Discours sur la Constitution de l’Esclavage en Occident…

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L’un des premiers effets de la présence de l’étranger captif auprès de la famille, ce fut d’en resserrer et d’en ennoblir les liens. Non moins incontestable que la répugnance primitive de toutes les races humaines pour le travail, apparaît partout, à l’origine de l’histoire, le pouvoir absolu du père de famille sur la femme et sur les enfants. A dire vrai, dans l’ordre des temps, la première servitude fut la servitude domestique; le premier esclave fut la femme. (1) C’est un fait commun à toutes les races humaines, avant les temps de leur civilisation, que la coutume de faire des femmes les premiers instruments du travail (2). Partout, dans les temps anciens aussi bien que dans les modernes, on voit, parmi les peuples sauvages, la guerre donnée en partage aux hommes, le travail aux femmes, et avec lui les mauvais traitements et le mépris. Mais quand le captif eut pris au travail la place que la femme y occupait d’abord, celle-ci aussitôt, se relevant de son abaissement primitif, grandit dans la famille et dans la société. Elevée au rang des oisifs, elle eut au-dessous d’elle quelqu’un qui fut moins qu’elle, à qui elle put commander. Exemptée de ses antiques labeurs, elle eut le temps d’être belle, elle eut le temps d’être aimée; d’esclave elle devint épouse. Relevés par le commandement qu’ils lui conféraient, les soins du ménage, jadis réputés humiliants, signes et actes de servitude, devinrent, au contraire, ses titres d’honneur(3). Ce ne fut plus une oeuvre servile qu’elle eut à faire, ce fut un empire qu’elle eut à gouverner. Du rôle d’instrument, elle s’éleva au rôle de chef des travaux. Pour parler comme un philosophe moderne, (4) de sujet qu’elle était elle devint ministre.

(1) M. Granier de Cassagnac a particulièrement développé cette idée dans le second numéro de la Revue de Paris, d’août 1836.-

(2) Quand il n’y avait ni Daves ni Saces, disait le poète Phérécrate, tous les travaux étaient faits pas les femmes. Athénée, VI. Comme témoignages de l’asservissement primitif des femmes au travail, voir, pour les Galois, Arist., Pol, II. IX Strabon IV. 4; pour les germains, Tacite, Germ; pour les Ibériens, Justin XLVI.-

(3) Selon les traditions romaines, la première condition que les femmes Sabines firent à leurs ravisseurs pour prix de leur soumission, fut d’être exemptées de moudre le blé et de préparer les aliments, travaux réputés serviles. Dion. Hal. Ant. Rem, II.

(4) M. de Bonald, de qui la Législation primitive, toute éloignée qu’elle est des idées que j’ai d’aujourd’hui, n’en demeure pas moins à mes yeux l’une des productions les plus remarquables de notre siècle.

Avec la femme, l’enfant fut relevé aussi de l’abaissement primitif où le besoin, plus fort encore que le travail, et qui d’un enfant faisait toujours une charge, l’avait d’abord placé. L’inégalité même de l’association établie par l’esclavage entre les vainqueurs et les vaincus, fut, à l’origine, un élément actif de progrès. Elle plia, chez les uns, à l’obéissance et au travail, des natures à la fois paresseuses et rebelles; elle exalta, chez les autres, le sentiment de leur dignité; elle resserra entre les maîtres les liens de la famille et les liens sociaux; en leur faisant une nécessité de demeurer unis pour la conservation de leurs privilèges, en face d’un ennemi dompté mais toujours prêt à briser son joug, elle leur enseigna la valeur, la discipline, la vigilance, l’art de gouverner. Considéré à son origine, autant comme première association entre des hommes de races diverses, que comme première organisation régulière et permanente du travail, l’esclavage fut donc à la fois avantageux au vaincu qu’il sauva de l’extermination, avantageux aussi au vainqueur qu’il releva, qu’il enrichit; à l’humanité enfin, à qui le conserva des forces précieuses dont il doubla encore la puissance en les associant.

[…] Donc l’esclavage, comme les institutions humaines, n’est ni bon ni mauvais par sa nature. Il est devenu contraire au droit naturel, depuis que les hommes savent s’associer à d’autres titres que celui de frère par le sang. Il est devenu nuisible au travail, depuis que le travail libre a, par le développement du crédit et du salaire, reçu une organisation plus forte et plus complète. Il est devenu funeste aux moeurs, depuis que la loi morale s’est montrée à l’homme aussi pure et l’égalité des sexes aussi prochaine, qu’elles commençaient à l’être, à la fin de l’ère païenne, dans les états les plus civilisées de monde antique. Mais quand il s’est établi, quand il est venu mettre un terme aux guerres d’extermination, associer des hommes qui jusque-là n’avaient su que s’égorger, et donner au travail sa première organisation, il a été bon, c’est-à-dire meilleur que ce qui l’avait précède. Ensuite il a du finir, et vers la fin de l’ère païenne, les signes de sa fin se faisaient voir déjà; mais ceux qui les voyaient ne les comprenaient pas, parce que bien des siècles devaient encore passer avant qu’il cessât d’être, de même que bien des siècles avaient passé avant qu’il fut arrivé a sa plus grande puissance.

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