Liberté et Travail, ou moyens d’abolir l’esclavage sans abolir le travail

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CHAPITRE DEUXIÈME.

Des avantages que le culte de la Religion procurerait aux Esclaves et aux Colonies.

«L’établissement du culte public et solennel, a dit le savant auteur de l’Origine des lois,

est, sans contredit, ce qui a le plus contribué à humaniser les peuples, à maintenir et à affermir les sociétés…»

C’est aussi, assurément, ce qui contribuera les plus à civiliser les esclaves, à les rendre heureux, et à procurer à nos possessions d’outre-mer une garantie certaine de sécurité et de prospérité; et cela, en détruisant la superstition, en rendant durable l’union entre le maître et l’esclave, entre toutes les familles; en attachant les esclaves à leurs maîtres et en les fixant dans nos colonies.

Le premier avantage que procurerait l’exercice du culte de la religion, serait de détruire le penchant des noirs pour la superstition. Ce penchant, ou plutôt cet amour pour des pratiques superstitieuses qui favorisent leurs passions, est un des plus grands obstacles à leur civilisation. Affranchir des esclaves superstitieux, ne serait-ce pas, en effet, donner à la société des citoyens dangereux, qui, tôt ou tard, deviendraient pour elle une calamité?

De tout temps, la superstition a été un fléau pour la société, parce qu’elle conduit au fanatisme et qu’elle l’entretient.

Non, je ne me croirais pas en sûreté auprès d’un fanatique superstitieux, toujours je craindrais le coup de poignard.

Vendus aux Européens par leurs injustes et barbares vainqueurs, des esclaves d’Afrique ont été transportés dans les contrées de l’Amérique, où ils sont devenus la propriété des habitans. Ces infortunés n’ont point déposé sur les rivages africains qu’ils abandonnaient pour toujours leurs affections ni leur amour pour la superstition dans laquelle ils ont été élevés et nourris, et qu’autorisait l’exemple de leurs chefs et de tous ceux au milieu desquels ils vivaient. Aujourd’hui ils ont encore généralement ce penchant, cet amour pour des pratiques qu’inspire la superstition, et qui sont si funestes aux bonnes moeurs. Eh! comment, vivant sans un culte vrai et pur, les auraient-ils perdues? Comment auraient-ils oubliés les exemples de leurs parens, livrés non seulement à la superstition, mais encore à l’idolâtrie qui règne dans ces vastes contrées d’Afrique que n’éclaire point encore le flambeau vivifiant de l’Évangile?

Ah! combien de ces peuples adorent (1), vils esclaves qu’ils sont, ceux qu’ils appellent rois! Ces rois cependant ne sont que des tyrans barbares qui baignent leurs pieds dans le sang de leurs sujets, qui, dans des cérémonies abominables, immolent un très grand nombre de victimes humaines, et de leur sang encore fumant arrosent les tombeaux de leurs ancêtres (2).

(1). Voyez Voyage à la côte de Guinée, etc. par P. Labarthe, auteur du Voyage au Sénégal, page 134.

(2). «Le 14 février (1788), dit M. Gourg, j’arrivai à Beaumé. Je vis sept noirs attachés à des poteaux sous un hangar; ces noirs étaient destinés à être sacrifiés aux mânes du père du roi.

«Le 15, à sept heures du soir, j’entendis un tambour dont le son lugubre annonçait la cérémonie cruelle qui allait avoir lieu. ce même soir, on sacrifia, non seulement les sept hommes attachés sous le hangar, avec un nombre égal de chevaux, mais encore beaucoup d’autres.

«Le 16, à sept heures du matin, le roi m’envoya chercher pour assister aux cérémonies; il était huit heures et demie lorsque je fus rendu. En entrant chez le roi, je trouvai qu’on avait placé, de chaque côté de la porte, trois têtes de nègre qu’on venait de couper; il y en avait autant à une autre porte, ce qui faisait douze têtes en tout.

«Dans le marché, on avait suspendu à une grande potence, et par les pieds, un noir que l’on avait étranglé; il y en avait un second à l’autre extrémité du marché.

«Ces horribles sacrifices s’exécutent au moment où le roi sort de sa case; ce prince baigne ses pieds dans le sang de ces malheureux. Il se rend ensuite au marché où le sang de ceux qui sont suspendu découle sur son hamac et sur ses pagnes.

«Le 17, à sept heures du soir, j’entendis encore le tambour qui annonça le sacrifice du dernier jour des coutumes. On tua des hommes, dont les têtes furent attachées aux portes du palais du roi, et quinze autres qu’on suspendit au marché. Les corps furent emportés et jetés dans les champs où ils servirent de pâture aux panthères et aux oiseaux de proie, à l’exception de ceux qui furent suspendus aux gibets, et qui y restèrent jusqu’à ce que la putréfaction les fit tomber; et celui qui en rapporte les têtes au roi, reçoit ordinairement cinq caboches de cauris, ou 50 francs.

«Les nègres que l’on sacrifie ainsi, sont ou des malfaiteurs ou des prisonniers; mais il faut si peu de chose pour être criminel aux yeux du roi, qu’on ne peut s’empêcher de plaindre ces malheureux.» (Extrait du Voyage à la Côte de Guinée, etc., par P. Labarthe.)

Tyrans injustes et voluptueux qui profitent de la crédulité, de la superstition et de l’idolâtrie de ces peuples pour les faire gémir dans le plus honteux esclavage…Rois dignes des fers, qui, pour une pièce d’étoffe ou un baril d’eau-de-vie, livrent aux chaînes des Européens leurs sujets les plus paisibles et même les plus fidèles amis (1)…

(1). Voyez Observations sur la traite des Noirs, par C.-D. Wadstrom, ch.4.

Puisse l’infâme commerce de chair humaine être à tout jamais aboli!…

Ah! quand luira le jour où ces peuples trop malheureux ne gémiront plus sous le joug injuste et barbare de leurs tyrans, où ils verront à leurs pieds leurs chaînes pour toujours brisées, où enfin entourant l’autel de la religion, ils béniront par des cantiques d’amour et de reconnaissance le vrai Dieu, dont le culte sacré et divin les rendrait heureux!…

Puisse ce jour que nous appelons de tous nos voeux, se lever bientôt sur ces infortunées contrées!…

Que la France, qui veut briser les chaînes de ses esclaves de manière à rendre leur liberté un bienfait réel, et pour eux, et pour les colonies, et pour la société, se hâte donc de leur procurer le bienfait du culte de la religion. Bientôt, affranchis de l’ignorance et de la superstition, ils détruiront leurs fétiches, ils auront horreur de ce pratiques qui sont la cause de leur dégradation, de leur avilissement, et avec nous ils adoreront et ils béniront le vrai Dieu.

Il est de l’essence d’un culte vrai et pur d’affranchir l’homme de la superstition et de lui inspirer la véritable piété.

Pour contribuer efficacement au bonheur des noirs et à la prospérité des colonies, il faut affermir et rendre durable l’union entre le maître et l’esclave, entre toutes les familles. Or, qui peut mieux que le culte de la religion rendre cette union réelle et durable? En effet, dominés par l’influence de ce culte divin, qui resserre de plus en plus et sanctifie les liens naturels qui unissent les hommes entre eux, livrés aux pratiques si douces, si consolantes qu’il prescrit, ils aimeront et béniront Dieu; convaincus, de son pouvoir infini sur toutes les créatures, et de leur dépendance absolue envers lui, ils s’empresseront de lui rendre le tribut sacré de prières, d’adoration que leur impose le double lien qui les unit à lui, celui de la nécessité et celui de la reconnaissance. Dès lors, les esclaves seront pleins de respect, de soumission envers leurs maîtres qu’ils regarderont comme les représentans de la divinité. Et tant qu’ils rendront à Dieu le culte qui lui est dû, ils s’acquitteront envers leurs maîtres de la dette rigoureuse que leur imposent la justice et la religion, celle d’être laborieux et fidèles.

Le maître pourvoit à tous les besoins de l’esclave et à ceux de toute sa famille: l’esclave lui doit donc la fidélité et le travail.

L’union qui doit exister entre l’esclave et le maître naît de la soumission et de la fidélité du premier envers son maître, de l’équité et de la bienveillance du maître envers son esclave: or, est-il un autre moyen de rendre stable cette union que le culte de la religion, qui influe avec tant de puissance et sur l’esprit et sur le coeur, qui élève l’homme jusqu’à la divinité pour l’adorer, le fait descendre jusqu’à lui-même pour s’aimer, et jusqu’à ses semblables pour les consoler, les secourir, les aimer comme des amis et des frères; qui sans cesse rappelle à ceux qui commandent, l’humanité, la justice, la bonté, et à ceux qui obéissent, la soumission, la fidélité, le dévoûment? Ici, invoquons l’expérience: a-t-on jamais vu un esclave fidèle à rendre à Dieu le culte qu’il lui doit, devenir l’ennemi de son maître, lui refuser la soumission et le travail? et. au contraire, les plus indisciplinés, les plus infidèles, les plus libertins, les plus ennemis du travail et de leur maître, ne sont-ce pas ceux qui ne rendent aucun culte à Dieu, mais bien à leurs fétiches?

Évidemment, ceux d’entre les hommes qui de sang-froid égorgent leurs semblables, qui percent le coeur des rois, qui se poignardent eux-mêmes, ne rendent point à Dieu un vrai culte. «Si vous avez connu des hommes coupables de grands forfaits, rappelez-vous s’ils n’ont pas commencé par manquer à Dieu, avant de manquer aux hommes; observez attentivement ce concours si frappant du débordement de tous les vices et de tous les crimes avec la cessation du culte public, avec les leçons, les progrès et tous les scandales de l’impiété (1).

(1). Étrennes religieuses, 1802

Non seulement l’exercice du culte rendrait stable l’union entre le maître et l’esclave, mais encore il rendrait plus forts et plus sacrés les liens qui doivent unir les membres des familles et les familles entre elles.

…«L’enfant a des rapports naturels avec le père, les sujets avec le souverain. Ces rapports constituent la famille et la société; et la religion n’est non plus que la société de Dieu et de l’homme. Si nos devoirs envers nos semblables en font partie, c’est qu’ils dérivent nécessairement de nos devoirs envers Dieu, de la volonté du pouvoir suprême, à qui nous devons obéissance par cela seul que nous existons. Nulle société donc, nul ordre sans religion. Aussi, remarquez que, sitôt que l’on nie les rapports entre Dieu et l’homme, on est contraint de nier également les rapports entre le souverain et le sujet, entre le père et l’enfant; on est contraint de détruire toute société, et l’élément même de la société, qui est la famille (1).»

(1). Essai sur l’indifférence en matière de religion, tome II, ch.XVI, page 106.

Mais qui entretiendra parmi les masses esclaves, qui rendra saints et puissans ces rapports des enfans avec leurs pères, des familles entre elles? «Sera-ce une religion de pur sentiment, qui serait une religion sans langage, sans voix, songe fugitif qui échapperait éternellement à l’intelligence (1)?» Non, sans doute, mais une religion toute de vérité, qui éclaire, qui vivifie et qui sanctifie les actions de l’homme; une religion dont le culte réunissant les esclaves aux pieds des autels, leur montre dans tous les hommes, quelle que soit leur couleur, des amis, des frères, nés pour les mêmes destinées; l’une de s’aimer, de se secourir mutuellement pendant cette vie, d’y jouir ensemble des bienfaits de la liberté et de la société; l’autre de posséder au delà du tombeau une heureuse immortalité, digne de récompense de la vertu.

(1). Ib., ch. XVII, page 128.

Les habitans de Sainte-Croix n’ont point encore oublié les services signalés que rendit dans cette île danoise M. l’abbé Duhamel. Refusant d’obéir aux volontés de la république, qui cependant, donnait ses décrets au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, ce zélé missionnaire fut obligé d’abandonner la Guiane française, où il exerçait, avec autant d’ardeur que de succès, les pénibles fonctions du ministère apostolique. Il se rendit à Sainte-Croix. A peine M. O’Ferrall eut appris son arrivée, que, connaissant déjà le beau dévouement de ce pieux missionnaire, il le pria instamment de venir demeurer sur son habitation. Les esclaves de cette habitation, appelée Montpellier, vivaient dans la plus grande insubordination. Aussi prudent qu’éclairé, M. Duhamel apprit d’abord avec bonté à ces hommes indisciplinés, les premières vérités de la religion; il leur fit bien comprendre l’obligation du travail. «Dieu vous voit, leur disait-il souvent, il vous entend. Rappelez-vous bien qu’il vous promet le ciel si vous êtes vertueux, soumis, laborieux; et qu’au contraire il vous châtiera éternellement si vous n’obéissez pas à vos maîtres, si vous ne les respectez pas, si vous refusez de travailler, si, surtout, vous ne rendez pas fidèlement à Dieu le culte que vous lui devez.»

M. l’abbé Duhamel qui, instruit par l’expérience, était convaincu que l’instruction sans l’exercice du culte de la religion était toujours insuffisante, impuissante, qui connaissait d’ailleurs les grands avantages que procure aux esclaves et aux contrées qu’ils habitent l’instruction unie à l’exercice du culte, établit aussitôt la prière publique et les autres pratiques du culte qui tout à la fois sanctifient l’homme et le rendent heureux; il réunissait les nombreux esclaves de Montpellier dans la chapelle de cette habitation. Là, il célébrait avec pompe au milieu d’eux le plus grand, le plus auguste des sacrifices; il entonnait de saints cantiques en l’honneur de celui qui est le créateur et le père de tous les hommes; là aussi et fréquemment il leur adressait de touchantes instructions sur leurs obligations envers Dieu et envers leurs maîtres; sur leurs devoirs envers eux-mêmes et envers leurs semblables.

Un changement aussi prompt que merveilleux s’opéra bientôt sur cette habitation. Avec quel empressement les esclaves se rendaient à la chapelle pour y faire la prière! Avec quel plaisir ils allaient aux ateliers en chantant des cantiques! Tous avec ardeur se livraient au travail, tous aimaient leur maître; aussi en peu d’années cette habitation devint une des plus florissantes du pays. Tous les nègres se marièrent, toutes les familles vivaient dans l’union la plus parfaite; ils élevaient leurs enfans dans la crainte de Dieu et l’amour du travail.

M. Duhamel passa six années dans l’habitation de Montpellier, mais il ne borna pas à elle seule les efforts de son zèle que Dieu, si visiblement, bénissait. Il travailla dans plusieurs autres habitations où il obtint des succès aussi prompts qu’heureux.

Il fut grand le regret des habitans lorsque ce missionnaire qu’animait une foi sublime et une charité ardente, abandonna Sainte-Croix pour aller exercer ailleurs son zèle généreux et bien digne d’un apôtre.

Aussitôt que les esclaves apprirent que leur père devait les abandonner, la consternation fut générale. Le jour de son départ, les esclaves de Montpellier et ceux des autres habitations vinrent en foule sur son passage le conjurant de ne point les abandonner. «Ah! Père! lui disaient des mères, en lui présentant leurs enfans, c’est toi qui les a baptisés et tu les abandonnes! qui les instruira?…Nous allons bientôt mourir, s’écriaient avec douleur de bons vieillards, et tu nous abandonnes?…Ah! Père! lui répétait cette foule d’esclaves, c’est toi qui nous a appris à servir le bon Dieu, à obéir à nos maîtres, c’est toi qui bénissais notre travail, et tu nous abandonnes!…Non, Père, ne nous quitte pas, demeure avec nous.»

Les protestans eux-mêmes rendaient témoignage au zèle du missionnaire et à la puissance du culte catholique. Un des habitans disait, quoique protestant: «Je donnerais bien volontiers un bon revenu, un bon logement, un bon cheval, à un missionnaire comme M. Duhamel, et bien volontiers je lui ferais bâtir une chapelle (1).»

(1). Ces détails si consolans, nous les tenons d’un témoin oculaire et ami de M. Duhamel.

Le culte catholique est le seul qui puisse attacher les esclaves à leurs maîtres et les fixer dans nos colonies. Philantropes qui en doutez et qui dites avec assurance: Il n’y a pas de bonheur possible pour les noirs tant qu’ils seront esclaves; ne vous êtez-vous jamais trouvés au milieu d’esclaves agissant sous l’influence si salutaire et si puissante de ce culte divin? N’avez-vous jamais entendu la prière simple, mais sincère, que leur coeur adresse au ciel et que leur bouche aime tant à redire? Et ces chants religieux qui leur causent tant de plaisir, n’ont-ils donc jamais frappé votre oreille, charmé votre esprit, touché votre coeur? Non, les prières consolantes qu’ils adressent à Dieu, ni les pieux cantiques qu’ils répètent, ni leur fidélité aux exercices du culte de la religion ne ralentissent leur ardeur pour le travail ni ne diminuent leur respect, leur soumission envers leurs maîtres; bien au contraire, le travail est mieux fait et plus promptement: ces bons esclaves devenus plus fidèles, depuis qu’ils pratiquent les devoirs de la religion, ne cessent de donner des preuves de leur respect et de leur soumission à leurs maîtres qu’ils regardent comme les représentans de la divinité, qu’ils aiment comme leur père commun et qu’ils entourent de leur vénération.

Assurément, ceux qui prétendent que la religion ne peut rendre heureux les noirs, s’ils ne sont libres, n’ont jamais vu une nombreuse famille d’esclaves réunie dans une humble case, agenouillée au pied d’une croix, ou devant une image de la Vierge. Oh! que de bon coeur ils prient, et pour eux et pour leur maître?

N’étant point tourmentés par ces nombreux désirs qui naissent des besoins et du luxe, sachant se contenter de bien peu, ils sont heureux.

Leurs affections sont vraies et pures, et leur joie est dans la case où ne pénètre point l’ambition, la haine, ni le désir de la vengeance, ni le hideux libertinage. Rien ne trouble le calme, la douce union et le bonheur vrai de cette famille, Philantropes, cette famille est cependant esclave; mais a-t-elle des chaînes? Non puisqu’elle est heureuse. Que réclamez-vous donc pour elle? La liberté: maïs libre, sera-t-elle plus heureuse? Non, Sans doute, puisqu’elle l’est réellement dans son état de servitude.

Eh bien! donnez aux colons le temps de rendre leurs esclaves heureux en leur procurant le bienfait de l’instruction, les consolations et l’exercice de la religion, et vous proclamerez la liberté sans crainte aucune; parce qu’alors les esclaves ne seront point sensibles à une liberté qu’ils auront apprise à connaître et qu’ils prévoiront ne pouvoir augmenter leur contentement, ni le bonheur dont ils jouissent auprès de leurs maîtres qui les traitent avec justice et avec bonté. Ils aimeront mieux, quoique libres, continuer à bénir ensemble dans l’humble case, le Dieu qui remplit leur coeur de consolation, cultiver leur jardin en fredonnant un air pieux, obéir à un maître qu’ils respectent, qu’ils aiment comme un père et dont ils sont sincèrement aimés.

C’est alors que la transition de l’esclavage à la liberté serait heureuse pour tous.

AFFRANCHISSEMENT.

Donner la liberté aux esclaves avant de les avoir préparés à ce bienfait, ce

serait vouloir la ruine de nos colonies et le malheur des noirs.

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CHAPITRE PREMIER.

De l’Affranchissement général et immédiat.

Plus d’esclavage!.- Voila le cri général de la philantropie. Loin de condamner cette philantropie vraie, pure, qui est un amour réel et efficace pour ses semblables, amour qui doit nécessairement naître de l’humanité et de la religion, puisque sans elles il ne peut y avoir de philantropie vraie et pure, nous nous empressons de rendre hommage au zèle généreux et ardent de ces hommes qui, avec autant de constance que de dévouement, travaillent au bonheur de leurs semblables, de quelque nation, de quelque couleur qu’ils soient, parce qu’ils ne voient en eux que des frères délaissés ou malheureux que l’humanité et la religion commandent de consoler, de secourir. Loin donc de condamner la philantropie de ces hommes, nous associons nos voeux aux leurs, nos efforts a leurs efforts, et nous exaltons les sacrifices que leur humanité et leur religions savent si bine multiplier en faveur de ceux qu’ils voient dans l’affliction ou dans le malheur.

Mais nous nous élevons ici contre ces hommes qu’anime le zèle brûlant d’une philantropie fausse, ennemie de l’humanité et de la justice, contre ces hommes qui, opiniâtrement attachés a leur système, sont prêts a tout sacrifier pour le triomphe de leurs théories impuissantes, qu’il regardent cependant comme sublimes et capables de faire naître partout la prospérité et le bonheur, contre ces hommes qui, avec une sorte de complaisance et d’emphase, répètent cette belle devise que tant d’autres philantropes avant eux ont répétée: Périssent les colonies plutôt qu’un principe.N’écoutant que leur zèle, ils invoquent et réclament avec instance en faveur des esclaves un affranchissement général et immédiat, sans examiner si un tel affranchissement contribuera au bonheur de ceux qui, n’ayant encore aucune notion vraie des devoirs et des sacrifices qu’impose et qu’exige la société, regardent la liberté comme l’affranchissement de toute contrainte et comme le pouvoir de suivre leurs passions et de réaliser leurs infâmes désirs.

Plus d’esclavage! Est aussi le cri qu’aime a répéter la religion catholique dit aux hommes libres et civilisés: Préparez a la liberté les esclaves vos frères, rendez-les dignes de ce bienfaits par la pratique des vertus sociales et chrétiennes.

Oui, sans doute, l’humanité et la religion veulent l’abolition entière de l’esclavage; mais elles rejettent et condamnent une liberté qui causerait le malheur de l’esclave et du maître, et la ruine de nos colonies: or, telle serait une liberté générale et immédiate.

Qu’est-ce que la liberté? La liberté est le pouvoir de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi.

Or, n’est-ce pas une erreur grossière de croire que les esclaves qu’on aura affranchis sans les y avoir préparés, comprimeront tout-à-coup et comme par enchantement les penchans si violens qui les portent au mal, qu’ils briseront leurs fétiches, qu’ils renonceront aux pratiques superstitieuses auxquelles ils se livrent avec tant de plaisir qu’ils détruiront l’empire qu’ont obtenu les passions sur leurs coeurs, enfin qu’ils se dépouilleront en quelque sorte de leur nature, pour ne faire que ce qui n’est pas défendu par la loi, loi qui avec autant d’énergie que de puissance lutte contre leurs penchans et combat leurs passions? N’est-il-pas certain, au contraire, que regardant cette liberté comme le pouvoir de tout oser et de tout faire, ils la changeront en une affreuse licence qui infailliblement deviendra funeste a eux-mêmes et aux colonies»

Les lois naturelles, dit Massabiau, ne sont point respectées par les passions des hommes» Quels avantages procurerait à la société cette liberté intempestive? Elle jetterai au milieu d’elle une multitude d’individus que la religion n’éclairerait ni ne dirigeait de sa lumière vivifiante, mais qu’agiteraient les passions les plus odieuses, qu’animeraient le désir de la vengeance et l’espoir surtout de devenir maîtres eux-mêmes et peut-être de se mettre à la place de ceux qui leur auraient commandé. Et qu’on le sache bien, l’esclave, pour réaliser cet esprit si criminel, sans difficulté aucune, emploiera le fer, le poison et la flamme. Des faits dont le souvenir est encore si affligeant sont là pour le prouver.

Voilà les citoyens que procurerait à la société une liberté immédiate et générale; voilà ceux qui, pénétrés de reconnaissance, béniraient le nom de nos philantropes, lesquels par leur efforts et leur dévouement leur auraient obtenu le grand bienfait de cette liberté prématurée; mais, alors quelle garantie de sécurité, de prospérité? comment la véritable liberté elle-même serait-elle garantie? «Pour que chacun soit libre, il faut que chacun dépende. Votre dépendance sera la garantie des autres, et la dépendance des autres sera votre garantie.

L’établissement de cette dépendance tutélaire est le principal objet de la société civile; et sans elle il n’y a point de liberté naturelle garantie, ou autrement de liberté civile.

Or, par une liberté générale et immédiate, toute dépendance est détruite pour l’esclave, puisque, par le fait, cette liberté, ôtant au maître le droit d’exiger de l’esclave le travail, et à l’esclave celui d’exiger de son maître la nourriture et le vêtement, elle détruit le lien de l’union qui existait entre le maître et l’esclave: union cependant si nécessaire que d’elle dépend la tranquillité des habitans et la prospérité des colonies.

Si l’on nous objecte que la puissance des lois serait là pour maintenir dans le devoir les nègres devenus citoyens, pour défendre les habitans et protéger les propriétaires; que ces lois seraient soutenus par une force physique imposante et terrible, nous répondrons que ces lois qui paraissent si puissantes parce qu’elles sont soutenues par de nombreuses baïonnettes et une formidable artillerie, sont et seront toujours impuissantes tant qu’elles seront soutenues par la force physique sans la force morale.

«Cela est même tellement essentiel, dit encore Massabiau, que si le pouvoir social cessait d’être une force morale, il cesserait bientôt d’être même une force physique, et par conséquent n’existerait plus.

«En effet, la force morale dont il s’agit, est celle qui résulte de la coopération ou de l’acquiescement volontaire des sujets à l’action du pouvoir, laquelle en devient singulièrement aisée, ne fût-ce que par la diminution des résistances.»

Or, qui produit dans les sujets cette disposition si favorable au pouvoir qui les gouverne, sinon la religion, qui, en même temps, les éclaire sur la liberté dont ils jouissent? Le principe de la vraie force morale se trouve seulement dans la religion, et sans elle point de vraie force morale possible.

Aussi, le souverain qui, trop fier de sa puissance, et croyant sont trône suffisamment soutenu par les faisceaux d’armes, mépriserait la force morale ou qui la laisserait s’éteindre parmi son peuple, verrait, tôt ou tard, et bientôt, peut-être, ce même trône s’ébranler, s’écrouler avec un horrible fracas, son sceptre brisé, sa couronne flétrie dans le sang de ses sujets; qui sait? peut-être verrait-on la tête de ce souverain dont la puissance serait actuellement sans force physique, parce qu’elle était sans force morale, rouler hideusement sur l’échafaud.

Si nous consultions les annales des nations, que des monarques ne verrions-nous pas tomber de leurs trônes élevés, et prouver au monde entier que la force physique, quelque formidable qu’elle paraisse, n’est que faiblesse, tant qu’elle n’est pas soutenue de la force morale!

Ils ont pu, ces monarques superbes, ces souverains, pour un temps si fameux, expier, par leur mort, le crime de n’avoir point employé la force morale pour consolider leurs trônes, pour rendre leurs peuples heureux.

Mais, qui peut s’opposer à la dépravation? Qui peut empêcher la ruine de ces peuples dont les souverains font reposer la tranquillité, la prospérité et le bonheur sur la puissance des baïonnettes? Comme ces fleuves impétueux qui, après avoir entraîné tout ce qu’ils rencontrent et causé la désolation des plus belles contrées, disparaissent dans l’abîme des mers, ces peuples, après avoir donné le spectacle des plus grands crimes et de la plus affreuse désolation, disparaissent dans l’abîme des temps, ne laissant après eux que le souvenir de leur avilissement, de leurs malheurs, de leur ruine.

Que ceux qui gouvernent n’oublient donc pas qu’il ne peut y avoir pour eux de puissance réelle, et pour leurs peuples de véritable liberté, de sécurité, de prospérité et de bonheur sans la force morale qui, seule, soutient la force physique, consolidé les trônes et rend les peuples heureux. Or, cette force morale, c’est la religion.

Nous le demandons aux philantropes les plus zélés: Quels avantages les esclaves, les colonies, la société elle-même, retiraient-ils d’une liberté générale et immédiate, qui ne pourrait être soutenue de la force morale?

Qui, en considérant l’état actuel de nos possessions d’outre-mer et les dispositions de la population noire, ne voit clairement qu’une telle liberté deviendrait une source féconde de désordre, de crimes, de misère et de malheurs?

En effet, d’où dépendent le bonheur des esclaves, la tranquillité et la prospérité de nos colonies? Assurément, de la soumission et du travail de des mêmes esclaves. Or, sans le travail point de culture, sans culture point de commerce: donc, la ruine des colonies et le malheur des noirs, qui, sans le travail, n’auraient devant eux que la misère, le crime, le désespoir.

En effet, cette liberté intempestive une fois proclamée et l’indemnité accordée, car «l’équité, dit M. de Lacharière, doit marcher de pair avec l’humanité, (1);» les esclaves deviennent réellement citoyens français, et jouissent des mêmes droits que les habitans de la métropole; pour tous liberté et égalité. Dès ce moment, les noirs ne diffèrent plus des blancs que par la couleur; dès ce moment aussi commencent la ruine des colonies et le malheur des esclaves. «Dans les colonies, les esclaves cultivent, les libres ne cultivent pas; voilà le fait. De là cette opinion générale et si profondément enracinée dans l’esprit du nègre, que l’homme qui cesse d’être esclave doit cesser de cultiver. L’expérience le démontre. Depuis cinq ans, plus de 25.000 libertés ont été accordées dans les colonies françaises. Dans ce nombre, trouverait-on un seul cultivateur? La négative ne serait pas douteuse, au moins pour la Guadeloupe….

En vain dira-t-on que le besoin forcerait les libres, lorsque leur nombre ne serait plus en harmonie avec leurs occupations actuelles, à demander à la terre la subsistance qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Les hommes passent facilement de la culture aux autres états de la société, mais n’y retournent jamais: ceci est vrai, même dans la métropole. Qu’on essaie de faire des laboureurs avec les ouvriers, les commissionnaires, les domestiques, etc., qui encombrent les villes de la métropole!

Les libres préféraient la faim, la misère au travail de la terre. Ces fléaux réduiraient leur nombre sans changer leur caractère.

On le sait, l’esclave qui n’est point éclairé par la religion, ni excité au travail par des motifs plus qu’humains, regarde le pouvoir de ne rien faire, et de dormir selon son caprice, comme une source de jouissance, un bonheur.

Mais sera-ce par une liberté prématurée qu’on lui inspirera le goût du travail? non sans doute, une telle liberté ne peut qu’augmenter l’horreur qu’il en a et ranimer en lui l’amour d’une oisiveté criminelle.

A l’époque où une liberté générale et immédiate fut accordée aux esclaves de la Guiane française Madame H. qui avait une habitation au Mont-Sinery, engagea ses nègres à demeurer sur cette habitation, et afin de les exciter au travail elle leur offrit de grands avantages; mais l’un d’eux, au nom de tous, luis répondit. «Nous sommes citoyens, par conséquent libres comme l’air, nous ne voulons pas travailler»

N’a-t-on pas vu des nègres, devenus citoyens, étendus sur l’anse de Macouria (1), aux rayons brûlans du soleil des tropiques, y mourir de faim, dévorés tout vivans par les chiques?

(1). Guiane française.

La liberté, en leur conférant les droits de citoyen, leur donnait aussi le pouvoir de ne pas travailler, conséquemment celui de mourir de faim.

Dans la pétition dont nous avons déjà parlé nous lisons: «Soutenus par sa haute protection ( la haute protection de la philantropie), nos affranchis ont pris rang parmi les citoyens des colonies. Elle en fait ouvertement ses auxiliaires auprès de ceux de leurs frères qu’elle n’a pu arracher encore à la servitude. Le cri de la liberté qu’ils ne cessent de faire entendre est devenu partout leur mot de ralliement. il en résulte un développement évident dans la faculté pensante du nègre, et un dégoût plus remarquable que jamais pour sa condition actuelle.

Mais que sont réellement, pour la plupart, les affranchis soutenus par la haute protection de la philantropie? Des hommes livrés à la plus coupable oisiveté, agités par les passions les plus violentes, des hommes inutiles à leur, semblables, nuisibles à la société; des hommes enfin, dont l’avenir est la misère, souvent même le désespoir…. Et n’est-ce pas pour le malheur de nos colonies et des esclaves que la philantropie se sert de tels hommes comme d’auxiliaires auprès de leurs frères qu’elle n’a pu arracher encore à la servitude.

Mais ce que nous ne pouvons concevoir, c’est qu’une liberté prématurée puisse opérer un développement évident dans la faculté pensante du nègre, tandis que les faits les plus nombreux prouvent qu’une telle liberté ne peut que favoriser ses penchans, exciter ses passions, l’avilir et le jeter dans la plus affreuse misère.

En ce moment nous avons sous les yeux une lettre d’une personne de la Martinique qui, depuis bien des années, et qui leur faveur ne cesse de multiplier ses sacrifices. Voici ce qu’elle écrit.» Les nègres, une fois libres (et il y en a beaucoup à présent), ne veulent plus travailler. Alors ils tombent dans une extrême misère. Il y en a même qui sont secourus par les esclaves qui, tant qu’ils le sont, ont toujours de quoi vivre. C’est un contraste assez frappant que de voir arriver en ville des esclaves de certaines habitations, en bottes, habit et pantalon de drap noir, tandis que ceux qui sont devenus libres et qui, lorsqu’ils étaient esclaves, étaient régulièrement bien habillés, sont à présent en guenilles. Ce qui prouve bien que ce peuple est bien éloigné de la civilisation. Lorsqu’ils il n’est pas forcé au travail, même pour son propre intérêt, il ne travaille plus».

Cependant, dans la même pétition nous lisons: «l’avenir déroule progressivement l’étendard de la liberté, sur lequel on aperçoit déjà cette inévitable sentence, écrite en lettres d’or: par la raison ou par la force».

Mais pourquoi cette sentence est-elle devenue inévitable? Pourquoi l’écrire sur l’étendard de la liberté en lettres d’or? si l’acte de l’affranchissement, acte solennel d’humanité et de justice, doit s’opérer sous l’égide de la seule raison ou de la force, quels malheurs pèseront et sur les noirs et sur les colonies! Faites disparaître cette sentence, par la raison ou par la force, et gravez-y en caractères ineffaçables celle-ci: pour la religion et le travail.

Si l’intention du gouvernement était de proclamer une liberté générale et immédiate, nous lui dirions: Avant tout faites bâtir des hôpitaux, construire des prisons, forger des fers; augmentez vos garnisons, parce que l’époque de cette liberté sera l’époque d’une grande misère et de grands crimes». En effet, par cette liberté le maître est affranchi de l’obligation de procurer la nourriture et le vêtement a l’esclave, de pourvoir aux besoins de sa famille, puisque par cette même liberté l’esclave est affranchi de l’obligation de travailler pour son maître. R, cette liberté une fois proclamée, que deviendront ces masses de nouveaux citoyens privés tout-à-coup de ressources de d’espérance; quel sera leur avenir?

Que deviendront ces nombreux vieillards qui vivaient naguère si heureux dans leurs cases où ils mangeaient en paix et avec consolation la nourriture qu’ils recevaient, pénétrés de reconnaissance, d’un maître humain, bon et généreux, qu’ils aimaient si sincèrement? Aujourd’hui, frustrés de l’espérance, pour eux si douce, de mourir près de maître qu’ils ont si long-temps servi, et duquel ils attendaient, comme prix et récompense de leur travail et de leur fidélité la nourriture et le vêtement jusqu’au dernier de leurs jours, ou iront-ils? Libres à la vérité, mais pressés par le besoin, autant accablés par la douleur et le poids des années qu’épuisés par le travail, que peuvent- ils faire pour se procurer cette nourriture et ces vêtements qui dans l’esclavage ne leur manquaient jamais? Quel sera le sort de leur vieillesse? Qui fermera leurs paupières? Où reposeront leurs cendres? Sans cette liberté, leur vieillesse eût été heureuse; consolés, fortifiés par une religion toute d’amour, ils eussent paisiblement terminé leur vie au milieu de leurs familles et de leurs amis; et déposées dans une terre bénite par la religion, leurs cendres eussent reposé non loin de ceux qui leur étaient si chers.

Et ces mères qui, dans l’esclavage, se reposant du soin de leurs enfans sur la justice et la bonté de maître, vivaient tranquilles, contentes n’étant agitées par aucune crainte sur leur avenir, qui deviendroit-elles, aujourd’hui que libres, elles ne peuvent leur procurer la nourriture qu’elles recevaient chaque jour de la main du maître? Et cette multitude de pauvres enfans si dignes de compassion et d’intérêt, qui assurément, ne béniront pas le jour de leur liberté? Qui les consolera? Qui éclairera leurs esprit et formera leur coeur? Qui les instruira? Qui les dirigera dans les premières années si précieuses de la vie? Qui les élèvera dans la pratique des vertus sociales et chrétiennes et dans l’amour du travail? Leurs anciens maîtres? Mais ils ne leur appartiennent plus, et en recevant la liberté ils ont perdu le droit de réclamer les secours qui ne leur auraient jamais manqué si cette liberté prématuré ne leur ravissait jusqu’à l’espoir d’être heureux. Leurs parens? Mais plongés dans l’ignorance la plus profonde, ils méconnaissent les devoirs les plus sacrés, et la pratique des vertus sociales et chrétiennes leur est absolument étrangère; d’ailleurs, eux-mêmes sans ressource et sans espérance, que pourraient-ils faire pour leurs enfans? Sans doute, ils pourraient avec eux pleurer, souffrir et appeler cruels ceux qui si généreusement leur auraient procuré une liberté qu’ils ne demandaient point et qui ne peut être pour eux qu’une source d’affliction, de misères et de malheurs.

Qui donc empêchera cette jeunesse si nombreuse de vivre dans l’ignorance la plus profonde comme la plus funeste, de se livrer aux vices les plus honteux, de tomber dans le crime et d’aller expier sur l’échafaud des forfaits dont elle n’aura pas été elle seule la cause?

Mais par quels moyens prompts et efficaces maintiendra-t-on dans la soumission et le devoir ces milliers de nouveaux citoyens vigoureux, pleins de vie, pressés par la faim et refusant de travailler?

Ah! qu’il est cruel et terrible l’esclave qui étant dominé par des grandes passions, n’ayant rien à perdre et tout à gagner, est excité au crime par ce qu’il appelle faussement son droit, la liberté! On s’empressera d’affranchir des hommes encore dans l’ignorance des devoirs les plus sacrés, encore sous l’empire de leurs criminels penchants; eh bien! cette liberté loin d’affaiblir leurs passions, de leur donner un frein, elle les rendra plus puissantes, indomptables; et la vue des flots de sang qu’ils répandront au nom de la liberté, pour obtenir par le fer ce qu’ils ne veulent pas se procurer par le travail, ranimera leur courage, soutiendra leur fureur.

Sans doute, on jettera dans les fers les plus coupables dont on fera jaillir le sang sur l’échafaud, afin d’inspirer aux masses qu’on croira effrayées par ce supplice, des sentimens plus dignes de la liberté et de la société, l’amour de l’ordre et de la paix; surtout, on espèrera par cet acte de rigueur les porter au travail.

Témoins du supplice, les masses pour un temps. demeureront calmes et comme impassibles.

Alors pleine d’elle-même et fière du succès, la philantropie applaudira sans doute aux moyens prompts, énergiques et efficaces qu’elle procurera pour le bonheur des noirs, la sécurité et la prospérité de nos colonies, et pour l’utilité de la société. Mais celui-là aurait bien peu étudié le coeur de l’esclave et connaîtrait bien peu l’énergie et la force des passions qui l’animent lorsque la religion ne l’éclaire ni le dirige dans ces actions, qui croirait que le spectacle d’exécutions sanglantes peut le faire rentrer dans le devoir, l’y maintenir et lui inspirer l’amour du travail.

A la vérité, l’autorité a donné des exemples d’une grande sévérité; des criminels sont tombés sous la hache du bourreau, un sang coupable a ruisselé sur l’échafaud; mais les noirs ont vu couler le sang africain, dès ce moment, une haine implacable les anime, le désir d’une éclatante vengeance leur fera mépriser les dangers, braver les supplices, et s’ils peuvent venger leur frères, qu’ils croiront injustement immolés, ils mourront avec plaisir.

Partout les nouveaux citoyens expriment leur haine qui devient terrible, partout ils manifestent les sentiments d’une affreuse vengeance contre ceux même qui, il y a peu de jours, leur disaient: C’en est fait; pour toujours, vos chaînes sont brisées, vous êtes libres! Et qui agitaient au milieu d’eux la bannière de la liberté portant cette inscription: Plus d’esclavage, liberté, égalité,

Partout règne la frayeur, l’anxiété et le sombre désespoir. Ce sont là les premiers fruits d’une liberté générale et immédiate.

Mais que fera l’autorité? sans doute, elle se montrera au milieu de ces milliers d’hommes libres, soutenue d’une force imposante et même formidable: par un langage persuasif et paternel elle s’efforcera d’éteindre leur haine, d’enchaîner leurs passions, de les rendre amis de l’ordre et du travail; inutilement le sang de leurs frères a coulé, et ils regardent comme des tyrans ceux qui l’on répandu.

Elle les sommera au nom de la loi de rentrer dans le devoir, de se livrer au travail; et eux armés du fer, du poison et de la flamme, ils répondront au nom de la liberté qu’ils ne veulent pas travailler. Le pouvoir réduit à cette extrémité, pour conserver à la loi sa force et sa puissance, fera agir les baïonnettes, et à l’aide du canon il s’efforcera de répandre dans tous les coeurs l’effroi et la terreur; mais le coeur de l’esclave devenu citoyen avant le temps y est insensible. C’est alors que cette multitude de citoyens si calmes, si soumis et si laborieux dans l’esclavage, se lèveront comme un seul homme et qu’après avoir répandu la désolation et fait des monceaux de ruines dans nos belles et riches contrées d’outre-mer, ils tomberont sous la mitraille, s’écriant: Nous sommes libres, vous êtes des tyrans!

Tels seraient les résultats et les suites à jamais déplorables d’un affranchissement général et immédiat.

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Ces enfans nés libres de parens esclaves, que deviendront-ils? Ils seront confiés à leurs mères. Mais ces mères esclaves, bien qu’elles soient animées des beaux sentimens qu’inspire la nature aux parens pour leurs enfans, vivaient pour la plupart dans l’ignorance la plus effrayante des obligations premières et les plus sacrées; elles aperçoivent à peine la différence qui existe entre le bien et le mal, le vice et la vertu; elles sont dominées par des passions impérieuses qui, souvent, agitent leur coeur depuis l’aurore de la raison jusqu’au tombeau. Or, quels principes de vertu, quels sentimens pourront recevoir des enfants libres de telles mères esclaves? quel esclavage plus affreux qu’une liberté sans moeurs, sans vertu! Assurément, l’honorable M. Passy veut que cet affranchissement soit un principe de bonheur pour l’esclave, de sécurité et de prospérité pour les colonies, enfin, qu’il soit utile à la société; c’est-là, nous ne pouvons en douter, le désir qui l’anime. Mais comment le réaliser, ce désir qui est aussi le nôtre?

Quel est celui qui, connaissant le caractère et les passions des esclaves, ne soit convaincu qu’un tel système deviendrait une source de malheurs pour les noirs, de ruine pour les colonies, et qu’il serait funeste à la société?

Où est donc, en effet, l’avantage qu’il procurerait à ces milliers d’enfans affranchis à leur naissance?

Où est donc l’utilité qui en reviendrait au maître? enfin, quelle garantie de sécurité de prospérité un tel système procurerait-il à nos possessions d’outre-mer?

Et ces enfans si privilégies, seront-ils réellement élèves selon les principes d’une vraie liberté, c’est-à-dire, selon les principes de l’honneur et de la vertu? nullement. En suçant le lait de mères esclaves, ils recevront les principes du vice, les sentimens qu’inspire la superstition; ils se familiarisent avec les moeurs, les plus souvent corrompues, de leurs mères à qui ils seront confiés, et dont ils suivront aveuglément les volontés et les caprices. Qui sait si un jour ces enfans qui auront été affranchis avec tant de générosité et de précipitation, animés des sentimens que donne la nature aux enfans pour leurs parens, sentimens qui nous portent d’une manière irrésistible à vouloir le bonheur de ceux qui nous donné l’être, et pour cela à faire les efforts les plus généreux et les sacrifices les plus grands, qui sait si ces enfans, affligés, irrités à la vue des chaînes qui pèseront encore sur leurs parens, ne voudront pas les briser?… Combien cette nombreuse jeunesse libre deviendrait alors dangereuse pour les maîtres et pour les colonies! Afin de délivrer de l’esclavage les auteurs de ses jours, elle ne se lèverait pas en masse pour massacrer ceux qu’elle regarderait comme les oppresseurs, les tyrans de ses parents; mais elle emploierait le poison et le feu, moyens plus perfides et dangereux, qui, en peu de temps, détruiraient la fortune et tout l’avenir du maître, et qui le précipiteraient dans une affreuse indigence. Qu’on ne regarde pas ces craintes comme purement idéales; elles se réaliseraient infailliblement. Qu’il serait facile, en effet, à cette jeunesse libre, de faire usage du poison et de la flamme, étant surtout secondée par des parens qui regarderaient ces moyens comme légitimes, parce qu’ils croiraient devoir leur procurer une liberté qu’ils s’imagineraient leur appartenir!…

Le travail des noirs qui est la cause de la prospérité de nos colonies, ne peut se perpétuer que par la jeunesse. Or, qui inspirerait l’amour du travail à cette multitude d’enfans libres? Qui les y exercerait? Leurs mères? Eh! serait-il possible que ces mères inspirassent à leurs enfans l’amour du travail dont elles ont l’horreur la plu grande, et qu’elles regardent comme la cause de leur esclavage? Non, l’espérer ce serait se faire illusion. Les maîtres? Mais quelle autorité pourraient avoir sur des enfans libres et confiés par la loi à leurs mères, des maîtres indemnisés? Si, par un sentiment d’humanité et uniquement pour le bien de ces enfans, ils voudraient les exercer à un faible travail, les mères n’auraient-elles pas le droit de leur dire: la loi nous les a confiés? Et lorsque ces mères se dispenseront d’aller aux ateliers, ce qui arrivera le plus souvent, afin de prodiguer des soins assidus à leurs enfans, sollicitude et tendresse que commande la nature, et qu’on ne peut condamner, que feront les maîtres? Sans doute, il ne leur sera pas permis de forcer ces mères à travailler; ils devront donc se résigner à voir leurs ateliers abandonnés par les mères qui seraient obligées, d’après la loi, de veiller sur leurs enfans puisqu’ils leur seraient confiés.

Mais quelle serait l’indemnité accordée aux maîtres qui, par suite de l’abandon des ateliers par les mères, éprouveraient un tort des plus considérables? cinquante francs par an et par tête d’enfant!…

Voulez-vous avoir une idée des maux dont un tel système d’affranchissement serait la source (1)? Considérez la jeunesse esclave de nos colonies. Ensevelie dans les épaisses ténèbres de l’ignorance la plus profonde qui ôte à l’esprit toute lumière, et au coeur tout sentiment noble et généreux, elle languit sous le joug du vice, n’ayant sous ses yeux que de mauvais exemples, et n’entendant que des discours qui, loin de lui inspirer l’horreur du vice, l’amour de la vertu, le goût du travail, ne font que fortifier les funestes penchans qui déjà l’agitent avec tant de violence. Or, que pourraient attendre les colonies et la société de cette jeunesse si l’on ne s’empressait de lui inspirer les sentimens de la vertu et l’amour du travail? Mais affranchir les enfans à naître, ne serait-ce pas vouloir augmenter le nombre déjà bien trop grand de ces esclaves affranchis, dont la liberté ne sera jamais profitable aux colonies ni à la société, puisqu’ils trouvent leur bonheur dans l’oisiveté, le plaisir des passions, et qui n’usent de leur liberté que pour vivre dans une criminelle et funeste indépendance et mourir dans le désespoir.

(1). Chose bien digne de remarque dans la proposition, il n’est nullement question de l’instruction à donner à cette multitude d’enfans affranchis dès leur naissance.

Ce système nous parait aussi contraire aux bonnes moeurs et à la religion. Combien de négresses en effet ne s’abandonneraient pas au libertinage afin d’obtenir le privilège de la loi, et par la même le droit de ne plus travailler? Qu’il serait difficile alors d’inspirer à toutes ces mères des sentimens de vertu et de religion!…

Des ordonnances royales, il est vrai, statueraient sur les mesures à prendre pour le recensement et la protection des enfans nés de mère esclave; mais ces enfans seraient toujours libres, leurs droits civils et politiques soutenus et garantis par la loi commune à tous les citoyens français ne pourraient être affaiblis. Ils n’en demeureraient pas moins confiés à leurs mères. D’ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, il n’est nullement question du mode d’instruction qui conviendrait aux enfans esclaves affranchis dès leur naissance.

Toutefois, nous devons des actions de grâces à l’honorable M. Passy, qui a rappelé un droit bien sacré de la nature, droit qui n’a cessé d’être violé pendant le trafic à jamais infâme des esclaves africains.

«Art. 3. Les esclaves mariés ne pourront être séparés en cas de vente.»

Nous aimons à le croire, il n’est plus de ces hommes assez injustes, assez inhumains, assez barbares pour briser les liens les plus doux, les plus puissans que forme la nature, que bénit la religion, et qu’aucune loi ne peut rompre.

L’Angleterre, dont un grand nombre admire la philantropie envers les esclaves, reconnaît sans doute aujourd’hui la faute grave et irréparable qu’elle a faite en affranchissant des milliers d’enfans, qui n’useront peut-être de leur liberté que pour leur propre malheur et celui de leurs concitoyens, mais la faute ne viendra pas d’eux seuls.

M. John Innes écrivait à lord Gleneg, que dans la Guiane anglaise, le nombre des enfans affranchis par l’acte d’abolition s’élevait en 1834 à 9,873. «Je me borne, lui écrivait-il, à constater le fait que 9,873 enfans sont élevés en ce moment sans la moindre apparence qu’aucun d’eux se consacre un jour à la culture des terres (1).»

(1). Rapport d’un témoin oculaire, etc.

Le gouvernement de la Grande-Bretagne voit enfin qu’il aurait dû finir par là où il a commencé. A la vérité, de nombreux instituteurs s’efforcent de répandre partout, spécialement parmi la jeunesse, les principes d’humanité, de justice, d’ordre et de paix; mais qu’il est difficile de faire oublier à une jeunesse dominée par des passions qui n’ont pas encore connu de frein qu’elle est libre, et de le rendre digne de ce grand bienfait trop tôt accordé et qu’elle ne saura jamais apprécier!

Pourquoi l’Angleterre n’a-t-elle pas fait avant de proclamer la liberté ce qu’elle est obligée de faire après l’avoir proclamée, et avec beaucoup plus de peine et bien moins de succès? Il fallait élever la jeunesse dans l’amour du bien, dans la pratique des vertus sociales et chrétiennes, la convaincre de la nécessité du travail et lui en inspirer le goût, puis l’affranchir. Cette marche que suivra la France, eût été, sans contredit, plus prudente, plus sure, et selon les principes de l’humanité et de la justice. N’imitons pas en tout la Grande-Bretagne, et avant d’affranchir la jeunesse esclave de nos colonies, qu’elle soit bien instruite de ses devoirs, formée au travail et rendue digne de la liberté.

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Ces Champs d’asile, qui bientôt deviendraient de petites fermes-modèle, offriraient aux autres nations un moyen prompt et facile de former tout une génération esclave aux vertus sociales, de transmettre par elle aux générations à venir les principes d’ordre, de paix, de justice, un moyen de procurer aux esclaves une liberté qui deviendrait pour eux une source de bonheur, une garantie de sécurité et de prospérité pour les contrées où de tels établissements seraient formés. Ne pourrait-on pas y établir des caisses d’épargne, où le nègre laborieux et économe viendrait déposer le fruit de son travail de ses économies, et qui fructifierait pour lui?

Après avoir été formés à la vertu et au travail dans les Champs d’asile, et y avoir passé le nombre d’années qui aurait été fixé (1), les enfans en sortiraient libres, mais ce ne serait jamais avant la première communion, ils retourneraient auprès de leurs anciens maîtres, au service desquels ils travailleraient pendant dix ans non comme apprentis, mais comme libres. Ce temps fini ils pourraient s’engager pour plus ou moins d’années, parce que dès lors ils seraient assimilés aux cultivateurs français, et comme eux, ils s’engageraient à travailler pour les propriétaires.

(1). Nous laissons à qui il appartient le droit de fixer le temps de l’éducation et de l’apprentissage.

Pag. 176

Résumons:

Art. 1er. Des Champs d’asile seront établis dans les colonies françaises pour élever la jeunesse esclave, l’instruire, la former à la pratique de la vertu, aux bonne moeurs et au travail.

Art. 2. Le but de ces établissemens étant d’abolir l’esclavage sans abolir le travail, il y aura dans chacun d’eux un terrain assez vaste pour être cultivé et des ateliers pour y former de bons ouvriers.

Art. 3. L’administration des Champs d’asile sera composée d’hommes dévoués aux intérêts des colonies et au bonheur des esclaves, ils seront choisis parmi les habitans des colonies.

Art. 4. Le soin de l’instruction de la jeunesse sera confié à des ecclésiastiques qui feront leur résidence aux Champs d’asile; ils seront aidés dans les fonctions de leur ministère par les frères de l’instruction chrétienne.

Art. 5. Les enfans d’esclaves seront reçus aux Champs d’asile dès leurs premières années, ils y passeront le temps suffisant pour leur éducation et leur apprentissage, mais ils ne pourront en sortir avant leur première communion.

Art. 6. Leur éducation et leur apprentissage finis, ils seront déclarés libres.

Art. 7. Les élèves des Champs d’asile, après leur éducation et leur apprentissage, retourneront chez leurs anciens maîtres, au service desquels ils travailleront pendant dix ans, non comme esclaves ni comme apprentis, mais comme libres.

Art. 8. Une gratification sera accordée à tous ceux qui, pendant le temps de l’apprentissage, se seront distingués par leur bonne conduite et par leur ardeur pour le travail.

Art. 9. Ceux dont la conduite n’aura as été bonne et qui n’auront point montré d’ardeur pour le travail, seront retenus comme esclaves aux Champs d’asile.

Art. 10. Des caisses d’épargne seront établies dans les Champs d’asile.

Si l’on voulait affranchir la jeunesse esclave, le projet des Champs d’asile, quoique d’une exécution assurément difficile, serait cependant le moyen le plus efficace de procurer à cette même jeunesse un affranchissement utile aux noirs, aux colonies et à la société.

Nous nous empressons de soumettre ce mode d’affranchissement à la sagesse de ceux qui ont mission pour travailler à la solution du grand problème de l’abolition de l’esclavage; à messieurs les délégués de nos colonies, ces hommes expérimentés qui veulent sincèrement le bonheur des noirs et la prospérité de nos belles contrées d’outre-mer, et qui, à un zèle aussi prudent qu’éclairé, joignent une grande connaissance des colonies et du caractère des esclaves; enfin, aux habitans des colonies, à qui il importe surtout de n’admettre qu’un mode d’affranchissement qui favorise tout à la fois les intérêts des noirs, des colons et ceux de la société.

C’est autant contre la justice que contre la vérité que des hommes qui, avec emphase, se disent bons philantropes, montrent à l’opinion publique les colons, comme nullement amis des esclaves, ni dévoués aux intérêts des colonies; comme des maîtres qui, afin de réaliser leurs espérances d’intérêt, ne désirent rien tant que de maintenir les noirs dans un long et dur esclavage.

Que désirent, que veulent donc les colons? Les colons désirent et veulent que l’esclave soit affranchi; mais avant tout, ils veulent qu’il leur soit accordé un temps suffisant pour préparer leurs esclaves à ce grand acte d’humanité et de justice; car ils ne veulent point d’une liberté prématurée qui causerait le malheur de leurs esclaves et leur propre ruine. Et qui veut d’une telle liberté, sinon ces théoriciens exaltés, toujours prêts à tout sacrifier pour le triomphe de leurs belles utopies? Les colons désirent et veulent que leurs esclaves soient rendus dignes de la liberté par l’instruction et la religion; ils veulent que le gouvernement fasse des lois qui, en contribuant à maintenir l’esclave dans la soumission et le travail, contribuent aussi à procurer aux maîtres eux-mêmes la sécurité et les moyens de faire prospérer leurs habitations; ils veulent enfin que leur propre existence, le sort des esclaves et la prospérité de nos colonies ne soient plus mis en problème. En cela, ont-ils tort? Qu’on nous réponde. Leurs demandes ne sont-elles pas fondées sur les lois de la plus stricte justice et de la sainte humanité? Et ces colons, ne veulent-ils pas plus sincèrement le bonheur des noirs et la prospérité de nos possessions d’outre-mer, que ces philantropes au zèle impétueux et imprudent, qui invoquent une liberté dont ils ne calculent pas les conséquences; qui, peut-être, croient pouvoir s’immortaliser en brisant généralement et immédiatement les fers de l’esclavage. Sans doute, leurs noms, comme ceux de bien d’autres, pourraient passer à la postérité; mais, témoin des faits, la postérité n’aurait-elle pas à gémir sur les funestes effets de leur zèle imprudent, de leur philantropie trop ardente? n’aurait-elle pas à déplorer le malheur des esclaves et la ruine des colonies?…

Puissent les esclaves, nos frères, jouir bientôt des immenses bienfaits que répandent sur les nations l’instruction morale et religieuse, et le culte de la religion catholique!…..Puissent nos colonies, ces belles et riches contrées, autrefois l’orgueil de la France, jouir bientôt d’une grande sécurité et d’une grande prospérité!…..Puisse enfin une liberté franche, entière, puissante et bienfaisante, affranchir les peuples esclaves, briser à tout jamais leurs chaînes, et les rendre heureux!…

FIN.

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