Traité des Servitudes

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INTRODUCTION

I. L’origine des Servitudes est aussi ancienne que celle de la propriété dont elles sont une modification. De tout temps, la disposition naturelle des lieux a fait couler sur les fonds inférieurs les eaux vives ou pluviales qui descendoient des terrains plus élevés. Les premiers possesseurs des biens reconnurent l’indispensable nécessité de ces assujettissemens (1).

(1) Dig. de aq. et aq. pluv. arcend. L. I. §. 22 et 23, et L. 23, princip.

Lorsque l’extension de la culture rapprocha les hommes, et que le besoin d’une défense commune forma les premières sociétés, l’utilité et la sûreté publiques firent sentir combien il étoit nécessaire de restreindre, dans certains cas, les droits légitimes en eux-mêmes, mais dont l’exercice individuel et absolu ne pouvoit avoir lieu sans rendre quelques propriétés presqu’inutiles (1).

(1) Dig. de aq. et aq. pluv. arc. L. 2. §. 3. -Idem, Fin. reg. L. 13.

Ces obligations, que la nature avoit établies, que l’intérêt public avoit suggérées, fournirent aux particuliers l’idée d’en stipuler de semblables pour leur utilité respective, et même pour leur simple agrément. C’est ainsi que la disposition des lieux, le besoin social et la liberté des conventions ont fait naître les Services fonciers (1).

(1) Cujas, Obs. lib. 22. cap. 37.

2. Le droit romain, qui ne connut que cette sorte d’assujettissemens des héritages, leur donna le nom de «Servitudes»(1). La féodalité en introduisit d’autres dans les législations modernes. Sous le nom de main-morte, elle confondit les hommes qui possédoient la terre avec la terre elle-même, et ne les considéra que comme des animaux consacrés à la culture et attachés à la glèbe(2). Plus odieuse que l’esclavage, la main-morte ne trouvoit son excuse ni dans le droit de la guerre qui fit les premiers esclaves, ni dans l’espèce de besoin qu’éprouve l’homme riche de multiplier ses jouissances par le service d’autrui: ouvrage de l’avarice et de l’abus du pouvoir, elle n’asservissoit pas seulement quelques individus, elle enchaînoit encore leur postérité; elle ne frappoit pas uniquement une classe d’hommes, elle avilissoit la nation entière.

(1) Instit. de rer. div., tit. 2, §. 3.

(2) Édit donné par Louis XIV, au mois d’août 1779.

La politique des rois, l’intérêt des seigneurs et le progrès des lumières anéantirent insensiblement la main-morte personnelle en France; mais l’asservissement des fonds subsista pour déposer de celui de leurs anciens possesseurs. Il fut maintenu par une espèce de composition, comme le prix ou le signe du rachat des personnes, et la raison crut avoir remporté la seule victoire possible.

Alors naquirent ou se consolidèrent une foule de droits bizarres, résultant de la prééminence hiérarchique d’un fonds sur un autre. Les Lois, qui prennent si souvent la teinte des préjugés du siècle qui les voit naître, consacrèrent ces abus.

La force avoit fait ou maintenu les usurpations; la force les détruisit à son tour, par une réaction dont la prudence ne pouvoit ni calculer les suites, ni modifier les effets: lorsque la raison put faire entendre sa voix, la sagesse du législateur consista toute entière à se reporter au point de départ; à considérer ce que l’intérêt général permettoit de faire; à repousser, surtout, ce que l’ignorance ou l’orgueil avoient introduit d’inutile ou de dangereux.

Le titre IV du livre II du Code Civil ne maintient et ne régit, sous la dénomination de services fonciers, que les charges dont un fonds peut être tenu pour l’utilité d’un autre fonds. Le nom de Servitudes a été conservé pour ne point hérisser de difficultés, la comparaison de ce Code avec nos coutumes anciennes qu’il est si important de consulter sur cette matière, avec le droit romain, qui devra toujours être l’objet des méditations des juristes et le guide des magistrats. D’ailleurs, on n’a pas cru dangereux de conserver des mots dont l’abus n’est plus à craindre, lorsque les définitions ont été convenues ou clairement expliquées.

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