De l’Emancipation des Noirs

Pag. 6-21

Je me trouve à peu près seul (car je ne compte pas les parties intéressées) pour demander si la race noire est arrivée à ce point de culture qu’elle soit capable de comprendre la nécessité du travail, et digne de l’émancipation qu’on lui prépare; pour m’enquérir, l’histoire à la main, si l’esclavage n’a pas servi dans tous les temps et chez tous les peuples, à l’éducation des races et à l’apprentissage de la liberté. Je sais bien que le crédit et les gros bataillons sont du côté des philanthropes; j’ai lu dans le rapport que le maintien provisoire de l’esclavage aux Antilles n’avait pas semblé digne d’une discussion approfondie, que l’origine et les résultats de la servitude coloniale n’avaient point été étudiés, la commission n’ayant garde d’insister sur ces objets (1); et je me tairais peut-être devant la sagesse taciturne des commissaires et leur expérience théorique, si je ne pouvais m’autoriser des morts à défaut des vivants, et invoquer les noms à jamais illustres de Colbert et de Louis XIV, qui ont fondé le système colonial, et celui de Napoléon, qui l’a rétabli après une longue période de libre paresse, sans peine cependant et par ordonnance. Or Colbert, Louis XIV et Napoléon, ont une certaine valeur politique derrière laquelle j’ai droit de m’abriter.

(1). Rapport de M. le duc de Brouille, page 6.

Je compte enfin sur le bons sens de mon pays, comme cela m’est arrivé déjà une fois: car j’étais seul aussi le jour où je fis copier à la Bibliothèque royale les fatals traités du droit de visite que vous avez signés, Monsieur le Duc, par suite de préoccupations philanthropiques que j’honore, mais sur la valeur desquelles votre haute intelligence ne saurait plus se faire d’illusion. Il est encore un motif qui me rassure: c’est que je ne suis ni colon, ni fabricant de sucre, ni possesseur d’esclaves; ni moi ni les miens n’avons aucun commerce transatlantique, aucune industrie qui se rattache de près ou de loin au système colonial; je ne suis donc guidé par aucun mobile d’intérêt personnel, à moins qu’on ne regarde comme un intérêt le dèdain que j’éprouve à me couvrir de ce manteau de philanthropie nègrophile, dont je vois tant de gens s’affubler, à si peu de frais pour eux et aux dépens d’autrui.

Après ces préliminaires, qui m’ont semblé indispensables, permettez-moi de m’excuser, Monsieur le Duc, d’avoir emprunté la forme épistolaire, et de vous prendre directement à partie. J’ai cru que ma pensée y gagnerait, et que mes expressions seraient plus mesurées, par la conviction où je suis de la sincérité des sentiments philanthropiques d’un homme d’état dont les éminentes qualités, la haute position, et les rares talents ont droit aux plus respectueux égards.

J’espère, en conséquence, qu’il ne s’échappera de ma plume aucun mot blessant ou peu digne, dans l’entraînement de la polémique, et en tout cas je le désavoue d’avance et le déclare contraire à mes intentions.

I

Procédons par ordre. Je chercherai à démontrer que l’abolition actuelle et immédiate de l’esclavage est contraire à la marche générale de la civilisation;

Qu’elle est nuisible à l’avenir de la race noire, à son existence, à sa condition présente;

Que les mesures proposées par la commission abolitionniste sont insuffisantes et inefficaces pour le maintien du système colonial, sans lequel nous n’aurons plus ni marine ni commerce extérieur;

Que ces mesures sont ruineuses pour la France; qu’elles sont sans avantage et sans compensation;

Que la commission n’a fait aucune étude, n’a pris aucun souci des nécessités politiques dans lesquelles nous sommes placés, ni de nos alliances, ni de nos intérêts, ni des besoins auxquels nous devons répondre.

Les deux premiers points, relatifs à la marche de la civilisation, à l’avenir et à l’existence de la race noire, m’occuperont seuls dans cette première lettre; encore ne pourrai-je que les effleurer.

J’entre donc immédiatement au coeur même de la question. Qu’est-ce que l’esclavage? Quelle est sa cause, son but? Quels sont ses effets prochains ou éloignés? Est-il un état de corruption ou un premier pas hors de la barbarie? Quand on s’occupe d’une institution humaine, soit pour la modifier, soit pour la détruire, il est naturel de l’étudier à son début, de s’en rendre un compte exact et fidèle. Comment se fait-il qu’un état «exorbitant, injuste, mais légal» (j’emprunte les termes mêmes de la commission), ait pu s’établir dans tous les temps, et chez tous les peuples du monde? Tel est le premier point à examiner. Eh bien! qui le croirait, la commission n’a trouvé sur cet objet, qui est pourtant l’unique base de son travail, que deux pages d’une légèreté incroyable, où l’objet de l’esclavage colonial, le travail forcé, n’est pas même nommé, et que nous reproduisons fidèlement:

«Que sert-il, en effet, désormais de disserter sur l’antiquité de l’esclavage, sur l’universalité de l’esclavage, sur les enseignements réels ou prétendus que l’histoire offre à ce sujet? Ce sont là des thèses de philosophie politique sans application directe à la question qui nous occupe. S’il suffisait, pour justifier une institution aux yeux de la religion, qui la désavoue, et de la justice, qui la réprouve, d’établir que l’origine de cette institution se perd dans la nuit des temps, et qu’on la rencontre chez tous les peuples à l’instant où l’histoire signale leur apparition sur la scène du monde, que ne justifierait-on pas? Les sacrifices humains pourraient être défendus précisément au même titre.

«Alléguer pour autoriser la perpétuité de l’esclavage colonial, que les noirs de traite étaient déjà esclaves en Afrique; qu’en les achetant les Européens ne leur ont fait aucun tort; que leur sort s’est même amélioré entre les mains des blancs; que ce sont, en un mot, des étrangers admis dans la société européenne à certaines conditions, et qu’ils n’ont rien à réclamer de plus, ce sont autant de propositions également inadmissibles et en fait en droit: en fait, car, s’il est vrai que la traite des noirs n’ait pas créé l’esclavage en Afrique, il est au moins certain qu’elle y a propagé, multiplié, entretenu l’esclavage; qu’elle y a créé par millions des esclaves, qui, sans cela, ne l’auraient jamais été; en droit, car le titre de l’acquéreur ne saurait être autre ni meilleur que le titre du vendeur, et si le titre du vendeur est fondé sur la violence ou sur la fraude, si l’objet vendu par sa nature n’est pas vénal, s’il n’est pas légitimement dans le commerce, la partie intéressée est toujours fondée à réclamer.

«Prétendre que la condition de l’esclave est préférable à celle du travailleur libre, parce que le fardeau de la vie coloniale pèse exclusivement sur le maître; parce que l’esclave est dispensé de prévoyance et d’économie; parce qu’il est affranchi des soins de la famille, des devoirs de la paternité, parce qu’après avoir travaillé tout le jour sous la menace du fouet, il peut, le soir, s’endormir sans penser à rien, autant dire que la condition de la bête est préférable à celle de l’homme, et que mieux vaut être une brute qu’une créature raisonnable.

Compter, enfin, pour arriver à la transformation coloniale, d’une part sur la fusion des races, c’est-à-dire apparemment sur la multiplication des unions entre les noirs et les blancs, entre les maîtres et les esclaves; et d’une autre part rejeter bien loin l’abolition de l’esclavage, sous le prétexte qu’elle tendrait à favoriser de semblables unions; s’en reposer, pour la disparition de l’esclavage, sur les affranchissements volontaires, et représenter en même temps les noirs comme à jamais indignes d’être affranchis, comme radicalement incapables de se livrer à aucun travail suivi, à moins qu’ils y soient incessamment contraints par le fouet, la chaîne ou le bloc, espérer l’accroissement progressif de la population noire, et passer en même temps condamnation sur la promiscuité des sexes, résultat inévitable de l’esclavage, sur l’impossibilité d’astreindre l’esclave ou joug du mariage, c’est-à-dire sur l’état de choses le plus décidément contraire à tout accroissement de population, ce sont évidemment là des idées contradictoires et qui se réfutent l’une l’autre.

«Nous n’aurons garde d’y insister davantage.

«Nous persistons à penser, avec tous les publicistes dignes de ce nom, avec les hommes d’état et les philosophes de tous les pays, que l’esclavage, quelles qu’en puissent être l’origine, la nature et la durée, est un état légal, sans doute, aussi long-temps que la loi l’autorise et là où elle l’autorise, mais un état violent, exorbitant, et par cela même non seulement exceptionnel, mais transitoire, un état injuste au fond et en soi, au profit duquel nul laps de temps ne saurait prescrire et qui ne peut être légitimement maintenu dès qu’il peut être raisonnablement aboli. Or, à nos yeux, l’esclavage peut être raisonnablement aboli, et par conséquent il doit l’être aussitôt que l’émancipation des esclaves a cessé d’être incompatible avec les conditions essentielles de l’ordre social, l’obéissance aux lois, la conservation et la rémunération du travail, la régularité des transactions civiles; nous disons aussitôt que l’émancipation des esclaves a cessé d’être incompatible avec ces conditions premières de toute société: nous ne disons rien de plus. (1)»

(1). Rapport de la commission, page 5

La citation qui précède contient la base même du travail de la commission abolitionniste; elle peut se réduire aux termes suivants: L’esclavage est un état légal, mais injuste, exorbitant; donc nous entendons le détruire à tout prix, pourvu que l’ordre public n’en souffre pas, et que l’intérêt des colons soit ménagé.

Si la question complexe qui nous occupe pouvait être circonscrite dans ces étroites limites, nous n’aurions rien à dire, et le plus court serait d’accepter en silence le plan des abolitionnistes. Sans aucun doute, à ne consulter que la loi naturelle, l’esclavage est un état irrégulier au fond et en soi; mais c’est un état légal; et s’il fallait abolir, s’il fallait détruire immédiatement avec la hache législative toutes les injustices sociales qui sont le produit de nécessités politiques ou d’inégalités naturelles, rien n’y résisterait. Il faudrait renverser la société elle-même. L’esclavage est contraire à la loi naturelle; qui en en doute? Mais l’inégalité des conditions, la loi du sang levé sur le peuple, le recrutement, la servitude du matelot sur son navire, les traités qui consacrent, après la victoire, la ruine ou le démembrent des états, la transmission des héritages et des titres nobiliaires, toutes les inégalités choquantes que nous voyons, toutes les servitudes sociales dont nous sommes entourés, tout cela s’accorde-t-il avec la loi naturelle? Et s’il fallait en poursuivre le renversement, la civilisation elle-même pourrait-elle y résister? La justice absolue ressemble à la liberté absolue de J. J. Rousseau: on ne saurait la trouver qu’au fond des forêts, et ce n’est pas à dire pour cela que les hommes doivent y retourner.

La commission que vous présidiez, Monsieur le Duc, a pu avoir ses raisons de se cantonner sur le piédestal de Wilberforce; permettez-moi de prendre un peu plus d’espace.

A mon avis, il faut accepter provisoirement les inégalités sociales, quand on n’a pu faire disparaître les inégalités naturelles qui y sont corrélatives. il ne suffit pas de déclarer le noir libre pour qu’il le soit. il faut lui enseigner la liberté.

Ces lenteurs que la Providence a mises pour enfanter la race blanche à la civilisation ne vous conviennent pas appliquées à la race noire, vous ne voulez, pour arriver à la transformation coloniales, ni de la fusion des races, ni des affranchissements individuels, comme on peut le voir dans la citation que nous avons faite; d’un autre côté, vous êtes loin certainement d’accepter le plan de ce détestable Turnbull, dont vous avez cité cette phrase menaçante: Pour abolir l’esclavage il faut trancher dans le vif (1);et dont le sanguinaire philanthropie médite présentement, sous le patronage de l’autorité britannique (2) l’égorgement général de la race blanche à Cuba; vous proposez des tempéraments sans efficacité, un apprentissage de dix ans qui ne changera rien à l’état de la question, et en outre quelques mesures de police empruntées au code rural des noirs d’Haïti, mesures sur lesquelles je reviendrai quand il en sera temps.

(1). Rapport de la commission, page 171.

(2). Après avoir tenté à plusieurs reprises de soulever à main armée les nègres de Cuba, l’ex-consul Turnbull a été nommé magistrat à la Jamaïque, d’où il continue ses menées abolitionnistes et ses provocations à la révolte.

Pag. 23-24

Quoi! vous pensez à improviser l’affranchissement et la liberté de la race noire, la dernière dans l’échelle de l’intelligence, et vous ne voyez pas qu’autour de vous, en Europe, trente millions d’hommes appartenant à la race blanche n’ont pas encore atteint cet âge viril où les lisières sociales se brisent, et vous n’avez pas remarqué qu’à deux pas de vous la grande race slave ne marche d’un pas ferme et unanime vers le véritable affranchissement, l’affranchissement intellectuel, social et politique, qu’au moyen de cette servitude de la glèbe, de cette possession de l’homme par l’homme, sans laquelle il est impossible de concevoir que la race noire parvienne jamais à une émancipation morale et intellectuelle!

Pag. 35-37

Le déplorable état des Noirs depuis deux cents ans ne tient pas tant à l’esclavage en lui-même qu’aux conditions dans lesquelles l’esclavage s’est exercé; ce n’est pas à la servitude qu’il faut imputer cet état stationnaire de la classe noire, c’est à la traite. C’est ce recrutement détestable qui a entretenu la barbarie, l’ignorance, la stupidité des travailleurs, par l’introduction incessante de nouvelles hordes africaines au milieu des noirs créoles; c’est la traite qui a maintenu la corruption et le concubinage par la disproportion entre les sexes des esclaves importés, c’est la traite qui a fait durer l’égoïsme et l’indifférence du maître, par la facilité de remplacer le noir fatigué, au moyen d’un nouvel achat.

Je remercie Dieux d’avoir fait cesser ce déplorable trafic, comme je maudirai la philanthropie le jour où elle aura rendu l’esclave à la paresse et à la barbarie au nom de la liberté.

L’abolition de la traite aux colonies françaises a déjà produit les plus heureux effets en obligeant le colon à ménager et à soigner ses travailleurs, à protéger les moeurs, à favoriser les unions légitimes dans son atelier, à inviter ses Noirs au mariage, à leur inculquer quelques idées morales et religieuses, toutes choses qui se résument en profits certains pour le maître.

Pag. 48,-49

Je dis que les Noirs n’entreront en possession de la liberté matérielle et barbare qu’aux dépens de leur existence; que le prétendu bienfait dont on les menace leur ravira la vie, la première et la plus précieuse des libertés. Je prends, Monsieur le Duc, mes preuves dans les colonies anglaises émancipées, mes armes et mes citations dans votre propre rapport, qui me suffit. On y lit en plusieurs passages que les enfants des esclaves sont mieux soignés dans nos colonies que ceux des noirs libres, et que ceux-ci meurent en plus grande quantité (1).

(1). Rapport, page 131. Observations sur l’administration de la Guadeloupe sur les notes de M. l’inspecteur Lavollée. -Voyez aussi la fin de notre dernière citation, page 33.

Pag. 52- 55

Voilà donc les noirs, ces éternels enfants, placés sans résistance en face de la civilisation européenne, et disparaissant par l’abus des liqueurs fortes comme les hordes sauvages de l’Amérique du nord.

Une objection se présente ici. Le rapport donne à entendre que l’esclavage est un obstacle à la multiplication de la race noire. On a remarqué en effet que depuis l’abolition de la traite les décès ont surpassé les naissances dans l’île Bourbon d’environ cinq et parfois même de sept pour cent. Ce fait, qui a été porté jusqu’à la Chambre des Députés (1) a besoin d’une explication, il ne tient point à l’esclavage, mais aux effets de la traite, qui introduisait à Bourbon trois hommes pour une femme, comme je l’ai déjà indiqué. Cette disproportion est la cause réelle de la supériorité des décès sur les naissances; mais aujourd’hui l’équilibre tend à se rétablir entre les sexes, et la proportion ne tardera pas à changer en sens inverse.

(1). Discours de M. Stourm à la chambre des députés dans la séance du 12 mai 1843.

On en trouve la preuve aux Etats-Unis. Pas un esclave africain n’y a été introduit depuis 1808. Or la population esclave en 1810 était de 1.191.363 individus. En 1840 elle était de 2.487.113 individus. L’augmentation a donc été de 100 pour 100 en 30 ans, malgré les affranchissements particuliers. Cette progression a même été proportionnellement supérieure à celle de la population blanche; en 1810, celle-ci était de 7.239.000 et en 1840 de 14.581.000 individus. L’esclavage ne nuit donc en aucune façon à l’accroissement de la population. S’il en était autrement, la race humaine aurait disparu du globe, puisqu’elle a passé tout entière par cette épreuve fatale. J’ai même eu la curiosité d’aller plus avant, en consultant un extrait officiel du comité de santé de Baltimore en date de 1827, c’est-à-dire, à une époque où la statistique n’avait aucun intérêt à fausser les chiffres. On voit dans le tableau de la mortalité dans cette ville pendant les années 1823, 24, 25, et 26, qu’elle a lieu dans les proportions suivantes:

Blancs.                                             1 sur 44,29

Noirs libres                                      1 sur 32,02

Noirs esclaves                                  1 sur 77,88

Sur le continent américain, les Noirs libres à Baltimore mouraient donc deux fois plus vite que les esclaves par suite des vices auxquels ils ne peuvent résister.

Pag. 101

Le système brutal et sanguinaire de Toussaint-Louverture a cessé un jour, et toute activité s’est éteinte. Cependant, d’après le Code rural du président Boyer, le Noir indigène ne peut quitter le district où il est né; il ne peut posséder ni bateau ni instrument de chasse ou de pêche; il ne peut travailler sur un atelier étranger sans le consentement du propriétaire, il est contraint au travail par des châtiments corporels; il ne peut habiter la ville ni se bâtir de maison, ni devenir marchand ou revendeur; il est astreint fatalement, héréditairement. A la production du sucre ou à la récolte du café, sans pouvoir changer d’état, comme les indigents de l’ancienne Egypte, et malgré toutes ces précautions oppressives, la république d’Haïti ne produit et n’exporte plus rien.

Pag. 107-114

Le Noir, en général, aime son maître, il en est fier; il vénére en lui une supériorité dont il a conscience. Il existe ente eux un lien autre que celui de la force physique. Cela peut paraître étrange aux philanthropes de la métropole, mais cela est. Croit-on dès lors que le travail sera moins rude, plus attrayant quand le maître sera dépouillé aux yeux du travailleur de toute autorité morale, de tout prestige de supériorité, quand ce ne sera plus qu’un étranger, un engagiste, un ennemi qui n’aura rien de commun avec lui que la rétribution matérielle du salaire? La commission a si bien senti que le salaire seul était insuffisant pour susciter et entretenir l’activité laborieuse des Noirs, qu’elle a imaginé un épouvantail pour la paresse et l’inertie, un atelier de discipline créé immanquablement sur des proportions gigantesques. Voila le grand pivot de l’activité et de la civilisation à naître! Les Noirs travailleront forcément sous peine des travaux forcés. Ils auront littéralement une vie de galères, puisque les plantations, où la crainte les tiendra parqués, ne seront qu’une succursale, une sorte de prolongement de l’atelier de discipline. Vit-on- jamais un législateur proclamer l’affranchissement d’une race mineure, imprévoyante, et la mettre aux galères le jour même de sa liberté!

Qu’on ne s’y trompe pas: l’Angleterre, a travers l’étalage de sa philanthropie négrophile, ne fait qu’obéir aux instincts égoïstes d’un peuple marchand; elle ne s’écarte pas de son rôle; elle trafique de la vertu en Amérique comme de l’opium en Asie.

Pag. 126-133

Que le gouvernement du roi se souvienne de la naissance des Etats-Unis; qu’il se prépare en silence aux éventualités de l’avenir, et le cabinet de Londres aura plus d’intérêt que nous à conserver la paix.

Ne sait-on pas du reste que la personnalité individuelle est à peine développée chez les noirs, et qu’ils sont en conséquence fort peu disposés à l’insurrection. Sans la classe des mulâtres, jamais à Saint-Domingue les esclaves noirs ne se seraient soulevés contre leurs maîtres. Dans les révolutions qui bouleversent périodiquement les nouveaux états de l’Amérique du Sud, il est arrivé souvent que des factions aux abois ont appelé les noirs à la liberté Quel en a été le résultat? Au moment où le péril éclate, le maître s’enfuit dans les bois, accompagné de ses esclaves, qui le suivent volontairement, et revient continuer ses cultures quand la bourrasque est passée. Jamais les noirs n’ont profité du bienfait trompeur qui leur était offert.

Il est encore un moyen d’étouffer au coeur de nos travailleurs toute pensée bien vive d’émancipation: c’est de leur faire un sort si doux, qu’ils apprennent à redouter la liberté nécessiteuse des colonies anglaises, au lieu de se la peindre sous des traits enchanteurs. Grâce au désintéressement des planteurs français, il s’opère actuellement aux Antilles une réaction de cette nature, et j’en trouve la preuve dans les procès-verbaux de la Commission.

M. Bernard, procureur général de la Guadeloupe, interrogé sur les sociétés d’embauchage formées dans les îles anglaises pour favoriser l’évasion des noirs de nos colonies, s’exprime ainsi:

«…Il y a quelque chose qui protège les colonies à cet égard, bien plus que toutes les précautions qu’on peut prendre: c’est qu’un certain nombre d’esclaves sont revenus ou ont demandé à rentrer, précisément parce qu’ils ne trouvaient pas à vivre dans les colonies anglaises comme ils l’avaient espéré (1).»

(1). Procès-verbaux de la commission, Ire partie, page 95.

L’honorable M. de Tracy, dévoué corps et âme, comme on sait, à la cause abolitionniste, s’écrie là dessus, que ce fait est tellement considérable, qu’il dérange toutes les idées qu’il peut se former sur l’amour inné de l’homme pour la liberté (1).

(1). idem.

Sans s’étonner de ce dérangement dans les idées de M. de Tracy, M. Bernard confirme ainsi sa déclaration:

«Le fait a eu lieu à une époque récente et à plusieurs reprises… Je dirai, pour répondre plus directement, qu’à une époque toute récente, un colon de la Guadeloupe s’est rendu à Antigoa pour réclamer des esclaves fugitifs; ces esclaves demandaient eux-mêmes à revenir. Le propriétaire a fait valoir les réclamations faites par ces esclaves devant le gouverneur, et le gouverneur a accédé à la restitution. Mais, par un effet du mécanisme des institutions anglaises, il se trouve que le collecteur de la douane a aussi des instructions qui lui sont propres, et qui sont en sens inverse de celles du gouverneur. Le directeur de la douane fit donc des représentations; les magistrats mêmes du pays essayèrent de faire comprendre aux individus tout ce qu’ils avaient à perdre en quittant un pays de liberté pour retourner dans un pays d’esclavage. Eh bien! je le dis, ces esclaves, n’ayant souvenir que des avantages matériels qu’ils avaient quittés, avaient persisté, et ce n’est que par un faux-fuyant de la douane qu’ils ne sont pas rentrés. Du reste, l’affaire est encore en instance (1).»

(1). Procès-verbaux, Ire partie, page 93.

Comment se fait-il, Monsieur le Duc, qu’un fait reconnu si considérable ne soit pas imprimé dans le rapport? Tous les hommes impartiaux ont droit de s’en plaindre. Il suffit qu’on le lise; je n’en ferai, pour ma part, aucun commentaire.

M’accusera-t-on de vouloir pour la race noire une servitude illimitée, de regarder la condition servile comme éternellement dévolue aux travailleurs de nos colonies? Non certes, personne, à moins d’être insensé ne saurait aimer l’esclavage en lui-même. L’état servile est pour la race noire un âge de transition, comme l’enfance pour l’homme. Les noirs sont obéissants et par conséquent perfectibles: ils s’affranchiront un jour; mais qui pourrait en fixer l’époque?

LES NOIRS SERONT DIGNES DE LA LIBERTÉ LE JOUR OU ILS L’ENVISAGERONT DANS SES AVANTAGES IMMATÉRIELS, ET NON COMME UN MOYEN DE VÉGÉTER DANS LA PARESSE; LE JOUR OU LE PRIX ET LA QUALITÉ DU TRAVAIL LIBRE AUX ANTILLES SERONT DEVENUS PRÉFÉRABLES AU TRAVAIL ACCOMPLI PAR DES MAINS SERVILES.

D’ici là, que la loi laisse à quelques individus d’élite les moyens de conquérir leur liberté par leur travail, par leur économie; elle leur doit ce dédommagement. La liberté n’est pas un bien qu’on puisse prodiguer à pleines mains et semer sur les grandes routes; elle ne devient précieuse que par le prix qu’elle a coûte; elle se s’acquiert qu’à la sueur des générations. Sans doute nous pouvons accélérer l’heure où les noirs seront nos concitoyens et nos égaux, mais il n’appartient à personne au monde de la préciser.

Je m’arrête ici, et je remets à la prochaine lettre le plan financier de la Commission, avec le côté politique du sujet. J’espère aussi y présenter quelques idées pour améliorer la condition des noirs, pour enrichir les colons et favoriser notre marine, sans que la France débourse un denier et perde une balle de café.

Pag. 236-249

VI.

Du prolétariat par suite de l’affranchissement

Ce qu’il y a de redoutable dans l’avenir des colonies françaises, ce n’est point l’esclavage, c’est l’accroissement du prolétariat, de la misère et du vagabondage; c’est le retour des noirs à la barbarie par suite des affranchissements multipliés; telle est la lèpre déjà cruelle que les fougueux abolitionnistes n’ont point aperçue et qu’ils travaillent à étendre par tous les moyens.

La classe des noirs libres, oisifs ou vagabonds, menace d’engloutir la société coloniale; elle s’accroît, elle monte à l’assaut du travail et de la civilisation d’année en année, comme la marée d’heure en heure. Il faut y aviser dès maintenant: le régime que je propose pourrait réorganiser cette classe de prolétaires inutiles, et dès lors nuisibles, qui assiègent le foyer de nos productions tropicales.

Trois articles ajoutés à la loi suffiraient. Déclarer que tout noir capable de travailler, mais dépourvu de tout moyen d’existence, vivant de rapines et rencontré en état de vagabondage, sera arrêté par mesure de police et enfermé dans l’atelier public jusqu’à ce qu’il ait trouvé un patron qui consente, par acte authentique, à l’immobiliser sur son habitation, à pourvoir à ses besoins selon les ordonnances, et à lui accorder tous les droits et avantages des ouvriers patronés. Par une sorte de compensation morale tout noir libre infirme, cassé de vieillesse et incapable de travail, serait nourri dans l’hospice public. D’un autre côté la loi interdirait cette facilité d’affranchissements, cette porte récemment ouverte, propre à créer une population de mendiants et de vagabonds; aucun propriétaire ne pourrait abandonner son patronage sans déposer une somme suffisante à l’entretien du patroné sortant de tutelle, et, pour compléter ce qui précède, il devrait être interdit à l’ouvrier noir de se racheter de ses obligations de travail au moyen du pécule, d’obtenir l’affranchissement complet sans le consentement préalable de son patron.

Cette mesure peut paraître rigoureuse; elle est utile à la production en général et à l’intérêt du noir en particulier. Les maîtres de cette manière verraient grossir sans crainte et sans jalousie le pécule de l’ouvrier noir; ils tendraient à favoriser ce bien-être, qui ne leur porterait point préjudice, et qui, en enrichissant la classe noire, ne ferait rien perdre au travail général des colonies. Cette interdiction de rachat serait le prix du consentement des propriétaires actuels à transformer la condition de leurs travailleurs, consentement qui altérerait légèrement leur droit de propriété, et qui serait la seule compensation aux autres droits qu’ils auraient abandonnés. Ce consentement obligatoire du patron est aujourd’hui nécessaire pour l’affranchissement des serfs en Russie; or les noirs sont fort loin d’égaler, sous aucun point de vue, les paysans russes.

Telles sont sommairement les améliorations qu’il me semble possible d’apporter à la condition des noirs; tel est le genre de liberté compatible avec leur état d’infériorité morale et intellectuelle. Ce plan n’est point un expédient d’un jour propre à satisfaire les exigences des Philanthropes et à calmer les craintes des colons. C’est l’exposé, à peu de chose près, de la transformation naturelle que l’esclavage a subie dans tous les temps et chez tous les peuples pour arriver peu à peu au travail libre, sans que l’état coure le risque de périr, gangrené par le prolétariat, ulcère du monde romain qui a reparu dans les temps modernes, et qui, grâce aux affranchissements, commence à ronger nos colonies. La transaction que je propose n’aurait rien de factice; elle donnerait naissance à un régime durable où le travail serait maintenu, à un ordre de choses mis à l’épreuve sur la race blanche pendant mille ans, et sous lequel vivent aujourd’hui cinquante millions d’Européens moins malheureux qu’on ne le pense. Et pourtant la différence est grande entre la valeur morale du nègre et celle du blanc: il ne faut qu’ouvrir les yeux pour le voir. Aussi n’y a-t-il qu’une crainte à concevoir: c’est que ce régime de patronage ne fût beaucoup trop libéral, eu égard à l’état d’infériorité des hommes auxquels on devrait l’adapter.

Telles sont mes convictions; ce qui m’enhardit à présenter ce contre-projet, c’est qu’il a pour lui les leçons de l’histoire et l’épreuve des siècles. Comment oserais-je sans cela opposer système à système, et lutter contre les théories de la commission coloniale, qui renfermait des hommes tels que MM. de Broglie, Rossi, de Tocqueville, dont la réputation est si grande et l’influence si considérable? Mais qu’est-ce que la science de quelques hommes quand elle contredit l’expérience du genre humain? Les idées que je défends ne sont point à moi, je les emprunte où elles sont pour les mettre où elles doivent être; c’est ce qui explique la fermeté de mes convictions. Les philanthropes ont beau faire, ils ne sauraient supprimer le temps. Et la civilisation, dans sa marche, pas plus que la terre ou le soleil, ne s’avance par sauts ni par enjambements.

Ce que je demande, c’est la transition naturelle, régulière, fatale, par laquelle nos sociétés blanches ont passé, transition dix fois plus nécessaire à la race noire qu’à nous. Si l’esclavage est une machine primitive, grossière, dont les défauts sautent aux yeux, qu’on la redresse, nul ne s’y oppose. Mais la rompre pour joncher le sol de ses débris, c’est un acte de désorganisation et de barbarie.

 Est-il permis de jeter les yeux au delà de l’affranchissement? Ne voit-on pas que, si le jour de l’émancipation complète est la borne où s’arrête la philanthropie européenne pour se croiser les bras, ce n’est qu’unehalte, un point de départ pour le nègre des Antilles. C’est de la présence du blanc qu’il aura soif de s’affranchir un jour. Comment la stupidité et l’inertie pourraient-elles supporter l’intelligence et l’activité? Satisfaits de nos concessions imprudentes dans les premières années, les fils de ces noirs affranchis se compteront tôt ou tard, et cinquante mille prolétaires se trouveront en face de quelques centaines de propriétaires blancs ou mulâtres; ce jour-là les Européens seront immolés. Cette seconde phase de la révolution noire vient de s’accomplir aux Cayes; elle se produira infailliblement dans nos Antilles et ailleurs. Un jour l’Angleterre recevra à la Jamaïque même le salaire de sa philanthropie égoïste et pleine d’arrière-pensées. Voilà le dénoûment logique qu’on nous prépare. O blancs, mes compatriotes, négrophiles ou non, pouvez-vous effacer avec des lois ces différences de peau, de sang, d’intelligence, d’activité, qui ne sont point des préjugés, mais des faits? Pouvez-vous me montrer quelque part, sur le globe, une nation noire qui se soit constituée, d’elle-même? Contenez donc l’élément barbare, fermez la digue des affranchissements absolus, si vous ne voulez être débordés et engloutis.

Pourtant je ne me fais point d’illusions en écrivant ces lignes. Je connais les intérêts immenses du dehors, les amours-propres du dedans, les préjugés enracines si bas qui sont ligués contre notre système colonial. Le plan que je propose ne sera ni discuté ni examiné, car il organiserait quelque chose. Toutefois il faut combattre même avec la certitude d’être vaincu. Les philanthropes veulent que le travail, la civilisation, la race blanche, périssent aux Antilles, et les philanthropes triompheront; déjà ils préludent à notre ruine. Le spectacle instructif de Saint-Domingue, les dangers de Cuba, ne seront point une leçon pour eux.

Le plan que je propose a bien un côté séduisant: Il ne coûterait rien à l’Etat, rien à la marine, rien aux colonies. Et celui de la commission grèvera préalablement le budget de trois cents millions, sans compter le reste. Mais qu’importe? Si le gouvernement n’est point engagé, les hommes qui influent sur lui le sont suffisamment, et d’ordinaire on peut faire à son pays tous les sacrifices, excepté les sacrifices d’amour-propre, dussent-ils lui coûter trois cents millions! Ici je ne blâme personne, car l’homme est fait ainsi.

Comment revenir d’ailleurs sur des mesures législatives déjà proposées? Loin de placer les blancs sous le régime des ordonnances, de les opprimer préalablement, j’estime que toute mesure, pour être possible et féconde, devrait recevoir l’approbation préalable des colons; mais, pour l’obtenir, il faudrait changer de méthode à leur égard, leur inspirer de la confiance au lieu de les menacer, et mettre fin à cette hostilité sourde ou patente qui suspend incessamment sur leurs têtes l’épée de Damoclès. Toutes les difficultés s’aplaniraient si on leur faisait envisager la transformation de la servitude en patronage non comme une première atteinte à leurs droits, mais comme le règlement définitif de la société coloniale. Ce revirement demanderait beaucoup de prudence et beaucoup de temps.

Il y aurait une tentative plus généreuse et plus hardie, qui consisterait à soumettre le projet de patronage aux conseils coloniaux eux-mêmes, à en demander l’adoption à leurs lumières, à leur expérience, à leur patriotisme, à accueillir leurs amendements et à épuiser avec eux tous les moyens de conciliation et de bienveillance. Au lieu de cela, que fait-on? On arrange des plans pour remporter des victoires sur nos concitoyens d’outre-mer. Et pourtant, accuser ou soupçonner d’un égoïsme inflexible quarante mille de nos compatriotes, n’est-ce pas nous faire le procès à nous-mêmes? Qu’on le sache bien: les Français des Antilles égalent au moins, s’ils ne les surpassent, leurs frères de la métropole en désintéressement, et ils sont capables de tous les sacrifices compatibles avec l’intérêt et la grandeur de la mère-patrie. Cinquante mille affranchissements opérés depuis 1830 avec une haute imprudence, à mon avis, prouvent suffisamment ce que j’avance.

N’est-il pas juste et loyal d’ailleurs d’appeler tout Français à concourir de ses lumières au débat d’une question d’où dépendent sa fortune et sa vie?

Puissent ces considérations avoir quelque influence heureuse! Le ministère s’apercevra sans doute à temps des dangers de la roule où il est près de s’engager, et, à son défaut, les Chambres éclaireraient l’opinion publique abusée et garantiraient tous les intérêts.

Tel est, Monsieur le Ministre, l’exposé très succinct d’un projet qui me semble digne d’un moment d’attention; j’ai l’honneur de le transmettre à Votre Excellence, en la priant de croire au profond respect

Avec lequel je suis

Son très humble et très dévoué serviteur,

PETIT DE BARONCOURT.

Paris, ce 1er juin 1844.

Pag. 250

PROJET DE LOI

POUR L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE

DANS LES COLONIES FRANÇAISES

Pag. 260

Tout Noir libre ou libéré vivant à l’état de vagabondage et sans moyens de subsistance sera arrêté par mesure de police et enfermé dans l’atelier du gouvernement jusqu’à ce qu’il ait trouvé un patron qui consente à lui accorder les avantages matériels du patronage en retour des obligation des patronnés auxquelles il sera soumis.

Pag. 269-281

DU DROIT DE VISITE MARITIME

Accordé a l’Angleterre par les puissances du continent.

§. 1.

Le droit de visite réciproque, imprudemment accordé aux instances persévérantes de l’Angleterre par un traité conclu le 30 novembre 1831, et depuis étendu à la plupart des puissances maritimes de l’Europe, est un fait d’une haute gravité et d’une portée encore mal connue. Nous avons hâte de le dire, il tend, 1º à confirmer les prétentions injurieuses de la Grande-Bretagne à la police et à la législation générale des mers; 2º à fonder sur l’Océan une sorte de féodalité maritime dont l’Europe entière, à commencer par la France, est sur le point d’être vassale; 3º enfin, il a pour but d’aider le gouvernement anglais à concentrer dans ses mains le monopole des denrées coloniales, c’est-à-dire à en faire, le seul peuple navigateur du monde entier.

La philanthropie négrophile est un leurre grossier jeté à la bonhomie européenne pour déguiser la grande manoeuvre que nous signalons et que nous espérons démontrer en quelques mots.

Depuis dix ans une transformation profonde, radicale, s’opère dans la constitution économique de l’Indostan. Cette immense région, presque aussi peuplée que notre continent, faisait naguère contre-poids à l’industrie de l’Europe par ses produits manufacturés, ses châles, ses mousselines, ses nankins, ses tissus de tout genre, qui venaient jusque sur les marchés de l’Occident soutenir la comparaison et fournissaient abondamment à la consommation de tous les peuples de l’Asie centrale et méridionale.

Aujourd’hui une révolte extraordinaire s’y est opérée; les fabriques de l’Indostan, qui employaient l’activité de plusieurs millions d’hommes, sont tombées. Tout le pays a été inondé par la fabrication supérieure de l’Angleterre, Manchester et Glasgow, aidées par l’action puissante de la vapeur, ont vaincu Madras et Calcutta. Les cotonnades britanniques n’ont plus de rivales, elles servent au vêtement de cent millions d’Indous.

Cette introduction illimitée des produits fabriqués de la Grande-Bretagne, en enlevant le travail aux populations indo-britanniques, les menace d’une misère et d’une ruine prochaines. Il faut, pour établir les échanges et des bénéfices mutuels, une production équivalente et surtout d’une autre nature. Cette nécessité a été vivement sentie par tous les ministères qui se sont succédé depuis vingt ans dans les conseils de la Grande-Bretagne; ils ont compris qu’il fallait substituer à l’industrie manufacturière de l’Indostan, aujourd’hui absorbée, une production agricole supérieure qui deviendrait la mine féconde de nouvelles richesses.

De là le but aujourd’hui patent de léguer au monde asiatique, en échange de son industrie, le monopole des productions coloniales du globe.

Pour réaliser ce prodigieux résultat, déjà en cours d’exécution, il n’est aucun moyen que le cabinet de Saint-James n’emploie depuis vingt ans. Il a commencé par étendre et par naturaliser sur les bords du Gange toutes les plantes tropicales, et ses heureuses tentatives donnent déjà des bénéfices inespérés.

Les plantations qui ont le mieux réussi sont l’indigo, l’opium, le coton, le thé, la canne à sucre et le café.

Mais l’indigo est laissé par la Compagnie des Indes comme un monopole aux Européens; c’est la seule plante qu’il leur soit permis de cultiver: elle ne peut donc servir à soulager les Indous privés de travail.

L’opium, dont la production a centuplé, est affecté à la consommation du peuple chinois; et l’Angleterre soutient aujourd’hui, à la face du monde indigné, une guerre immorale pour contraindre les habitants du Céleste Empire à se laisser empoisonner par cette denrée fatale (1).

(1). On sait quels furent les résultats de cette guerre, qui a ouvert la Chine à l’Europe et donne l’île de Hong-Kong à la Grande-Bretagne.

Le thé d’Assam commence à rivaliser avec celui de la Chine; mais cette plante précieuse ne vient pas dans tous les climats, elle a besoin d’un sol d’une qualité particulière, et ne saurait se propager que dans certains cantons de l’Inde britannique.

Restent donc le coton, le sucre et le café, destinés spécialement à la consommation européenne. Ces trois productions ont pris un accroissement prodigieux. L’exportation du sucre du Bengale s’élevait seulement à 12 millions de kilogrammes en 1831; elle a été huit fois plus considérable en 1839, et s’est élevée à plus de 90 millions de Kilog. Si la progression continue seulement vingt ans, elle éclipsera toute la production coloniale du globe.

Mais il ne suffit pas de produire, il faut écouler et consommer les produits; il faut renverser les positions prises, exclure les denrées similaires, à commencer par celles des Antilles et de l’Amérique, qui sont en possession du marché européen.

Telle est en peu de mots l’explication du tendre intérêt que l’Angleterre porte à la race noire, et de la philanthropie extraordinaire qu’elle professe pour les esclaves des Antilles. Elle compte anéantir ce qui reste de colonies aux puissances du continent, et tenir un jour dans sa main la fourniture exclusive de l’Europe, devenue sa tributaire.

Telle est l’explication de son zèle pour l’abolition de l’esclavage et le sens qu’il faut attacher à cette grande mesure de la part d’une puissance qui, au siècle dernier, prétendait au monopole des marchés de chair humaine. On n’a pas besoin du travail des nègres quand on a cent millions d’Indous qu’il faut occuper et faire vivre après avoir détruit leurs moyens de travail.

Le droit de visite n’est qu’un épisode de la puissante mesure qui doit exclure les Européens de toute part directe aux denrées tropicales dans un temps fort rapproché. Il sert à nuire aux colonies européennes, à exercer sur elles une surveillance jalouse, à entraver les relations mercantiles et à écraser de sa concurrence un commerce rival en découvrant tous ses secrets.

Les croisières anglaises favorisent donc indirectement la grande transformation agricole qui s’opère dans l’Indostan; mais ce n’est là qu’un des effets secondaires du droit de visite prétendu réciproque.

Cette concession de la France a des effets directs bien plus désastreux. Avant de le démontrer, qu’il nous soit permis de dire que le ministère de 1831 s’est montré inconséquent, faible et peu soucieux de sa dignité. Il s’est mis en contradiction avec la politique séculaire du pays. C’est déjà une faute bien grave. Ainsi, tous les ministres s’étaient refusés vingt ans, malgré les suppositions les plus malveillantes, à cette réciprocité apparente du droit de visite; ils en avaient écarté la proposition au congrès d’Aix-la-Chapelle, à celui de Vérone; et dans toutes les occasions la France se montrait jalouse et susceptible à l’endroit de notre indépendance, le plus cher de tous les biens. L’offre avait été faite à l’Angleterre de déclarer piraterie le trafic des noirs. Mais ce n’était point une déclaration que demandait la philanthropie connue du cabinet de Saint-James, c’était le droit de visite. La France s’était donc maintenue dans une attitude prudente et digne; et voilà que tout à coup, en 1831, par un caprice inconcevable, elle sacrifie les avantages de sa position, elle se soumet à la visite, elle s’humilie, puisqu’elle cède après avoir long-temps refusé.

Cette conduite illogique est-elle digne d’un grand peuple?

Certes nous répudions de toutes nos forces la détestable trafic de la traite des noirs; nous ne l’avons point inventé, comme l’Espagne; comme l’Angleterre (1), nous n’avons point visé dans tous le cours d’un siècle, par des stipulations écrites, à en conquérir le monopole.

(1). Voyez le Traité d’Utrecht, où l’Angleterre obtient le droit exclusif de fournir de nègres les colonies espagnoles, et la plupart des traités suivants.

Mais la question de philanthropie ne déguise point à nos yeux une autre question plus grave et plus importante. Nous voyons clairement dans la convention du 30 novembre 1831 une atteinte funeste portée à l’indépendance de notre patrie et à la liberté des mers.

Il est élémentaire en effet que tout droit de réciprocité entre deux peuples inégaux en forces, est une servitude déguisée et une oppression pour le plus faible.

La France, en ouvrant la route, y a fait entrer toutes les nations maritimes du continent, et l’Angleterre, en traitant avec chacune d’elles, ayant une croisière générale qui exerce la visite sur tout le commerce européen, se trouve en réalité la reine des mers, obligeant tous les peuples à des actes de soumission et de vassalité.

L’exemple donné par la France a été suivi par le Danemarck, la Suède, la Hollande et même par les puissances qui n’ont aucune colonie transatlantique, telles que la Sardaigne. Déjà l’Espagne était liée par des conventions en date de 1817.

Les concessions de la France justifient en partie cet exercice insolent de la police des mers à l’égard des peuples naissants de l’Amérique du Sud. Les Anglais, on le sait, inspectent, sans aucune réciprocité, tout le cabotage du Mexique, de Guatemala, du Brésil, de Buénos-Ayres, et tiennent le continent méridional de l’Amérique dans une sorte de blocus commercial dont ils savent tirer parti.

La France a donc fait descendre la protection de sa marine marchande à celle des Brésiliens ou de la république argentine.

Pag. 308-309

NOTE

SUR LA PHYSIOLOGIE DE LA RACE NOIRE.

Les savants allemands ont étudiÉ avec soin la physiologie de la race noire. Quelques uns d’entre eux, tels que Blumenbach et Bakker, se prononcent en faveur de l’unité de la race humaine; mais le plus grand nombre, tels que Camper et Rudolphi, croient à des différences originelles. Le plus érudit et le plus respecté de ces derniers, l’anatomiste Soemmerring, dont les écrits font autorité en Allemagne, affirme qu’il y a une échelle intellectuelle et physique pour l’homme, au bout de laquelle le nègre occupe la dernière place. Il le déclare le plus voisin du quadrumane, en s’appuyant sur les faits suivants: 1º parce qu’il a six dents molaires, ce qui dans la race caucasienne n’arrive jamais; 2º parce que son estomac est rond; 3º parce que le bassin des femmes est plus étroit dans les négresses que chez les autres femmes.

Ces caractères anatomiques établissent une différence marquée entre la race noire et les autres races humaines. Ce résultat n’est pas même démenti par la Bible, où l’on voit que la postérité de Cham diffère de ses frères depuis la malédiction de Noé. Ces marques d’infériorité des nègres sont saisissables à l’extérieur, et sont en outre faciles à reconnaître dans leur condition interne. Indépendamment des os de la face et des mâchoires, qui sont prolongés, le crâne du noir est plus rétrèci que celui du blanc, ce qui constitue une infériorité organique qui n’a point échappé à l’apôtre des musulmans, quand il s’écrie dans le Coran que tous les peuples ont eu des prophètes, excepté les nègres.

Les mâchoires des nègres étant plus fortes, il leur a fallu des muscles masticateurs plus puissants; le trou occipital, se trouvant ainsi rejeté plus en arrière, rend la nuque du cou moins creuse, ce qui les rapproche de l’orang-outang, ainsi que l’arrondissement de la conque de l’oreille. Le docteur Madden observa, dans un voyage qu’il fit dans la Haute-Egypte, plusieurs squelettes de nègres qui avaient six vertèbres lombaires (comme l’orang) au lieu de cinq, et cette particularité a été retrouvée dans plusieurs tribus abruties; elle explique la longueur de leurs reins et leur allure dégingandée. Il n’est pas jusqu’au négrillon qui naît plus velu que le blanc, il n’est pas jusqu’à la longueur des mains et à celle des pieds avec le talon rejeté en arrière, qui n’offrent une tendance marquée vers les quadrumanes. On trouve chez les Hottentots des nègres dont les os du nez sont soudés en un seul, comme chez les singes macaques, et dont l’humérus est percé à la fosse de l’olécrane, de même que chez le singe pongo.

Si nous remarquons que l’angle facial du nègre, au lieu de se rapprocher de l’ouverture droite de 90º comme dans le blanc, descend parfois au-dessous de 80º, que son encéphale est généralement moins volumineux de 190 à 285 grammes que celui de la femme blanche, qui est déjà moindre lui-même que celui de l’homme, il sera difficile de ne pas être convaincu de cette infériorité native organique que les tribus noires manifestent sur toute la surface du globe par leur ignorance, leur paresse, et leur incapacité pour former des sociétés et des nations.

Aethiopes maculant orbem, tenebrisque figurant

per fuscas hominum gentes

(MANILIUS, Astronomicon, lib. IV.)

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