Remède aux Divers Esclavages

EXTRAIT DU 5e Nº DE LA PHALANGE

REMEDE AUX DIVERS ESCLAVAGES

(Par M. Fourier)

Au moment où Angleterre fait une folle dépense de cinq cents millions pour affranchir ses esclaves coloniaux, qu’elle pourrait libérer sans aucun frais et sans risque de déclin de l’industrie aux Antilles.

Au moment où la France, dans un accès d’Anglomanie, veut faire chorus de duperie et projette un nouvel impôt ou emprunt de trois cents millions pour affranchir ses nègres coloniaux, qu’elle peut libérer sans qu’il en coûte rien;

N’est-ce pas le cas d’examiner la méthode qui affranchirait GRATIS tous les esclaves du globe, qui les émanciperait par la volonté et l’offre des maîtres, avec garantie de persistance au travail, et progrès d’émulation?

Les nègres coloniaux des Anglais forment environ un trois centième des esclaves et serfs du globe. Les nègres des Français environ un millième. Total, quatre millièmes à peu près. Selon le tarif anglais à 500 fr. Il en coûterait 150 milliards pour émanciper tous les esclaves du globe, et selon le tarif français, à 1.000 fr. Par tête, ce serait 300 milliards; où les prendre? Et pourquoi recourir à ce moyen ruineux quand on en possède un qui ne coûterait rien?

Déjà dans Rome, au temps des Empereurs, on avait su affranchir les esclaves sans imposer aucune charge au trésor public; ne peut-on pas retrouver un mode de libération gratuite et plus expéditive encore? Ne devrait-on pas en Angleterre mettre au concours cette recherche, avant de voter une dépense de 500 millions?

Mais il existe une classe de philanthropes et gens du progrès qui, aux bords de la Tamise comme aux bords de la Seine, veulent palper des centaines de millions. Déjà en Angleterre ils ont fait établir une taxe des pauvres qui coûte, en aumônes imposées, 200 millions par an prélevés sur 14 millions d’habitants. La France, pour imiter cette bévue philanthropique, devrait donc ajouter à son budget 430 millions, selon le rapport de population, 14 à 32.

Eh quel serait le fruit de cette gigantesque aumône? rien autre qu’un cercle vicieux, comme on le voit en Angleterre, où elle est si insuffisante qu’on y trouve, comme auparavant, des légions de pauvres spéculatifs ou réels. La seule ville de Londres contient 230.000 indigents, mendiants, vagabonds, prostituées, gens suspects, etc., brillant résultat d’une aumône qui, depuis dix ans, a déjà absorbé deux milliards!

Méfions-nous de la philanthropie dispendieuse comme celle de Wilberforce, les procédés de la nature ne sont pas ruineux, et si le Roi des Français, pour donner aux voisins d’outre-mer une leçon d’économie et de génie, voulait abolir d’un seul coup l’esclavage et l’indigence, non pas seulement en pays français, mais par toute la terre, il n’en coûterait, par le procédé naturel, ni 2 milliards ni 200 millions, ni 20 millions, pas même deux: combien donc? pas une obole, rien autre que de VOULOIR.

L’affaire est d’autant plus digne d’attention, qu’en ce moment on projette une saignée de 300 millions sur la pauvre France; elle doit être proposé à la prochaine session. Le piège est bien fardé, le danger est imminent; opposons-y la méthode naturelle, dont je vais donner un léger aperçu.

Feu Ampère a dit: – Lorsqu’une question est bien posée, on peut la considérer d’avance comme résolue.

Mais jusqu’ici rien n’a été si mal posé que les questions relatives à l’abolition de l’esclavage et de l’indigence; d’une part on met en problème si l’esclavage est un mal, d’autre part on semble douter si l’indigence existe, on demande, en programme académique, à quels signes elle se manifeste!!! ( sujet du prix Beaujour.)

Si les signes en sont si inconnus, si invisibles qu’on offre 5.000 francs de récompense à qui déterminera ces signes au 31 décembre 1837, nous pouvons jusque-là douter que l’indigence existe; et portant les douze comités de bienfaisance, dans leurs épîtres en appel de secours, s’offrent à donner des preuves bien palpables sur cette existence de familles dénuées de tout. Pourquoi donc offrir 5.000 fr. pour la recherche de ce qui est trouvé? portez seulement une aumône de 50 fr. au comité du quartier Saint-Marceau, et il vous fera conduire dans cinquante greniers où vous verrez à quels signes se manifeste l’indigence. Dès que vous aurez parcouru une demi-douzaine de ces taudis, vous pourrez indiquer les signes certains de la pauvreté, et gagner le prix de 5.000 fr.

Venons à la position de la question.

Ceux qui ont disserté sur l’esclavage et l’indigence et sur les moyens de remède, n’ont pas considéré que ces deux fléaux sont liés, proviennent d’une même cause, et que la cure de tous deux doit être opérée par un seul antidote, qui est l’industrie combinée et attrayante, donnant quadruple produit.

L’Académie des sciences paraît avoir pressenti cette innovation, car en séance de juillet 1829 elle accueillit et fit imprimer un rapport de M. Moreau de Jonnés, démontrant que le produit agricole pourrait être quadruplé.

M. François de Neuchateau, est venu à l’appui, par un livre où il prouve qu’en Champagne, le morcellement et cisaillement des petites propriétés en réduit le revenu au tiers de ce qu’il pourrait être par la seule unité de culture, la réunion en une seule ferme qui ferait les travaux impossibles à de petits cultivateurs, l’arrosage l’élève bovine, chevaline et autres améliorations impossibles à de pauvres paysans.

Mais MM de Jonnés et de Neuchateau en sont restés à de belles perspectives, ils n’ont pas donné le moyen d’exécution qui ne peut être que l’art d’associer des masses de familles inégales en fortune; art qu’invoquait la Décade philosophique en 1804; elle s’extasiait sur l’énormité d’économies et de richesses qu’obtiendrait une bourgade agricole, si elle pouvait réunir en exploitation unitaire et en ménage à divers degrés les trois à quatre cents familles dont elle se compose.

Pour opérer cette réunion, il est trois problèmes à résoudre:

1º Distribution des travaux en mode attrayant;

2º Emploi utile des discords et inégalités,

3º Répartition satisfaisante pour chacun.

1º Tant que les travaux sont répugnants, il est imprudent d’affranchir les esclaves; tout acte philanthropique est hors des voies de la nature s’il conduit au déclin de l’industrie; c’est ce qui arrive de la méthode Wilberforce, que nos anglomanes veulent imiter. Il faut donc découvrir une méthode attrayante, garantissant la persistance de l’esclave libéré, et même celle du salarié qui, obtenant par le quadruple produit un train de vie quadruple en bien-être, pourrait en divers pays s’adonner à la fainéantise comme en Espagne.

2º Si pour associer il faut, selon le dire des moralistes, changer les hommes et les passions, établir la modération, la fraternité, l’égalité, on échouera en tout essai; car il est constaté par trois mille ans d’expérience que les hommes ne veulent pas changer leur caractères, passions et goûts; ils veulent rester tels que la nature les a faits. Or, ils sont variés et variables en goûts; ils ne veulent point d’égalité ni de modération; il faut donc trouver un procédé qui utilise les qualités et ressorts que la morale déclare vicieux et qu’elle veut comprimer: les discords, les inégalités, les ambitions immodérées, etc.

3º Si sur le quadruple produit les uns voulaient tout prendre, s’adjuger la part du lion, la réunion sociétaire tomberait en dissolution au bout de la première campagne. La multitude lésée en répartition se mutinerait; il faut donc un mode qui satisfasse chacun selon ses trois facultés industrielles, qui sont: 1º capital actionnaire, 2º travail, 3º talent, et qui distribue le quadruple produit aux diverses classes dans la proportion suivante:

         Riches, Aisés,               Moyens,          Gênés,             Pauvres.

         Double,           Triple,             Quadruple,      Quintuple,       Sextuple.

   Alors les 22 millions de français qui gagnent en salaire 6, ½ sous par jour auront environ quarante sous: Ceux qui ont cent mille francs de rente auront deux cent mille. La classe moyenne rentée à 2 ou 3,000 fr. en aura 8 à 12,000. Chacun sera content.

Voilà trois conditions dont ne se doutaient guère nos gâcheurs en association, Rob, Owen, Saint-Simon, Van-den-Bosch; ils voulaient prendre aux riches pour donner aux pauvres; ils ne rêvaient que communauté, modération, pénitencerie, frugalité, patience et autres dispositions contre nature, qui obtiennent des prix de 6,000 fr. à l’Institut.

Aucun d’eux n’osait se poser à lui-même les trois problèmes; chacun éludait la question en feignant de la traiter.

La solution que je donne perdrait son mérite si elle ne résolvait un quatrième problème, celui de l’équilibre de population. Quand l’humanité sera heureuse et riche, la population croîtra avec rapidité, parce que le régime d’industrie combinée opérant en séances courtes et variées, donne une grande vigueur et épargne les 2/3 sur la mortalité des enfants.

La population s’élèverait donc en moins de cent ans au quadruple, malgré les versements d’essaims coloniaux. La France (limite actuelle qui sera changée) aurait bientôt 130 millions au lieu de 32,½, ils retomberaient en régime de morcellement parce que l’ordre sociétaire, n’en déplaise aux moralistes, ne peut pas se maintenir sans le grand luxe échelonné en degrés, et répandu dans toutes les classes du corps social.

Quant à la population, son progrès qui sera très rapide pendant la première et la deuxième génération, s’arrêtera à la troisième. Les naissances seront réduites au tiers du nombre actuel, et ce tiers sera suffisant pour maintenir le globe au grand complet, parce que la longévité, l’absence de guerres, d’épidémies et d’excès, réduiront au tiers le chiffre des décès.

L’exubérance de population est un des désordres qui dénoncent l’impéritie et la couardise des sciences philosophiques. Loin de s’appliquer, selon l’avis d’Ampère, à bien poser les questions pour en faciliter la solution, l’on ne s’occupe qu’à les fausser, les travestir. Par exemple, Malthus, a dit en substance aux civilisés: «Vos grands progrès industriels et sociaux sont illusoires, la population outrée neutralise tous vos efforts, elle vous déborde; et la fausse concurrence, en réduisant les salaires, conduit toujours au dénûment vos fourmilières de populace; il faut, ou peupler moins, ou produire davantage et mieux répartir. Le progrès actuel n’est qu’un cercle vicieux.»

Dans cette apostrophe à l’économie ANTI-POLITIQUE (nom que lui donne avec raison le baron Dupin), Malthus posait bien la question, il mettait le doigt sur la plaie; qu’a-t-on répondu? Le monde savant a crié haro sur le sacrilège écrivain qui avait l’audace de dire la vérité et de poser une question de droit sens. On l’a forcé à se rétracter; il a eu la faiblesse, disons la lâcheté, d’y consentir.

S’il eût maintenu sévèrement son opinion, tout l’échafaudage des sciences philosophiques était renversé; on en serait venu à suspecter l’état actuel des sociétés, concevoir qu’il est probablement un mécanisme subversif de la destinée sociale, un état de CHUTE, comme le dit fort bien l’Ecriture; chute dont l’humanité ne peut se relever que par une réforme complète du système industriel, étendue à toutes les branches, culture, fabrique, ménage, commerce, etc. On aurait reconnu que les réformes tentées en politique, en religion, n’ayant engendré que des fléaux, il faut entrer dans une autre carrière, essayer la méthode opposée au système d’incohérence, morcellement et fourberie qui règne dans l’industrie actuelle; essayer le mode combiné et véridique, puisqu’il paraît enfin une théorie qui résout tous les problèmes à poser sur ce sujet; problèmes que n’avait abordés aucun des sophistes qui ont divagué sur l’association, n’osant traiter aucune des trois questions posées plus haut, et sans la solution desquelles on ne peut organiser le mécanisme sociétaire sur des masses de trois à quatre cents familles inégales en fortune.

Dans toute science le faux précède le vrai. L’astrologie judiciaire a régné avant l’astronomie géométrique, la magie avant la médecine, l’alchimie avant la chimie expérimentale. S’étonnera-t-on qu’il en soit de même en association? ce n’est que depuis le nouveau siècle qu’on s’en occupe; les charlatans, comme d’usage, ont ouvert la marche; ils se sont emparés de l’idée, l’ont travestie en théorie et en pratique; c’est à présent le tour de la vraie science.

A ces aperçus, ajoutons quelques détails de direction méthodique; voyons somment l’esprit humain aurait dû s’orienter dans des recherches sur la destinée, sur les moyens de se relever de la CHUTE; il devait raisonner ainsi:

«La science, dite philosophie, qui depuis trois mille ans nous sert de guide, n’a su que nous égarer, nous engouffrer dans toutes les misères sociales; indigence, fourberie, oppression, carnages, etc.; ces résultats honteux condamnent la philosophie, cherchons un autre guide.

A qui recourir? Il est un être qui sait faire des lois d’harmonie géométrique pour les plus grandes comme pour les plus petites créatures, pour les astres comme pour les abeilles; n’en aurait-il pas fait pour les hommes, pour régler l’ordre de leurs relations industrielles et sociales? il a dû le faire si sa providence est complète, étendue à toutes les créatures.

Comment leur révèle-t-il leur destinée, le genre de vie qu’il leur assigne? c’est par les attractions et répugnances; pour connaître si Dieu emploie la même voie avec nous, il faut faire un calcul d’analyse et de synthèse sur les attractions et répugnances qui ont régné et qui persistent chez toutes les nations.

Ne se pourrait-il pas que l’humanité eût deux destinées, deux mécanismes sociaux, comme les mondes où nous voyons l’incohérence parmi les comètes, et la combinaison parmi les planètes? Notre industrie ne serait-elle pas sujette de même à la dualité de mécanisme?

Nous donnons à Dieu le nom d’éternel géomètre; avait-il donc cessé d’être géomètre le jour où il créa nos passions; ne se pourrait-il pas qu’elles fussent les ressorts, les éléments d’un mécanisme de justesse géométrique, dont nos sciences morales ont fait manquer la découverte par leurs diatribes contre les passions?

En se fondant sur ces conjectures, on aurait procédé au calcul de l’attraction passionnée, et l’on aurait reconnu qu’elle tend à introduire dans l’industrie le même ordre que Dieu a établi dans toutes ses créations, les échelles d’inégalités ou séries de groupes; on les aurait essayées sur une masse de trois à quatre cents familles, et l’on aurait facilement réussi à obtenir quadruple produit, industrie attrayante, mécanique des passions; de là l’imitation générale.

Le succès de Newton, en calcul d’attraction matérielle, invitait à exploiter d’autres filons de la mine, les attractions passionnelle, instinctive, organique, aromale, etc.

Napoléon voulait étudier les deux branches instinctive et aromale. La veille du départ d’Egypte, il réfuta avec vivacité Monge, qui prétendait que tout était fait en calcul d’attraction; il regrettait que ses fonctions l’eussent empêché de continuer le travail commencé par Newton.

La tâche étant remplie, il reste à savoir quel parti doit prendre à cet égard un siècle qui se dit rationnel, positif et désireux de progrès.

Il doit faire un essai en dépit du parti obscurant qui a fait rétracter Malthus, parti qui a de tous temps étouffé les inventions; à ne parler que du bateau à vapeur, on en a vu les quatre inventeurs éliminés successivement:

Blanco de Garay, par les Zoïles, sous Charles-Quint.

Salomon de Cos, par le cardinal de Richelieu.

Papin, par l’académie de Paris.

Fulton, par Napoléon, cédant aux marins jaloux.

La France veut-elle renouveler pareille faute? Sommes-nous, sous un masque de rationalisme, aussi Vandales qu’on le fut à l’égard de Colomb et Galilée?

Qu’y a-t-il d’effrayant dans la tentative d’une ferme-modèle d’industrie attrayante et combinée? Les Hollandais viennent de fonder quatorze grandes colonies internes, en mode pénitenciaire et incohérent, la France n’osera-t-elle pas en fonder le quart d’une en mode attrayant?

Je dis le quart, puisqu’on peut réduire l’essai du mécanisme à 450 enfants de 3,1/2 à 13 ans les garçons, de 3 à 12 les filles, et 150 hectares de terre à jardin; un capital d’un million en 1,000 actions de 1,000 fr., et six semaines d’exercice pour la démonstration.

Si le Roi prend la première action, les 999 autres seront placées le lendemain. Il peut distraire 1,000 fr. Des 500,000 fr. qu’il affecte en secours aux ouvriers de Lyon, par un achat de soieries sur lequel il perdra au moins 20 pour cent. Voyons ce qu’il gagnera sur son action de 1,000 francs:

La conquête de tous les souverains: tous plus ou moins obérés et courant aux emprunts, seront dans l’ivresse de la joie en apprenant qu’ils peuvent, grâce au quadruple produit, doubler leurs impôts en dégrévant de moitié les contribuables, selon cette proportion pour la France:

1 milliard étant aujourd’hui prélevé sur 7, on pourrait prélever 4 milliards sur 28, montant du quadruple produit; mais le fisc aura bien assez de 2 milliards. Les contribuables ne paieront donc que 2/28 au lieu de 4/28 qu’ils paient aujourd’hui. L’avantage sera le même pour tous les souverains; ils porteront aux nues Louis-Philippe, fondateur de la nouvelle industrie, tous brigueront l’alliance conjugale avec ses enfants; sa dynastie deviendra la plus stable du globe.

Un charme non moins flatteur pour eux sera la garantie d’une fin des révolutions et conspirations; elles ont pour cause principale l’indigence, malesuada fames. Si Fieschi et Alibaud avaient été rentés à mille écus, ils n’auraient pas commis leur attentat; or, je puis prouver arithmétiquement et en détails minutieux, que dans le régime sociétaire, le plus pauvre des hommes vit comme celui qui, aujourd’hui, a mille écus de rente en pays hors d’octroi. Pourra-t-on trouver dans un tel ordre, des assassins, des émeutiers poussés par la faim?

Le Roi aura donc fait d’un seul coup la conquête des monarques et des peuples; ses ennemis personnels deviendront ses plus zélés partisans: Les partis tomberont dans l’oubli; il sera évident qu’aucun d’eux ne pouvait rien pour le bonheur du peuple, parce qu’aucun ne peut l’enrichir; sous les républicains ou les légitimistes il serait toujours réduit à la famine et au travail répugnant; double malheur auquel succédera tout à coup un double bonheur? surtout dans les genres de jouissance auquel le peuple tient le plus, la bonne chère et l’insouciance du lendemain.

Il n’aura nul souci de femme ni d’enfants; car, en régime combiné la femme gagne beaucoup, l’enfant est entretenu jusqu’à trois ans par la phalange, à quatre ans il gagne déjà sa subsistance, à six ans bien davantage. L’éducation est gratuite en tous degrés et genres.

Alors il ne pourra plus exister d’esclaves, parce que la domesticité combinée est un service infiniment meilleur et moins coûteux que celui des esclaves. D’ailleurs tout propriétaire voudra profiter du quadruple produit, il offrira à ses esclaves la liberté, sauf rançon solidaire payable en dix ou douze années. Ainsi finiront à la fois l’esclavage et l’indigence.

Disons les esclavages, car il en est de bien des genres; le salarié n’est-il pas un esclave indirect? Et parmi la classe qui possède, que de servitudes pour l’homme, la femme et l’enfant! Glissons sur ce sujet beaucoup trop étendu.

Mais il est un esclavage inconnu et qu’il faut signaler, c’est le joug de l’obscurantisme et des superstitions philosophiques, de l’athéisme et du matérialisme, des dogmes qui ont avili Dieu, nié sa providence en mécanisme industriel, nié l’existence de son code et empêché qu’on en fit la recherche.

S’ils étaient rationnels et positifs comme ils s’en vantent, ils comprendraient qu’en direction de mouvement social ou autre, la raison divine doit être au premier rang, et la raison humaine au deuxième; c’est donc de Dieu que doivent émaner les lois organiques et générales du système social, l’homme doit être borné aux lois secondaires ou de circonstance.

Si leur raison est positive et négative à la fois, qu’il reconnaissent la preuve positive de subversion dans la pauvreté des nations les plus industrieuses, Anglais, Français, Chinois, Hindous; et la preuve négative dans l’obstination des sauvages à refuser l’agriculture. Ils sont libres et organes de la nature; elle nous dit par leur refus que notre méthode industrielle est une subversion du mode naturel.

Si nos philosophes cherchent la vérité, pourquoi n’ont-ils jamais fait l’étude des résultats que produirait l’emploi universel de la vérité en relations industrielles? Cette étude leur eût dévoilé le ressort du mécanisme sociétaire, les échelles de discords et d’inégalités, les séries de groupes rivalisés.

Depuis quatorze ans, ils empêchent cette épreuve: voici une belle occasion de les suspecter et les confondre. Ils veulent faire une saignée de trois cent millions à la France, pour affranchir un millième des esclaves du globe; qu’on affranchisse le tout sans frais: c’est une belle palme pour le Roi, il y va de la sûreté de sa personne et de sa dynastie. La France au lieu de perdre 300 millions, en gagnera au moins 500 qui seront donnés au Roi libérateur, à qui chaque souverain, chaque nation, voudra témoigner sa vive reconnaissance par des offrandes en domaines, en or et en pierreries.

Et qu’aura coûté cette métamorphose des sociétés humaines? pas une obole, car prendre action sur une ferme-modèle qui rendra bien plus que les nôtres, c’est faire un bon placement et non pas une dépense folle comme celle des centaines de millions dont les philanthropes méditent la profusion inutile.

Quelle chance pour le roi! fin des conspirations; dynastie consolidée par vote du monde entier; enthousiasme de la France qui rétablira la liste civile au chiffre d’usage, 25 millions au roi, 8 aux princes; honneur d’avoir aboli l’indigence et l’esclavage, d’avoir élevé le genre humain à la destinée heureuse, d’avoir pulvérisé l’athéisme et le matérialisme par introduction du code divin ou mécanique des âmes et passions, d’avoir établi par toute la terre la libre circulation, remplacé tout impôt odieux et nuisible, substitué au chaos industriel le commerce véridique, et les unités de langage, signes alphabétiques, monnaies, poids et mesures, etc.

Mais c’est trop beau, c’est un rêve! Eh l’Amérique aussi était un rêve, avant qu’on eût consenti à vérifier: je ne demande pas ici de crédulité, rien d’autre que le ton dubitatif, comme celui du prélat, confesseur d’Isabelle: il dit fort sensément aux esprits forts du XVº siècle: «Je ne vois pas que cette théorie de Colomb soit aussi stupide que vous la faites: Je ne suis pas plus crédule que vous, mais je pense qu’on ne risque rien à vérifier, par un voyage d’exploration dont on tirera toujours quelque fruit.

Ici le cas est le même et il y a bien plus de certitude de tirer quelque fruit d’une épreuve sur la seule théorie qui ait chance de succès, en ce qu’elle emploie les hommes, les passions, caractères et instincts, tels qu’ils sont. Un tel procédé est plus spécieux que les méthodes qui depuis 300 ans s’escriment vainement à changer les passions.

Si le Roi ou quelque personnage influent émettait cette opinion dubitative, bien circonspecte, bien éloignée de la crédulité, l’essai sur 400 enfants serait aussitôt exécuté; 2 mois après le genre humain entrerait en mécanisme d’harmonie; il passerait de l’esprit fort à l’esprit judicieux, qui accorde à la raison divine le premier rang en législation, et assigne le deuxième à la raison humaine.

CH. FOURIER

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