Histoire de l’esclavage dans l’antiquité

Tom. I,

Pag. II

[…] L’esclavage chez les anciens! Il peut sembler étrange qu’on aille le chercher si loin, quand il est encore parmi nous. En prenant cette route nous ne détournons point les esprits de la question coloniale; nous voudrions les y ramener. au contraire, et les fixer à une solution. L’esclavage est un fait identique dans tous les pays et dans tous les temps: nul ne le conteste; et les partisans du statu quo font appel à l’antiquité au profit de leur cause. Il n’est point inutile de voir si, par l’ensemble de ses témoignages, elle répond à leurs prétentions. Aussi, tout en nous renfermant dans le passé, nous ne perdons point de vue la question moderne; et, pour que le souvenir en suive le lecteur sans qu’il soit besoin de le rappeler par un mélange de détails étrangers à notre matière, nous en avons parlé, dans un traité séparé, qui servira d’introduction à notre livre, et nous y renvoyons tout d’abord. Cet aperçu de l’état de l’esclavage dans les colonies en fera suivre, peut-être, avec plus d’intérêt, l’histoire parmi les peuples anciens; et cette dernière étude offrira d’elle-même des conclusions directement applicables au temps présent.

Tom. I.

Pag. 1-11

HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE DANS L’ANTIQUITÉ

PREMIÈRE PARTIE

DE L’ESCLAVAGE EN ORIENT ET EN GRÈCE.

CHAPITRE IER.

DE L’ESCLAVAGE EN ORIENT.

L’esclavage était le fondement de la société antique, et, si haut qu’on remonte vers l’origine des peuples, on retrouve quelque forme de servitude parmi les éléments de leurs constitutions. Ce n’est pas que cette loi si dure ait été placée par Dieu lui-même dans les conditions de la vie commune à laquelle il destina la race humaine; il y a mis l’obligation du travail: mais de bonne heure l’homme prétendit s’en affranchir pour l’imposer à quiconque se trouvait sous sa main. La femme, les fils de famille, purent, à ce titre, servir les premiers dans la vie domestique; puis les plus faibles, fils ou pères de famille, tombèrent à leur tour dans la dépendance du plus fort, soit qu’il les y ait réduits par le rapt ou la guerre, soit qu’il les y ait reçus de bon gré et gardés malgré eux. Ainsi, qu’il résulte de la puissance paternelle ou d’une puissance étrangère, qu’il soit accepté ou subi, toujours l’esclavage est un abus de force; et, s’il a pu dominer, comme un fait accompli, les institutions des législateurs et les théories des philosophes, jamais il ne dut s’établir en droit au tribunal de la raison.

Cette condition suivit, dans ses vicissitudes, toutes les variations des sociétés, chose remarquable, pour s’aggraver d’abord à mesure que les formes sociales devenaient plus parfaites. Le droit, en se formulant, fixa la coutume et autorisa toute la rigueur des conséquences qu’elle pouvait ignorer. On en vint à confondre avec les principes qu’il tient de la nature ces règlements de pure convention, et l’on finit par ne plus reconnaître le caractère de l’homme là où manquait la liberté:

O demens ita servus homo est!

Tant l’esclavage est contre sa nature, tant est profonde en nos âmes la croyance à l’égalité du genre humain!

   Dans le tableau que nous retrace la Genèse des premiers âges du monde, on trouve tout à la fois l’asservissement de la famille et l’esclavage de l’étranger. La dépendance de la femme est écrite aux premières pages du livre: «Sub viri potestate eris.» C’est la suite du péché et la peine de sa faute. Compagne de l’homme et créée son égale, elle tomba plus bas que lui dans la chute commune. En ce nouvel état où ne régnait plus l’innocence, l’harmonie ne pouvant point durer à l’unisson des deux natures, l’accord dut s’établir entre elles par la subordination de l’une à l’autre: la femme, première cause de la déchéance, en subit les conséquences les plus dures. Elle fut soumise, mais elle ne dut pas être pour cela esclave; et, dans les conditions ordinaires de l’association domestique, malgré cette infériorité de position, elle est encore la compagne de l’homme: elle ne sert que quand elle est achetée. Rébecca, donnée à Isaac, est presque le modèle de l’épouse chrétienne libre et soumise: tandis que Lia et Rachel, vendues par Laban à Jacob, sentent elles-mêmes qu’elles sont déchues de leurs droits(1). Ainsi l’abus de la puissance paternelle dénatura le mariage, faisant un maître du mari, comme l’abus de la force fit un mari du maître; et, par ces deux causes, la servitude s’établit au foyer et jusqu’au sources mêmes de la famille. De même le fils obéit et partage, dans la maison paternelle, les travaux des serviteurs; mais il est libre, et il sera maître un jour. L’esclave, au contraire, est comme frappé d’une seconde déchéance dans sa personne et dans sa postérité.

(1) (Genèse, XXXI, 15.) Laban, dans le traité qu’il jure ensuite avec Jacob, a soin d’en atténuer les conséquences (Ibid. 50.)

On en trouve, dans l’histoire des patriarches, des exemples nombreux, et l’esclavage s’y montre avec son double caractère de perpétuité et de mobilité: perpétuité et hérédité dans l’obligation de servir, mobilité dans la position du serviteur, qui passe d’un maître à un autre, par vente, donation ou succession. Ainsi Abraham compte dans sa famille des esclaves par naissance et des esclaves achetés(1); ils composent avec ses troupeaux l’héritage qu’il transmet à son fils Isaac (2). Joseph est vendu pour vingt pièces d’argent à des marchands ismaélites, qui le revendent en Egypte(3). De jeunes filles sont données à Rébecca, lorsqu’elle passe de la maison de son père en celle d’Isaac. D’autres forment aussi la dot ou plutôt le pécule de la femme, alors que la femme est achetée par du travail ou des présents. Ainsi Lia et Rachel reçoivent l’une et l’autre, de Laban, une esclave en épousant Jacob(4).

(1) Gen. XVII, 23.

(2) Ibid. XXIV, 61.

(3) Ibid. XXXVII, 28, et XXXIX, 1.

(4) Ibid. XXXIX, 24 et 29.

Non-seulement le travail, mais les enfants des serviteurs appartenaient au maître; et, chez les pères du peuple juif, une coutume particulière donnait même à ce droit général un caractère nouveau. La femme cédait à son esclave son droit d’épouse, pour acquérir d’elle les droits de mère, et elle se consolait d’être stérile part cette fécondité d’emprunt, dont elle recueillait les fruits(1). C’est pour Sarah que l’égyptienne Agar conçut d’Abraham, et mit au monde Ismaël. C’est pour Rachel que Balam devint mère, avant que Rachel enfantât Joseph et Benjamin; et quand Lia n’espérait plus d’enfants, elle s’enorgueillit encore de compter parmi les siens les deux fils qu’elle eut de Jacob par Zelpha, son esclave (2). Pour avoir donné un héritier à son maître, la véritable mère n’en était pas moins esclave, et forcée d’humilier sa fierté sous la main de la maitresse(3). Mais les fils étaient tous égaux: le droit d’aînesse faisait seul une distinction entre eux.

(1) Gen. XXX, 3.

(2) Gen. XXX, 9-14.

(3) Gen. XVI, 6 et 9.

L’esclavage est donc complet, mais il est loin d’être aussi rigoureux qu’il est absolu. Sous l’empire de ces moeurs patriarcales également éloignées de l’abrutissement de la vie sauvage et des délicatesses de la civilisation, le serviteur est souvent rapproché du maître. Jacob servit vingt ans dans cette maison de Laban, d’où il emmena, maître à son tour, de si nombreux esclaves(1) Dans cette communauté de travaux et de vie, le contraste des conditions s’efface. Point de mépris d’un côté, point de haine ni de vengeance de l’autre. Abraham peut armer, sans danger, plus de trois cent jeunes et robustes serviteurs nés sous ses tentes (2). Ces familles, car ce sont aussi des familles, croissent et se multiplient sans songer à sortir d’une dépendance où elles trouvent protection et parfois même davantage: un esclave exerçait l’autorité du maître dans la maison d’Abraham(3); un esclave aurait même pu lui succéder un jour(4).

(1) Gen. XXXI, 41; XXX, 43; XXXI, 18.

(2) Ibid. XIV, 14.

(3) Ibid. XXXIV, 2.

(4) Gen. XV, 3.

Ce que nous voyons chez les patriarches existait aussi, nous le pouvons supposer, chez les peuples qui, dans ces temps reculés, partagèrent le même genre de vie. Nous retrouvons les mêmes coutumes à tous les âges de la vie nomade, sous des formes plus ou moins dures, selon le caractère des peuples: chez les anciens Scythes, qui crevaient les yeux à tous leurs esclaves, dit Hérodote, afin de les employer à traire le lait dont ils font leur boisson, sans doute aussi pour les retenir esclaves dans cette liberté naturelle du désert(1); chez les Mongols, chez tous ces peuples qui, selon l’expression d’Hérodote, n’ont d’autre maison que leurs chariots; et de même que l’état nomade, la vie agricole eut, de bonne heure, ses formes de servitude. Ainsi Job possédait, avec sept mille brebis et cinq cents jougs de boeuf, une multitude d’esclaves (2); et cette raison de nombre, qui devait rendre leurs rapports moins familiers avec le maître, ne faisait point chez lui leur condition plus dure. Le serviteur avait le droit de goûter aux produits de son travail. «L’impie seul, dit l’auteur sacré, peut le laisser souffrir de la soif, quand il presse les olives sous son toit ou foule le vin dans ses cuves(3).» Et Job ne refusait pas d’entrer en jugement avec son serviteur ou sa servante, craignant le jugement de Dieu: «Car celui qui m’a créé d’une femme, dit-il, ne les a-t-il pas tous créés aussi? N’est-ce-pas Dieu qui nous a tous formés dans les entrailles maternelles(4)?»

(1) Hérod. IV, 46.

(2) Job, I, 3.

(3) Job, XIV, 11.

(4) Job, XXXI, 13-15.

Tom. III,

Pag. 1-8

TROISIÈME PARTIE

DE L’ESCLAVAGE ET DU TRAVAIL LIBRE SOUS L’EMPIRE.

CHAPITRE Ier.

DES PRINCIPES POSES PAR LE CHRISTIANISME, OU DEVELOPPES PAR LA PHILOSOPHIE ROMAINE,

SUR LE DROIT ET LA CONDITION DE L’ESCLAVAGE.

Au moment où l’empire, s’effrayant de la diminution de la classe libre et de l’envahissement des affranchis dans la cité, cherchait à l’ingénuité des garanties nouvelles, du fond d’une obscure province s’élevait une voix qui préparait à la liberté une base plus large et plus solide, la voix de l’Évangile, résumée tout entière dans cette parole de l’apôtre: «plus de Juif ni de Grec, plus d’homme ni de femme, plus d’esclave ni de libre: vous êtes tous une même chose en Jésus-Christ (1).»

(1) Ad. Galat. III, 28. Voyez encore ad Colos. III, 11; ad Corinth. XII, 13; Cf. Math. XXIII, 9.

Ainsi se résolvent, en un mot, les questions tant agitées des philosophes et des politiques; ainsi vont s’effacer toutes les ombres des systèmes comme à l’aurore d’un jour nouveau. Rien ne reste des distinctions factices d’origine et de condition: tous les hommes, nés du même père, reçoivent de J. C. une génération nouvelle; la liberté de chacun a pour principe l’unité des races humaines, et pour sanction l’autorité de Dieu, de Dieu qui parle comme Créateur et comme Rédempteur.

Cette parole, destinée à gouverner le monde, ne s’imposait pourtant point avec l’appareil du commandement. C’est au dernier rang que le Christ était venu pour appeler à lui tous les hommes; et il avait inauguré son règne en prenant la forme d’un esclave (formam servi accipiens (1)). L’établissement du christianisme ne produira donc point, dans l’ordre social, un brusque renversement des choses établies. En proclamant l’égalité des hommes, il en a placé le niveau hors des mesures de la terre: c’est devant Dieu que les hommes sont égaux; c’est en Dieu que se trouve la source de la vraie liberté (2). Mais, pour avoir en Dieu leur principe et leur sanction, ces vérités n’en doivent pas moins avoir leur application parmi les hommes; car la doctrine évangélique est une parole de vie et veut être pratiquée. Le christianisme ne les abandonne pas seulement aux spéculations de la pure théorie, il ne les impose pas encore aux formes de la société, mais il les introduit en une région moyenne entre la théorie et l’application politique; il les fait entrer dans les moeurs. C’est là que cette révolution comme toute révolution légitime, doit s’accomplir avant de s’écrire dans la loi.

(1) Ad Philipp. II, 7.

(2) Ad Cor. III, 17; ad Roman. VIII, 15-22. Cf. Petr. II Epist. II, 19.

Ainsi l’égalité, la liberté, régneront dans le monde, et l’Église, dès le premier jour, commence à leur frayer la voie, la voie marquée par les traces du Christ.

Pour établir l’égalité parmi les hommes, c’est au degré le plus bas qu’elle va choisir sa place: Facti sumus parvuli in medio vestrum, tanquam si nutrix sovent filios suos (1). Elle accepte la hierarchie et les rangs de l’organisation sociale. L’humanité est comme un grands corps dont chaque membre a sa destination et sa fonction particulière (2); chacun doit occuper son poste et le remplir fidèlement. Mais, «parmi les membres du corps, les plus faibles ne sont pas les moins nécessaires, ni les plus vils les moins honorés (3);» et ce sont aussi les faibles que le Seigneur a choisis; ce qui n’obtient du monde que le mépris et le dédain est l’objet de la prédilection de Dieu (4).

(1) Ad. Thessal. II, 7.

(2) Afd. Roman. XII, 4-6.

(3) Ad Corinth. XII, 14-22.

(4) I, ad Corinth. I, 27-28. Cf Jacob. Ep. Cath. V. 5 et Matth. VI, 25; XIII, 54-58, etc.

Il relève dans sa personne l’homme du peuple, le travailleur: «n’est-ce point là, disait-on du Sauveur, le charpentier, fils de Marie (1)?» et l’apôtre aussi avait voulu vivre du travail de ses mains; il avait refusé les secours auxquels lui donnait toute une vie de dévouement, et il trouvait, le jour ou la nuit, parmi les fatigues de l’apostolat, du temps pour gagner sa nourriture, afin de présenter son propre exemple aux fidèles, et de justifier cette condamnation, portée contre la stérile oisiveté de tant d’hommes nourris et servis par leurs esclaves: Celui qui ne veut point travailler ne doit pas manger (2).

(1) Marc. VI, 3; cf. Matth. XIII, 55; Luc. II, 51. et encore Matth. XX, 26; cf. XVIII, 3-5; Marc. IX, 34; X, 43; Luc. XIV, 11; Joann. Xiii, 4 etc. Paul I, ad Cor. I, 26-30.

(2) II, ad Thessal, III, 8-12.

Cela ne l’empêchait point de respecter, comme on l’a vu, les différences des conditions sociales et de commander à chacun d’acquitter sa dette envers les autres: tribut, crainte ou honneur (1). Ainsi l’esclave n’est pas violemment attiré vers le maître, ni affranchi, même au nom de la fraternité chrétienne, de tout respect à son égard (2); mais le maître est doucement ramené vers l’esclave, et détourné des rigueurs du commandement par ces sentiments d’humilité qui font la consommation de la vertu, par ces habitudes de travail, réhabilitées en la personne du divin maître, prêchées et pratiquées par ses disciples.

(1) Ad Roman. XIII, 7.

(2) Ad Thimoth. IV, 1-2.

De même, pour ramener la liberté parmi les hommes, le christianisme enseigne le dogme de la servitude volontaire. Il les appelle, libres et esclaves, au sentiment de leur vraie condition. « Es-tu esclave? n’en sois pas inquiet, mais, si tu peux devenir libre, profites-en davantage. Celui qui est appelé esclave dans le Seigneur est l’affranchi du Seigneur; et celui qui est appelé libre est l’esclave du Seigneur. » Ainsi l’ordre des conditions est, en quelque sorte, renversé dans l’ordre de la grâce: l’esclave est l’affranchi, le libre est l’esclave. Plus on est libre, plus on doit servir; l’esclavage a moins de dépendance, moins de devoirs que la liberté: Sed et si potes liber fieri, magis utere(1). L’apôtre encore avait donné l’exemple de cette nouvelle servitude, qui est la destruction on de la personnalité mais de l’égoïsme, servitude de charité et d’amour qui fait que l’on s’abdique, en quelque sorte, soi-même, pour gagner un plus grand nombre de ses semblables à la liberté des enfants de Dieu (2). C’est comme le titre même de son apostolat (3). Il lui est donc bien permis, dans cette naissante Église qui l’honore comme un père, de communiquer ces honneurs à ses frères en servitude, liés à lui par le noeud même de leur captivité (4); il les recommande tout spécialement (5) et les associe à leurs maîtres, comme « une Église domestique, » dans les compliments qu’il échange (6).

(1).Ces mots magis utere ont été pris comme se rapportant à l’esclavage; ils se rapportent à la liberté: Profites-en pour servir, sans doute, mais non pour rester esclave; pour servir de cette servitude plus élevée qui est marquée au verset suivant I, ad Corinth, VII, 22. Cf. Ad. Rom. VI, 18, 22.

(2).I, ad Corinth, IX, 19.

(3). Ad Galat. III, I et IV, 1.

(4). Ad Rom. XV, 7. Ad Colos, I, 7. Ad Hebreos, XIII, 3.

(5) Ad Roman. XVI, 1.

(6). Ibid. 3-5. I. ad Corinth. XVI, 19. Ad Colos, IV, 15.

C’est dans cet esprit que la foi nouvelle, tant que ces distinctions devront durer parmi les hommes, prescrit à chacun sa règle de conduite. Elle réunit maîtres et esclaves, sur le modèle du Christ, dans la pensée du Christ. Au nom de l’Homme-Dieu dont ils sont les membres, elle demande aux uns de l’obéissance, aux autres de la douceur: le vent, par l’accomplissement même de leurs devoirs, développer en eux la charité qui est l’âme du Sauveur, afin que dès lors l’union soit complète et que les chaînes tombent comme d’elles-mêmes: « esclaves, obéissez à vos maîtres de la terre avec crainte et tremblement dans la simplicité de votre coeur, comme à Jésus-Christ: N’agissez pas seulement sous leur regard, comme occupés de plaire au monde, mais comme les serviteurs du Christ, faisant la volonté de Dieu, de bon coeur et de bonne volonté, servant pour le Seigneur, non pas seulement pour les hommes, et sachant bien que chacun recevra de lui selon ses oeuvres, qu’il soit esclave ou libre. Et vous, maîtres agissez de même à leur égard, laissant les menaces, et sachant que leur maître et le vôtre est au ciel, et que, devant lui, il n’y a point d’acception de personnes (1) ».

(1). Ad Ephes. VI, 5-10.

Elle recommande ailleurs encore l’obéissance aux esclaves, même envers les mauvais maîtres: car il faut obéir non pour les maîtres, mais pour Dieu (2), mais elle rappelle aux maîtres aussi à quelles conditions leurs est laissée provisoirement cette puissance. La résignation de l’esclave est une vertu; la modération des maîtres est un devoir, et il importait de ne point leur laisser oublier l’autorité suprême qui domine la leur: «Maîtres, dit encore l’apôtre, rendez à vos esclaves ce qui est juste et convenable, sachant que vous avez aussi un maître au ciel (2)». Le maître doit donc déjà reconnaître, au–dessus de son droit, le droit de Dieu, se former à obéir avant de commander: et ce commandement, ainsi restreint, n’est déjà plus du despotisme. L’esclavage est condamné en principe; il est limité dans l’usage général par ces tempéraments qui en diminuent les rigueurs: il est même supprimé dans la vie plus parfaite. Ce précepte: «Vends tes biens et donnes-en le produit aux pauvres», impliquait bien, sans doutes, l’affranchissement des esclaves, ces pauvres qui ne possèdent rien, qui ne se possèdent même pas (3). Mais ce principe était nécessairement exceptionnel, et la même doctrine, qui élevait l’esclave du rang de ces choses à vendre au rang de lui-même, ouvrait des voies plus largues et plus communes a sa libération. Saint Paul en avait donné l’exemple dans un épître qui est restée parmi les Saintes Lettres, comme pour montrer aux ministres de l’Evangile ce qu’ils devaient tenter, et aux maîtres ce qu’ils devaient souffrir en faveur de la liberté.

(1).Petr. I, II, 18 et ad Colos. III, 22.

(2).Ad Colos. IV, 11.

(3) Les Esseniens aussi, parmi les Juifs, n’avaient point d’esclaves; mais ils n’avaient point de femmes non plus, ils n’avaient point de famille. Si nombreux qu’ils fussent, ce n’était point un peuple, c’était une congrégation. Or ce n’était point dans la retaite, c’était dans la vie commune qu’il importait que l’esclavage fût aboli. Voyez sur eux, Jos. Ant. Jud. XVIII, I, 5 et De bell. Jud. II, VIII, 4-6.

Related Posts