, le trafic révoltant que l’homme ose y faire de son semblable ne les conduira jamais à une prospérité constante…

(1). V. Lettre aux citoyens de couleur et Nègres libres, in-8º, Paris 1791, p. 12

Ce continent américain, asile de la liberté, s’achemine vers un ordre de choses qui sera commun aux Antilles, et dont toutes les puissances combinées ne pourront arrêter le cours. Les Nègres réintégrés dans leurs doits, par la marche irrésistible des événemens, seront dispensés de toute reconnoissance envers ces colons, auxquels il eût été également facile et utile de s’en faire aimer.

Le travail à la tâche, dont on reconnoît déjà l’utilité au Brésil et à Bahamas, l’introduction de la charrue pour les cultures à la Jamaïque, justifiée pas des succès (1), suffiroient pour renverser ou modifier le système colonial. Cette révolution aura un mouvement accéléré, lorsque l’industrie et la politique, connoissant mieux leurs rapports mutuels, appelleront autour d’elles, dans les colonies, les pompes à feu, et feu, et tous les moyens mécaniques à l’aide desquels on abrège le travail, on facilite les manipulations; lorsqu’une nation énergique et puissante, à laquelle tout présage des hautes destinées, étendant ses bras sur les deux Océans Atlantique et Pacifique, élancera ses vaisseaux de l’un à l’autre, par une route abrégée, soit en coupant l’isthme de Panama, soit en formant un canal de communication, comme on l’a proposé, par la rivière Saint-Jean et le lac de Nicaragua; elle changera la face du monde commercial, et la face des empires. Qui sait si l’Amérique ne se vengera pas alors des outrages qu’elle a reçus, et si notre vieille Europe, placée dans un rang de puissance subalterne, ne deviendra pas une colonie du nouveau Monde?

(1). V. Dallas, T.1. p.4. Barré-Saint-Venant propose également l’introduction de la charrue dans nos colonies.

Il n’y a d’utile et de durable que ce qui est juste; aucune loi émane de la nature ne place un homme dans la dépendance d’un autre, et toutes les loix que la raison désavoue, sont par là même frappées de nullité. Chacun apporte, en naissant, sont titre à la liberté (1); les conventions sociales en ont circonscrit l’usage, mais la limite doit être la même pour tous les membres de la cité, quelles que soient leur origine, leur couleur, leur religion. Si vous avez droit de rendre un autre homme esclave, disoit Price, il a droit de vous rendre esclave; et si l’on n’a pas droit de le vendre, personne n’a le droit de l’acheter.

(1). Le Genty

 Puissent les nations européens expier enfin leurs crimes envers les Africains! Puissent les Africains, relevant leurs fronts humiliés, donner l’essor à toutes leurs facultés, ne rivaliser avec les Blancs qu’en talens et en vertus, oublier les forfaits de leurs persécuteurs, ne s’en venger que par des bienfaits, et dans les effusions de la tendresse fraternelle, goûter enfin la liberté et le bonheur! Dût on ici bas n’avoir que rêvé ces avantages pour soi-même, il est du moins consolant d’emporter au tombeau la certitude, qu’on a travaillé de toutes ses forces à les procurer aux autres.

 P.S. Deux hommes de lettres très-distingués par leurs talens et leurs ouvrages, l’un Helvétien, et l’autre Américain, ont fait sur le manuscrit original de cet ouvrage des traductions allemande et anglaise, qui paroîtront incessamment, en Allemagne et dans les Etats-Unis d’Amérique.

FIN.

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