De l’Esclavage en général et de l’émancipation des Noirs…

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DE L’ESCLAVAGE EN GENERAL ET DE L’ÉMANCIPATION.

I.

DE L’ESCLAVAGE EN GÉNÉRAL.

L’Esclavage est une condition civile de l’humanité qui résulte, comme l’a si bien dit Montesquieu, «de l’établissement d’un droit (le mot droit ici ne peut se traduire que par les mots abus ou barbarie) qui rend un homme tellement propre à un autre homme qu’il est le maître absolu de sa vie et de ses biens. L’esclavage n’est pas bon par sa nature; il n’est utile ni au maître, ni à l’esclave; à celui-ci, parce qu’il ne peut rien faire par vertu; à celui-là, parce qu’il s’accoutume, parmi ses esclaves, à manquer à toutes les vertus morales, qu’il devient fier, colère, cruel (1)…»

(1). Esprit des Lois.

Ces paroles remarquables de l’auteur de l’Esprit des Lois suffisent pour montrer combien est anti-sociale cette sorte d’institution consacrée par tant de peuples anciens et modernes sur la face du Globe. L’Esclavage est en effet dans ses conséquences ultérieures, selon l’expression d’un écrivain distingué, une cause réelle de mort pour la société; car où existe l’esclavage, il n’y a pas une nation, il y en a deux: celle qui possède et celle qui est possédée; celle qui peut tout, et celle qui doit tout souffrir; celle des hommes faits à l’image de Dieu, et celle des hommes abaissés à la condition de la brute. Dans cet état de choses violent et cruel, qui livre aux uns la vie et l’intelligence des autres, naît une guerre sourde et incessante par laquelle périssent les peuples plus encore que par l’inégale répartition des richesses et du pouvoir. Ainsi ont disparu ces peuples tant vantés de Sparte et de Lacédémone; ainsi s’est évanouie la Puissance romaine; ainsi disparaît graduellement l’Empire mahométan devant la CIVILISATION CHRÉTIENNE, qui, seule au milieu du monde et devant les oppresseurs des hommes, s’est proclamée incompatible avec l’esclavage.

L’on a vu à diverses époques des sophistes chercher à justifier l’esclavage comme étant une fâcheuse nécessité, en invoquant la différence des climats, des races, des qualités physiques et morales. Fausses maximes, vaines théories de l’égoïsme et de la cupidité! Il y a contre cela des faits réels et qu’il n’est point permis de contester; il est certain que la différence des climats ou de race ne saurait changer une seule des qualités essentielles qui constituent l’être humain; la nature de l’homme, ainsi que son origine, et sa destinée, sont les mêmes pour le genre humain et communes à tous les hommes. Puis aussi il est bien reconnu et positivement démontré qu’il n’est nul point du sol terrestre où le travail ne puisse être libre, et nulle variété de l’espèce qui ne puisse être amenée à exploiter le sol en liberté.

L’on a dit souvent que l’esclavage n’avait en d’autre origine que celle de la guerre, et qu’il avait été ainsi salutaire à l’humanité, puisqu’au lieu de tuer les vaincus on les faisait esclaves. Vraiment? quelle admirable clémence!… Ainsi on ne tuait pas le corps, mais on tuait l’âme, on tuait la liberté intellectuelle et morale; l’homme n’était plus homme, sa vie était un supplice de tous les jours… Et c’est cela que l’on avait appelé un bienfait! C’est ainsi pourtant que l’antique civilisation des païens entendait la dignité de l’homme et tous ses droits. Et c’est de cette manière étrange de sauver les hommes et de les conserver que vient le mot servus, de servare.

Nous répondrons ici d’abord, que l’on se trompe en disant que la guerre a toujours été l’origine de la servitude, ce que nous montrerons plus bas. Puis nous demanderons sur quoi est fondé ce droit de tuer et d’asservir le vaincu et le faible; est-ce parce qu’on a été heureux combattant ou que l’on est puissant? prononcer ici le mot droit sur de pareils maximes, c’est le profaner. Ce sont cependant ces maximes aussi absurdes que dégradantes qui pendant quarante siècles ont régi et dévasté le vieux monde de l’idolâtrie. Et sans remonter aux premiers siècles de la création, où la plaie de l’esclavage ne fut pas moins grande que dans les temps suivants; voyez, que se passe-t-il sur le Globe? dans les vastes contrées surtout de l’Orient depuis Alexandre jusqu’à Auguste? L’histoire nous l’apprend; en voici quelques détails.

En Grèce le nombre des esclaves était fort considérable, il y en avait dans l’Attique deux cent mille; le double du nombre des citoyens libres. Ces esclaves étaient achetés dans les grands marchés de la Thrace, de Carie, de Chypre, et sur plusieurs points du bassin de la Méditerranée. Souvent la prise des villes en jetait par milliers sur la place. Alexandre fit vendre une grande partie de la population de Thèbes; qu’il fît détruire par un incendie. Cet usage barbare passa des Grecs aux Romains. Camille, dictateur, paya en esclaves étruriens les bijoux donnés par les matrones, pour affranchir la patrie du joug des Gaulois. Fabius réduit Tarente, et livre au plus offrant trente mille de ses habitants. Jules-César vendit en pareille circonstance cinquante-trois mille individus. Les esclaves, devenus très nombreux en Italie, mirent souvent en danger la république. Du temps de Marius, il fallut quatre ans de guerre pour réduire un peu les esclaves mutinés dans tout l’empire romain, où ils étaient horriblement traités par leurs maîtres. Il y a eu, selon Plutarque, dans la législation romaine des usages atroces prescrits contre les esclaves. D’après la loi romaine l’esclave est une chose et non une personne (res non persona); ce mot res (chose) signifie ici le résumé de toutes les misères attachées à cette condition d’esclave. Aussi les châtiments que les maîtres infligeaient à leurs esclaves, même pour des choses légères, font horreur! Juvénal (Sat. VI) parle d’une femme qui, par caprice, veut que l’on tue un de ses esclaves, et comme son mari lui demande quel est le crime de cet homme, elle se récrie tout étonnée, en disant: «Ita servus homo est?» un esclave est-il un homme?

L’empereur Auguste fit une loi qui, en cas de mort d’un citoyen, condamnait à mort indistinctement tous les esclaves qui habitaient la même maison où avait eu lien le meurtre. C’est aussi sous son règne que les esclaves vieux étaient exposés dans une île du Tibre, où ils périssaient en proie à toutes les horreurs du besoin.

Un riche Romain possédait un nombre incroyable d’esclaves. Athénée nomme des individus qui en avaient jusqu’à vingt mille. Quand on voulait vendre un esclave on l’exposait au marché, nu, les mains liées et un écriteau sur le front. L’acheteur faisait sur ces êtres humains des deux sexes le même examen que l’on fait sur des animaux domestiques que l’on veut s’approprier et mettre sous le joug, pour en tirer le plus grand profit possible.

Voilà une simple esquisse de l’effrayant tableau de l’antique esclavage parmi les peuples païens, et tel à peu près qu’il existe encore chez des barbares où n’a pas encore pénétré la lumière du christianisme. Les guerres ne furent point toujours la seule origine de l’esclavage. L’absence du droit public, l’état de pauvreté, le droit du plus fort, l’excessive avidité des richesses, l’ignorance totale, en un mot, de la vérité et de la vertu dans le monde païen, produisirent ensemble ou alternativement l’esclavage, dès les premiers siècles, dans le genre humain.

Mais n’allons pas plus loin fouiller dans l’histoire profane; détournons nos regards de ces pages noires et sanglantes des annales de l’esclavage païen. Cherchons, sur ce même sujet, quelques récits un peu consolants. Fixons notre attention sur l’Écriture Sacrée. Sans doute elle aussi nous montrera l’esclavage existant dans le règne patriarcal, au sein même du peuple d’Israël; mais elle nous dira également tout ce que la vraie religion a fait d’abord dans les temps primitifs pour adoucir les rigueurs de l’esclavage, puis avec quel zèle et avec quelle sagesse elle a commencé, par Jésus-Christ, sa grande oeuvre de l’émancipation universelle des esclaves, qu’elle continue et poursuivra sans doute jusqu’à la fin glorieusement, et avec un succès complet et bien digne de son divin génie.

III.

LE CHRISTIANISME VIENT ÉCLAIRER LE MONDE, ET CONDAMNE L’ESCLAVAGE.

[…]

Pag. 50-55

Comme l’astre du jour, après une nuit trop longue et ténébreuse où avaient éclaté les plus effroyables tempêtes, montre aux bords de l’horizon, sur un ciel calme et sans nuages, sa face rayonnante et pure qui vient annoncer un jour nouveau et serein à la terre consternée; ainsi, et plus brillant encore, apparaît le Christianisme au milieu de l’affreux chaos du Paganisme, après une nuit horriblement orageuse de quarante siècles… qui avait ravagé le monde, et dont il vient dissiper à tout jamais les épaisses et sanglantes ténèbres.

Bientôt l’influence des vérités chrétiennes se fait jour à travers les ténèbres de l’erreur; elle pénètre dans les écoles savantes qu’elle trouve sur son passage; et déjà Rome et la Grèce sont étonnées d’entendre leurs tribuns et leurs philosophes parler un langage nouveau; reconnaître dans l’humanité, et les proclamer, des droits jusqu’alors inconnus (1).

(1). Saint Irenée et Tertulien ont montré que le Christianisme était déjà, dès son origine, plus tendu que l’Empire romain, qui se vantait d’être lui seul l’Univers.

Alors on entend pour la première fois un philosophe romain (Sénèque) recommander de traiter avec bienveillance les esclaves; et il félicite un de ses amis de vivre avec les siens en famille.

«Nos esclaves, lui dit-il sont des hommes; ou plutôt ce ne sont point des esclaves, ce sont des amis malheureux! Traitez votre inférieur comme vous voudriez être traité par votre supérieur. Habituez-vous à sacrifier votre intérêt particulier à l’intérêt général…

«C’est un pacte qu’il faut garder religieusement, que celui qui unit l’homme à l’homme, et établit des droit communs pour tout le genre humain.

Sénèque respirait déjà un air pur dans l’atmosphère du Christianisme, dont le génie lui inspirait ces maximes nouvelles d’équité, et d’une noble compassion pour les esclaves. Aussi les Pères de l’Église, frappés de la ressemblance de ces idées de Sénèque avec les paroles de saint Paul, sur le même sujet, ont-ils appelé celui-ci: «Seneca noster, notre Sénèque.» Cette ressemblance est des plus frappantes dans l’Épître que saint Paul écrit de Rome à son disciple Philémon, en lui renvoyant son esclave Onésime, que, lui, saint Paul a baptisé, et qu’il recommande à Philémon de recevoir avec amour comme il le ferait pour lui-même (1).

(1). Voir la lettre F à la fin duvolume.

Avant l’ère chrétienne, tous les peuples idolâtres et les philosophes mêmes les plus vantés avaient prétendu que l’esclavage était du droit naturel. Les esclaves y étaient horriblement traités et réduits à l’état de la brute.

Mais ces maximes de la barbarie commencèrent à disparaître dès les premiers siècles du Christianisme, qui a défini les droits de l’humanité et promulgué la loi de l’équité et de la fraternité universelle.

Dès lors, les savants et les philosophes, parmi lesquels Florentin et Ulpien, déclarent formellement que «l’esclavage est contre la nature… qu’en ce qui concerne le droit naturel, tous les hommes sont égaux, et que tous les hommes naissent libres.» Les lois et la grandeur romaines, jadis si imposantes et faisant l’orgueil des Césars, pâlissent et se dissolvent devant les lumières de l’enseignement du divin Maître. Et ce titre de citoyen romain, naguère si fameux dans tout l’Empire, perd son prestige et se fond comme un brin de glace dans l’océan brûlant de la Charité, qui embrase de ses divines flammes tous les peuples du monde. Ainsi se fonde l’unité du monde moral. Ainsi commence la régénération du genre humain, qui ne doit plus former qu’une famille. Et le nom d’homme devient désormais, sous la Loi chrétienne, ce qu’il doit être: un nom sacré, le titre le plus noble et le plus magnifique où sont écrits en lettres ineffaçables ses droits et ses prérogatives, ainsi que ses devoirs et sa glorieuse destinée.

Mais c’est surtout sous l’Empire de Constantin que s’élargit la voie nouvelle de l’équité et des affranchissements. Ce monarque, qui est le premier empereur chrétien. est aussi le premier qui s’inspire au génie du Christianisme et veut en répandre les bienfaits au milieu de ses peuples. D’un oeil libre et attentif il mesure toute la profondeur des maux dont la barbarie et l’esclavage avaient inondé ses provinces, et auxquels il veut mettre un terme. Il veut surtout faire disparaître de ses États la plaie de l’esclavage qui est, à ses yeux, la plus funeste et la plus cruelle de toutes les autres.

Par un de ses décrets, l’empereur Constantin déclare libre tout esclave qui embrasse le Christianisme. Et afin de faire mieux comprendre que la liberté pour l’homme est une sainte et inviolable prérogative, un droit naturel et de céleste origine, il veut que la délivrance des esclaves soit consacrée par des motifs de religion, et autorise, à cet effet, les affranchissements faits à l’Église en présence de l’évêque. Un si bel exemple, et si digne d’un empereur chrétien, n’était cependant pas nouveau; il subsistait déjà parmi les Chrétiens, puisqu’il en est fait mention dans la lettre de saint Ignace à saint Polycarpe.

C’est ainsi que dans la primitive Eglise l’on commença l’affranchissement des esclaves, et qu’en leur donnant la liberté civile et la liberté spirituelle, l’on en faisait des enfants de Dieu par le baptême, et des citoyens de l’Empire en les appelant à la jouissance de tous les droits de l’homme dans le corps social.

Pag. 81-87

V.

DE L’EMANCIPATION DES NOIRS

                                                                                                          Par cela seul qu’elle essentiellement

                                                                                                          morale, LA RELIGION CHRETIENNE est faite

                                                                                                          pour un peuple libre;

                                                                                                          et parce qu’elle est divine, et égale pour tous

                                                                                                          les hommes, elle veut nécessairement

                                                                                                          l’abolition de l’esclavage dans tous les peuples

                                                                                                          du monde.

L’émancipation des Noirs, dans nos colonies, n’est plus désormais une question. Le Gouvernement de la métropole vient de proclamer encore une fois l’adoption de ce principe, d’une manière solennelle au sein de la Chambre des Députés, dont les nobles sympathies sont bien connues sur cet objet. Voici en quels termes le Gouvernement s’est prononcé, il y a peu de jours, sur le projet de l’Emancipation:

«L’Emancipation est résolue; on consultera donc la Chambre, non sur le principe, mais seulement sur la forme

Les organes officiels du Gouvernement ont dit aussi à la Chambre, dans la séance du 4 du mois de mai de cette année 1844:

 «Il ne faut pas qu’il y ait ni chez nous, ni dans nos colonies aucun doute sur les intentions du Gouvernement du roi. Il ne faut pas qu’on puisse dire aujourd’hui que la question a reculé, au lieu d’avancer. Le gouvernement du roi a la ferme intention, le ferme dessein d’accomplir dans nos Colonies l’abolition de l’esclavage. Le gouvernement du roi juge qu’il y a, soit pour les colons, soit pour les esclaves, soit pour la métropole, des mesures à prendre pour préparer, pour amener, faire réussir l’Émancipation. Avec de bonnes mesures, sérieusement et sincèrement suivies, nous arriverons au but qui est, et nous le répétons très haut pour que personne n’en doute, L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE DANS NOS COLONIES. Et nous avons l’espérance que, fermement soutenus par les Chambres, avec la résolution très ferme que nous avons nous-mêmes, nous y arriverons à des conditions meilleures que ne les a obtenues l’administration ’anglaise.»

Ces paroles, qui viennent d’être prononcées au sein même de la Chambre législative, et qui expriment d’une manière nette et claire l’intention bien arrêtée du Gouvernement pour l’abolition de l’esclavage, sont d’un merveilleux à-propos, et de nature à encourager et rassurer, sur cet objet, tous les esprits et les opinions diverses, soit dans les colonies, soit à la métropole. Car le Gouvernement dit que l’Émancipation des esclaves de nos colonies est résolue, qu’il n’y aura plus à s’occuper que de la forme, et que toutes les mesures convenables seront employées d’une manière efficace et avec une sage et ferme persévérance. Certes, c’est bien là un langage aussi juste, qu’il est ferme, paternel, et digne de la France. Il aura du retentissement, et ne manquera de produire les plus heureux effets sous tous les rapports. Le maître et l’esclave peuvent également se rassurer, et s’en réjouir par avance, dans une attente paisible et avec une complète confiance.

En adoptant ainsi en principe d’une manière franche et positive l’Emancipation, le gouvernement a écouté le voeu de la Religion, de l’humanité et de la civilisation; avec un tel procédé, il agit dans l’intérêt du Maître et de celui de l’Esclave.

Si donc nous venons encore parler ici des bases de ce principe de l’Émancipation, de la justice, de la nécessité de son adoption, et des bons effets qui devront en résulter sous tous les rapports, c’est pour éclairer les esprits dont les idées ne sont pas encore bien rectifiées ni bien fixées sur ce sujet, et dont l’hésitation ou l’opposition dans l’emploi des moyens d’exécution pour atteindre avec succès le but final de l’Émancipation, aurait pu être trop nuisible et funeste. Car cette grande oeuvre de l’Émancipation, pour faciliter son exécution et produire les meilleurs résultats, elle a essentiellement besoin d’un appui réciproque, d’un concours unanime, d’une coopération franche et persévérante des maîtres, et des Autorités locales des colonies avec la pensée et l’action Souveraine de la Métropole, dans l’emploi des moyens et des mesures préparatoires que celle-ci jugera convenable, dans sa haute sagesse, de choisir et de prescrire à cet effet.

C’est dans ce but que nous allons essayer de montrer, d’un coté, combien le joug de l’Esclavage est chose cruelle, injuste et dégradante pour l’humanité; et de l’autre, quelle est la dignité de l’homme, quels sont ses droits, et combien grande est la fin par laquelle Dieu a créé l’homme et formé la société. Cette matière est vaste et pourrait remplir des volumes. Mais nous nous bornerons à dire seulement et en peu de mots ce qui est essentiel et vrai sur cet objet. Cela pourra suffire et ne pas manquer d’atteindre le but, nous en avons la confiance. Les maîtres des esclaves ainsi éclairés par des principes et des maximes irrécusables de religion, de justice et d’humanité, dans leur actuelle situation, se hâteront sans doute, dans leur propre intérêt et pour leur propre honneur, de seconder les vues de la Métropole loyalement et avec une fermeté persévérante pour préparer et mener à bonne fin cette oeuvre sainte de l’Emancipation des esclaves dans nos colonies.

Les partisans de l’esclavage avaient voulu soutenir avec Aristote qu’il y a des esclaves par nature, et que l’être supérieur en intelligence, ou en force physique, ou en richesses, doit dominer et asservir un autre être inférieur en intelligence, en force matérielle, ou dans ses moyens de fortune. Et, chose déplorable! il se trouva jadis des jurisconsultes (ce qui bien certainement ne se trouverait point dans les Législateurs de notre siècle), qui, par une inique concession, osèrent dire aussi qu’il y a des hommes qui naissent esclaves «servi nascuntur.» A la seule pensée de pareilles maximes l’on est saisi de stupeur et d’une trop juste indignation. Quelle contrée barbare que celle où le sein maternel est frappé de servitude! Rien au monde peut-il justifier l’attentat de donner des fers à cet enfant dans son berceau, et dont le seul crime est celui de naître et de venir augmenter le nombre de l’espèce humaine, selon les desseins et la volonté de la divine Providence?:

Non, il n’y a point d’hommes qui naissent es claves; non, le plus fort par son esprit ou par son corps ne doit asservir le plus faible. Le Christianisme, d’accord avec la philosophie, présente la Divinité comme seule souveraine et complétement égale pour tous les hommes; ce qui a été si bien dit par Massillon «Dieu seul est grand;» et par saint Paul en ces paroles: «Nous sommes tous un seul corps en Jésus-Christ.» Et ailleurs: «Il n’y a point acception des personnes devant Dieu.» L’histoire nous apprend que Sénèque, pour prouver qu’il n’y a point d’hommes qui naissent esclaves, a dit ces paroles remarquables: «Ne sommes-nous pas tous plus ou moins coserviteurs les uns des autres sur la terre?» Enfin, le Pape Alexandre III se prononça sur ce même sujet, en déclarant formellement que «LA NATURE N’A POINT CRÉÉ D’ESCLAVES.» Paroles admirables! maxime éminemment équitable et sage, et bien digne de descendre du haut du trône du Vicaire de Jésus-Christ sur la terre! […]

Pag. 98-112

L’on avait souvent objecté contre le projet de l’émancipation des Noirs de nos colonies les suites désastreuses de [‘affranchissement de Saint-Domingue, qui a eu lieu en l’année 1791 (1). Cette objection n’est d’aucune valeur pour des hommes sérieux, et elle ne prouve absolument rien contre le projet de l’émancipation des esclaves de nos pays d’outre-mer. La raison en est toute simple et péremptoire; la voici:

(1). Voir la lettre PP à la fin du volume.

L’Emancipation des esclaves de Saint-Domingue n’a point été un véritable bienfait, et ne l’est pas même encore, pour toutes les malheureuses populations noires de cette île, parce qu’elle a été uniquement et exclusivement l’oeuvre du désespoir, du désordre et de la barbarie, et que le divin génie de la religion ni la sagesse des lois humaines, n’avaient point été appelées pour préparer et accomplir cette régénération sociale des population haïtiennes.

 Il n’est donc pas étrange qu’une telle transition de la servitude à la liberté, qui s’est opérée brusquement et avec la violence de l’ouragan, ait produit des conséquences aussi déplorables; c’était, en ce cas, chose naturelle, inévitable. Mais rien de tout cela n’est à craindre pour nos colonies, parce qu’ici l’émancipation des esclaves se prépare de loin, d’une manière toute paternelle, sous les auspices de la religion, et qu’elle doit s’accomplir légalement et avec ordre sous l’empire de lois sages et équitables de la Mère-Patrie. Ainsi donc, si l’émancipation des Noirs de l’ancienne reine des Antilles (Saint-Domingue) ne fut, dans sa source comme dans ses effets, qu’une grande catastrophe; elle sera bien certainement dans nos colonies un grand et glorieux événement, un bienfait véritable pour toutes les classes de la population, une source nouvelle et féconde de bien-être moral et matériel pour les génération présentes et celles de l’avenir.

Des faits existent déjà à cet égard, et viennent se placer naturellement ici à l’appui de ce que nous venons de dire.

Depuis 1830, près de trente mille esclaves dans nos colonies ont été affranchis, et dont le plus grand nombre se sont rachetés d’eux-mêmes, à un prix assez élevé, avec les deniers de leurs économies et d’un surcroît de travail qu’ils s’étaient volontairement imposé à cet effet. Or, tous ces nouveaux affranchis nous les avons vus et examinés de bien près dans la colonie, pendant plusieurs années jusqu’en 1841; et nous avons remarqué avec une bien douce satisfaction qu’ils cherchent avidement à s’instruire et à se moraliser sous l’action religieuse, à se grouper régulièrement dans l’état de famille et dans l’ordre de la vie sociale. Ils sont tous des sujets paisibles, laborieux et intelligents, utiles à eux-mêmes et au pays.

Nous nous faisons un devoir de citer ici, à cet égard, un exemple vraiment remarquable et bien digne d’être porté à la connaissance de la Métropole:

En l’année 1835, à l’occasion d’une visite pastorale que nous faisions dans toute la colonie, nous traversions les campagnes d’une paroisse, dans la partie de l’est de l’Ile. Un Nègre, âgé d’environ quarante ans, très robuste et d’une physionomie fort intéressante, vint au-devant de nous sur notre route pour se procurer le plaisir de nous voir de près et nous saluer; il avait reconnu notre habit de missionnaire, ce qui est généralement pour les Nègres, dans leur malheureuse situation, comme un signe d’espérance, un symbole sacré d’équité, de protection et de paix. Après avoir adressé quelques paroles paternelles à ce Nègre qui venait de nous saluer et dont la physionomie heureuse avait attiré notre attention, nous demandâmes au curé missionnaire de la paroisse, qui nous faisait l’honneur de nous accompagner, de nous donner quelques détails sur ce Nègre. Voici sa réponse:

«Je connais ce Nègre depuis près de quatorze ans que je suis dans ce quartier; il a été toujours, et il est encore mon paroissien. Il était esclave; il s’est toujours fort bien conduit; il a su si bien travailler, si bien faire des économies qu’il a pu se racheter avec ses propres deniers, lui et sa petite famille. Depuis qu’il est libre il continue à tenir la même conduite, qui est vraiment exemplaire, sous tous les rapports. Il s’est acheté, par le fruit de son labeur, une petite habitation où il travaille avec ses enfants. Il vit dans une honnête aisance avec sa famille, qui est un des meilleurs ménages de ma paroisse.»

Sans doute ce récit est bien consolant pour tous les coeurs nobles et chrétiens. Un tel exemple d’un Nègre affranchi est un fait bien précieux et des plus rassurants pour l’avenir de nos colonies, car il y a là une preuve matérielle et bien décisive de ce que les esclaves de nos colonies pourront devenir après leur émancipation, des sujets laborieux et intelligents, de bons chrétiens, et des citoyens paisibles et utiles au sein de la grande famille.

Il suffit d’entrer en soi-même, de s’étudier avec un peu de soin, et de se rendre compte des impressions qu’on éprouve, pour être convaincu de cette vérité consolante: «L’homme a plus de ressources pour le bonheur que pour la souffrance; il ne tient qu’à lui d’accroître la somme des biens qui peuvent être son partage parmi les maux innombrables qui assiégent l’humanité;» mais pour cela il faut à l’homme nécessairement et toujours qu’il soit à l’état de liberté, et qu’il puisse donner un développement convenable à toutes ses facultés intellectuelles par le moyen d’une bonne éducation, d’une éducation, au moins, élémentaire et pratique, ayant pour base première la vérité religieuse, et toutes les vertus que prescrivent les lois et le devoir.

Les nouveaux affranchis n’ont pas, il est vrai, présentement, une prédilection pour aller labourer la terre sur les grandes habitations avec leurs anciens compagnons d’infortune qui sont encore dans l’esclavage. Cela se conçoit. Il est naturel pour le Nègre affranchi d’avoir de la répugnance d’aller percer de ses mains libres ce même sillon qu’il arrosait naguère de sa sueur de l’esclavage, et de se trouver obligé de rentrer ainsi dans les rangs des travailleurs esclaves, qu’il voit être trop au-dessous de lui homme libre. Et c’est par cette raison, que, tant qu’il y aura esclavage, le Nègre libre ne verra que la honte et le mépris attachés au travail de la terre, parce qu’il n’y voit qu’un travail forcé et fait seulement par l’esclave; et il cherchera, en attendant, à pourvoir à son existence par d’autres moyens convenables. Mais aussi il est certain que, dès le moment où l’esclavage aura entièrement disparu dans nos colonies, et que l’on verra la culture des terres remise en honneur, et généralement faite par des mains libres, le préjugé disparaîtra totalement, et tous les affranchis s’adonneront sans difficulté au labour des terres; surtout l’émancipation s’opérant par de sages mesures et dans toutes les conditions convenables.

Telle est aussi, à cet égard, l’opinion du ministère de la marine. Nous lisons dans un ouvrage fort intéressant sur les colonies, publié par les soins du ministère, le passage suivant:

«Le travail de la terre est généralement anti-pathique aux personnes appartenant à l’ancienne classe de couleur libre, et surtout aux affranchis de fraîche date qui croiraient, en s’y adonnant, s’assimiler aux esclaves. Ce préjugé ne peut manquer de s’affaiblir, et même de disparaître par suite de la nécessité où se trouvera bientôt cette nombreuse population de se rendre utile au pays et à elle-même (1).»

(1). Notices statistiques sur les Colonies françaises. Ire partie, p. 3.

Nous pouvons encore ajouter ici que la continuation de la culture des terres et de leurs produits, après l’émancipation, sera d’autant plus assurée dans les colonies, que l’on a en ce moment de nouveaux instruments aratoires et industriels qui facilitent et accélèrent le travail, et réduisent considérablement la force matérielle des travailleurs. Déjà le Gouvernement dirige ses soins vers cet objet important, et des compagnies françaises paraissent se former activement pour cela, afin de pouvoir obtenir sur le sol des colonies, par de nouveaux procédés, de plus grands produits avec moins de travail.

Avec tant de soins, sous de tels auspices, l’on peut bien se rassurer sur l’avenir de la prospérité des colonies. Le Nègre affranchi donnera facilement à la société coloniale le tribut de son travail volontaire et régulier; et les propriétés des colons, après, peut-être, quelques souffrances légères et momentanées, ne pourront manquer de prospérer; par la suite, d’une manière plus solide et bien plus satisfaisante sous tous les rapports. Puis, alors, comme l’esprit sera calme, l’âme pure et contente! car chacun pourra, à cette époque de liberté et de prospérité morale et matérielle, se poser avec un noble orgueil la main sur le coeur, et dire à Dieu, avec une joie que l’on n’avait pas encore connue:

 «Divin Sauveur des hommes, vous l’avez dit, nous sommes tous FRÈRES! C’est ainsi que nous voulons vivre désormais, dignes de vous, dignes de nous-mêmes et de vos inépuisables bienfaits!»

Déjà l’expérience des siècles passés nous a montré qu’en faisant passer l’homme de la servitude à la liberté, du travail forcé au travail libre, loin d’avoir pour résultat les troubles et la détresse dans le corps social, l’on n’a fait, au contraire, qu’en consolider l’ordre, et augmenter la fortune publique. Il est une vérité incontestable, et c’est ici le cas de le dire: l’éducation fait l’homme, et sait répondre à tous ses besoins. En effet:

Que nous dit l’histoire de la destruction de la féodalité et de l’esclavage, en Europe, au moyen âge? «L’Europe entière n’avait ni chemins, ni auberges; ses forêts étaient remplies de voleurs et d’assassins; ses lois étaient impuissantes, ou plutôt il n’y avait point de lois. La religion seule, comme une grande colonne élevée au milieu des ruines gothiques, offrait des abris et un point de communication aux hommes (1)», et leur ouvrait à tous des sources nouvelles de vie, de lumières, de richesses et de prospérité.

(1). Chateaubriand.

Oui, depuis cette époque, depuis l’abolition de l’esclavage en Europe, qu’y voyons-nous? La France devenue entièrement libre a-t-elle perdu de sa prospérité, de son commerce, de son industrie, de sa moralité, de sa gloire? N’a-t-elle pas, au contraire, gagné, et largement gagné en tout cela? Que voyons-nous autour de nous? d’immenses richesses, des chefs-d’oeuvre des arts et des sciences, des monuments sans nombre de tous les genres de gloire et de bienfaisance chrétienne qui s’élèvent partout dans nos villes et nos campagnes; la religion vénérée et répandant en paix, du haut de son trône immortel, tous ses trésors célestes; et là où il n’y avait jadis qu’oppression, ténèbres et détresse, se montre, de nos jours, une grande et magnanime Nation, un peuple libre, éclairé, sage, paisible et complétemenl heureux; autant, du moins, que peuvent l’être les sociétés humaines que vivifient le divin génie du Christianisme et la civilisation.

Le Christianisme, en détruisant l’esclavage en Europe, a été le premier émancipateur de l’industrie, et a ouvert les sources nouvelles d’une félicité générale sous le double rapport moral et matériel. En effet, tous les hommes devenus libres sous l’empire de son amour et de ses lumières ont pu mieux chercher dans leurs communs travaux, et facilement trouver les moyens de se procurer un bien-être meilleur, plus complet, et s’avancer ainsi dans une prospérité toujours croissante sur la grande échelle du progrès social.

 Ceux donc qui représentent le Christianisme comme arrêtant le progrès des lumières, ou comme un obstacle du bien-être matériel de l’homme, contredisent manifestement les témoignages historiques. «Partout, dit un de nos illustres écrivains, la civilisation a marché sur les pas de l’Evangile, au contraire des religions de Mahomet, de Brahma et de Confucius, qui ont borné le progrès de la société, et forcé l’homme à vieillir dans son enfance» et dans la misère, en le retenant dans l’ignorance et dans l’esclavage.

Cela est facile à concevoir: l’homme est doué d’intelligence, qui est le signe divin de sa dignité, son trésor inépuisable, le foyer des merveilles de son génie, la source abondante et précieuse qui répond à tous ses besoins et sait les satisfaire. Mais cette prérogative céleste de l’intelligence, pour donner ses fruits, elle ne peut ni ne doit rester captive. Elle est esprit et vie, elle a besoin de lumières et de développements; et ces lumières et ce développement elle ne saurait les trouver que dans l’éducation et la liberté, dans les enseignements de l’Évangile, dans la jouissance de tous les droits de l’homme et dans la pratique de ses devoirs.

 Or le Nègre, lui aussi, a comme tous les autres hommes cette même prérogative d’être intelligent, et si l’on a cru voir que l’intelligence chez le Nègre ne se trouve point à un degré aussi élevé que chez le Blanc, elle n’en est pas moins la même intelligence, parfaitement identique par sa nature, et susceptible d’amélioration et de développement aussi bien dans l’un que dans l’autre.

 Il est suffisamment démontré, selon nous, par les raisons que nous venons d’exposer, qui sont aussi claires que positives, que le Nègre est essentiellement par son origine, sa nature et sa destinée, un homme comme le sont tous les Blancs, desquels le premier ne diffère que par la couleur. Il ne reste aucun doute que le Nègre peut et doit être élevé à l’état de civilisation et de liberté, conformément à la Loi divine, et en vertu du droit de justice et d’humanité. Mais, pour atteindre ce but, le Nègre esclave a essentiellement besoin d’y être préparé par une éducation religieuse bien soignée, appropriée à sa nature et à ses besoins, et qui doit faire de lui un homme raisonnable, un sujet paisible et laborieux, avant que la Loi en fasse un homme civil, et membre intégrant du corps social, dont il l’est déjà par sa nature.

 Il est également démontré par l’expérience et les faits que nous venons de citer, que le travail volontaire et régulier par le Nègre est, non seulement possible, à l’état de liberté, mais encore facile à obtenir, à condition cependant que l’Emancipation ne se ferait définitivement et complètement qu’au bout d’un terme convenable, et après avoir été PREPARÉ PAR UNE ÉDUCATION RELIGIEUSE, SAGEMENT DIRIGÉE ET FORTEMENT ORGANISÉE, selon les besoins du moment, et de la manière que nous allons indiquer plus bas, dans le dernier Chapitre de cet ouvrage.

Si l’on a vu des maîtres d’esclaves, dans nos colonies, manifester de la répugnance, et faire même de l’opposition pour la propagation de l’instruction religieuse dans leurs ateliers, c’est parce qu’ils pensaient que, par ce moyen, le projet de l’Émancipation allait bientôt se réaliser, et qu’ils s’obstinaient à croire que les Nègres, une fois libres, auraient entièrement abandonné le travail des terres sur leurs habitations, ce qui aurait nécessairement entraîné, selon eux, la ruine totale de leurs propriétés.

Cette crainte des maîtres d’esclaves, quoique n’étant point fondée, comme nous venons de le faire voir, est pourtant chez eux toute naturelle et ne doit point nous étonner. Nous savons que le sol des pays du Tropique n’est et ne peut être cultivé que par les Nègres, qui habitent sous cette même zone torride d’Afrique, et que nos travailleurs européens n’ont pu jamais y résister à l’action meurtrière du climat pour labourer les terres. Il est évident que, dès le moment où les Nègres cesseraient leur travail, les produits des grandes cultures des habitations deviendraient presque nuls. Il est donc juste et fort naturel que, placés devant une perspective aussi inquiétante, les maîtres d’esclaves fassent entendre leurs craintes et qu’ils demandent en même temps des garanties de leur avenir, avant de consommer l’oeuvre de l’Émancipation; et, à cet effet, ils désirent que la Métropole puisse leur assurer le travail volontaire et régulier des Nègres affranchis, en les formant à cela, à l’avance, par des moyens préparatoires les plus efficaces et les mieux convenables.

Cette demande de la part des maîtres nous semble fort raisonnable. Elle sera sans doute accueillie avec faveur et empressement, d’autant plus qu’elle est dictée par des sentiments de prudence et d’humanité; car cela tend essentiellement à assurer et à perpétuer dans nos colonies, avant comme après l’Émancipation, l’abondance et la paix dans l’ordre social, le bien-être général des colons ainsi que de tous les affranchis, sous le double rapport moral et matériel.

Nous traiterons ce sujet de la préparation des esclaves à l’Emancipation, dans un des Chapitres suivants, qui aura pour objet l’Education religieuse des Noirs.

VI.

DE L’ÉTAT ACTUEL DE L’ESCLAVAGE DANS LES COLONIES FRANÇAISES.

Pag. 128-130

L’on a dit souvent que le Nègre est naturellement «paresseux, et qu’une fois libre il ne voudrait plus travailler; qu’ainsi, les champs resteraient incultes, et les propriétaires totalement privés de leurs revenus ordinaires.» Mais pourquoi se faire un effroyable fantôme d’une simple crainte qui n’est point fondée, comme nous l’avons déjà démontré plus haut? Dans un sujet aussi grave que celui de l’Émancipation qui nous occupe, et où il s’agit de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, à l’homme ce qui est à l’homme, à la société ce qui est du à la société, où il s’agit, en un mot, de rendre l’esclave, comme les autres hommes et tel que Dieu le veut, UN HOMME LIBRE, UTILE et VERTUEUX, dans un sujet aussi grave, disions-nous, il ne suffit point de quelques objections légères et intéressées pour le juger et en tirer, à son gré, des conclusions définitives. Il faut ici des réflexions sérieuses, profondes, sincèrement généreuses et n’ayant d’autre but que la gloire de Dieu, l’honneur de l’humanité, la dignité de l’homme et son véritable bonheur moral et matériel.

Or ces réflexions graves, profondes, et sincèrement généreuses, nous les avons faites pendant longtemps et sur les lieux mêmes, et nous n’hésitons point à affirmer positivement, ainsi que nous l’avons déjà dit, que le travail volontaire et régulier par le Nègre émancipé sera non seulement possible, non seulement facile à obtenir, mais que cela sera même un fait général et naturel dans nos pays d’outre-mer, dès que le Nègre esclave sera traité d’une manière toute paternelle, et préparé à l’émancipation par les soins d’une bonne éducation religieuse, et par une volonté sage et persévérante du Gouvernement de la Métropole, ainsi que des Autorités locales dans les colonies, qui agiront sans doute en cela avec zèle, et dans des vues très nobles et élevées.

Tout homme sage et éclairé, ami véritable de la justice et de l’humanité, et qui désire sincèrement le salut de nos colonies et leur prospérité réelle et durable, doit, avant tout, s’occuper ici du choix et de l’application des éléments civilisateurs, des mesures préparatoires, de tout ce qui tient à la question morale et à ses heureux succès; car la question matérielle se rattache essentiellement à la première, et lui est entièrement subordonnée pour tous ses effets ultérieurs.

Dans aucune situation de la vie, dans l’oeuvre surtout de l’Émancipation des esclaves qui nous préoccupe actuellement, nous ne devons jamais perdre de vue les vérités ni les maximes de l’enseignement évangélique. Jésus-Christ nous ordonne de chercher nos biens spirituels et moraux, avant de chercher les biens matériels; et il nous déclare en même temps que nous ne pouvons jouir de ces seconds biens, qu’après que nous aurons cherché et acquis les premiers.

PROJET DE RÉORGANISATION DU MINISTÈRE RELIGIEUX AUX COLONIES

I.

DE L’ÉDUCATION RELIGIEUSE AUX COLONIES DANS LES CIRCONSTANCES ACTUELLES.

Pag. 157-166

Pendant notre séjour dans la colonie nous avons fait tous nos efforts, afin de pouvoir y augmenter le Clergé, et avoir un nombre de missionnaires assez considérable pour organiser la propagation de l’instruction religieuse sur une échelle plus large, et de manière à atteindre toutes les populations esclaves dans les nombreuses habitations de l’intérieur de l’île. Le Gouvernement et la colonie nous prêtèrent généreusement en cela leur appui.. Nous fîmes pour cet objet important toutes les demandes et les démarches qu’il nous fut possible; mais, il faut le dire, vainement toujours. L’on trouva, comme on y trouve encore toujours là debout le même écueil, le même obstacle permanent, nous voulons dire encore ce mode de recrutement qui est établi à la Métropole pour les Missions de nos colonies des deux Indes.

Le clergé de la colonie ne put donc nullement être augmenté, et l’on dut se résigner tristement à attendre… à toujours attendre… car on y attend encore!

Cette population immense de plus de soixante-dix mille esclaves de la colonie reste, en plus grande partie, dans son état d’ignorance et d’abrutissement. La lumière de l’Évangile n’y vient pas encore pénétrer dans l’esprit de ces enfants de la Foi; le feu sacré de la Charité ne va pas encore sur leurs demeures dans l’intérieur de l’île réchauffer, relever leurs coeurs meurtris, abattus. La religion qui peut tout, qui doit tout faire pour ces milliers d’esclaves, est là cependant sur ces plages, à quelques pas seulement de distance, et elle ne vient pas encore jusqu’à eux dans les campagnes… et elle ne peut point y venir… operarii pauci; les ouvriers lui manquent. A peine si elle peut y apparaître, au dernier instant de leur vie, quand la carrière est terminée, quand tout est fini et qu’elle n’y peut plus rien… Seulement une larme de sa douleur maternelle tombe alors sur le front glacé de cet Enfant qu’elle avait jadis béni dans l’onde sacrée du baptême; elle pleure, et ne veut se consoler, parce que son enfant n’est plus!

Ici se présente à notre pensée une réflexion bien sérieuse, et digne des plus graves méditations. La voici:

Tous les Esclaves dans nos colonies sont chrétiens catholiques, ainsi que tous les Colons; nous n’en avons point connu à la Martinique appartenant à un autre Culte. Les maîtres envoient exactement tous les enfants esclaves, dès les premiers jours de leur naissance, à l’église de la paroisse pour les faire baptiser. Cet acte essentiel de religion est une pratique générale dans nos colonies, où elle est suivie soigneusement. Personne d’ailleurs n’oserait y mettre obstacle, ni la moindre négligence; car tous les Nègres (chose consolante et bien digne de remarque!) tiennent essentiellement à faire baptiser leurs enfants; quoique esclaves eux-mêmes et enfants naturels, ils ne sauraient souffrir qu’il y eut parmi eux un Nègre non baptisé. Les Nègres trouvent là sans doute, dans ces baumes sacrés de la religion, un motif d’adoucissement à tous leurs maux de l’esclavage. Ne trouvant point l’équité parmi les hommes, ils cherchent ainsi un refuge sous la main de Dieu, qui est infiniment juste et bon, et le Père commun de tous les hommes. ***

Ainsi donc la religion a reçu dans ses bras, au seuil de la vie de ce monde, tous ces enfants de la population Nègre avec le même amour et la même profusion de ses dons magnifiques, qu’elle reçoit ceux de tous les autres peuples de la terre. En versant sur lui l’onde mystérieuse du baptême, la religion donne à cet enfant nègre LA ROBE D’INNOCENCE, et, selon l’expression de l’Apôtre, elle LE REVÊT DE JÉSUS-CHRIST. Sur sa tête, qu’elle vient de bénir, elle place avec amour la TRIPLE COURONNE de la Foi, de la Charité, et de l’immortelle Espérance.

Déjà la Religion suspend autour de lui les blanches couronnes de la vertu, et les fleurs odorantes, symbole de l’amour divin, comme les lianes des forêts qui décorent de leurs guirlandes parfumées la tige du jeune palmier, qui croît et s’élève majestueusement vers les cieux.

Après avoir ainsi purifié ce Néophyte, après l’avoir comblé de ses grâces, enrichi de ses trésors immortels, la Religion, ouvrant devant lui les portes du Ciel, lui dit:

«Enfant de Dieu, voilà ta Patrie. La vertu est son chemin. L’Évangile sera ton guide et ta lumière. Il faut aimer Dieu et lui obéir avant toutes choses. Tu aimeras ton prochain, car tous les hommes sont frères. Enfant des Cieux, sois béni!»

Déjà une mère chrétienne, qui tient sur ses bras le jeune néophyte, a recueilli avidement ces paroles sacrées; car bientôt elle devra les lui répéter dans ces jeunes ans, quand viendront se peindre dans ses paroles les premiers reflets de lumière de sa Raison naissante.

Eh bien! cet enfant ainsi fait, ainsi marqué du sceau du chrétien, enrichi de tant de dons célestes, retourne à l’instant même au désert! On le remet dans son berceau, qui est entouré de chaines (1); et ces chaînes, il lui faudra les porter toute sa vie!… Et d’enfant de Dieu qu’il est, appelé aux plus hautes espérances, il lui faut redevenir esclave, rester esclave. Il lui faut être déshérité de tout, descendre bas… bien bas, jusque près la condition de la brute, et comme la brute traîner sur la terre une existence toute matérielle, sans but et sans espoir; une existence qui n’est point la vie, car l’esclavage, quelque modéré et quelqu’adouci qu’il soit, c’est toujours l’esclavage, qui est véritablement une MORT MORALE.

(1). L’esclavage est par lui-même une chaîne.

Ainsi cet enfant chrétien (1), devant lequel venaient de s’ouvrir les portes du Ciel… est jeté aussitôt dans un Abîme que nous appelons esclavage, et que la fureur des passions humaines osa creuser sur la terre.

(1). D’après les principes immuables d’équité de la religion, la liberté est un droit imprescriptible du Chrétien. L’histoire nous dit que «le Colon protestant, convaincu de cette vérité, afin d’arranger sa cupidité et sa conscience, ne baptisait ses Nègres qu’à l’article de la mort; souvent même, dans la crainte qu’ils ne revinssent de leur maladie, et qu’ils ne réclamassent ensuite, comme Chretiens, leurliberté, il les laissait mourir dans l’idolâtrie (1).» C’est bien ici le cas d’emprunter au grand poëte d’Auguste ces paroles si pleines d’énergie et de vérité:

… Quid non mortalia pectora cogis,

AURI SACRA FAMES (2)!

«Que n’ose-t-elle pas dans le Coeur des mortels,

DE L’OR LA SOIF AFFREUSE!…

(1). Hist des Antilles. T. II. Pag. 503

(2).. Énéïde. Liv. III

Aujourd’hui plus que jamais le Gouvernement; anglais lui-même reconnaît la nécessité de propager l’instruction religieuse dans ses colonies et d’y multiplier les églises comme le seul moyen efficace pour contenir et civiliser ces. milliers de Nègres qu’elle a déjà émancipés en 1840. Le Gouvernement français, plus sage et plus prudent en cela que l’Angleterre, a fait mieux qu’elle. Il veut d’abord affermir et propager par tous les moyens convenables l’instruction religieuse et morale des esclaves; il veut préparer l’Émancipation et en assurer d’avance les bons résultats avant de l’accomplir.

C’est dans ce but que parut l’Ordonnance royale du 5 janvier 1840; que des sommes furent votées par les Chambres, et destinées à augmenter le personnel du clergé colonial et à ériger des chapelles, afin de propager l’instruction religieuse et en recueillir tous les fruits, que réclament les besoins actuels. Il était digne des Législateurs d’un grand peuple, de la Nation très chrétienne de remplir ainsi, la mission la plus noble et la plus sublime, en procurant d’une manière si généreuse et paternelle à ses peuples esclaves d’outre-mer, qu’elle veut affranchir, ces grands moyens de civilisation et de prospérité à venir pour toutes les classes de la société coloniale. Mais malheureusement toutes ces grandes et bonnes choses, établies et prescrites par la Métropole, sont restées jusqu’ici presque totalement sans exécution, et sans produire les effets satisfaisants que l’on a droit d’en attendre, sous le double rapport religieux et social.

D’après nos observations et nos calculs, nous avions pensé qu’il fallait nécessairement, dans la situation actuelle, augmenter de moitié le clergé, et qu’il fallait surtout un clergé formé ad hoc, pour pouvoir donner toute l’extension nécessaire à la propagation de l’instruction religieuse dans tous les quartiers de l’île, et en recueillir tous les fruits qu’on a besoin et le droit d’en attendre dans les circonstances actuelles.

Cependant il faut l’avouer: malgré tous ces motifs, malgré le zèle et les soins généreux du Gouvernement, malgré les voeux et les louables efforts des colonies elles-mêmes, et toutes nos sollicitudes sur cet objet, ce grand défaut de recrutement persiste, cet état de pénurie dans le clergé colonial a continué, comme il continue à rester toujours le même, toujours stationnaire, dans une espèce de paralysie, et tenant toutes choses dans un état apathique et dans un pénible et complet découragement. Aussi voit-on le mouvement de propagation de l’instruction religieuse dans la Colonie, NUL, OU PRESQUE NUL, en comparaison de ce qu’il devrait être dans la situation actuelle.

Nous croyons pouvoir également assurer, d’après les données positives que nous tenons de personnes de distinction et connaissant fort bien la situation religieuse de ces pays, qu’il en est de même dans nos autres colonies de la Guadeloupe, de Bourbon et de Cayenne. Voici ce que nous lisons sur cet objet dans des notes officielles d’un missionnaire apostolique de nos colonies, dont nous apprécions beaucoup le mérite:

«Le Gouvernement de la Métropole, comme on le sait, n’a rien épargné pour affermir et propager dans toutes ses colonies l’instruction religieuse, seul moyen efficace pour moraliser les Nègres et les bien préparer au bienfait de l’Émancipation. Mais, osons le dire, l’instruction religieuse et morale des esclaves, si fortement recommandée par les ordonnances royales et les prescriptions ministérielles, si impérieusement prescrite, surtout par les divins préceptes de l’Évangile, EST NULLE à la Guadeloupe. La tâche est immense et de la plus hauteimportance; mais jusqu’à ce jour elle y est encore à faire (1)!

(1). Cette note est datée de la Guadeloupe, du 10 octobre 1841. Ce même fait nous a été également constaté pur d’autres données non moins positives.

Le mal, comme on le voit, est donc grand, et il est tout entier dans la nature du système de recrutement et d’organisation, qui a été adopté et suivi jusqu’à ce jour, pour les missions de nos colonies. Le remède ne peut, en conséquence, se trouver que dans un CHANGEMENT COMPLET DE CE MEME SYSTÈME, de la manière que nous allons le proposer, et qui seul nous semble pouvoir parfaitement convenir à cet effet, sous tous les rapports.

NOTES.

Pag. 242-245

NOTE F. – Page 52.

ÉPITRE DE SAINT-PAUL A PHILÉMON POUR L’ESCLAVE ONÉSIME.

L’apôtre saint Paul était animé de l’esprit de la divine Charité, lorsque, renvoyant de Rome l’esclave Onésime à son maître Philémon, il écrivait à ce dernier ces paroles si touchantes et si dignes de l’apôtre de Jésus-Christ:

4. Me souvenant sans cesse de vous dans mes prières, mon cher Philémon, je rends grâces à mon Dieu;

5, Apprenant quelle est votre foi envers le Seigneur Jésus, et votre charité envers tous les saints;

6. Et de quelle sorte la libéralité qui naît de votre foi éclate aux yeux de tout le monde, se faisant connaître par tant de bonnes oeuvres, qui se pratiquent dans votre maison pour l’amour de Jésus-Christ,

7. Car votre charité, mon cher frère, nous a comblés de joie et de consolation, voyant que les coeurs des saints qui étaient affligés, ont reçu tant de soulagement de votre bonté.

8. C’est pourquoi je m’adresse aujourd’hui à cette même bonté, et je vous prie d’en faire sentir les effets à une personne qui m’est très chère. Je dis que je vous en prie; car encore que je puisse prendre en qualité d’apôtre de Jésus-Christ, une entière liberté de vous ordonner une chose qui est de votre devoir;

9. Néanmoins l’amour que j’ai pour vous fait que j’aime mieux vous en supplier, quoique vous soyez tel que vous êtes et que je sois tel que je suis, c’est-à-dire, quoique vous soyez mon disciple, et que je sois Paul qui vous a instruit des vérités de la foi, qui est déjà vieux, et qui de plus est maintenant prisonnier pour l’amour de Jésus-Christ;

10. Or la prière que je vous fais est pour mon fils Onésime, que j’ai engendré dans mes liens, l’ayant converti à la foi depuis que je suis en prison;

11. Qui vous a été autrefois inutile, mais qui vous sera maintenant très-utile, aussi bien qu’à moi.

12. Je vous le renvoie, et je vous prie de le recevoir comme mes entrailles et mon cher fils.

13. J’avais pensé de le retenir auprès de moi, afin qu’il me rendît quelque service en votre place, dans les chaînes que je porte pour l’Évangile;

14. Mais je n’ai rien voulu faire sans votre consentement, désirant que le bien que je vous propose n’ait rien de forcé, mais soit entièrement volontaire. J’ai donc mieux aimé vous rendre cet esclave fugitif, que de le retenir sans vous en avoir parlé. Je vous prie de le bien recevoir, et de regarder sa fuite comme une chose qui vous est avantageuse.

15. Car peut-être qu’il n’a été séparé de vous pour un temps, qu‘afin que vous le recouvriez pour jamais.

16. Non plus comme un simple esclave, mais comme celui qui, d’esclave, est devenu l’un de nos frères bien-aimés, qui m’est en effet très-cher, à moi en particulier, et qui vous le doit être encore beaucoup plus, étant à vous, et, selon le monde, comme votre esclave par sa condition, et, selon le Seigneur, comme votre frère en sa foi en Jésus-Christ.

17. Si donc vous me considérez comme étroitement uni à vous, recevez-le comme moi-même; car il est aussi très-étroitement uni à moi.

18. S’il vous a fait tort, ou s’il vous est redevable de quelque chose, mettez cela sur mon compte.

19. C’est moi, Paul, qui vous l’écris de ma main: c’est moi qui vous le rendrai, pour ne vous pas dire que vous vous devez vous-même à moi, et que je pourrais vous demander la grâce d’Onésime, en compensation de celle du salut que je vous ai procuré. Je vous prie donc de lui pardonner.

20. «Oui, mon frère, que je reçoive de vous cette joie dans le Seigneur; donnez-moi au nom du Seigneur cette sensible consolation.

21. «Je vous écris ceci dans la confiance que votre soumission me donne, sachant que vous en ferez encore plus que je ne dis…»

Cette admirable épître de saint Paul produisit tout l’effet qu’il en désirait; car son disciple Philémon, non seulement pardonna de suite à son esclave Onésime sa fuite, mais il lui accorda même LA LIBERTÉ.

Sans doute la loi de Dieu, qui est une loi d’amour et d’éternelle justice, ne veut ni ne peut vouloir l’esclavage parmi les hommes; car il leur a donné à tous un esprit intelligent et immortel; il les a ainsi créés à son image et à sa ressemblance, et afin qu’ils soient tous heureux et libres.

Pourtant Dieu aime l’ordre essentiellement et ne veut pas qu’il soit troublé; il veut que l’ordre soit conservé dans la société humaine comme il le conserve dans la nature entière.

Dieu veut que le bien se fasse, mais paisiblement, sans violence et sans secousses. Il veut que l’homme soit ce qu’il doit être: éclairé, sage, libre et heureux; mais il veut aussi que toute amélioration qui se fait dans l’état social, comme dans l’homme isolément, soit un véritable bienfait pour tous les hommes, sous le double rapport spirituel et matériel.

Pag. 249-252

NOTE I. – Page 67.

CHRISTOPHE COLOMB.

Colomb, le plus fameux des navigateurs du monde, est né à Gênes en l’année 1442. Il fut élevé à Pise, où il s’appliqua spécialement aux études de la géographie et des mathématiques.

Convaincu de la sphéricité de la terre, Colomb conçut l’audacieux projet d’aller à la découverte d’un Nouveau-Monde, et en fait part à plusieurs Souverains, en demandant leur appui sur cet objet. Déjà, depuis six ans, il ne cessait de colporter ses plans de voyages dans les diverses cours de l’Europe d’une manière infructueuse. Enfin, une lettre favorable du roi de France vient ranimer le courage de Colomb. Il se préparait à partir d’Espagne pour Paris, lorsque le moine Juan Pérez, qui déjà six ans auparavant l’avait vivement et inutilement recommandé à la cour d’Espagne, voulut faire une seconde tentative. Le savant religieux Pérez appuie donc de nouveau auprès de la Reine Isabelle le projet de la gigantesque entreprise de Colomb, et voit enfin sa demande couronnée d’un plein succès. Des ordres sont donnés immédiatement par la cour pour préparer sans délai l’expédition. Chose étonnante et trop digne de remarque! C’est donc à la religion qu’est due, quoique d’une manière indirecte, la découverte du Nouveau-Monde, puisque celui qui en a fait décider l’entreprise et facilité tous les moyens nécessaires c’est un moine, un prêtre de la religion du Christ, et puisqu’aussi c’est un roi catholique qui l’a ordonnée. Cela devait être. Et nous voyons ainsi les colonnes d’Hercule du vieux monde tomber devant ce matelot intrépide qu’inspire le génie chrétien, et qui va s’ouvrir un passage à travers les déserts immenses d’un Océan inconnu; il y va tracer la route, et découvrir les terres nouvelles où doivent passer les apôtres de l’Evangile, afin d’apporter la lumière sur toute la face du globe, car l’ordre leur a été donné par le Sauveur du Monde: «Allez, enseignez tous les peuples de la terre

Revenons à notre sujet, afin de compléter cet intéressant article. L’expédition étant donc décidée, trois frêles barques montées par 90 hommes furent mises à la disposition de Colomb, qui fut investi de la dignité d’amiral avec le titre de vice-roi et de gouverneur général des pays qu’il découvrirait.

Un jour de vendredi, le 3 août 1492, Colomb partit avec sa petite flottille du port de Palos d’Andalousie. Après avoir relâché aux îles Canaries, et ayant ensuite triomphé, par son courage et l’ascendant de son génie, de sa petite armée de matelots mutinés contre lui, à cause des privations et de leur découragement dans une si longue et effroyable campagne, Colomb aperçut enfin la terre tant cherchée de son Nouveau-Monde! c’était aussi un jour de vendredi, le 12 octobre 1492, soixante et onze jours après avoir quitté L’Europe.

Qu’elle a dû être grande la joie qui vint alors inonder l’âme impatiente de cet intrépide et audacieux génie, au moment où il vit de loin un point noir apparaître à l’horizon… au moment surtout qu’il toucha de son pied les bords verdoyants du NOUVEAU-MONDE!… C’est dans l’île qu’il appela San Salvador que descendit Colomb, et il y planta le pavillon de l’Espagne, qui est également le drapeau du Christianisme. Les Sauvages qui habitaient cette île furent d’abord saisis d’une grande frayeur à la vue de ces audacieux étrangers qu’ils voyaient apparaître pour la première fois sur leurs rivages. Ils furent cependant bientôt rassurés, ils s’approchèrent des Espagnols avec vénération et se prosternèrent à terre devant eux pour les adorer comme des Divinités! et ils en avaient, en quelque sorte, raison; LE PREMIER CHRÉTIEN, apparaissant sur les rives du Nouveau-Monde, portait sur son front un rayon de la divinité, car il avait dans son âme les vérités divines et venait répandre la lumière dans ces pays inconnus que couvraient les ténèbres de l’ignorance et de la barbarie.

Colomb découvrit, à diverses époques, Cuba, Haïti, la Jamaïque, les petites Antilles, et enfin les rives du Continent américain. Il fut d’abord reçu en triomphe en Espagne à son retour de son premier voyage du Nouveau-Monde. Puis indignement calomnié et persécuté par des méchants, jaloux de tant de gloire, il fut jeté dans les fers. Il en fut pourtant bientôt délivré, l’intégrité de sa conduite politique ayant été bien reconnue par la cour d’Espagne. Ce grand homme, dont le nom est devenu immortel, termina sa glorieuse carrière, accablé sous le poids de l’injustice et de cruels chagrins, à Valladolid, en 1506. Mais déjà la postérité a justement vengé la gloire de Colomb, qui fera désormais l’admiration de tous les siècles.

Pag. 278-279

NOTE PP. – Page 98.

SAINT-DOMINGUE.

A l’instant même où nous traçons ces lignes, la malheureuse Haïti est en butte à des factions incessantes, aux déchirements politiques qui l’accablent, sous le poids de l’anarchie et d’une effroyable détresse. Les populations esclaves de Saint-Domingue avaient commis la faute immense de trop se hâter, et d’arriver à la liberté en passant par des fleuves de sang!… elles ont dû en subir les conséquences. C’est un enfant au berceau qui a voulu se nourrir imprudemment du pain des forts, c’est un aveugle qui a voulu marcher sur l’abîme sans guide et sans soutien, et il est tombé… tombé bien bas!… Et il n’a rien, rien autour de lui qui puisse percer l’abîme et le relever de sa chute!

Il n’y a pour Saint-Domingue qu’un moyen de salut: Afin! d’être réellement libre et heureuse, il faut que Haïti tende ses mains vers la France, son antique patrie; il faut que cette grande île de l’Atlantique, qui recèle dans son sein des richesses immenses et tant de germes féconds de prospérité, devienne une province de la France, et que celle-ci lui donne avec une sollicitude maternelle ses lois, sa protection, ses lumières et tous les bienfaits de la religion. Ainsi, et seulement ainsi la malheureuse Haïti pourra sortir du profond abîme de ses maux et être rappelée à la vie, à une sage et complète jouissance de la liberté et de la civilisation européenne.

Sauver un peuple qui te fit tant de mal… un peuple jadis rebelle, et maintenant si malheureux… ô France, quelle couronne pour ta gloire! Ce serait, presque à la lettre, la magnifique et touchante histoire de l’Enfant prodigue et du Père de famille, dont parle l’Évangile, où le divin Sauveur nous a si vivement tracé le tableau de son immense charité et de sa miséricorde envers les hommes.

NOTE S. – Page 34.

Pag. 295-298

Napoléon, à Sainte-Hélene, disait aussi: «Je ne suis ni un incrédule, ni un philosophe;» puis, levant ses yeux vers la voûte azurée du ciel étincelant de tant de milliers d’étoiles, et de ces globes lumineux qui parcourent l’immensité de l’espace, comme de célestes géants, dans leur course régulière et rapide, il interrogeait les incrédules: «Quel est celui qui a fait tout cela?»

Un jour le général Bertrand se permet de lui dire: «Qu’est- ce que Dieu? L’avez-vous vu?»

– «Je vais vous le dire, répond gravement Napoléon: Comment jugez-vous qu’un homme a du génie? Le génie est-il une chose visible? Qu’en savez-vous pour y croire? Sur le champ de bataille, au fort de la mêlée, quand vous aviez besoin d’une prompte manoeuvre, d’un trait de génie, pourquoi, vous le premier, me cherchiez-vous de la voix et du regard? Pourquoi s’écriait-on de toute part: où est l’empereur? Que signifiait ce cri, si ce n’est de l’instinct, de la croyance en moi, en mon génie? – Mes victoires vous ont fait croire en moi; eh bien! l’univers me fait croire en Dieu… Les effets merveilleux de la toute-puissance divine sont des réalités plus éloquentes que mes victoires. Qu’est-ce que la plus belle manoeuvre auprès du mouvement des astres… Pouvez-vous ne pas croire en Dieu! Tout proclame son existence; et les plus grands esprits l’ont cru!…»

Un jour il disait à madame de Montesquiou, gouvernante du roi de Rome: «Voilà Bernadotte roi, quelle gloire pour lui! – Oui, Sire; mais il y a un vilain revers de médaille; pour un trône il a abdiqué la foi de ses pères.» – «Oui, c’est très vilain, et moi qu’on croit si ambitieux, je n’aurais jamais quitté ma religion pour toutes les couronnes de la terre.»

En confiant son enfant à cette illustre dame dont il appréciait les rares vertus et la haute piété, il lui dit: «Madame, je vous confie mon enfant sur qui reposent les destinées de la France et peut-être de l’Europe entière; vous en ferez un bon chrétien.» Quelqu’un se permit de rire; aussitôt l’empereur courroucé se retourne vers lui et l’apostrophe ainsi: «Oui, Monsieur, je sais ce que je dis, il faut faire de mon fils UN BON CHRÉTIEN, car autrement il ne serait pas bon Francais.»

L’empereur disait dans son exil, où, d’après sa demande, on lui avait envoyé d’Europe deux aumôniers catholiques: «Je suis heureux de me trouver entouré ici de la religion. Je suis enfant de la Corse, qui est toute catholique, et où l’on se fait gloire de vénérer la religion. Le son des cloches m’émeut; la vue d’un ministre de l’Évangile me fait plaisir. Jamais je n’ai été aussi heureux que le jour de ma première communion dans l’église cathédrale d’Ajaccio.

«J’avais le projet de réunir toutes les sectes du christianisme. Nous en étions convenus avec Alexandre à Tilsitt; mais les revers sont venus trop tôt… Du moins j’ai rétabli la Religion. C’est un grand service que j’ai rendu au monde, et dont on ne peut calculer les heureux résultats. Que deviendrait le genre humain sans religion?

Entouré sur son lit de mort de tout le saint appareil et des consolations de la religion, Napoléon a fait une mort chrétienne, héroïque. L’empereur eut, dans ses derniers moments à soutenir un rude combat contre quelques personnes de ses entours qui se permirent de désapprouver ses sentiments et ses actes religieux. Seul, dans ces moments suprêmes, il lutta contre tous; son génie religieux s’y montra aussi grand que l’avait été son génie des batailles; il triomphe de ces critiques amères de ses amis à son lit de mort, comme jadis il triompha des ennemis de la France dans tous les combats qu’il leur livra à Marengo. à Austerlitz, à Iéna… et partout sur la face de l’Europe.

«Je meurs, dit l’Auguste Captif, au sein de la Religion de mes pères, qui vient de me donner toutes ses consolations et ses secours; je suis heureux! je suis en paix avec le genre humain.» Puis joignant les mains. il dit: «MON DIEU!… Ainsi expire le grand homme de notre siècle!

Fin glorieuse! si bien ressemblante à celle des Martyrs et des Confesseurs de la foi. Jamais prince ne fit une mort plus belle, plus héroïque, ni plus digne d’un empereur chrétien, d’un disciple de l’Évangile de Jésus-Christ.

Après avoir donné à tous les rois, dans sa vie, de grandes et sanglantes leçons pour rendre leurs peuples libres et heureux, l’empereur Napoléon semble leur adresser, dans cette mort héroïque et chrétienne, du haut de son rocher de Sainte-Hélène, ces paroles de l’Esprit divin:

 «Et nunc, reges, intelligite.»

 «Monarques, voyez: c’est ainsi qu’il faut mourir… JE SUIS CHRÉTIEN!».

TEL EST NAPOLÉON! Son âme courageuse

Brave de mille assauts la bataille orageuse

Que lui livrent les siens aux bords de son trépas!

Toujours grand et vainqueur dans ses combats-géants,

IL FUT PLUS GRAND ENCORE EN SES DERNIERS MOMENTS!

O Corse, o ma patrie! sois donc saintement fière et glorieuse d’avoir donné le jour à L’HOMME qui naguère a étonné le monde dans sa vie, et si hautement édifié à sa mort.

Nous avons tous admiré son génie et sa gloire. Soyons les imitateurs de ses sentiments chrétiens qui ont si bien couronné les derniers jours de sa gigantesque carrière.

L’âme de Napoléon avait encore grandi dans les fers. Du haut de son rocher il parte du Christ comme Bossuet. Il donne ainsi ses dernières leçons aux rois et aux peuples. Il salue et embrasse la mort avec la foi et le courage des Martyrs.

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