Encyclique « In Supremo»

CCLVII.

LITTERAE APOSTOLICAE

   Commemoratis quae religione christiana et a decessoribus ordinata sunt ad servitutem imminuendam in Indiis atque Nigritiis, eorum commercium reprobat; prohibit etiam ne quis commercium illud uti licitum tueatur (1).

(1). Ex Jure Pontificio de P. F.

GREGORIUS, PP. XVI

Ad futuram rei memoriam

    In supremo apostolitatus fastigio constituit et nullis licet su fragantibus meritis gerentes vicem Jesu Christi Dei Filii, qui propter nimiam charitatem suam homo factus, mori etiam pro mundi redemtpione dignatus est, ad Nostram pastoralem sollicitudinem pertinere animadvertimus, ut fideles ab inhumano Nigritarum seu aliorum quorumque hominum mercatu avertere penitus studeamus. […]

Elevé au suprême degré de la dignité apostolique, et remplissant, quoique sans aucun mérite de notre part, la place de Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui, par l’excès de sa charité a daigné se faire homme et mourir pour la rédemption du monde, Nous estimons qu’il appartient à Notre sollicitude pastorale de faire tous nos efforts pour éloigner les chrétiens du commerce qui se pratique des Noirs et d’autres hommes quels qu’ils puissent être.

Aussitôt que la lumière évangélique commença pour la première fois à se répandre, les malheureux qui étaient alors réduits en si grand nombre dans une très dure servitude, au milieu des guerres si nombreuses de cette époque, sentirent leur condition s’adoucir beaucoup chez les chrétiens; car les apôtres, inspirés par l’Esprit Saint, enseignaient à la vérité aux esclaves à obéir à leurs maîtres temporels comme à Jésus-Christ, et à faire de bon coeur la volonté de Dieu; mais ils ordonnaient aux maîtres d’en bien agir avec leurs esclaves, de leur accorder tout ce qui était juste et équitable, et de s’abstenir de menaces à leur égard, sachant que les uns et les autres ont un maître dans les cieux; et qu’il n’y a pas auprès de lui acception des personnes (*)

(*). Ad. Ephes. VI, 5 seqq., ad Coloss. III, 22 seqq., IV, I.

Comme la loi de l’Évangile recommandait partout avec grand soin une charité sincère pour tous, et comme notre Seigneur Jésus-Christ avait déclaré qu’il regarderait comme fait ou refusé à lui-même les oeuvres de bonté et de miséricorde qui auraient été faites ou refusées aux petits et aux pauvres (*), il en résulta naturellement, non seulement que les chrétiens traitaient comme des frères leurs esclaves, ceux surtout qui étaient chrétiens (**), mais qu’ils étaient plus disposés à accorder la liberté à ceux qui le méritaient; ce qui avait coutume de se faire principalement à l’occasion des solennités pascales, comme l’indique Grégoire de Nysse (***). Ily en eut même qui, mus par une charité plus ardente, se mirent en esclavage pour racheter les autres, et un homme apostolique, notre prédécesseur, Clément 1er (****), de sainte mémoire, atteste qu’il en a connu plusieurs.

(*). Matth. XXV, 35 seqq.

(**). Lactantius Divin. Institution. Lib. V, c. 16, tom. VI, Bibl. Veterum patrum Venetiis a Galliando edit. pag. 318.

(***). Resurrect. Domini orat. III, tom. III, pag. 420 operum edit. Parisiensis anni 1638.

(****). Ad. Corinth. Ep. I, cap. 55, tom. I, bibl. Gallandii pag. 35.

Dans la suite des temps, les ténèbres des superstitions païennes s’étant plus pleinement dissipées, et les moeurs des peuples grossiers s’étant adoucies par le bienfait de la foi qui opère par la charité, il arriva enfin que, depuis plusieurs siècles, il ne se trouvait plus d’esclaves dans la plupart des nations chrétiennes. Mais, nous le disons avec douleur, il y en eut depuis, parmi les fidèles même, qui, honteusement aveuglés par l’appât d ‘un gain sordide, ne craignirent point de réduire en servitude, dans des contrées lointaines, les Indiens, les nègres ou autres malheureux, ou bien de favoriser cet indigne attentat en établissant et en étendant le commerce de ceux qui avaient été faits captifs par d’autres. Plusieurs pontifes romains, nos prédécesseurs, de glorieuse mémoire, n’omirent point de blâmer fortement, suivant leur devoir, une conduite si dangereuse pour le salut spirituel de ces hommes et si injurieuse au nom chrétien, conduite de laquelle ils voyaient naître ce résultat, que les nations infidèles étaient de plus en plus confirmées dans la haine de notre religion véritable.

C’est pour cela que Paul III adressa, le 29 mai 1537, au cardinal archevêque de Tolède, des lettres apostoliques sous l’anneau du Pêcheur, et qu’Urbain VIII en adressa ensuite de plus étendues, le 22 avril 1639, au collecteur des droits de la chambre apostolique en Portugal. Dans ces lettres, ceux-là surtout sont gravement réprimandés, qui «présumeraient et oseraient réduire en servitude» les Indiens d’occident ou du midi, les vendre, les acheter, les échanger, les donner, les séparer de leurs épouses et de leurs enfants, les dépouiller de ce qu’ils avaient et de leurs biens, les transporter en d’autres lieux, les priver de leur liberté en quelque manière que ce soit, les retenir en esclavage; comme aussi conseiller, sous un prétexte quelconque, de secourir, de favoriser et d’assister ceux qui font ces choses, ou dire et enseigner que cela est permis, ou coopérer en quelque manière à ce qui est marqué ci-dessus. Benoît XIV confirma et renouvela depuis les prescriptions de ces pontifes par de nouvelles lettres apostoliques, adressées le 20 décembre 1741, aux évêques du Brésil et d’autres pays, et par lesquelles il excitait la sollicitude de ces prélats dans le même but. Avec eux, un autre de nos prédécesseurs, Pie II, dans un temps ou la domination portugaise s’étendait dans la Guinée, pays des Nègres, adressa, le 7 octobre 1462, un bref à l’évêque de R., qui allait partir pour ce pays, bref dans lequel non seulement il donnait à cet évêque les pouvoirs nécessaires pour exercer son ministère avec plus de fruit, mais, par la même occasion, s’élevait avec force contre les chrétiens qui entraînaient les néophytes en servitude. Et, de nos jours même, Pie VII, conduit par le même esprit de religion et de charité que ses prédécesseurs, prit soin d’interposer ses bons offices auprès de puissants personnages pour que la traite des Nègres cessât enfin tout à fait parmi les chrétiens. Ces prescriptions et ces soins de nos prédécesseurs n’ont pas été peu utiles, avec l’aide de Dieu, pour défendre les Indiens et les autres ci-dessus désignés contre la cruauté des conquérants ou contre la cupidité des marchands chrétiens; non cependant que le Saint-Siège ait pu se réjouir pleinement du résultat de ses efforts dans ce but, puisque la traite les Noirs, quoique diminuée en quelque partie, est cependant encore exercée par plusieurs chrétiens.

Aussi, voulant éloigner un si grand opprobre de tous les pays chrétiens, après avoir mûrement examiné la chose avec quelques-uns de nos vénérables frères les cardinaux le la sainte Église romaine appelés en conseil, marchant sur les traces de nos prédécesseurs, nous avertissons par l’autorité apostolique et nous conjurons instamment dans le Seigneur tous les fidèles, de quelque condition que ce soit, qu’aucun d’eux n’ose à 1 ‘avenir tourmenter injustement les Indiens, les Nègres ou autres semblables, ou les dépouiller de leurs biens, ou les réduire en servitude, ou assister ou favoriser ceux qui se permettent ces violences à leur égard; ou exercer ce commerce inhumain par lequel les Nègres, comme si ce n’étaient pas des hommes, mais de simples animaux, réduits en servitude de quelque manière que ce soit, sont, sans aucune distinction et contre les droits de la justice et de l’humanité, achetés, vendus et voués quelquefois aux travaux les plus durs, et de plus, par l’appât du gain offert par ce même commerce aux premiers qui enlèvent les Nègres, des querelles et des guerres perpétuelles sont excitées dans leur pays.

Par notre autorité apostolique, nous réprouvons tout cela comme indigne du nom chrétien, et par la même autorité, nous défendons sévèrement qu’aucun ecclésiastique ou laïque ose soutenir ce commerce des Nègres, sous quelque prétexte ou couleur que ce soit, ou prêcher, ou enseigner en public et en particulier contre les avis que nous donnons dans ces lettres apostoliques.

Et afin que ces lettres parviennent plus facilement à la connaissance de tous et que personne ne puisse alléguer qu’il les ignore, nous ordonnons qu’elles soient publiées, suivant l’usage, par de nos courriers, aux portes de la basilique du prince des apôtres, de la chancellerie apostolique, et de la cour générale sur le mont Citorío, et à la tête du Champ-de-Flore, et que les exemplaires y restent affichés.

Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, sous l’anneau du Pêcheur, le 3 décembre 1839, neuvième année de notre pontificat.

Louis Lambruschini, cardinal. »

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