Extrait d’observations Faites sur le Cadavre d’une femme connue à Paris

EXTRAIT D’OBSERVATIONS

Faites sur le Cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres

sous le nom de VÉNUS HOTTENTOTTE.

PAR M. G. CUVIER.

IL n’est rien de plus célèbre en histoire naturelle que le tablier des Hottentottes, et en même temps il n’est rien qui ait été l’objet de plus nombreuses contestations. Long-temps les uns en ont entièrement nié l’existence; d’autres ont prétendu que c’étoit une production de l’art et du caprice; et parmi ceux qui l’ont regardé comme une conformation naturelle, il y a eu autant d’opinions que d’auteurs, sur la partie des organes de la femme dont il faisoit le développement.

Feu Péron, qu’une mort prématurée a sitôt enlevé à la Zoologie dont il paroissoit destiné à reculer les limites plus qu’aucun autre voyageur, avoit lu quelque temps avant sa mort un mémoire qui n’a pas été imprimé, mais que l’Académie peut se rappeler, et dont M. Freycinet a donné un extrait dans le second tome de la Relation du voyage aux Terres Australes. Le sujet y est présenté sous un jour entièrement nouveau. Selon l’auteur le tablier n’existe pas dans les Hottentottes proprement dites. C’est un caractère particulier à la nation des Boschimans, peuple plus reculé que les Hottentots dans l’intérieur des terres; ils disparoît même par le croisement avec les vrais Hottentots: au contraire les femmes Boschimans l’ont toutes et dès l’enfance; seulement il s’alonge plus ou moins avec l’âge. Ces mêmes femmes se font encore toutes remarquer par des fesses excessivement proéminentes. Ce singulier voile, enfin, n’est le développement d’aucune des autres parties; mais c’est un organe spécial surajouté par la nature, etc.

Telles sont les propositions que Péron cherche à établir, et qu’il paroît avoir puisées principalement dans les récits du général Jansens dont nous parlerons bientôt.

Cette distinction des Boschimannes et des vraies Hottentottes expliqueroit fort bien les contradictions des voyageurs, dont les uns auroient attribué mal à propos aux Hottentottes une conformation observée seulement sur quelques étrangères qui se trouvoient par accident au Cap, tandis que les autres ne voyant rien de semblable dans les femmes du pays, regardaient comme absolument fabuleuse une chose qui n’est réelle que dans des circonstances déterminées.

Il faut avouer cependant que l’existence d’une nation particulière des Boschimans, est un fait qui n’a pas toujours été admis dans l’opinion commune.

La plupart des voyageurs n’en parlent que comme de quelques troupes de fugitifs, célèbres par la haine que leur portent les Hottentots domiciliés, et les colons hollandais du Cap.

Les récits de Le Vaillant, sur une peuplade qu’il nomme Houzouanas, et qui auroit les caractéristiques physiques attribués aux Boschimans, ont même été révoqués en doute tout récemment, et Barrow a prétendu qu’une telle nation étoit entièrement chimérique.

Mais ces incertitudes doivent céder à des faits positifs.

D’après les observations faites par le général hollandais Jansens, dans une tournée entreprise pendant qu’il étoit gouverneur du Cap, et rapportées en détail dans le voyage de M. Lichtenstein, il paroit bien constant que les êtres presque entièrement sauvages qui infestent certaines parties de la colonie du Cap, et que les Hollandais ont appelés Bosjesmans, ou hommes de buissons, parce qu’ils ont coutume de se faire des espèces de nids dans des touffes de broussailles, proviennent d’une race de l’intérieur de l’Afrique, également distincte des Caffres et des Hottentots, qui n’avoit pas dépassé d’abord la rivière d’Orange, mais qui se sont répandus plus au Sud, attirés par l’appât du butin qu’ils pouvoient faire parmi les troupeaux des colons.

Ainsi épars dans les cantons les plus arides, sans cesse poursuivis par les colons qui les traquent quelquefois comme des bêtes fauves et les mettent à mort sans pitié, ils mènent la vie la plus misérable.

Ceux mêmes qui restés dans les limites de la colonie, sont exposés à moins de dangers, ne forment point de corps de peuple, ne connoissent ni gouvernement ni propriétés, ne se rassemblent qu’en familles, et seulement quand l’amour les y excite. Ne pouvant dans un pareil état se livrer à l’agriculture, ni même à la vie pastorale, ils ne subsistent que de chasse et de brigandage; n’habitent que des cavernes; ne se couvrent que des peaux des bêtes qu’ils ont tuées. Leur unique industrie se réduit à empoisonner leurs flèches, et à fabriquer quelques réseaux pour prendre du poisson.

Aussi leur misère est-elle excessive; ils périssent souvent de faim, et portent toujours dans leur petite taille, dans leurs membres grèles, dans leur horrible maigreur les marques des privations auxquelles leur barbarie et les déserts qu’ils habitent les condamnent.

Le général Jansens avoit contracté quelques liaisons avec ceux qui demeurent au nord de la colonie, et dans l’année 1804, qui fut remarquable par son aridité, un de ceux qu’il avoit connus lui envoya son fils âgé de 10 ans environ, en le priant seulement de le nourrir.

Nous avons vu cet enfant à Paris en 1807. Il étoit d’une très-petite taille pour son âge, et autant que nous pouvons nous le rappeler, il ressembloit à beaucoup d’égards à la femme qui fait le sujet de nos observations actuelles. Il paroît que celle-ci avoit été amenée au Cap par quelque hasard semblable, et à peu près au même âge que ce petit garçon.

Lorsque nous l’avons vue pour la première fois, elle se croyoit âgé d’environ 26 ans, et disoit avoir été mariée à un nègre dont elle avoit eu deux enfans.

Un Anglais lui avoit fait espérer une grande fortune si elle venoit s’offrir à la curiosité des Européens; mais il avoit fini par l’abandonner à un montreur d’animaux de Paris, chez lequel elle est morte d’une maladie inflammatoire et éruptive.

Tout le monde a pu la voir pendant dix-huit mois de séjour dans notre capitale, et vérifier l’énorme protubérance de ses fesses, et l’apparence brutale de sa figure.

Ses mouvemens avoient quelque chose de brusque et de capricieux qui rappeloit ceux du singe. Elle avoit surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout-à-fait pareille à ce que nous avons observé dans l’orang-outang. Son caractère étoit gai, sa mémoire bonne, et elle reconnoissoit après plusieurs semaines une personne qu’elle n’avoit vue qu’une fois. Elle parloit tolérablement le hollandais qu’elle avoit appris au Cap, savoit aussi un peu d’anglais, et commençais à dire quelques mots de français. Elle dansoit à la manière de son pays, et jouoit avec assez d’oreille de ce petit instrument qu’on appelle guimbarde. Les colliers, les ceintures de verroteries et autres atours sauvages lui plaisoient beaucoup; mais ce qui flattoit son goût plus que tout le reste, c’étoit l’eau-de-vie. On peut même attribuer sa mort à un excès de boisson auquel elle se livra pendant sa dernière maladie.

Sa hauteur étoit de 4 pieds 6 pouces 7 lignes, ce qui, d’après ce qu’on rapporte de ses compatriotes, devoit faire dans son pays une assez haute stature; mais elle la devait peut-être à l’abondance de nourriture dont elle avoit joui au Cap.

Sa conformation frappoit d’abord par l’énorme largeur de ses hanches, qui passoit dix-huit pouces, et par la saillie de ses fesses qui étoit de plus d’un demi-pied. Du reste elle n’avoit rien de difforme dans les proportions du corps et des membres. Ses épaules, son dos, le haut de sa poitrine avoient de la grâce. La saillie de son ventre n’étoit point excessive. Ses bras un peu grêles, étoient très-bien faits, et sa main charmante. Son pied étoit aussi fort joli, mais son genou paroissoit gros et cagneux, ce qu’on a ensuite reconnu être dû à une forte masse de graisse située sous la peau du côté interne.

Il paroît que ces proportions de membres sont générales dans sa nation, car M. Le Vaillant les attribue à Houzouanas qui ne doivent être autre chose que des Boschimans, vivant en tribus plus nombreuses, parce qu’ils habitent des cantons où ils jouissent de plus de tranquillité.

Ce que notre Boschimanne avoit de plus rebutant, c’étoit la physionomie; son visage tenoit en partie du nègre par la saillie des mâchoires, l’obliquité des dents incisives, la grosseur des lèvres, la briéveté et le reculement du menton; en partie du mongole par l’énorme grosseur des pommettes,. L’aplatissement de la base du nez et de la partie du front et des arcades sourcilières qui l’avoisinent, les fentes étroites des yeux.

Ses cheveux étoient noirs et laineux comme ceux des nègres; la fente de ses yeux horizontale et non oblique, comme dans les mongoles; ses arcades sourcilières rectilignes, fort écartées l’une de l’autre et fort aplaties vers le nez, très-saillantes au contraire vers la tempe et au-dessus de la pommette. Ses yeux étoient noirs et assez vifs; ses lèvres un peu noirâtres, monstrueusement renflées; son teint fort basané.

Son oreille avoit du rapport avec celle de plusieurs singes, par sa petitesse, la foiblesse de son tragus, et parce que son bord externe étoit presque effacé à la partie postérieure.

Au printemps de 1815, ayant été conduite au Jardin du Roi, elle eut la complaisance de se dépouiller, et de se laisser peindre d’après le un.

On put vérifier alors que la protubérance de ses fesses n’étoit nullement musculeuse, mais que ce devoit être une masse de consistance élastique et tremblante, placée immédiatement sous la peau. Elle vibroit en quelque sorte à tous les mouvemens que faisoit cette femme, et on s’aperçut qu’il s’y formoit aisément des excoriations dont il étoit resté de nombreuses cicatrices.

Les seins qu’elle avoit coutume de relever et de serre par le moyen de son vêtement, abandonnés à eux-mêmes, montrèrent leurs grosses masses pendantes, terminées obliquement par une aréole noirâtre, large de plus de quatre pouces, creusée de rides rayonnantes, et vers le milieu de laquelle étoit un mamelon aplati et oblitéré, au point d’être presque invisible. La couleur générale de sa peau étoit d’un brun-jaunâtre, presque aussi foncée que celle de son visage. Elle n’avoit d’autres poils que quelques floccons très-courts, d’une laine semblable à celle de sa tête, clair-semés sur son pubis.

Mais à cette première inspection l’on se s’aperçut point de la particularité la plus remarquable de son organisation; elle tint son tablier soigneusement caché, soit entre ses cuisses, soit plus profondément, et ce n’est qu’après sa mort qu’on a su qu’elle le possédoit.

Elle mourut le 29 décembre 1815; et M. le Préfet de police, ayant permis que son corps fut apporté au jardin du Roi, l’on procéda à un examen plus détaillé.

Les premières recherches durent avoir pour objet cet appendice extraordinaire dont la nature a fait, disoit-on, un attribut spécial de sa race.

On le retrouva aussitôt, et tout en reconnoissant que c’étoit exactement ce que Péron avoit dessiné, il ne fut pas possible d’adopter le théorie de cet infatigable naturaliste.

En effet, le tablier n’est point comme il l’a prétendu un organe particulier. Plusieurs de ses prédécesseurs avoient mieux vu; c’est un développement des nymphes.

J’ai l’honneur de présenter à l’Académie les organes génitaux de cette femme préparés, de manière à ne laisser aucun doute sur la nature de son tablier.

Les grandes lèvres peu prononcées interceptoient un ovale de 4 pouces de longueur. De l’angle supérieur descendoit entre elles une proéminence demi-cylindrique d’environ 18 lignes de longueur sur 6 lignes d’épaisseur, dont l’extrémité inférieure s’élargit, se bifurque, et se prolonge comme en deux pétales charnus ridés, de deux pouces et demi de longueur sur environ un pouce de largeur. Chacun d’eux est arrondi par le bout; leur base s’élargit, et descend le long du bord interne de la grande lèvre de son côté, et se change en une crète charnue qui se termine à l’angle inférieur de la lèvre.

Si on relève ces deux appendices, ils forment ensemble une figure de coeur dont les lobes seroient étroits et longs, et dont le milieu seroit occupé par l’ouverture de la vulve.

En y regardant de plus près, on s’aperçoit que chacun de ces deux lobes a à sa face antérieure, tout près de son bord interne un sillon plus marqué que ses autres rides, qui monte en devenant plus profond jusqu’au dessus de leur bifurcation. Là les deux sillons se réunissent, en sorte qu’il y a à l’endroit de la bifurcation un double rebord, entourant une fossette en forme de chevron. Au milieu de cette fossette est une proéminence grêle, qui se termine par une petite pointe à l’endroit où les deux rebords internes se réunissent.

Il doit être manifeste pour quiconque lira cette description, et mieux encore pour quiconque voudra comparer ces parties avec leurs analogues dans les femmes européennes, que les deux lobes charnus qui forment le tablier se composent dans le haut, du prépuce et de la sommité des nymphes, et que tout le reste de leur longueur ne consiste qu’en un développement des nymphes seules.

L’intérieur de la vulve ni la matrice n’avoient rien de particulier. On sait que le développement des nymphes varie beaucoup en Europe; qu’il devient en général plus considérable dans les pays chauds; que des négresses, des abyssines en sont incommodées au point d’être obligées de se détruire ces parties par le fer et par le feu. On fait même d’avance cette opération à toutes les jeunes filles d’Abyssinie, au même âge où l’on circoncit les garçons.

Les Jésuites portugais qui dans le 16e. Siècle convertirent au catholicisme le roi d’Abyssinie et une partie de son peuple, se crurent obligés de proscrire cette pratique qu’ils croyoient tenir à l’ancien judaïsme de cette nation; mais il arriva que les filles catholiques ne trouvèrent plus de maris, parce que les hommes ne pouvoient se faire à une difformité dégoûtante. Le collège de la Propagande envoya un chirurgien sur les lieux pour vérifier le fait, et sur son rapport, le rétablissement de l’ancienne coutume fut autorisée par le Pape.

Il n’y auroit donc de particulier dans les Boschimans que la constance de ce développement et son excès. M. Blumenbach assure avoir des desseins de ces organes qui lui ont été communiqués par M. Banks, et où il s’en trouve de huit pouces et plus de longueur. Il paroît aussi qu’il y a des variétés pour la forme.

Autant que je puis me rappeler les desseins que j’ai vus dans les portefeuilles de Péron, cet appendice y paroissoit beaucoup moins profondément bifurqué, et tenoit à la vulve par un pédicule étroit, au lieu d’une large base comme celui que j’ai observé. Il étoit aussi un peu plus considérable pour le volume.

Quant à l’idée que ces excroissances sont un produit de l’art, elle paroît bien réfutée aujourd’hui, s’il est vrai que toutes les Boschimannes les possèdent dès la jeunesse. Celle que nous avons vue, n’avoit probablement pas pris plaisir à se procurer un ornement dont elle avoit honte et qu’elle cachoit si soigneusement.

Le voile des Boschimannes n’est pas une de ces particularités d’organisation qui pourroient établir un rapport entre les femmes et les singes; car ceux-ci, loin d’avoir des nymphes prolongées, les ont en général à peine apparentes.

Il n’en est pas de même de ces énormes masses de graisse que les Boschimannes portent sur les fesses, et qui selon les nouveaux voyageurs, nommément Le Vaillant, M. Péron, M. Jansens etc., seroient naturelles et communes à toute la nation.

Elles offrent une ressemblance frappante avec celles qui surviennent aux femelles des mandrils, des papions, etc., et qui prennent à certaines époques de leur vie un accroissement vraiment monstrueux. Dans les Boschimannes ces protubérances ne consistent absolument que dans une masse de graisse traversée en tous sens par des fibres cellulaires très-fortes, et qui le laisse aisément enlever dessus les muscles grands fessiers. Ceux-ci reprennent alors leur forme ordinaire.

Le Vaillant dit que les Boschimannes ont dès leur premier âge cette conformation assez bizarre; mais la femme dont nous parlons nous a assurés qu’elles ne les prennent qu’à leur première grossesse.

C’est un point que je n’ai pu suffisamment éclaircir dans les voyageurs.

J’étois curieux de savoir si les os du bassin avoient éprouvé quelque modification de cette surcharge extraordinaire qu’ils ont à porter. J’ai donc comparé le bassin de ma boschimanne avec ceux de négresses et de différentes femmes blanches; je l’ai trouvé plus semblable aux premières, c’est-à-dire proportionnellement plus petit, moins évasé, la crête antérieure de l’os des isles plus grosse et plus recourbée en dehors, la tubérosité de l’ischion plus grosse. Tous ces caractères rapprochent, mais d’une quantité presque insensible, les négresses et les Boschimannes des femelles des singes.

Les femurs de cette Boschimannes avoient une singularité notable. Leur corps étoit plus large, et plus aplati d’avant en arrière, et leur crête postérieure moins saillante que dans aucun de mes squelettes. Leur col étoit plus court, plus gros et moins oblique;ce sont tous là des caractères d’animalité.

Les humérus, au contraire, étaient singulièrement grêles et délicats, et ils m’ont offert une particularité assez rare dans l’espèce humaine; c’est que la lame qui sépare la fossette cubitale antérieure et la postérieure n’étoit pas ossifiée, et qu’il existe un trou à cet endroit, comme dans l’humérus de plusieurs singes, nommément du pongo de Wurmb, de tout le genre des chiens et de quelques autres carnassiers. La tête inférieure est plus large par plus de saillie du condyle interne; la crète au-dessus du condyle externe est plus saillante et plus aigüe; enfin les poulies articulaires sont moins distinctes que dans les autre squelettes humains.

Ce qui m’a le plus étonné, c’est que j’ai retrouvé les plus marqués de ces caractères, non pas dans la négresse, mais dans un squelette de femme Gouanche, c’est-à-dire de ce peuple qui habitoit les Canaries avant que les Espagnols s’en fussent emparés, et qui sous tous les autres rapports appartient à la race caucasique.

J’ai trouvé aussi que la Gouanche et la Boschimanne avoient l’une et l’autre l’angle inférieur et postérieur de l’omoplate plus aigu et le bord spinal de cet os plus prolongé que la négresse et l’européenne.

Toutefois je suis bien loin de prétendre faire de ces particularités des caractères de race. Il faudroit auparavant avoir examiné un assez grand nombre de squelettes pour s’assurer qu’il n’y a en cela rien d’individuel.

La tête donne des moyens plus sûrs de distinction, parce qu’on l’a mieux étudiée. C’est d’après elle que l’on a toujours classé les nations, et, à cet égard, notre Boschimanne offre aussi des différences très-remarquables et très-singulières. Sa tête osseuse, comme sa figure extérieure, présente une combinaison frappante des traits du nègre et de ceux du Calmouque.

Le nègre, comme on sait, a le museau saillant, et la face et le crâne comprimés par les côtés; le Calmouque a le museau plat et la face élargie. Dans l’un et dans l’autre les os du nez sont plus petits et plus plats que dans l’Européen.

Notre Boschimanne a le museau plus saillant encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l’un et l’autre. A ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne.

De cette disproportion générale résultent beaucoup de traits particuliers de conformation. Ainsi les orbites sont beaucoup plus larges à proportion de leur hauteur que dans le nègre et l’Européen, et même que dans le Calmouque; l’ouverture antérieure des fosses nazales a une autre configuration; le palais a plus de surface proportionnelle; les incisives plus d’obliquité; la fosse temporale plus de largeur, etc.

Je trouve aussi que le trou occipital est proportionnellement plus ample que dans les autres têtes humaines. D’après la règle connue de M. Soemmening, ce seroit encore là un signe d’infériorité.

Je n’observe aucune différence notable par rapport à la suture incisive.

Excepté le rapetissement du cerveau à sa partie antérieure, qui résulte de la dépression du crâne à cet endroit, je n’ai fait sur les parties molles aucune remarque qui mérite d’être rapportée.

Pour tirer de celles que je viens d’exposer, quelques conclusions valables relativement aux variétés de l’espèce humaine, il faudroit déterminer jusqu’à quel point les caractères que j’ai reconnus sont généraux dans le peuple des Boschimans; si ce peuple reste partout distinct des Nègres, des Caffres et des Hottentots qui l’entourent, ou s’il se mêle par degrés avec eux, par des nuances intermédiaires; enfin il faudroit connoître à quelle distance il s’étend dans l’intérieur de l’Afrique, et c’est ce que nous sommes bien éloignés de savoir.

Dans toute la partie de l’Afrique qui est sous la zone torride, les voyageurs modernes ne connoissent que des Nègres et des Maures. Les Abyssins ne paroissent qu’une colonie d’Arabes. A la vérité parmi ces Ethiopiens sauvages dont parle Hérodote, et surtout Agatharchides, et d’après lui Diodore de Sicile, il en est quelques-uns que leur petitesse pourroit faire rapporter aux Boschimans; mais ces anciens auteurs ne se sont pas expliqués avec assez de précision sur les autres caractères de ces peuplades pour qu’on puisse adopter une telle opinion avec quelque certitude. Il en est de même du peu de mots que dit Bruce sur les caractères physiques des Gallas, ces peuples féroces qui ont envahi une grande partie de l’Abyssinie. Il les peint comme d’une très-petite taille, d’une couleur brune, d’une figure affreuse, mais il leur donne des cheveux longs. Tout le reste de sa description ressembleroit assez à nos Boschimans, et les moeurs atroces de ces Gallas, ne se rapporteroient encore que trop aux leurs; mais, nous le répétons, ces renseignemens sont trop vagues et trop superficiels pour donner aucune résultat solide. Nous devons donc attendre les lumières que nous procureront sans doute les tentatives actuelles des Anglais et des Portugais.

Ce qui est bien constaté dès à présent, et ce qu’il est nécessaire de redire, puisque l’erreur contraire se propage dans les ouvrages les plus nouveaux, c’est que ni ces Gallas ou ces Boschimans, ni aucune race de nègres, n’a donné naissance au peuple célèbre qui a établi la civilisation dans l’antique Egypte, et duquel on peut dire que le monde entier a hérité les principes des lois, des sciences, et peut-être même de la Religion.

Bruce encore imagine que les anciens Egyptiens étoient des Cushites, ou nègres à poils laineux; il veut les faire tenir aux Shangallas d’Abyssinie.

Aujourd’hui que l’on distingue les races par le squelette de la tête, et que l’on possède tant de corps d’anciens Egyptiens momifiés, il est aisé de s’assurer que quelqu’ait pu être leur teint, ils appartenoient à la même race d’hommes que nous; qu’ils avoient le crâne et le cerveau aussi volumineux; qu’en un mot ils ne faisoient pas exception à cette loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé.

Je présente ici une tête de momie, pour que l’Académie puisse en faire la comparaison avec celles d’Européens, de Nègres et de Hottentots. Elle est détachée d’un squelette entier que je n’ai point apporté à cause de sa fragilité, mais dont la comparaison m’a donné les mêmes résultats. J’ai examine, soit à Paris, soit dans diverses collections de l’Europe, plus de 50 têtes de momies, et je puis assurer qu’il n’en est aucune qui présente des caractères ni de Nègres ni de Hottentots.

Je présente aussi une tête de Guanche, de ce peuple qui habitait les Canaries avant la conquête des Espagnols. Quelques auteurs ajoutant foi aux contes du Timée sur l’Atlantide, regardent ces Guanches comme des débris de l’ancienne nation des Atlantes. Leur habitude de conserver les corps par une espèce de momification, pourroit plutôt les faire considérer comme tenant de loin ou de près aux anciens Egyptiens. Quoi qu’il en soit, il est certain que leur tête, comme celles des momies ordinaires, annonce une origine caucasique.

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